La Dernière saison de Selim

La Dernière saison de Selim
Pascale Quiviger
Rouergue (épik), 2023

À côté du volcan

Par Anne-Marie Mercier

Pascale Quiviger nous avait émerveillés avec les cinq tomes de son grand cycle du Royaume de Pierre d’Angle. Elle poursuit avec le même talent dans ce gros roman unique qui met en scène deux personnages secondaires tirés de son ouvrage précédent mais qui évoluent pourtant dans un univers totalement différent : les navigations longues et le monde insulaire de Pierre d’Angle font place au monde de Sélim, cerné par le désert où l’on se déplace avec des dromadaires. On y circule entre une oasis surpeuplée, de vastes dunes où l’on se perd, et les ruelles de Borhan, grande et belle ville au pied du mont Shahîda, « une montagne égayée de vergers au sommet de laquelle régnait un lac de jade que la mousson renflouait une fois par année. Il ne pleuvait nulle part ailleurs. »
Sur Sélim règnent un sultan pervers et une prêtresse inquiétante, secondés par des troupes sans scrupules, masculines pour l’un, féminines pour l’autre. Chacun cherche le pouvoir exclusif et pour cela est à la recherche d’une source cachée. Chacun cherche aussi à percer le mystère d’une prophétie qui annonce une Apocalypse qui provoquerait la fin de Sélim, espérant en tirer parti pour vaincre leur rival(e). Malek, jeune orphelin bègue dont les parents ont été sans doute enlevés et tués par les séides du sultan ou de la prêtresse, pourrait être la clef du mystère, à moins que ce ne soit son étrange amie Sofia, plus disgraciée encore que lui : bossue, presque aveugle, elle a été laissée à l’oasis par des nomades et est aussi affamée que Malek. Les deux enfants forment une paire de héros étonnante, mais ils sont vite relayés par une autre paire, beaucoup plus brillante et efficace (en apparence), le couple amoureux qui s’était formé à la fin de la série précédente, celui du bel Arash (alias Mercenaire) et de la splendide cavalière Esméralda, messagère du roi de Pierre d’Angle.
Aventures, déguisements, résolution d’énigmes, errances dans les jardins de superbes palais de style Moghol, scènes de harem et de hammam, moments cocasses, poursuites dans les souk, fuites en dromadaire…, rien ne manque pour maintenir le lecteur en haleine. Les scènes d’action sont encadrées par de beaux moments méditatifs, principalement dans le désert, où chacun cherche sa vérité et son chemin.
L’Apocalypse finale qui passe par l’éruption du suave mont Shahîda dont tout le monde ignorait qu’il fût un volcan donne le sens du titre : cette « dernière saison de Sélim » semble inspirée par les Derniers jours de Pompéi, roman dans lequel une aveugle joue un rôle important et où la catastrophe, annoncée dès le titre, est la conclusion de multiples aventures amoureuses, politiques et émancipatrices… avant d’exploser en beauté. Si, contrairement à ce que l’on lit dans le roman anglais, daté de 1834, la religion est absente, et même bien malmenée à travers ses rites et son institution, le sentiment de la transcendance est bien là. Chaque personnage reçoit ce qu’il mérite, plus par le jeu du destin que par la main de la vengeance. Les héros, aussi bien Arash et Esmée que Malek et Sofia, se libèrent d’un passé qui les entrave. Ce beau roman touffu est aussi plein d’humour, de saveurs et d’odeurs, doux et épicé à la fois, et s’achève en un feu d’artifice cruel et purificateur.

Rainbow Apocalypse

Rainbow Apocalypse
Tristan Valroff
Rouergue, 2022

Une aventure haute en couleur

Par Loïck Blanc


Avec un étonnant tour de plume, Tristan Valroff nous emporte dans un monde à la fois fantastique et apocalyptique, défiant avec audace les attentes les plus sombres que l’on pourrait avoir face à la fin du monde.
Au cœur d’une société ébranlée par les méfaits du réchauffement climatique ou de la consommation de masse, l’auteur nous offre une porte de sortie grâce à la magie des fées. Bien loin de sortir d’un Disney, elles créent une apocalypse surprenante dans laquelle cohabitent licornes, kangourous verts, serpents violets et même lapins multicolores. Pourtant, sous cette surface colorée et féérique se cache une part d’ombre : l’univers aux couleurs chatoyantes ne se révèle pas aussi idéal qu’espéré…
C’est alors qu’apparaît un sorcier qui vient fragiliser davantage ce nouveau monde en insérant des ancrages de la réalité d’avant tels que des stations-service, centres commerciaux et même des toilettes de chantier. Autant d’éléments discordants qui rompent cet équilibre féérique précaire.
Le récit s’articule alors autour d’un trio exclusivement féminin, bravant les obstacles pour lutter contre les agissements du sorcier. L’auteur parvient à maintenir une tension captivante au fil des pages, nous gardant en haleine grâce à une série de rebondissements qui ponctuent cette quête épique.
Ainsi, l’auteur tisse une toile narrative complexe qui pousse le lecteur à réfléchir au-delà de la surface de ce monde féériques aux allures dystopiques.

U4

U4
collectif U4 : Yves Grevet, Florence Hinckel, Carole Trébor, Vincent Villeminot
Nathan / Syros, 2015

Phénoménal… et contagieux

Par Anne-Marie Mercier

u4Le projet de U4 est étonnant par sa nouveauté et son ambition : il s’est agi de faire écrire la même histoire par quatre auteurs différents qui se sont focalisés chacun sur l’un des protagonistes. Ce sont en fait quatre histoires différentes, car si des nœuds et des étapes cruciales les réunissent, tantôt par paires, tantôt tous ensemble, les héros sont séparés la plupart du temps. Chaque volume est écrit au présent et à la première personne et commence par le même prologue, daté du 1er novembre (veille du jour des morts) :

« cela fait dix jours que le filovirus méningé U4 (pour « Utrecht », la ville des Pays-Bas où il est apparu, et 4e génération) accomplit ses ravages. […] il tue quasiment sans exception et en quarante heures ceux qu’il infecte : état fébrile, migraines, asthénie, paralysies, suivies d’hémorragies brutales, toujours mortelles. Plus de 90% de la population mondiale ont été décimés. Les seuls survivants sont les adolescents. La nourriture et l’eau potable commencent à manquer, Internet est instable. L’électricité et les réseaux de communication menacent de s’éteindre. »

Les adeptes d’un jeu en ligne, Warriors of Time (WOT), ont reçu un message du maître de jeu, Khronos : « ensemble nous pouvons éviter la catastrophe en réécrivant le passé. Croyez en moi, croyez en vous et nous gagnerons contre notre ennemi le plus puissant : le virus. Rendez-vous le 24 décembre à minuit à Paris sous la plus vieille horloge de Paris ». Les quatre héros sont des « Experts » du jeu et leur rencontre dans la vie « réelle » de la fiction a le piquant de la surprise : ils se sont bien connus sous les traits d’avatars de super-héros et se voient alors tels qu’ils sont. Mais le réalisme s’arrête là : héros dans le jeu ils sont, héros dans la vie ils demeurent : petite démagogie auctoriale à l’adresse du public adolescent : on poursuit l’illusion, de l’identification du jeu aux livres.

Allez donc voir le trailer, qui rime avec Thriller…

Une vidéo très intéressante pour savoir comment les auteurs ont travaillé : https://www.facebook.com/LireEnLive/videos/vb.184559568289367/949623048449678/?type=2&theater

Et le 3 novembre dernier a paru Contagion, recueil de nouvelles écrites par les quatre auteurs, de 2 BD (de Marc Lizano, sur un scénario de Carole Trébor ; et de Pierre-Yves Cezard sur un scénario de Lylian) et 4 fan fictions par Claire Juge, De La Rauses, Clara Suchère, Sylvain Chaton, issues du concours de fan fiction lancé par les éditeurs.

Donc, le phénomène est contagieux, il se répand d’un livre à l’autre, d’un medium à l’autre…

Six jours pour (sur)vivre

Six jours pour (sur)vivre
Philip Webb
La Martinière, 2011

 6 = « 24 heures chrono »

par Christine Moulin

philip webb,la martinière,apocalypse,science fiction,adolescence,christine moulinLa première moitié du livre est très bonne, le premier quart excellent. L’action se situe dans un Londres du futur dévasté par la guerre et par les recherches que les Vlads (avatars des Soviétiques ?) imposent à la population : il s’agit, ni plus ni moins, de démolir la ville, pierre par pierre, pour retrouver un mystérieux artefact, censé détenir des pouvoirs immenses et bénéfiques. A la manœuvre, les « excaves », dont font partie les héros : Cass, nouvelle Gavroche, et son frère Wilbur qui, à huit ans, fait preuve d’une intelligence hors norme. Il est persuadé qu’il peut deviner où est l’artefact et se fonde, pour le chercher, sur des indices qu’il puise dans d’anciennes bandes dessinées enfouies dans les ruines des maisons qu’il aide à abattre. C’est ainsi qu’un jour, il se retrouve suspendu à une des aiguilles de Big Ben : sa sœur le sauvera avec l’aide d’un être mystérieux qu’elle surnomme d’abord Pyjama Boy, à cause de sa tenue, et qui s’avérera être Peyto, venu d’une autre planète. Bien sûr, Peyto a un lien étroit avec l’artefact.

Jusque là, ça va. Mais après, les choses se compliquent : la quête perd de sa lisibilité au fur et à mesure du roman. Les péripéties se multiplient, ce qui, en soi, n’est pas un mal, les personnages aussi mais surtout, les explications, dont on a parfois l’impression qu’elles sont données au fur et à mesure, pour prévenir les objections des lecteurs vigilants. A la fin, tout est confus et cela finit un peu en queue de farfaleur (« private joke » pour ceux qui liront le livre).

Il manque aussi un arrière-fond : où va cette histoire ? Elle nous redit encore une fois que l’amour, c’est mieux que la guerre. Les méchants ressemblent aux méchants des magazines que dévore Wilbur : moitié nazis, moitié soviétiques. Quand ils ne sont pas tout à fait méchants, l’auteur insiste : « Clouée sur place, je m’aperçois que toute ma haine pour Serov [la méchante n°1] n’est plus aussi simple ».

Et pourtant, on ne lâche pas le bouquin ! Parce qu’il y a des mystères qui demandent à être éclaircis, des périls qui menacent les héros à chaque page, les ingrédients obligatoires d’un tel récit (la fin du monde qui n’est qu’une question d’heures – six ‑, le traitre, les robots improbables, le vaisseau spatial qui se rebelle, à la manière de Hal dans 2001, odyssée de l’espace…). Et surtout, il y a le personnage de Cass, au verbe savoureux (à la fin, malheureusement, l’auteur s’essouffle : les dialogues sont moins drôles), au courage gouailleur, à la tendresse bourrue.

En fait, on a l’impression d’être devant la mise en mots de « comics » (on a même le droit à une excursion dans la Préhistoire, avec belle dame pulpeuse vêtue de peau de bête !). Dans cette mesure, on peut dire que ce roman est une réussite.

On peut voir une vidéo sur le site de l’auteur (dont c’est le premier roman).

Nuit tatouée (La peau des rêves, 1)

Nuit tatouée (La peau des rêves, 1)
Charlotte Bousquet

L’archipel (Galapagos), 2011

Une série B post-apocalyptique

par Anne-Marie Mercier

Nuit tatouée Charlotte Bousquet.gif Dans un Paris post-apocalyptique, un groupe d’humains tente de conserver son territoire et la vie contre d’autres humains, des mutants, des hybrides. Les combats, poursuites et complots dans une ville en ruine crépusculaire, la jalousie et la trahison donnent à ce roman un certain rythme, mais on se lasse tant celui-ci relève du procédé.
L’héroïne, Cléo, est une enfant trouvée élevé dans la haine des « Chimères », humains ailés qui auraient tué ses parents. Elle découvre que la vérité est plus complexe, et le lecteur devine facilement la suite : toute l’intrigue est un tissu de clichés. L’invraisemblance des situations (digne des romans populaires), la platitude des dialogues et le peu d’épaisseur psychologique des personnages font que ce texte est davantage un scénario de film de série B ou d’un film « de genre » qu’une création à laquelle on pourrait croire. Malgré sa brièveté, le récit cadre qui structure l’histoire de Cléo est beaucoup plusintéressant : c’est celui-ci que l’on pourrait éventuellement vouloir suivre.

Prisonniers du chaos

Prisonniers du chaos
Roland Godel
Thierry Magnier, 2010

Et si l’Apocalypse avait lieu en Corse ?

par Christine Moulin

prisonniers du chaos.jpgQuel étrange roman : cela commence comme Le Club des Cinq. Maxime, 15 ans, couvé par ses parents, est envoyé en vacances chez l’habitant dans une île (qui ressemble furieusement à la Corse), pour y apprendre l’autonomie. Sa famille d’accueil est composée d’une mère, d’une grand-mère et de deux enfants, Ange, adorable bambin, et Maria, la fille de la maison, à peu près de son âge. Comme on peut s’y attendre, les relations entre Maria et Maxime sont d’abord tendues, l’une étant persuadée, non sans raisons, que l’autre est un fils à papa (qui plus est, elle est obligée de lui céder sa chambre).

Bref, on nagerait en plein Enid Blyton si la grand-mère ne proférait quelques prophéties dont tout le monde, il est vrai, se moque : « Le ciel est devenu fou, je vous dis ! C’est le CHATIMENT ! Je l’ai toujours su : l’heure du Jugement dernier approche ». Et si une tache noire immense ne planait au-dessus du village…

Rapidement, les deux adolescents s’entendent de mieux en mieux et ils partent avec Ange, malgré les appréhensions de la mère de Maria, pour une excursion à l’intérieur du pays. Un orage arrive, une tempête abominable se déchaîne et les oblige à se réfugier dans une grotte. Quand ils en sortent, ils assistent à un spectacle de désolation : on croirait qu’un ouragan a tout détruit. Commence alors une odyssée catastrophique à travers la forêt pour rentrer au village, dévasté lui aussi. Des étapes qui semblent autant de « stations » initiatiques marquent leur chemin : rencontre avec un ermite, séjour dans un couvent, etc. Ils connaissent l’amour, le drame, la peur, la mort…

Bien, et alors ? La parenthèse se referme, la fin du monde a eu lieu mais la vie continue. A la fin, la tache noire a disparu mais selon les prédictions de Maria, « elle reviendra un jour ou l’autre […] elle attend quelque part, elle guette le bon moment pour recommencer à faire mal… ». Le lecteur se demande, intrigué, quel était, au fond, le propos de ce roman (que symbolise cette tache ? Symbolise-t-elle quelque chose, d’ailleurs ?), sans pour autant pouvoir l’oublier.

On peut toujours aller voir le site de l’auteur.