Caulfield, sortie interdite

Caulfield, sortie interdite
Harald Rosenloweeg
Thierry Magnier, 2009

Un malaise qui nous vient du froid

par Christine Moulin

En Norvège, un adolescent, Klaus, arrive dans un nouveau collège, où sa mère vient d’être affectée comme conseillère d’éducation. Dès son arrivée, il entend une conversation qu’il ne devrait pas entendre et il rencontre Sturla, qui va très vite mourir, écrasé par un métro. Accident qui va l’obséder et le lancer dans une quête de la vérité mortifère (meurtre ou suicide ?).L’histoire débute par une chute dans le vide, celle-là même que l’on redoute tout au long de l’œuvre qui sert de référence structurante au roman, L’attrape-cœurs de J.-D. Salinger (1953), déjà présente dans le titre qui évoque le nom du héros (Holden Caulfield) de ce roman culte. Mais la référence ne s’arrête pas là.Les similitudes sont nombreuses : la narration, à la première personne, ne livre que le point de vue du narrateur, isolé, et entraîne le lecteur dans un cauchemar qui va crescendo. A la suite du héros, on a l’impression de perdre pied et de vivre une véritable descente aux Enfers (on pense aussi, parfois, à Rome l’Enfer, de Malika Ferdjoukh), pris dans l’enchaînement des rencontres et des évènements.La vision du monde rappelle également celle de Salinger : une ville-labyrinthe sert de cadre aux déambulations du héros ; les adultes et les adolescents sont tous aussi perdus et menacés les uns que les autres ; personne n’est en sécurité ; personne n’aide personne ; aucune valeur n’est assez solide pour assurer la survie des individus. Les relations sont dominées par l’hypocrisie et la machination (« phoniness », fausseté, selon le mot de Salinger). La figure maternelle elle-même n’est pas épargnée, même si les héros des deux romans essayent, maladroitement, de protéger leur mère, de ne pas l’inquiéter, ce qui les précipite plus sûrement dans l’errance et les dangers. L’amour, qui pourrait être synonyme de pureté salvatrice, de repos, (l’amour pour Live, dans Caulfield, pour Jane dans L’attrape-cœurs) semble à la fois décevant et inaccessible : « Tu souhaiterais certainement croire que l’amour est si authentique, si beau et tout et tout… Mais ce n’est qu’un jeu. Et une dose de biologie ». Même l’affection pour une petite sœur (Vilje dans Caulfield, Phoebé dans L’attrape-cœurs) ne peut pas grand-chose… Si bien qu’on en arrive à la tentation du suicide (menée à son terme par un personnage secondaire dans L’attrape-cœurs, point central de l’ « enquête » entreprise par Klaus).Mais l’hommage le plus subtil à Salinger réside dans la construction de la narration : même enchâssement entre un prologue et un épilogue qui donnent toute leur signification aux péripéties intermédiaires ; même accélération du rythme : on commence par un quotidien relativement banal. Certes, les deux héros subissent l’un et l’autre une situation de rupture (renvoi de l’école pour Holden Caulfield, inscription dans un nouveau lycée pour Klaus) pour arriver à être pris dans une suite d’événements de plus en plus perturbants, curieux, dérangeants, présentés pourtant d’une façon linéaire, qui amènent le lecteur à douter de tout, même de la fiabilité du narrateur.Les différences, toutefois, marquent l’originalité de l’écriture de Harold Rosenlow Eeg et peut-être aussi l’écart temporel entre les deux œuvres (plus de cinquante ans). Dans le choix du genre, tout d’abord : d’un roman initiatique, il a fait un thriller, plus désespéré (« sortie interdite », dit le titre) ; c’est d’ailleurs ce que constate Klaus, qui lit le roman préféré de Sturla : « Je commence par la fin, histoire de savoir qui est le meurtrier. Mais l’histoire ne semble pas contenir de meurtre quelconque ». Différences dans les caractéristiques du héros : Klaus est rendu fou, sa fragilité vient de ce qu’il affronte, de la société, de sa situation familiale, du phénomène d’identification avec Sturla, tandis que les failles de Holden Caulfield sont plus intérieures (L’attrape-cœurs débute dans un hôpital psychiatrique). Dans les thèmes : l’homosexualité est plus centrale, l’alcool est remplacé par la drogue, les scènes de sexe plus explicites. Dans le ton : pas trace d’argot. Cette fausse similitude est d’ailleurs annoncée dès l’incipit : les enfants que Holden Caulfield voudrait sauver dans le roman américain sont devenus des flocons de neige dans le roman norvégien (« J’ai soudain l’impression d’apercevoir, tout là-haut, un flocon de neige. Un ticket gagnant. Qui tout en lenteur virevolte vers le bas. Je me figure que je dois absolument le sauver avant qu’il n’atteigne le sol »). La lecture de ce livre obsède, bien après qu’on l’a refermé, à cause du désespoir qui le fonde. Pour la jeunesse, vraiment ?

L’enfaon

L’enfaon
Eric Simard
Mini Syros

L’avenir de l’amour

par Christine  Moulin

« Ses yeux… Je me souviens qu’ils étaient larges, très larges,…». C’est sur ce portrait quasi verlainien (« Son nom ? Je me souviens qu’il est doux et sonore… », Mon rêve familier) que débute ce court roman, destiné aux plus jeunes. Deux atouts : c’est une histoire d’amour. C’est un livre de science-fiction. Ce qui fait de cet ouvrage une rareté, dans cette tranche d’âge (7-8 ans).

Leïla, donc, tombe amoureuse de l’enfaon, qui « conçu quelque part en France dans une couveuse artificielle », est un Humain Génétiquement Modifié, mélange d’enfant et de faon. L’enfaon, poète, a du mal à suivre en classe. Il subit les moqueries de ses camarades, ce qui brise le cœur de l’héroïne.

L’intrigue est mince et le dénouement rapide. Mais la lecture est facile et le propos, sans être très original, initie bien au genre. Ce roman constitue également un bon exemple d’histoire conçue à partir d’un mot-valise (d’ailleurs, la tante de Leïla ne s’occupe-t-elle pas d’un élevage de « chienchats », « chimères [qui ont] le devant du corps « chiens » et le l’arrière du corps « chats » ») ? Avis aux écrivains en herbe…

Le site d’Eric Simard : http://www.ericsimard.net/bio.htm

Le garçon bientôt oublié

Le garçon bientôt oublié
Jean-Noël Sciarini
L’école des loisirs (medium), 2010

« Quand je serai grand je serai une fille ».

par Anne-Marie Mercier

Ce livre courageux présente le point de vue d’un garçon mal dans sa peau, et surtout – on ne le comprend que petit à petit et de façon allusive – mal dans sa peau de garçon. Il a tout pour être heureux, des parents aimants, des amis, mais n’arrive pas à communiquer vraiment avec eux, à se passionner comme eux pour les mêmes choses. Ce malaise va jusqu’à des idées de suicide. Il se demande qui il est, jusqu’à ce qu’une chanson change sa vie, une chanson d’Anthony et les Johnsons qui dit : « quand je serai grand je serai une fille ».

Les pages consacrée à l’importance de la musique dans les amitiés adolescentes sont intéressantes. Mais ailleurs le récit est tâtonnant, hésitant ; le style également semble chercher sa voie, tantôt plat, tantôt travaillé. Le roman ne séduit pas, ennuie souvent, ne cherche pas à raconter une histoire. C’est plutôt un portrait qui se construit. Le résultat est un texte étrange, fait de vide et de trop plein, hérissé de souffrances et explosant parfois de jubilation ; d’avoir osé, sans doute ?

Après avoir été l’une des premières maisons d’édition pour la jeunesse à proposer des romans évoquant l’homosexualité (Tout contre Léo de C. Honoré, Lettres de mon petit frère de C. Donner, devenus des « classiques »), voici que l’Ecole des loisirs ouvre encore un peu plus la question des identités sexuelles. De quoi faire frémir dans les chaumières et surtout dans les bibliothèques, CDI et librairies. On imagine la perplexité de ceux et celles qui auraient offert le livre en se fiant au titre seul, ou à la 4e de couverture, peu explicite. Sans doute aurait-il été plus sage d’annoncer plus franchement la couleur : on sait combien ces sujets sont traités avec précaution et même réticence par la plupart des prescripteurs.

Le Crime parfait

Le Crime parfait
Frank Cottrell Boyce
Gallimard (Folio junior), 2010

L’humour anglais est-il soluble dans l’eau de pluie ?
Assurément, la réponse est non…

par Michel Driol

Voilà un roman très britannique se passant au pays de Galles, dans un village perdu au pied d’une montagne. Village tellement perdu que même le panneau l’indiquant sur l’autoroute n’a pas été replacé ! Village qui détient des records de pluviométrie… mais aussi le plus bas taux de délinquance. Mais aussi village frappé par la fuite de sa population…

Comment y vivre – ou y survivre ? Quand on y est le dernier garçon inscrit à l’école et que donc, on n’a plus personne avec qui jouer au foot ? Quand on y est persuadé que Donatello et Raphael ne sont que des noms de tortues Ninja ?

Les situations cocasses s’enchainent les unes aux autres, suite à quelques quiproquos entre un londonien cultivé, représentant la National Gallery, chargé de protéger les tableaux de cette institution dans une grotte en pleine montagne et Dylan.

L’humour est la politesse du désespoir : il faut survivre, à tout prix. Et si le lecteur perçoit le tragique de la situation (le village condamné, la famille en passe de se disloquer), le personnage-narrateur ne le comprend pas, et fait preuve de ressources pour tenter de sauver le garage familial (de l’achat d’un percolateur à l’invention de tartes et gâteaux aux noms dignes des restaurants de musées !). L’intrique nous embarque dans des situations cocasses, entre arnaques à l’assurance et vol de tableau, exploration de la montagne… Elle nous fait croiser des personnages hauts en couleur : Quentin le londonien d’apparence snob, Tom Demeuré , le roi des cambrioleurs maladroits, les sœurs Sellwood, dangers au volant, le boucher, qui refuse de vendre du foie, persuadé qu’il reste vivant…

C’est aussi un roman sur la nécessité de l’art, et la façon dont la rencontre avec l’art peut transformer le regard que l’on porte sur la vie. Suite à la découverte du tableau de Renoir,  les Parapluies, les écoliers de Manod – la ville la plus grise du Royaume Uni – se rendent munis d’un parapluie de couleur à l’école en une véritable procession colorée qu’on pourrait qualifier de performance. C’est aussi Tom qui entreprend de refaire toutes les vitrines.

Un roman émouvant et optimiste…

(à partir de 9 ans)

Picasso ou rien

Picasso ou rien
Sylvaine Jaoui
Rageot (romans), 2010

Copie conforme ?

par Michel Driol

Voilà un beau roman sur les relations humaines et sur les relations entre l’art et la réalité. Sur la mort et le deuil aussi.

C’est d’abord le beau portrait d’un ado (Jimi est collégien) saisi dans sa famille et ses relations avec quelques ami-e-s de son âge. Relations familiales parfois pénibles : son père –musicien de talent – est décédé d’un cancer, mais Jimi refuse d’une certaine façon d’accepter cette mort, parle à son père qui lui répond à travers ses dessins.  Sa mère tente de le réconcilier avec son grand-père paternel, qui s’est opposé en son temps à la vocation musicale de son fils, et s’est brouillé avec lui. Comment lui pardonner ? C’est aussi l’âge de la découverte de l’amour pour Lilas. C’est l’âge de l’amitié pour Roméo. C’est enfin l’âge où l’on se construit en s’opposant avec d’autres ados du même âge (une belle figure de brute – Solal).

Jimi est globalement entouré d’adultes bienveillants : sa mère, qui l’élève seule. Léo, qui lui apprendra le dessin. Les figures d’enseignants sont – loi du genre – plus diversifiées voire stéréotypées : le prof de maths est un homme, modèle de sadisme, la prof de français est une femme, compréhensive et fine… Reste l’absence de la figure paternelle, compensée dans l’imaginaire par Jimi… et la figure du grand père, statue du commandeur, ayant interdit à son fils de se lancer dans la musique, ayant rompu avec lui, et  dont la mère impose la présence à Jimi un soir par semaine.

Si le père de Jimi était musicien, Jimi est un dessinateur déjà talentueux pour son jeune âge. Ce talent, reconnu et accepté par son père de son vivant, Jimi le fait fructifier avec Léo, qui lui sert de guide. Masi, comme tous les artistes, il a sa période de doute, lorsqu’il s’agit de s’inscrire à un concours de mangas. Qui être ? Picasso ou rien ? ou soi-même ?

Et, de ce fait, le roman est traversé par l’exploration des relations entre l’art et la réalité. C’est dans les dessins de Jimi que vit son père. C’est Lila qui sert de modèle féminin à Jimi. Ce sont de nombreuses allusions à la nouvelle de Marguerite Yourcenar, Comment Wang-fo fut sauvé. Mais c’est surtout, à fin, la façon dont Jimi réutilise des éléments de son propre vécu pour l’interpréter dans les différentes épreuves du concours de mangas. Rien de didactique dans ce roman, mais l’illustration, à travers un récit bien conduit, de certaines conceptions des rapports entre l’art et la réalité.

(à partir de 11 ans)

La princesse et l’assassin

La princesse et l’assassin
Magnus Nordin
Rouergue (doAdo Noir), 2010

Les amourettes suédoises…

par Michel Driol

Un beau début de roman noir : « Il avait plu toute la journée, une bruine désolante typique de l’automne, mais, peu après minuit, la pluie avait cessé. Même si Fredrick n’était que légèrement habillé, le froid était à cet instant le cadet de ses soucis ».

Mais, même si la quatrième de couv’ met l’accent sur le côté thriller (au deuxième assassinat, chacun va devoir abandonner ses mensonges et ses secrets) et souligne que ce roman, d’un auteur suédois reconnu de thrillers et de romans d’horreurs pour la jeunesse, a reçu pour ce roman le prix du meilleur thriller pour la jeunesse… le thriller et les frissons tardent à venir.

En fait ce roman hésite entre deux ou trois genres : le thriller, certes, mais en pointillés. Le roman sentimental pour ados. Le roman social.

Du thriller, on garde l’atmosphère et les constantes du genre (la nuit, la pluie,  le tueur qui rôde et menace les ados, l’enquête policière, la fausse piste), mais, au fond, ce n’est pas vraiment cela qui intéresse Nordin, ni peut fournir un moteur à la lecture. Le point de vue n’est pas vraiment ici celui de la victime potentielle, comme c’est le cas dans ce genre.

Ce qui se développe surtout, c’est le roman sentimental, plus proche des émois d’ »Hélène et les garçons », ou des séries télévisées ayant comme cadre un lycée (d’Australie ou d’ailleurs…) que du roman de Flaubert. Sexe, mensonge et tromperies façon lycéenne. Découverte de l’amour pour Nina, l’héroïne, pour le beau chanteur d’un groupe de musique en vogue, aimé aussi par Lenita. Et Markus, trop timide pour avouer son amour pour Nina, ou choisir entre l’amitié et l’amour… Chronique d’une année scolaire, une de plus… la dernière, en tous cas, puisqu’il s’agit de terminale !

Reste le côté critique sociale, qui me semble rester le parent pauvre de ce livre, comme une dimension  effleurée mais non aboutie, malheureusement. Le lycée que fréquentent tous les héros est caractérisé par sa mixité sociale, et l’auteur met en présence deux mondes, deux quartiers : un quartier populaire (celui de Markus et de Nina), et un milieu très huppé, celui de Lenita. Or, autant les descriptions des lieux mettent l’accent sur ces différences (maisons identiques d’un côté, superbe propriété de l’autre), autant les dimensions sociales et psychologiques sont peu traitées. Au fond, tous ces ados se ressemblent !

Et s’ils se ressemblent tant, c’est peut-être que leurs parents sont absents… Le père de Nina déménage sans cesse, traite sa fille de « Princesse » et cache un secret qu’on découvrira à la fin du roman. Les parents de Lenita sont absents du livre : leur fille  est ivre lors de sa fête… La mère de Nina est malade. Pas d’adulte positif dans ce livre (ni du côté parental, ni du côté professoral), sauf, peut-être, du côté policier. De fait, la micro société des ados fonctionne avec ses règles, ses codes, ses transgressions.

Un livre donc qui pose de sérieuses questions sur les limites de la littérature pour la jeunesse : à quelles conditions écrire un thriller pour les jeunes ? De quelles images du monde des adultes doit-elle être le reflet ? Quel public viser : celui de l’amateur de thriller ou celui du roman d’amour ?

Tricot d’amour

Tricot d’amour
Karin Serres
Illustré par Mathieu Demore
Rouergue (zigzag)

Amitié et loufoqueries

par Anne-Marie Mercier

Le roman commence comme Madame Bovary : un nouveau arrive dans la classe et tous les élèves remarquent un vêtement qui le caractérise. Ici, ce n’est pas une casquette, mais un pull : Kévin a une mamie qui tricote, pour son bonheur et pour son malheur. Il est la risée de la classe, y compris de la narratrice, Mira. En plus, il est le fils d’un boucher. Mais Mira, elle, a des poux et expérimente la douleur d’être mise à l’écart…

On n’en dira pas plus. Ce petit roman est tout à fait délicieux, traitant avec délicatesse de la difficultés des relations entre enfants, de questions de modes, des familles (et des mamies tricoteuses !) et proposant des dialogues  savoureux. Les illustrations loufoques de Mathieu Demore sont parfaitement en harmonie avec l’ensemble. Enfin, c’est une belle histoire d’amitié entre enfants ordinaires.

Un avis de lectrice sur un blog, avec plus de détails :

http://www.paperblog.fr/3058205/tricot-d-amour/

Plaine obscure (Mécaniques infernales, t. 4)

Plaine obscure (Mécaniques infernales, t. 4)
Philip Reeve
Traduit (anglais) par Luc Rigoureau
Gallimard (folio junior), 2010

Villes mouvantes

par Anne-Marie Mercier

Quatrième volet d’un cycle commencé avec Mécaniques infernales (Mortal engines), Plaine obscure tient toutes les promesses du premier volume : les destins y sont scellés, les mystères résolus et un certain ordre rétabli. Il fallait bien quatre volumes pour cela, tant la situation de la planète (la Terre) et des individus était confuse et complexe.

Le couple londonien du premier volume a vieilli, a explosé. Tom et Hester se haïssent, ils sont devenus faibles, aigris et laids, du moins au début de ce volume (la situation s’arrangera sur certains points !). Hester a disparu. Les héros sont ceux de la génération suivante : leur fille Wren et un jeune africain, Theo. Ceux-ci se chercheront et se perdront pendant bien des pages, à la manière du roman antique. On retrouve également des personnages plus curieux, ressuscités ou maintenus en vie par des coups de théâtre, des morts ramenés à la vie artificielle dans un corps de métal et gardant des bribes de souvenirs des temps anciens, des gamins des rues prêts à tout, de vieux archéologues gardiens du temple, des pirates, des officiers prussiens et enfin un journaliste-explorateur-écrivain ridicule et opportuniste qui surgit à chaque étape comme un diable hors de sa boite et qui ajoute ainsi des traits d’humour et de distance à une trame assez sombre.

La planète Terre est livrée au « darwinisme municipal » : à la suite de catastrophes, les villes sont devenues mobiles et se chassent les unes les autres, les grosses se nourrissant des petites, à la manière de pirates des mers. Ce conflit permanent se double d’un autre, celui des locomopoles avec les « Assaillants verts », partisans d’un retour à la terre et à la sédentarisation, tout aussi violents et sans scrupules. Ecologises et tenants de la technologie sont ainsi mis à égalité : même sauvagerie, même intolérance, même méfiance à l’égard des paroles de paix de part et d’autre. Entre ces deux forces principales se jouent encore d’autres guerres, plus ou moins organisées, piraterie, trahisons, complots internes. Mais tous ces camps qui croient connaître et maîtriser leur destin sont aveugles devant la montée d’une autre puissance qui risque d’anéantir toute l’humanité et que l’on ne découvre qu’avec les héros, presque trop tard.

Ce monde dévasté et muni d’une technologie arriérée a besoin autant d’ingénieurs, d’archéologues pour dénicher des instruments du passé (le XXe siècle, en gros) qu’il pourra réutiliser que d’espions et d’hommes de main pour les voler aux autres villes. Londres a été détruite par la folie de sa Guilde des ingénieurs qui a cru pouvoir contrôler des armes trop puissantes pour elle. Mais la ville renaît dans ce volume, dominée cette fois par la Guilde des archéologues à laquelle appartenait Tom, le héros du premier volume. Les jeunes Théo et Wren servent d’intermédiaires entre les différents camps et sont des modèles de courage, de diplomatie et d’habileté stratégique, tout en restant très humains, pleins de doutes, de terreurs et de sentiment d’abandon, capables eux aussi de trahison et d’injustice. Malgré cela ils restent assez flous et n’ont pas une épaisseur remarquable.

Rebondissements multiples, mystères, alternance de points de vue et d’atmosphères font de cette série un modèle du genre qui arrive à combiner de nombreux thèmes de la SF : l’apocalypse, la destruction de la nature, le choc des empires, l’émergence de nouvelles religions, l’intelligence et les humains artificiels, les villes-mondes…

Grâce à ce cycle, Philip Reeve (également auteur de Arthur, l’autre légende) a gagné de nombreux prix, notamment pour Plaine obscure le Guardian Children’s Fiction Prize and the Los Angeles Times Book Award. Depuis, Philip Reeve est revenu à l’univers de Mortal engines avec Fever Crumb, suivi de A Web of air.

Ne jamais tomber amoureuse

Ne jamais tomber amoureuse
Melissa Marr
Traduit (anglais) par Blandine Longre
Albin Michel (Wiz)

Fées cruelles

par Anne-Marie Mercier

L’image de couverture comme le titre font croire à un roman sentimental, faussement : même si les affaires de cœur de l’héroïne sont au centre du roman (acceptera-t-elle de devenir la « fiancée » de Seth ? le trahira-t-elle en cédant au chantage de Keenan ?), ceux-ci ne sont qu’un arrière plan pour un tout autre projet, beaucoup plus original. Le titre anglais (Wiked lovely) indique bien cette double orientation.

Il s’agit d’un roman plein de fées, masculines ou féminines, de toutes les couleurs et de toutes les formes, certaines horribles et monstrueuses, d’autres extrêmement belles, mais toutes plutôt méchantes et farceuses, cruelles enfin. Elles sont invisibles aux humains ordinaires (comme Seth), mais Aislinn l’héroïne peut les voir, ce qui lui complique la vie. Elle est obligée de cacher ce don aussi bien aux fées qu’aux humains. Seule sa grand-mère, puis Seth connaissent la situation.

L’histoire se passe dans une ville américaine ordinaire, Huntsdale, pas très riche. La plupart des paysages sont des non lieux, terrains vagues, espaces abandonnés. Aislinn va au lycée (chez les sœurs), Seth a des piercings, crée des sculptures métalliques, écoute les Dresden dolls et Rachmaninov, boit des bières avec ses amis et vit dans un wagon désaffecté…  rien de glamour malgré ce que peut faire croire la couverture. Mais l’intrigue principale est digne d’un récit de légende : Keenan est un roi des fées. Roi de l’été, il cherche une nouvelle épouse qu’il doit trouver d’urgence pour éviter que le monde ne sombre dans un éternel hiver. Il a choisi Aislinn et la poursuit, mettant en jeu tous ses fidèles et toute sa force de conviction, quand ce n’est pas sa force et sa ruse : on sait très vite qu’Aislinn n’a aucune chance. Le suspens est donc permanent, la fin surprenante mais provisoire : c’est le premier tome d’une série de quatre volumes.

Destiné à la catégorie des jeunes adultes, Wicked lovely a été publié en 2007 aux Etats Unis et a connu un grand succès, figurant pendant plusieurs semaines dans les best sellers. Comme le dit une amatrice sur le site Bit-lit.com, « cela change un peu des vampires et des loup-garous ».

Un genre Twilight, donc, avec une nouvelle fois une relation triangulaire qui propose une fille entre deux hommes, l’un humain (pour l’instant !), l’autre pas… à suivre !

L’été à Pékin

L’été à Pékin
Elise Fontenaille
Rouergue (Dacodac), 2010

par Anne-Marie Mercier

Inutile de chercher une présence de Boris Vian. On ne la trouvera pas plus qu’on ne trouve Pékin dans son Automne à Pékin. On ne trouvera pas non plus la « vraie » Chine, tout au plus une vision de touriste. Enfin, pour ce qui est de l’intrigue, elle tourne beaucoup autour de questions d’argent : celui qui abonde chez le héros et lui permet de voyager et celui qui est plus rare chez l’ami qu’il aimerait emmener : l’accompagnera, l’accompagnera pas ? Rassurons-nous, le héros est généreux et inventif et l’ami reconnaissant. En somme, un petit roman léger.