Lettres des îles Baladar

Lettres des îles Baladar
Jacques Prévert, André François
Gallimard jeunesse (1952), 2024

Iles, éternels refuges

Par Anne-Marie Mercier

On ne raconte pas les Lettres des îles Baladar. D’abord parce que c’est un album bien connu (qui méritait amplement d’être réimprimé, merci Gallimard !), ensuite par ce que l’argument en est très simple et que sa saveur tient au rythme, au style, à sa gravité et à sa légèreté.
Un archipel ignoré du grand continent vit heureux, en autosuffisance,  jusqu’au jour où sur le « Grand Continent » on apprend qu’il s’y trouve de l’or. Invasion, destruction, soumission, révolution et enfin expulsion rythment l’histoire. C’est le modèle de bien des histoires coloniales, à ceci près qu’ici la fantaisie, la drôlerie et l’optimisme gagnent toujours. Le mal y  est défait pour toujours. De tous les apports des colons, seul le cinéma est gardé, et encore, un cinéma que les habitants font eux-mêmes et non celui qu’on leur vend.
Les dessins en bichromie d’André François accompagnent parfaitement le style de Prévert. Proches du graffiti, ils dressent des portraits savoureux des personnages, du grand méchant (le Général Trésorier de Tue Tue Paon Paon) à son adversaire, le singe Quatre-mains-à-l’ouvrage, le balayeur de l’île qui devient son sauveur.

Pépite à lire et relire et à offrir à tout âge, pour tous les âges.

 

Les Trois Petites Epluchures

Les Trois Petites Epluchures
Coralie Saudo – Xavière Devos
L’élan vert 2024

Conte, compost et consommation…

Par Michel Driol

Suite à aux nombreuses mésaventures, qui l’ont laissé bien meurtri, le Loup est devenu végétarien, et, vêtu d’un superbe tablier de ménagère, il prépare des salades pour sa petite louve, qui préfèrerait manger du cochon ou de l’agneau. Arrivent les trois petits cochons qui s’extasient devant un magnifique potager près d’une maison, et décident de demander conseil au propriétaire, le Loup…Suivent quelques quiproquos et situations savoureuses qui revisitent l’histoire canonique, en l’inversant, et l’on découvre les secrets de ce potager : le compost créé bien malgré eux par le loup et petite louve qui jettent épluchures ou rondelles de tomates par la fenêtre.

Avec beaucoup d’humour, de joie, et de vivacité, l’autrice et l’illustratrice revisitent l’histoire des trois petits cochons et posent la question de notre alimentation, de notre surconsommation de viande. Le récit inverse avec malice le conte traditionnel : ce sont les cochons qui soufflent, et ce sont eux qui se retrouvent dans le chaudron, au grand dam d’un gentil loup sympathique qui ne leur veut aucun mal ! Au passage, le récit égratigne les gouts alimentaires des enfants, avec cette petite louve que les salades paternelles à base de concombres et de tomates ne font guère rêver. Passant de l’autre côté de la fenêtre, on passe de l’univers farfelu du conte au monde du compost, et l’un des petits cochons se révèle un savant botaniste qui explique la dégradation des végétaux par les « petites bêtes », l’illustration montrant alors toute cette vie souterraine, non sans fantaisie !

Certes, il est question d’alimentation, de compost, mais le thème est traité avec légèreté et malice. Le texte, qui fait la part belle aux dialogues, est vivant et savoureux, en particulier à cause de la petite louve, monomaniaque, effrontée, traduisant en termes enfantins les propos savants de Plouf, le cochon savant (on laissera au lecteur le plaisir de le découvrir !). La chute, avec une promesse de chips de carottes et de gâteau chocolat-courgette, montre que, comme l’écrivait Brecht dans l’Opéra de Quatre sous, La bouffe vient d’abord, ensuite la morale… mais que tout est affaire de qualité et de préparation ! Les illustrations, crayonnées en couleurs vives et printanières, sont dynamiques et joyeuses, prenant souvent les choses à contrepied et posant d’abord des personnages caractéristiques.   Le loup, qu’il soit vêtu de son costume bleu ou de son tablier à carreaux vichy, avec ses grosses lunettes sur le nez, la petite louve dans son pyjama salopette, petit bandeau autour de la tête, les trois cochons revêtus qui d’un maillot, qui d’une salopette, incarnent une animalité très humanisée, dans laquelle se détache l’agressivité « naturelle » de petite louve. Les visages sont expressifs, trogne des petits cochons aux yeux exorbités, air rêveur du loup, mimiques pleines de saveur de petite louve. Et que dire de l’intérieur de la maison du loup qui mêle une cuisine très contemporaine avec une cheminée et un chaudron à l’ancienne !

Un album plein d’humour, qui revisite avec bonheur le conte des trois petits cochons, et donne des leçons de compostage ! A dévorer sans modération !

Le Miroir aveugle

Le Miroir aveugle
Giacomo Nanni
La Partie 2024

Au fil des souvenirs obscurs

Par Michel Driol

Presque aveugle, le miroir, narrateur de cet album, se raconte. Les souvenirs de sa longue vie s’enchainent, ceux des girafes, ceux des lions, ceux de son ancien propriétaire, explorateur du Pôle Sud avec un gramophone, ceux de cette maison et de ce couloir dans lequel le carrelage se plaignait qu’on lui marche dessus. Puis arrive la question métaphysique, A quoi ressemblerait le monde si je n’étais pas là ? avant de se retrouver sur une plage, tout au bonheur à refléter les vagues de la mer.

Avec un format très vertical, une technique d’illustration très particulière, pointilliste le plus souvent, avec des couleurs primaires, cyan, magenta et jaune, voici un album complexe, poétique, centré sur un personnage fantasque, le miroir. Un miroir dont la fonction première est de refléter le monde, mais un miroir vieillissant, souffrant d’une pathologie qui le rend dysfonctionnel, inutile. Dès lors, tout est flou, flou des images, flou des souvenirs qui se mêlent, dans une confusion mentale propre à la vieillesse. Le pointillisme des images rend bien ce flou, qui laisse deviner les silhouettes représentées, mais qui les laisse aussi à imaginer, proposant ainsi une vision imparfaite du monde. Parfois, le pointillisme laisse place à des lignes, brouillées elles aussi, donnant à voir un monde où les êtres et les choses se multiplient.  C’est toute la question très philosophique de la perception et du réel  que pose cet album. Les erreurs comiques du miroir, qui croit que les manchots sont des lions et qu’il y a une chanteuse et son assistant dans le gramophone nous renvoient à ce que nos sens et nos connaissances peuvent avoir de trompeurs surtout lorsque le handicap et la vieillesse s’en mêlent. Nos expériences multiples du monde se brouillent, et, avec le temps, des couches de poussière, comme des préjugés, viennent nous empêcher d’avoir accès au monde.

Mais, si les sens et la mémoire, nos savoirs, nous permettent de construire un monde imparfait, que serait ce monde sans nous pour en faire l’expérience ? En deux pages, hors cadre, l’album montre un univers utopique où les tigres se laisseraient caresser par les jonquilles, puisqu’il n’y aurait personne pour les craindre. Le monde serait alors une nature  déshumanisée, en ce sens qu’elle serait non pensée, non perçue, non conscientisée.

Si l’album aborde ces questions philosophiques, il le fait avec les moyens propres de l’album, des illustrations et un texte plein d’humour, dans lequel le miroir s’adresse au lecteur, dans un dispositif graphique très esthétique : sur le fond noir  des pages se détache le rectangle coloré du miroir, et, en haut et/ou en bas, un texte sur fond blanc, un texte qui procède par glissements successifs au fil des souvenirs, des questions, à la façon d’un homme âgé qui se livrerait, sans logique autre que celle de la connexion entre les choses qui lui parviennent à la conscience.

De ce fait, l’album laisse une grande part à l’interprétation. Les plus jeunes y verront une histoire à la fois drôle et triste d’un miroir malhabile à refléter le monde, d’autres y verront les affres de la vieillesse sur un individu qui a trop vécu de multiples vies,  d’autres enfin se poseront des questions plus philosophiques.

Un album décalé, humoristique, jouant sur les méprises et les confusions, à la ligne graphique très originale, qui laisse avec bonheur le lecteur l’interpréter à son niveau de compréhension. Si le roman, c’est un miroir que l’on promène le long d’un chemin, comme l’écrivait Stendhal, jusqu’à quel point faut-il, dans la littérature, faire confiance aux miroirs ?

À l’aise, Blaise !

À l’aise, Blaise !
Claude Ponti
L’école des loisirs, 2024

Poussin explosif

Par Anne-Marie Mercier

Pour les fanatiques de Claude Ponti, et surtout les accros à Blaise, voilà un festival de prouesses du poussin masqué : faire pipi sous un parapluie sans que le pipi se mélange à la pluie, jongler avec les pieds avec des éclairs au chocolat, soulever des poids incroyables, voler plus vite que tout, se baigner dans une mare de chocolat, fêter de manière géante son anniversaire…
Mais aussi du Blaise pur Blaise derrière le sourire crispé de son masque : un Blaise narquois, dérangeant, narcissique, pas vraiment gentil… Un Blaise tonique, et qui ne laisse jamais l’Amer gagner (voir ma chronique du 1er juillet) :

« L’Amer, Blaise ne le laisse jamais faire.
Car l’Amer trouve toujours quelque chose de désagréable à dire : « Ça sent mauvais. C’est trop chaud à gauche. Il pleut alors qu’il devrait faire beau. […]  Je n’aime pas. Je n’ai pas envie. Je ne vois pas pourquoi je devrais aimer. De toute façon c’est nul ».

Blaise joue à tout, avec tout, se téléphone (« pour savoir s’il est là. Il est là »), joue à faire peur aux apeurés… Il invente des centaines de jeux incroyables. Il fait voler en éclat le réel pour mieux le reconstruire ensuite, mais différent.

 

Indrazaal et la quête de l’océan

Indrazaal et la quête de l’océan
Kama La Mackerel – illustrations de Nátali de Melli
Kata 2024

Un récit initiatique pour prendre soin de la nature

Par Michel Driol

Indrizaal vit au sommet d’une montagne, au centre d’une ile. Une nuit, iel rêve d’une vieille dame, la mère de l’océan, signe  qu’il est temps de prendre la route vers l’océan. La montagne d’abord lui indique le chemin, lui révélant la création du monde, et l’initiant aux semences des plantes. Plus loin, les flamboyants racontent leur odyssée depuis une autre ile. Les roussettes volantes, à leur tour,  lui indiquent leur rôle dans la dispersion des pépins des fruits. Après avoir salué animaux et insectes divers, iel rencontre les mangroves, qui le renseignent sur leur origine et leur rôle écologique. Enfin c’est l’océan, et les retrouvailles avec la vieille dame, qui affirme être là pour protéger ses enfants.

L’album se situe entre le conte merveilleux, où les plantes et les animaux parlent, et le documentaire écologique où sont expliquées les origines de la vie et de la végétation sur une ile, et ce qui y maintient un équilibre en permettant la symbiose des plantes et des animaux. Du conte, on retrouve la quête initiatique d’un personnage touchant, désireux de découvrir, d’apprendre, et les répétitions de situations, de formules de salutation ou de départ, et le fait que toute la nature parle.  Du documentaire scientifique, géologique et botanique, on conserve les noms des plantes ou des animaux, leurs caractéristiques biologiques, des précisions relatives à leur rôle dans la nature. Avec douceur et poésie, l’album aborde avec bienveillance la relation entre l’humain et la nature, et laisse entrevoir, sans le nommer, le respect qui doit exister au sein du vivant, dans une perspective presque animiste. Un mot sur le personnage principal, Indrazaal, non binaire, désigné par le pronom iel, représenté comme un enfant au genre indifférencié, peut-être à l’image de Kama La Mackerel, artiste multidisciplinaire, educateur·ice,  auteur·ice, médiateur·ice culturelle,  traducteur·ice littéraire mauricienne-canadienne. Quant aux illustrations, elles laissent exploser les couleurs vives pour sublimer une nature luxuriante et variée. Dans les pages de garde, Kama explique le point de départ de cette histoire, la catastrophe écologique causée par le naufrage d’un vraquier japonais en juillet 2020, au sud-est de Maurice.

Une conte écologique, inspiré de l’île natale de l’autrice, pour parler de la découverte de la beauté d’un lieu précieux mais menacé, et inviter à en prendre soin..

Didlidam Didlidom

Didlidam Didlidom
Sabine de Greef
L’école des loisirs (pastel), 2024

Philosophie politique, comme une comptine

Par Anne-Marie Mercier

Ça a l’air tout simple, une petite comptine de rien du tout : le texte est rythmé par « Didlidam Didlidom », mots du titre qui introduisent une scansion et rien de plus. Mais ce « rien », cette apparente simplicité porte un récit, simple lui aussi, riche de sens, comme ses images.

« Il était un petit homme, didlidom, qui avait une petite maison, un canard, un chien, un mouton. Une petite dame, didlidam, habitait juste à côté avec sa vache, sa poule et son chat Barnabé. Au milieu, un arbre aux fruits dorés. Dans le ciel, le soleil, la lune et des milliers d’étoiles. » Le bonheur, non ?

Eh bien non, comme dans trop d’histoires humaines gâchées par le ressentiment et l’envie d’obtenir plus que le voisin, toujours soupçonné d’être favorisé. Escalade (au sens propre comme au figuré), destruction de leur milieu, tentative ruineuse de reconstruire « comme avant », avant d’arriver à penser à un autre monde possible, fait de partage et non de guerre de chacun contre tous. Tout cela est raconté en quelques doubles pages, avec un dessin très simple, une situation très visuelle et des images parlantes.
C’est l’occasion de relire Ci-gît l’amer, guérir du ressentiment de Cynthia Fleury qui éclaire parfaitement notre triste actualité, ou écouter une interview de Cynthia Fleury

 

 

 

 

Trois leçons du grand sage Osho Babanesh

Trois leçons du grand sage Osho Babanesh
Davide Cali – Lionel Tarchala
Les éditions des Éléphants  2024

L’argent, la guerre, la mort

Par Michel Driol

On fait d’abord la connaissance d’Osho Babanesh, au travers de trois réponses pleines de bon sens et non dénuées d’humour à des questions qu’un public nombreux vient lui poser. Pius arrivent, sous forme de trois fables, de trois histoires, ses réponses à trois questions philosophiques. L’argent fait-il le bonheur ? Et le sage de raconter comment un homme très riche, après s’être entouré de collections variées, après les avoir revendues, prend conscience de la seule chose qui lui manque, un ami. Pourquoi fait-on la guerre ? C’est l’histoire de deux royaumes et d’un roi envieux, qui fait la guerre pour prendre ce qui fait la réputation du royaume voisin, sans pour autant en profiter. Enfin la mort vous fait-elle peur ? Un homme qui a l’angoisse de mourir, va s’isoler dans une forêt, où il se croit en sécurité, et où il meurt.

Voilà trois histoires qui prennent le détour de la fiction pour questionner sur la vie, dans lesquelles une forme de sagesse un peu naïve se conjugue avec une forte dose d’humour, dans la lignée des contes philosophiques. L’album ne prétend pas donner des leçons : il laisse chacun répondre, à sa façon, à ces questions qui renvoient à des thématiques importantes pour notre société : l’argent et la quête du toujours plus, la guerre et l’envie d’avoir ce que possède l’autre, et, plus intime, la peur de la mort. C’est par la caricature que procède l’album : chacun des protagonistes est dans l’excès, son défaut ou son trait de caractère est grossi jusqu’à devenir absurde. La comédie, la caricature sont bien des moyens de faire prendre conscience du monde qui nous entourent, et nous invitent, en contrepoint, à vivre dans un monde de la mesure : belle définition de la philosophie ! C’est par une pirouette finale que se clôt l’album, dans laquelle le narrateur affirme n’avoir jamais compris le sens de ces histoires. Cette quête de sens, au lecteur de la conduire, s’il le souhaite. Reste le plaisir fondamental de raconter et d’écouter des histoires.

Les illustrations de Lionel Tarchala, pleines de détails, pleines d’humour, accompagnent parfaitement le texte en montrant un monde cocasse où règne l’absurde des comportements humains.

Faut-il un gourou dans la vie ? Faut-il penser par soi-même ? Avec sa barbe à la Freaks brothers et son air de baba cool, Osho Babanesh est aussi un digne fils de Nasr Eddin Hodja dans l’humour, la dérision,  et le gai savoir !

Le Poisson caméléon

Le Poisson caméléon
May Angeli
Editions des Eléphants 2024

Partie de pêche…

Par Michel Driol

Comme Séquoia n’a pas sommeil, son grand-père lui raconte une histoire de pêche. Un gros poisson doré s’était glissé sous sa barque, puis un cormoran lui avait expliqué que ce poisson en or avait mangé tous les poissons. A eux deux, ils avaient fait partir ce poisson, devenu bleu : le poisson caméléon que le lendemain ils iront tenter de pêcher.

Les illustrations, d’abord, de splendides gravures sur bois, le plus souvent en doubles pages. S’y mêlent le bleu de la mer et celui du ciel, le blanc de la barque, les rayures jaunes du maillot du grand-père et le noir du cormoran.  Des gravures à la fois rugueuses, dans les traits et les lignes, des gravures qui laissent  imaginer autant qu’elles décrivent, des gravures pleines de la lumière de la Tunisie chère à l’artiste. Des gravures dans lesquelles les personnages sont campés dans des attitudes  expressives : voir par exemple les yeux bleus grand ouverts de la fillette, ou le grand père partant à la pêche de dos, face à la mer.

Le récit, quant à lui, fait la part belle au dialogue. Le récit oral du grand père est interrompu par la fillette, et lui-même dialogue avec le cormoran. On est plus dans le conte merveilleux que dans le récit réaliste, dans un récit qui s’inscrit dans toute la tradition des récits de pêches étranges, ou dans celle des récits de marins dont on ne sait pas bien, depuis Ulysse, s’ils sont réels ou inventés. Ainsi naissent peut-être les légendes familiales, autour de ce lit, dans ce récit qui se clôt par la promesse d’une journée de pêche en famille le lendemain. Il y a là toute la force de la parole pour faire naitre des situations, et évoquer ce poisson caméléon bien réel, mais devenu ici mythique, comme peut l’être la baleine blanche poursuivie par Achab, poisson fabuleux, vorace, ennemi du pêcheur,  insaisissable.

Un album qui sait, tant par son illustration que par son texte, faire (re)naitre le mystère, le merveilleux, d’un temps et d’un lieu, celui de l’enfance, où l’on croit encore que les pêcheurs peuvent parler avec les cormorans…

Pio

Pio
Émilie Chazerand, Marie Mignot
Sarbacane, 2024

Grand petit

Par Anne-Marie Mercier

Pio est un enfant.
Il est très grand, si grand qu’il dépasse l’album pourtant de grand format : on ne voit pas sa tête sur le portrait « en pied » de la couverture. Pour sa mère il reste son tout petit. Pour les autres, il est une calamité, comme Gulliver au pays des Lilliputiens. Lui-même s’en rend à peine compte et le texte, qui porte son point de vue, souligne l’humour des images. Enfin, comme Gulliver, il fait ce qu’il peut pour corriger cela quand il s’en rend compte. C’est un bon garçon et les images insistent sur son sourire et ses bonnes joues autant que sur l’apparence d’univers jouet du monde qui l’entoure.
Seul importe pour Pio l’amour qu’il a pour la toute petite Nona dont il est « aussi amoureux qu’une fourmi d’un bonbon ». Ses tentatives pour la conquérir, longtemps infructueuses car celle-ci ne quitte pas son livre des yeux, sont aussi cocasses qu’énormes. Mais bien sûr, le grand cœur sera reconnu à la fin.

La Cabane sous le cerisier

La Cabane sous le cerisier
Céline Claire – Annick Masson
Père Castor 2024

La loi du premier occupant…

Par Michel Driol

Deux cousins, Mia et Pablo, en vacances chez leur grand-mère, décident de se fabriquer une cabane sous le cerisier. Mais lorsque les fourmis entrent, ils construisent une muraille de sable. Puis vient la poule, contre laquelle une échelle barrera le passage. Enfin une montagne de cartons empêche le chat de pénétrer. Etonnée, la grand-mère explique que tous ces animaux étaient là avant ses petits-enfants, et qu’il convient de leur laisser leur place dans la cabane.

Une cabane, un jardin, deux enfants… beau projet enfantin sans doute universel  pour s’isoler du monde, avoir sons propre univers, partager ses secrets, à l’abri. Mais l’album pose le problème de l’apprentissage du vivre ensemble avec les animaux, qui étaient là avant, et que la cabane dérange dans leurs routine. Aux enfants prompts à inventer des solutions pour interdire, la grand-mère propose une autre morale, une autre vision du monde, faite de bienveillance  et d’acceptation, de partage. Tout ceci baigne dans une grande atmosphère de douceur, portée en particulier par les couleurs tendres des illustrations, les visages et les attitudes des enfants, souvent souriants, dont on devine la bonne entente. Apprendre à partager, voilà sans doute une des compétences sociales les plus importantes qu’évoque cet album plein de tendresse pour ses personnages, auxquels on a envie de s’identifier dans l’utopie de ce jardin plein de fleurs, de poules, d’oiseau, au pied d’un cerisier bien garni ! Le texte, qui fait la part belle au dialogue, épouse avec empathie le point de vue des enfants, leurs décisions, leur bonne humeur, leurs enthousiasmes.

Au-delà de cette histoire sympathique, d’autres comprendront qu’il est question aussi des murs qu’on construit pour se protéger, parfois contre ceux qui occupaient le territoire antérieurement, et que ces murs défigurent complètement l’espace et interdisent toute vie. Oui, c’est bien de respect des autres et d’apprentissage du vivre ensemble qu’il est question dans cet album pas si simpliste que cela, dont la signification sera différente selon l’âge auquel on le lit. Comment trouver sa place dans le monde, sans prendre celle des autres ?