La Mer dans son jardin

La Mer dans son jardin
Isabelle Carré, Kasya Denisevich
Grasset jeunesse, 2022

La mer, la mer… la mère

Par Anne-Marie Mercier

Après la montagne (voir La Grande Escapade, il y a deux jours), voici la mer. Mais le documentaire n’est pas ici la forme principale (ce n’est pas tout à fait le cas non plus dans le précédent) : on glane juste ici et là des éléments : la Bretagne, où la famille de Marie emménage apparait par petites touches, avec une maison de pierre au toit d’ardoise, et ses grades marées, l’océan et sa profondeur habitée d’algues et de toutes sortes de poissons – c’est justement ce qui fait peur.
Marie, qui voit la mer pour la première fois, est déçue, inquiète. Sa mère est enceinte et elle profite pleinement de la baignade, contrairement à la fillette, qui reste prostrée sur le sable en attendant son retour. On devine une inquiétude autour de la mère et de la mer mais rien n’est bien net. L’apprivoisement se fait le jour où un matin Marie découvre que la mer a envahi le jardin de la maison. La mer s’y installe durablement : on ne peut plus sortir. Le temps passe, l’eau demeure, et se profile l’idée de faire la rentrée en allant à l’école en bateau.
Au chapitre suivant, intitulé « Le Réveil », Marie retrouve le jardin avec son herbe intacte et son arbre en fleurs et comprend que c’était un rêve. Mais ce rêve lui a permis d’apprivoiser l’élément et de commencer à s’en approcher un peu plus, pas beaucoup mais c’est un début.
Dans les aquarelles, pochoirs, éponges de Kasya Denisevich, les couleurs rares montrent l’âpreté du lieu ; les gris font un beau contraste avec le bleu clair de la mer et le vert du printemps retrouvé. Une apparition qui évoque le bel album de Nadja, L’Enfant des sables (L’école des loisirs, 1995) ajoute une pointe de fantastique à ce déménagement mental.

C’est le premier texte pour la jeunesse de l’actrice Isabelle Carré (ne pas confondre avec Isabelle Carrier, auteure du merveilleux La Petite casserole d’Anatole, sur le handicap (Bilboquet, 2009)).

La Maison bleue

La Maison bleue
Phoebe Wahl
Les Editions des éléphants 2021

Déménager. Vider les lieux.  Fermer.  Partir. Se souvenir.

Par Michel Driol

Léo et son père vivent dans une maison bleue, située dans un quartier en pleine mutation. Certes la maison n’est pas en très bon état, mais ils y sont bien et y ont leurs habitudes. Mais un jour le propriétaire vend et ils doivent déménager. La colère et la rage font place aux cartons, aux peintures sur les murs, comme pour laisser une trace. Puis c’est l’adaptation à la nouvelle maison, sur les murs de laquelle ils peignent la maison bleue.

C’est d’abord l’histoire d’un lien très fort entre un père et son fils, deux personnages bien campés par les illustrations. Un père qui élève seul son fils, barbu, un peu débraillé, qu’on devine marginal, musicien, entouré de disques. Un fils aux très longs cheveux, dans une chambre en désordre. Entre les deux, complicité et amour autour de gestes simples, comme la tarte aux pommes cuite dans le four qu’on allume pour réchauffer la maison, ou la musique et la danse. C’est ensuite l’histoire d’un déménagement non voulu, et des étapes par lesquelles il faut passer. Comment faire le deuil de la maison où on a grandi, où l’on a été heureux ? L’album décrit les différentes phases de ce processus, de la rage à la résignation, et la façon – par l’art – de maintenir le lien avec le passé dans le présent changeant. Mais c’est aussi une histoire montrant une famille monoparentale précaire, une précarité que ressent le lecteur dans les illustrations, voire dans le texte, mais une précarité édulcorée par le père qui trouve les moyens de la pallier pour que Léo ne la ressente pas. C’est un album sur les mutations urbaines, la gentrification qui touche certains quartiers, illustrée par les doubles pages qui ouvrent et ferment l’album, montrant un avant et un après dans un quartier dont ont été chassés les précaires et les exclus. C’est enfin un album dans lequel la maison bleue n’est pas qu’un décor, amis un personnage à part entière, par son omniprésence dans le texte, tantôt comme sujet, tantôt comme complément.

Très expressives et très colorées, les illustrations montrent un intérieur à la fois précaire, artiste, un peu écolo, et par-dessus tout rock and roll.  Elles donnent au lecteur un sentiment de liberté, d’absence de contrainte. Pour une fois que dans un album jeunesse tout n’est pas bien rangé, lisse, qu’on peut dessiner sur les murs ! Au nouvel ordre urbain qui s’impose les deux personnages préfèrent le désordre domestique comme refuge leur permettant d’exprimer leur singularité et leur créativité.

Un album qui permet de continuer la découverte de Phoebe Wahl, auteure américaine pour la jeunesse, album remarqué à juste titre aux Etats Unis comme l’un des meilleurs ouvrages de 2020 par Publisher’s Weekly, Kirkus Reviews, New York Public Library, et NPR, et qui résonnera aussi auprès des lecteurs français pour son originalité profonde.

La Fête des fruits

La Fête des fruits
Gerda Muller
L’école des loisirs, 2017

Ronde des saisons

Par Anne-Marie Mercier

Gerda Muller a un talent pour créer des illustrations qui ont le charme de celles d’antan, entre documentaire et fiction, imagiers et encyclopédies. Chaque page de droite montre une scène champêtre plaisante, mettant souvent en scène des enfants ou adolescents qui s’affairent autour de plantes dont les noms sont Inscrits en dessous de l’image et au dessus d’un bandeau montrant les feuilles et fruits de cette plante.

Dans la page de gauche, on nous raconte l’histoire de Sophie, jeune citadine en vacances chez ses oncle et tante, qui découvre les cueillettes avec son cousin (fraises, groseilles, cerises, prunes…), puis écolière devant s’adapter à une nouvelle région, après avoir déménagé dans le sud, et la découvrant avec l’aide de sa voisine, de l’été jusqu’à l’automne (melons, abricots, raisins, grenades, figues, olives, citrons, mûres, châtaignes…). Le panorama des fruits est complété par un projet d’école sur les fruits : Sophie et ses camarades font de belles fiches illustrées sur la goyave, l’ananas, la papaye, la pistache… et Sophie rêve d’aller voir « en vrai » toutes ces choses – comme l’enfant qui aura lu ce livre?

En tout cas il aura fait une belle incursion dans un documentaire présenté sous la forme d’un récit, avec des personnages qui lui sont proches. Rien de très original, mais fait à la perfection.

Charlotte et Mona

Charlotte et Mona
Florence Seyvos

L’école des loisirs, 2014

Petits aménagements

Par Anne-Marie.Mercier

Trois Charlotte et Monacourts récits, aux illustrations un peu désuètes mais d’une belle candeur enfantine, voilà le menu de ce petit livre qui propose les « aventures » de deux sœurs : l’installation de leurs chambre après un déménagement, un jeu autour de la radio, une peur… le quotidien devient source d’émerveillements – et d’ailleurs, merveille : les peluches sont vivantes parfois, et parlent !

Quand un dinosaure déménage

Quand un dinosaure déménage
Nastasia Rugani

L’école des Loisirs (Neuf)

Struggle for life

Par Floriane Damien et Lisa Badard master MESFC Saint -Etienne

Ulysse a le cafard. Il déménage. Il quitte Paris et ses deux meilleurs copains, pour aller vivre à la campagne. Faire sa rentrée en milieu d’année, c’est délicat : il faut faire ses preuves pour être accepté par les autres élèves et ne pas rester « le nouveau ». Si Ulysse est préparé à cette épreuve, il ne s’attend certainement pas à devoir gérer la situation qu’il découvre. En effet, la classe de CM1 est déchirée par une guerre des gangs, rurale et enfantine (un petit clin d’œil à La guerre des boutons). D’un côté, il y a les « Crasseux », une de bande de garçons dirigée par une fille prénommée Charlie, et de l’autre les « Couettes », des filles puériles. Entre ces deux groupes, et leurs coups bas à répétition, Ulysse doit choisir son camp.

Des personnages repoussent les stéréotypes d’usage, tels que Charlie, LA chef des garçons, et Vicky la maîtresse au look gothique. Mais cette originalité demeure cependant peu convaincante, car malgré un épilogue ouvert, qui permet au lecteur d’imaginer une suite, force est de reconnaître que les péripéties finales et la guéguerre entre les deux bandes, sont prévisibles et un peu légères.

Dans ce roman, une place importante est consacrée au ressenti du personnage principal qui voit sa vie bouleversée. A travers ces épreuves, le lecteur réalise qu’Ulysse est particulièrement mature pour son âge. Une comparaison implicite se tisse au fil de la lecture entre le personnage et son identification à un dinosaure. Au fur et à mesure des décisions qu’il prend, il évolue du diplodocus au tyrannosaure. Il est possible d’imaginer que cette identification présente dans le titre, soit due à la différence entre les « locaux » et ce petit parisien, qui s’imagine complètement étranger.

Enfin l’auteur met en avant un sujet rare dans la littérature de jeunesse, à savoir les troubles psychologiques, à travers le personnage du père qui soufre d’agoraphobie. La narration interne permet au lecteur de le découvrir par les yeux d’Ulysse, et ce point de vue enfantin minimise la situation. L’ouvrage assez réaliste traite aussi avec justesse des difficultés liées à un déménagement. Les lecteurs qui ont été confrontés à cette situation se retrouveront donc aisément dans ce scénario.

Amélie déménage ; On a volé mon sac

Amélie déménage ; On a volé mon sac
Dr Eric Englebert, Claude K. Dubois
Syros, 2010

par Frédérique Mattès

Un parti pris pour cette collection : aider les enfants et les parents à surmonter les difficultés de la vie grâce à de petits livres qui s’appuient sur le quotidien. Certains diront que ces « livres  médicaments » ne méritent pas de figurer dans la littérature. Il faut reconnaître ici que les textes sont simples mais qu’ils sonnent juste. La collaboration entre le texte et les illustrations délicates de Claude. K. Dubois est également réussie. Ces petits opus paraissent donc remplir leur mission : fournir un support à la discussion-réflexion pour aider les enfants à mieux grandir, ce qui paraît bien être une des missions de la littérature de jeunesse.