Compte avec Olivia

Compte avec Olivia
Ian Falconer
Seuil Jeunesse, 2022

Ou sans

Par Anne-Marie Mercier

Publié auparavant sous le titre « Olivia sait compter », voici ce petit livre d’apprentissage de retour avec un autre titre, plus dynamique, impliquant l’enfant (on voit les stratégies marketing comment les théories pédagogiques sont à l’œuvre). Mais à part cela, rien de nouveau : les chiffres apparaissent sur chaque page accompagnant des objets ou personnages tirés de l’univers d’Olivia. Les dessins sont comme toujours drôles, masi le vocabulaire choisi laisse rêveur : le mot « accessoires » pour désigner des objets comme un collier, une casquette, des lunettes, un collant est-il le meilleur (ça sent la traduction) ?
Pour les fans (et on les comprend) d’Olivia.

Ma cabane

Ma cabane
Guillaume Guéraud illustrations Alfred
La Martinière jeunesse 2022

Comme un écho au Baron perché…

Par Michel Driol

Dans le jardin de ses grands-parents, Youri et Olga, le narrateur s’est construit une cabane dans les arbres. Faite de bric et de broc, elle devient pour l’enfant un refuge que son imagination transforme en navire, en hélicoptère, en palais ou en igloo, perdus au milieu de la savane, d’un cimetière ou d’un territoire jamais exploré…

Qui n’a jamais rêvé d’avoir une cabane dans les arbres ? Lieu protecteur, extraordinaire, il est le reflet de celui qui l’a construit de ses mains. C’est bien cet imaginaire-là, celui de Robinson perdu sur son ile, celui de l’arbre maison de Claude Ponti, que convoquent Guillaume Guéraud et Alfred. Car il est difficile de dissocier dans cet album l’auteur de l’illustrateur. Avec fluidité, le texte fait passer de la description de la cabane aux rêves, avec une formule récurrente : Parfois je me dis… Et le narrateur d’entrainer le lecteur dans des univers pleins d’aventure, de risque, de dangers, bien loin de la tranquillité du lieu où prennent source ces rêves. La cabane devient alors un extraordinaire terrain de jeu pour cet enfant que l’on voit toujours seul, et qui se réfugie dans son imagination durant tout un été passé avec ses grands-parents. Se conjuguent alors l’expérience intérieure de l’enfant et le vaste monde, bien au-delà des limites du jardin familial. Très colorées, les illustrations évoquent la luxuriance de la nature, et jouent sur les perspectives. Souvent vue en contre plongée, la cabane se détache du ciel et prend des dimensions variées, minuscule ou géante, avant de s’envoler dans le ciel, portée par un nuage. Suspendue entre ciel et terre, la cabane est à la fois une base solide et fragile, comme un tremplin pour l’imaginaire, mais aussi un tremplin vers le futur, tout en portant les traces du passé incarné ici par les grands parents ( le grand père qui a appris à faire les nœuds, et le parasol de la grand père). C’est cette série d’entre-deux que cet album illustre magnifiquement.

Avec finesse, avec une pointe d’humour, avec réalisme mais aussi avec  poésie, cet album est une belle ode à l’imagination.

Elmer et l’histoire du soir

Elmer et l’histoire du soir
David McKee
Kaleidoscope, 2022

Encore une histoire, une dernière…

Par Anne-Marie Mercier

David McKee est mort récemment, mais Elmer vit toujours : on découvre encore des histoires, publiées l’an dernier au Royaume-Uni, qui font revivre le petit éléphant à carreaux bariolés. Si dans les premiers volumes son apparence était à l’origine des récits, le temps et la célébrité ont fait que ce n’est maintenant qu’un argument de vente: l’histoire racontée ici pourrait être celle de n’importe quel éléphant – ou même de n’importe qui.
Elmer doit garder deux éléphanteaux jusqu’au retour de leur mère qui ne reviendra qu’après leur coucher. Elle lui conseille de leur raconter une histoire pour les endormir, « une histoire comme celle du tapis volant ». Elmer a une autre idée : leur faire faire une longue promenade afin qu’ils s’endorment vite.
En chemin ils rencontrent toutes sortes d’animaux accompagnés d’un ou deux petits à qui Elmer raconte son projet, et chacun conseille une histoire : « celle du cookie magique » conseillent les lionceaux, tandis que les petits crocodiles proposent « celle du monstre qui a perdu son ombre », le lapereau celle du nounours invisible », etc. À la fin, Elmer et les deux petits rentrent fatigués… et les petits s’endorment sans histoires (à tous les sens de l’expression).
Album sur les bienfaits de la marche pour faire dormir les enfants ? Pourquoi pas. Mais c’est surtout le charme des dessins et des couleurs et l’invitation aux parents à se saisir des titres pour inventer à leur tour d’autres histoires qui sont intéressants.

Et Soudain

Et Soudain
Rebecca Bach-Lauristen, Anna Margrethe Kjaegaard (ill.)
Traduit (danois) par Jean-Baptiste Coursaud,
Format, 2022

La métamorphose du vieux petit garçon

Par Anne-Marie Mercier

« Et soudain il est là.
Comme ça.
Comme tombé du ciel.
Mais au début il n’est pas là. »

Contrairement à ce que peut faire penser le titre, dans la première moitié de l’album, on voit se dérouler une vie exempte de surprise, celle de celui qu’on nomme « le garçon ». Ce n’est pas un enfant, mais un homme à l’allure juvénile, qui vit seul dans sa petite maison. On le voit cultiver un jardin bien sage, repasser, et prendre soin de bien aligner ses crayons sur son bureau. Il a pour seul compagnon un cactus (qu’il appelle Cactus) à qui il parle, avec qui il feint de jouer.
Un jour… tout est dérangé : ses pantoufles ne sont pas au pied de son lit, un crayon est cassé en deux, Cactus est tombé… que s’est-il passé ?
Un ours gigantesque s’est installé chez lui. Il ressemble beaucoup à celui qui figurait sur un petit tableau accroché au mur de sa chambre.
Ce beau récit étrange dans lequel rêve et réalité s’interpénètrent est construit sur des  images en noir et blanc crayonnées ; les seules touches de couleur se trouvent sur des lignes construisant le décor et sur les pommettes du garçon : bleues tout au long de l’histoire, elles deviennent rouges à la dernière page (je ne vous dirai pas pourquoi, d’ailleurs rien n’est dit).

Au bel ordre a succédé le chaos… et le bonheur.

Histoire en morceaux

Histoire en morceaux
Almuneda Pano
Versant Sud 2021

Tout est toujours à recoller du monde

Par Michel Driol

Malgré l’interdiction, la narratrice joue au foot dans la maison et casse le vase préféré de sa mère. Cette dernière console sa fille, et lui indique qu’elles vont le recoller toutes les deux. Et c’est comme si les dessins du vase racontaient une histoire, qui conduit la fillette à se demander si tout ne raconte pas une histoire…

Le schéma est bien connu : ce sont les conséquences d’une transgression des règles que raconte cet album.  Avec subtilité, il évoque les conséquences psychologiques de cet acte, la peine ressentie par la fillette, plus troublée d’avoir fait involontairement du mal à sa mère que par le fait d’avoir cassé le vase, sa crainte, sa culpabilité, et la mère, qui montre une réelle affection pour sa fille, en la consolant. Pas de colère, pas de cris, pas de remontrances. Il convient désormais d’aller de l’avant, de réparer ce qui peut l’être, comme une belle leçon de vie. Il s’agit d’accepter les accidents de parcours, qui font partie de la vie, et inscrivent l’histoire dans les objets. Car c’est peut-être cette deuxième lecture qui est aussi intéressante que la première. Dès le titre, histoire en morceaux, il est question de récit, de récit fragmentaire, qui reste à recomposer. Ce nouveau récit que raconte le vase, fruit d’une nouvelle histoire, la sienne et celle des personnages de l’histoire, n’est-il pas à l’image des multiples récits embryonnaires que peut raconter le chemin de l’école ? En d’autres termes, tout n’est-il pas signe, signe d’une histoire à écouter, à déchiffrer, à se raconter, comme ces hirondelles de la dernière page qui annoncent le printemps ? L’album s’inscrit dans une temporalité qui va de l’hiver au printemps, montrée avec subtilité par les illustrations représentant le jardin et les plantes, comme signes d’une histoire de renaissance. En double page, les illustrations presque minimalistes, disent le désarroi de la fillette, le caractère très zen de la mère, et font se succéder, de manière très significative, les morceaux du vase avec les poses de la fillette, elle aussi en morceaux.

Un album touchant qui dit la nécessité de voir les choses sous un autre angle, de tenter de reconstruire le monde à partir de tous les fragments qu’on peut en percevoir.

 

Les recettes du chef, Histoires des Jean-Quelque-Chose

Les recettes du chef, histoires de Jean-Quelque-Chose,
Jean-Philippe Arrou-Vignod, François Avril (Ill)
Gallimard jeunesse, 2022

 

Histoires drôles et recettes pour les écrire

 

Maryse Vuillermet

 

 

 

Ce petit livre repose sur une idée très originale : c’est l’histoire des Jean-Quelque Chose, six enfants qui s’appellent tous Jean. Les parents, pour simplifier, les appellent Jean-A, Jean-B, etc. Le narrateur est Jean-B, il nous raconte qu’à Cherbourg, l’année de son CM2, le maître lui a confié qu’un Grand Prix de l’écrivain en herbe allait se dérouler et qu’ayant remarqué ses talents en écriture, il lui conseillait d’y participer.   Avec l’aide de son père qui lui a montré comment utiliser une machine à écrire, Jean-B a réussi à raconter son histoire et à gagner le concours.

Mais le plus difficile pour lui a été de « vivre le succès », car il s’était inspiré de sa propre famille et ne l’avait pas présentée sous son meilleur jour. Grâce à l’humour et aux dialogues, son histoire a finalement convaincu ses frères et ses parents de son talent et tous ont été flattés d’être devenus des héros de fiction. Jean-B continue à nous raconter sa vie, les dimanches au restaurant, la visite chez le coiffeur, chez le dentiste, c’est drôle et enlevé.

A la fin de chaque chapitre, on trouve une rubrique A toi de raconter ! Ecris la suite de cette histoire ! Les frères Jean-B se lancent dans la construction d’un bonhomme de neige géant, forcément, ça dégénère. Ou bien En t’inspirant du chapitre que tu viens de lire, raconte une visite que tu as faite chez le dentiste, ta mission faire rire le lecteur !

Ces rubriques A toi de raconter ! sont suivies d’une rubrique Les conseils de Jean-B  où de façon très pragmatique et en même temps très professionnelle, Jean-B explique aux jeunes écrivains les ficelles de l’écriture, par exemple, « Quand tu écris un dialogue, utilise ses petits tic de langage, ils aident à identifier le personnage qui parle et il dévoile un peu de son caractère et puis la répétition forme comme un refrain que le lecteur aura plaisir à retrouver, monsieur Martel qui est sévère mais juste appelle ça le comique de répétition. » ou bien « pas facile de raconter une histoire, même une histoire qui nous est arrivée sans se perdre dans les détails, le mieux, c’est de faire un plan, commence par séparer les principaux moments de ton histoire, tu peux même leur donner un titre, comme s’il s’agissait de chapitres différents. »

On a donc dans le même livre, une suite d’histoires truculentes de Jean-B, une série de consignes d’écriture qui permettent à un écrivain en herbe de se lancer dans le récit avec ses propres aventures, ses propres anecdotes et une série de conseils d’écrivain à un autre écrivain.  Ajoutées à cela, des illustrations de François Avril aussi drôles que le texte, et vous obtenez un délicieux et inclassable petit livre.

Dans la cité électrique, tome 1 : Le Cercle des Veilleurs

Dans la cité électrique, tome 1 : Le Cercle des Veilleurs
Sarah Andrès
Gallimard jeunesse, 2022

Ombres du XIXe siècle

Par Anne-Marie Mercier

Londres, 1899: deux orphelins sont éduqués dans un pensionnat anglais assez chic. Qui paye leur pension ? comment sont morts leurs parents ? Pourquoi semblent-ils n’avoir aucune famille ? Voilà les questions que se pose sans cesse Oscar, 12 ans, premiers mystères. Puis s’ajoute le sens de l’invitation reçue par Oscar, qui lui demande de passer à travers un miroir, sans préciser lequel, à une date et une heure données de façon très précise. Puis les relations entre le Londres qu’ils connaissent et ce Londinium dans lequel ils débarquent, noirci par les cheminées d’une révolution industrielle agressive et marquées, encore plus que celle que l’on connait par l’injustice.
Les enquêtes se succèdent, les révélations aussi, à un rythme endiablé. Les bêtises de la petite sœur d’Oscar se succèdent aussi, de façon un peu lassante pour le lecteur adulte, de même que les réactions de la fillette qui les accompagne, tout aussi prévisibles que des formules toute faites. Mais les jeunes lecteurs, d’abord attirés par une très belle couverture noire et or, y trouveront sans doute matière à rêver car les scènes où l’électricité entre en jeux sont… éblouissantes.

Je suis un personnage

Je suis un personnage
Lionel le Néouanic
Rouergue, 2021

Explosion de personnages

Par Anne-Marie Mercier

Qu’est-ce qu’un personnage ? Lionel le Néouanic que l’on connait surtout pour ses grands albums colorés publie ici un livre hybride, en noir et blanc, où l’interrogation sur toutes les formes de narration et sur le livre accompagnent des entrées dans de multiples domaines : « l’ennui », « l’absent », « l’étourdi », « zéro », « poignée de porte »… sont autant de personnages à observer sous toutes leurs faces, si l’on peut dire, aussi bien que le « bonhomme bâton ».

Voici « Absent » : « Alors lui, inutile de l’attendre, il ne viendra pas.
C’est le problème avec ce personnage : il n’est jamais où on l’attend […] ».

Chaque page ou double page est à déguster entre poésie et philosophie, l’image assaisonnant joliment le texte et jouant souvent avec les classiques de la littérature de jeunesse.
Par exemple dans « Vie antérieure » qui présente un saucisson surmonté d’une bulle d’imaginaire représentant un cochon bondissant vêtu d’une casquette et d’une salopette et tenant dans une main une truelle (on aura reconnu le cochon bâtisseur des Trois Petits Cochons) :

« Dans sa vie antérieure, à ce qu’on dit,
Saucisson était malin et débrouillard ;
Plein de vie et d’énergie.
À ce qu’on dit ».

C’est drôle, parfois poétique, toujours surprenant, avec des dessins décapants au fusain qui rendent l’ensemble encore un peu plus explosif !

La Brigade du buzz

La Brigade du buzz
Alex Cousseau, Charles Dutertre
Rouergue, 2021

Du Buzz rien que pour le fun !

par Anne-Marie Mercier

Après avoir fondé la Brigade du silence, voici que les habitants de la vieille chaussure (oncle Jo, Papa Tom, Maman Bou, et sergent Pok) accueillent chez eux l’intrépide et pétillante Lizzie qui leur propose de sortir de leur réserve : il s’agit de « faire le Buzz », d’abord en silence (on ne se refait pas tout de suite), puis plus bruyamment. Mais comment faire quand on est minuscule et qu’on ne dispose pas de réseau social ? un petit mot et des fleurs dans les boites aux lettres, une pluie de culottes et de chaussettes dérobées lancés en « feux d’artifesse » dans un jardin public, l’envol d’un étrange objet en forme de caca volant, un débarquement dans une école pour mettre l’imagination au pouvoir, voilà les stratégies engagées pour cette jolie révolution. Enfin une invitation est lancée aux lecteurs pour qu’ils rejoignent le mouvement de la gaieté collective, gratuite et innocente.

Futile ? sans doute, mais joyeusement, avec un petit détour scatologique qui amusera les enfants à coup sûr, mais qui s’affirme comme provisoire, et une belle effervescence à toutes les pages, tant dans le texte que dans l’image, fourmillante de détails.
Il y a aussi du sérieux dans cette mise en scène du buzz. Le buzz est un Graal qui fait courir bien des gens, jeunes et moins jeunes : ce phénomène peut faire gagner beaucoup d’agent, il peut détruire une carrière ou la lancer, tuer parfois quand il s’associe au harcèlement, alors qu’il n’est que du vent. La joyeuse bande montre l’inanité de tout cela, son caractère éphémère et plaide pour un buzz ramené à sa juste dimension, qui soit gai, « sans faire de bruit, sans se moquer, en rigolant, en évitant pipi caca et caetera ».

La Maison Chapelier

La Maison Chapelier
Tamzin Merchant, Paula Escobar (ill.)
Traduit (anglais) par Marie Leymarie
Gallimard jeunesse, 2021

Chapeliers et autres fous, fous, fous

Par Anne-Marie Mercier

Ce document a été créé et certifié chez IGS-CP, Charente (16)

Quel joli roman d’aventures, de magie, et peut-être d’amour dans le prochain tome, dans un cadre médiéval d’opérette ! Une héroïne sympathique et un peu maladroite, un ami empoté, un autre qui s’avère un peu trop habile, des querelles familiales sont les épices de quêtes à n’en plus finir. La première, que Cordelia doit mettre en veille bien contre son gré, c’est la quête du père (grand classique) que l’on suppose mort dans un naufrage et qu’elle pense vivant. La deuxième c’est la tentative pour réaliser un chapeau magique malgré tous les obstacles et l’empêchement des membres qualifiés de sa famille. Il s’agit de composer un chapeau de paix afin d’éviter la guerre : le roi doit rencontrer le roi Louis (caricature de français) et il a demandé aux familles d’artisans du royaume de fabriquer les pièces de vêtements qui par leur pouvoir lui donneront la victoire diplomatique. Mais le roi est subitement devenu fou. Sa fille la princesse le remplace. Mais les membres des familles d’artisans sont arrêtés et jetés en prison, accusés de trahison… Dans cette nouvelle quête, Cordélia et ses amis œuvrent pour les faire libérer, les disculper et neutraliser la personne mystérieuse qui est derrière toutes ces manigances. Enfin, il reste la question de la mésentente entre les artisans et de la disparition d’une famille d’artisan maudite, avec des perspectives de réconciliation.

Courses-poursuites, travail hasardeux d’apprentis sorciers, coups de théâtre, tout est là pour maintenir l’attention du lecteur. Et des petits airs d’Alice au pays des merveilles agrémentent le tout, tandis qu’un acteur joue Shakespeare à sa façon, sous un chapeau un peu bancal créé par Cordélia (nom d’une héroïne Shakespearienne qui a beaucoup aimé son papa).