Ce que diraient nos pères

Ce que diraient nos pères
Pascal Ruter
Romans Didier Jeunesse 2019

Entre les illusions perdues et le jour se lève

Par Michel Driol

Une petite ville normande, où l’on croise des migrants qui tentent de passer en Angleterre. Antoine a abandonné ses études, lui qui aimait la littérature et le théâtre, pour  un CAP de mécanique auto. Son père, autrefois chirurgien réputé, accusé à tort d’une erreur médicale par le chef de la clinique qui ambitionne de devenir député, est réduit à distribuer des prospectus. Sa mère est partie vivre dans le sud. L’adolescent rencontre Lucia, dont il répare le vélo. Il se laisse aussi entrainer par 3 copains : petits larcins, jets de cailloux sur l’autoroute, jusqu’à un braquage qui tourne mal.

Il faut attendre la dernière page du livre pour avoir l’explication du titre : la phrase d’un migrant, Pensez toujours à ce que diraient nos pères. Phrase quelque peu paradoxale dans ce roman de l’absence/présence des pères, qui montre la fragilité des structures familiales. Les pères y sont soit dépassés (celui d’Antoine, qui n’a plus la force de se battre pour prouver son bon droit et qui se réfugie dans sa passion, le kayak de mer), soit nuisibles (le beau-père violent de l’un des protagonistes), soit castrateurs (le père notaire qui refuse de voir la vocation de fildefériste de son fils), soit morts (celui du jeune migrant, noyé, à qui l’on doit la phrase du titre). Comment se situer de fils de ces pères-là ?Pourtant, dans ce roman de la désillusion sociale, l’on rencontre des figures d’adultes positives : le garagiste patron d’Antoine, homme discret, intelligent, ancien sportif de haut niveau qui comprend tout et aide avec tact, la bibliothécaire aussi, figure maternelle par procuration. Et au milieu de tout cela, Antoine, un garçon timide qui a du mal à se livrer, un ancien bon élève qui se débrouille comme il peut, est pris comme en tenaille entre sa volonté de soutenir son père qu’il a refusé de quitter, et les tentations des copains de son âge, dont on se doute bien qu’elles risquent de le conduire au pire par la violence dont ils font preuve. La force du roman est de permettre au lecteur de s’attacher à ce personnage principal, à son humanité, à ses contradictions, à sa double postulation entre la lâcheté et le courage, mais aussi de le placer dans des situations où il doit, par lui-même, faire face à son futur.

Pour autant, ce roman, noir par la vision de la société qu’il donne,  est un roman optimiste. La vie y est souvent injuste, les adultes ont tous, plus ou moins, perdu leurs rêves et leurs espoirs de jeunesse : tant le père d’Antoine que Gondrand, le garagiste, sont des hommes que la vie n’a pas épargné. Comme dans les contes, les méchants – comme le patron de clinique – semblent triompher un moment. Mais la fin laisse entrevoir un rétablissement de la justice, une remise en ordre où chacun pourra trouver ou retrouver sa place.  Ce roman nerveux par le style de l’auteur : phrases, courtes, souvent nominales, comme des constats, joue de l’opposition entre la réalité décrite ainsi et l’espoir familial d’apercevoir enfin la sterne de Dougall, figure de l’inaccessible étoile. Le narrateur s’efface pour laisser, presque à la fin, écrire son personnage principal : une façon de dire qu’il a à la fois trouvé sa voie et sa voix.

Un roman fort sur le courage et la responsabilité individuelle, sur le moment où tout peut basculer, sur le désarroi de certains jeunes dans la société d’aujourd’hui.

Voyage au centre de la Terre

Voyage au centre de la Terre
D’après Jules Verne – Illustration de Marjorie Béal
Balivernes 2019

De l’Islande au Stromboli

Par Michel Driol

Quand le professeur Lidenbrock et son neveu trouvent un message secret contenant le moyen d’accéder au centre de la terre, ils n’hésitent pas. Descendant par un volcan en Islande, rencontrant des animaux préhistoriques et des champignons géants, ils finiront par ressortir par le Stromboli…

Marjorie Béal continue d’adapter pour les plus petits (petit format, pages cartonnées, peu de texte sur chaque double page) les romans de Jules Verne. Sont sélectionnés les  épisodes les plus dramatiques, résumés dans une langue simple, au présent, une langue avec de nombreuses marques d’oralité adaptées au public : exclamations… Le nombre de personnages est réduit au professeur et à son neveu – plusieurs images montrant en fait trois personnages. Les illustrations, très colorées, très stylisées, sont aussi très lisibles, et actualisent les décors et les costumes : rien ne fait XIXème siècle.

Le roman de Jules Verne perd ses dimensions didactiques et scientifiques pour devenir ainsi un album d’aventures qui ne manque pas de charme dans une espèce de représentation naïve d’un monde mystérieux. Un album qui suscitera peut-être des vocations d’explorateur !

Cherche et trouve… dans les contes de fées

Cherche et trouve… dans les contes de fées
Thierry Laval et Yann Couvin
Seuil Jeunesse 2019

Où sont Cendrillon, Barbe Bleue et les autres ?

Par Michel Driol

Dans le collection Cherche et trouve, voici les conte de fées. Le livre se présente comme une série de 5 doubles pages à rabats Sur les rabats, l’indication de quelques contes et la représentation de quelques personnages, ou objets qu’il va falloir trouver, une fois les rabats ouverts, dans le paysage représenté par  l’image en double page. Celui-ci est comme il se doit, fort animé et plein de détails croustillants.

Voilà un album qui permettra de revisiter des contes connus ou moins connus, mais aussi des fables de la Fontaine. Du côté des contes, les principaux éléments sont représentés, permettant au lecteur de se remémorer l’histoire. Les fables, elles, ne sont pas titrées : on nomme dans les rabats les personnages, sans plus. Ajoutons à cela quelques animaux à chercher (grand tétras ou élan, par exemple) qui ne relèvent pas du domaine des contes ou des fables.

Un album jeu divertissant pour développer le sens de l’observation, et se souvenir d’histoires connues.

Le Lac de singes

Le Lac de singes
Elise Turcotte – Illustrations Marianne Ferrer
De La Martinière Jeunesse 2020

Quand dyslexie rime avec poésie

Par Michel Driol

Quand elle est fatiguée, la mère du jeune narrateur mélange les syllabes. Les deux vivent alors dans un univers poétique où sonnent les floches de Noël, où l’on désert la table. Parfois, dans les musées, on jette un regard noir à la mère, qui lit mal les inscriptions. C’est que son cerveau va trop vite, pense l’enfant. Une nuit, après le lapsus lac de singes – sac de linge sale, il rêve, se retrouve dans un pays merveilleux, où se baignent des singes dans un lac. Et l’enfant de se baigner avec les singes. Au réveil, sa mère lui tend un pull à tête de singe qu’elle a trouvé dans le lac de singes…

Avoir recours à la poésie pour parler des troubles du langage est à coup sûr une très bonne idée. On avait chroniqué ici l’excellent Ma mamie en poévie, de François David. Le Lac des singes est un album différent, bien sûr, mais tout aussi réussi. D’abord par sa première partie, très réaliste, montrant le lien affectif très fort entre l’enfant et la mère, passant dans l’image par les regards, les mains serrées, la transformation de l’univers familier en un monde magique où la table est vraiment devenue un désert. Cela passe aussi par le choix des lapsus et autres inversions, qui ouvrent tous à un univers merveilleux et poétique, à une sorte de réalité augmentée, à une autre façon de percevoir le monde qui nous entoure – ce qui est le propre de la poésie. La deuxième partie, très différente, entraine le lecteur dans un autre univers, à la fois celui du rêve et de la langue. On ne se risquera pas ici à une interprétation psychanalytique, on rappellera juste les liens entre rêve, inconscient et langage pour Freud ou Lacan : loin du regard des autres, l’enfant se retrouve en communion avec les animaux, dans un principe de plaisir généralisé. Comme dans tout récit fantastique, un objet transitionnel à la fin laisse planer le doute sur la réalité ou non des épisodes qui échappent à la réalité.

Voilà donc un album qui conduit à changer le regard envers ceux qui sont affectés de troubles du langage. Il signale à quel point les erreurs peuvent être créatives pour peu qu’on les regarde  différemment, avec un regard bienveillant et enfantin, en les acceptant et non en s’en défiant. Mais rien de moralisateur dans cet album qui ne se veut pas donneur de leçons : c’est la narration qui est porteuse de ces valeurs, c’est le texte qui dit la beauté des lapsus, c’est l’image qui montre l’affection et l’amour.

Dyslexie, dysphasie : autant de mots et de réalités qui font peur et que ce bel album – canadien dans sa première édition – éclaire d’un regard différent et positif.

 

Quelle est ma couleur ?

Quelle est ma couleur ?
Antoine Guilllopé, Géraldine Alibeu
la Joie de lire, 2010

La ronde des couleurs et des êtres

Par Anne-Marie Mercier

La question posée par le titre est l’équivalent d’un « qui suis-je ? » aux yeux des autres, et même dans l’absolu. Un enfant médite sur le fait qu’il est arabe pour les Français, français pour les Arabes, qu’il est un maitre pour son chien, un élève pour son maitre, qu’il est, selon les regards, d’Afrique ou d’Europe… Quelle est la couleur du Français, au fait ?

Les illustrations de Géraldine Alibeu qui placent l’enfant isolé dans de vastes espaces colorés (piscine, plaine jaune ou rouge, ciel nocturne…) montrent bien le désarroi de l’enfant, comme sa volonté de comprendre.
Le regard qu’il porte sur son chien ouvre et clôt l’album : l’animal est lui aussi un mystère (que pense-t-il ?) mais il aime sans faire de distinctions et d’ailleurs, « il est de toutes les couleurs ! »

Horribles énigmes

Horribles énigmes
Victor Escandell – Textes d’Ana Gallo
Saltimbanque 2020

Jouer avec les monstres

Par Michel Driol

Le livre jeu commence par trois doubles pages de mode d’emploi : comment jouer seul ? A plusieurs ? Comment utiliser le décodeur qui permet de déchiffrer les réponses, écrites en langage codé… Puis arrivent les 10 énigmes, qui concernent 10 « monstres » mythologiques, légendaires  ou littéraires : on croisera ainsi loup garou, zombies momies, fantômes, Dracula ou Mr Hyde… Chaque personnage est présenté, replacé dans son contexte littéraire ou sa légende, avant d’être l’objet d’une mini fiction abondamment illustrée se terminant par une question posée au lecteur, faisant surtout appel à son sens de l’observation et de déduction.

Les différentes énigmes, de difficulté variable, peuvent toutes être résolues. Elles mettent presque toutes en scène un enfant confronté aux créatures fantastiques. Rien d’horrible ou d’effrayant pourtant : les illustrations sont là pour dédramatiser les choses et conduire les lecteurs dans un univers ludique. Le texte est souvent doublé par une illustration où le personnage s’exprime dans une bulle, façon bande dessinée.  Par son côté documentaire, l’ouvrage permettra de rendre familiers aux enfants certains monstres peu connus.

Un livre jeu amusant et permettant de faire fonctionner ses petites cellules grises.

Confinement: lectures et activité en accès libre

L’école des loisirs continue à proposer des activités pour les enfants, autour de ses auteurs,

par exemple Soledad Bravi

DES ROMANS À LIRE DÈS 9 ANS

Dès demain, lisez gratuitement Ne Change jamais !  Le manifeste sur l’écologie de Marie Desplechin.

Toujours disponibles à la lecture :

Philo : Cette semaine, Edwige Chirouter nous invite à s’interroger avec Chien Bleu de Nadja : Faut-il se ressembler pour s’aimer ?

Audio :

lectures de Marie Richeux, productrice sur France Culture, sur Youtube

– L’école des loisirs et Paradiso s’associent pour donner à entendre une sélection d’albums emblématiques, gratuitement, pendant la durée du confinement

– lecture live : Vendredi 24 avril à 15h sur Facebook et à 15h30 sur Instagram : Dagfrid, des brioches sur les oreilles de Agnès Mathieu-Daudé et Olivier Tallec, lu par Aude, notre community manageuse.

POUR LES ADOS ET LES ADULTES, DANS L’ATELIER RUE DE SÈVRES:
Rue de Sèvres, le label BD de l’école des loisirs, vous montre les coulisses de nombreuses BD signées par Régis Loisel, Matz ou encore Laurent Astier. En avant-première, découvrez Vent Mauvais, la nouvelle création de Cati Baur ou feuilletez 21 jours avant la fin du monde de Silvia Vecchini et Sualzo.
Lecture gratuite de la semaine:

album

 

 

 

 

PDF Gratuit : Le coronavirus expliqué aux enfants

Le coronavirus expliqué aux enfants
Elizabeth Jenner, Kate Wilson & Nia Roberts, illustrations d’Axel Schefffler,
Gallimard jeunesse, 2020

Un livre numérique pour répondre aux questions des enfants sur le Coronavirus, illustré par Axel Schefffler, l’illustrateur du célèbre Gruffalo.
C’est gratuit, juste, clair, rassurant, bien informé, et on trouve en fin d’ouvrage des liens utiles pour les enfants et leurs parents.
Le PDF est offert gratuitement sur le site des éditions Gallimard jeunesse  : pour les impatients, le voici : Coronavirus_scheffler

La Vérité sur ma folle école

La Vérité sur ma folle école
Davide Cali, Benjamin Chaud
Hélium, 2019

Ouf !

Par Anne-Marie Mercier

Bizarre, cette école ! mais cela n’a rien d’étonnant, vu le duo talentueux et inventif qui la présente. Bizarre aussi le garçon qui fait visiter les lieux à la nouvelle, avec sa coiffure décoiffée, sa cravate et son costume, sans parler de son chien, qui participe à toutes les activités scolaires.
Les deux enfants parcourent l’école de fond en comble, jusqu’à la loge du gardien, et aux locaux techniques, et au service des objets trouvés. Ils visitent aussi la piscine, la salle d’arts plastiques, la bibliothèque « immense », la salle des professeurs (où ceux-ci sont concentrés autour d’un énorme plat de bonbons), le bureau de la directrice (qui lévite avec tous les objets autour d’elle). Tout est en effet étrange, à part l’injonction de faire ses devoirs. Les illustrations fourmillent de détails et de scènes cocasses, on s’amuse beaucoup à cette visite.
Et la chute de l’histoire invite à relativiser : méfions-nous, il y a souvent plus étrange encore que ce que l’on croit voir.

C’est quoi la philosophie

C’est quoi la philosophie ?
Juliette Grégoire, Julie Escoriza, préface de François Galichet
L’initiale, 2019

Apprendre la vie
Martine Lani-Bayle, avec des citations de Edgar Morin, Barroux
L’initiale, 2019

La philo, tout de suite

Par Anne-Marie Mercier

C’est quoi la philosophie ? Question difficile à laquelle ce petit album de la jolie collection de lInitiale qui propose de philosopher avec les petits répond avec justesse, simplicité, et beaucoup de talent : ce sont des questions plus que des réponses (la présence de multiples points d’interrogation dans les images l’illustre bien), c’est une réflexion qui sollicite l’humanité entière, mais pas tout le monde, ni tout le temps, etc.
Sur tous les points abordés, le texte est clair et l’illustration est d’une grande intelligence tout en restant simple et belle. Il est rare de voir une telle qualité dans le difficile travail qui consiste à représenter l’abstraction. Bravo !

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L’œuvre d’Edgar Morin, Enseigner à vivre, a servi de support à Apprendre la vie, comme celle de Georges Didi Huberman à Des Lucioles paru précédemment dans la même collection. Il s’agit d’apprendre à philosopher, pour apprendre à vivre : comment on grandit (les parents, les rencontres, les livres…), on affronte ses difficultés, on apprend, on se trompe parfois, on vit avec les autres… Toutes ces choses essentielles sont illustrée par des phrases tirées de l’ouvrage d’Edgar Morin, et un commentaire bref qui les rend plus accessibles. Le petit bonhomme de Barroux est charmant et il trace son chemin accompagné d’animaux qu’il rencontre au fil de son trajet, le renard évoquant celui du Petit Prince.  Il manque sans doute un peu de narrativité pour que l’enfant puisse apprécier pleinement seul ce livre ; il sera mieux lu avec le concours d’un adulte et pour servir de support à plusieurs sujets.

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Des Lucioles