La Ville quoi de neuf ?

La Ville quoi de neuf ?
Didier Cornille
Hélium, 2018

 

Loin de la sinistrose qui habite de nombreux albums pour enfants qui, pour faire l’apologie de la campagne, dénigrent la ville et son air pollué, ici, la ville est un objet d’étonnement et d’émerveillement : on la traite à travers un point de vue d’architecte et d’urbaniste, de sociologue également : des innovations de Le Corbusier, remises en contexte , aux expériences écologiques de Berlin, du métrocable (ou téléphérique) de Medellin (Colombie)  au tramway de San Francisco ou au camioncyclette de Christophe Machet, des jardins pour se nourrir ou apprendre aux jardins pour rêver, des musées aux hébergements d’urgence, de nombreux aspects de la ville sont évoqués à travers des thèmes comme l’écologie, les déplacements, les technologies nouvelles, le travail, la place des habitants (et des enfants).
Chaque point est développé avec un exemple précis et fort bien expliqué et présenté : texte clairs, langage simple et précis, pages d’introduction stimulantes et colorées, dessins de bâtiments se présentant comme des maquettes, avec des vues sous différents angles, des vues en coupe, d’en haut, de loin, de près… ou paysages urbains coloriés, tout est beau et neuf, accueillant. On y voit des habitants qui coopèrent, qui créent, qui ont des idées.
C’est un beau parcours, une mini encyclopédie des villes de demain, mais aussi le lieu d’une réflexion, autour de questions comme : Une ville peut-elle être intelligente ? Peut-on créer sa propre ville ? La ville a ici un bel avenir.

Va te changer !

Va te changer !
L’Atelier du Trio : Cathy Ytak, Thomas Scotto, Gilles Abier
Editions du Pourquoi pas ? 2019

La journée de la jupe

Par Michel Driol

Le jour où Maïa présente les parents de son petit ami à sa famille, son frère, Robin, scolarisé dans le lycée où elle est surveillante, descend habillé d’une jupe qu’il a achetée à Londres. Et le lendemain, c’est en jupe qu’il se rend au lycée. Cet événement, le déclencheur d’une série de réactions diverses, va l’entrainer, ainsi que Jade, sa petite amie, et Selim, son meilleur copain, dans une spirale de haine et de violence qui ne les laissera pas indemnes… Chacun est-il libre de s’habiller comme il l’entend ? L’habit fait-il le moine ? Porter une jupe pour un garçon, cela fait jaser. Et les commentaires homophobes vont bon train au lycée.

Ecrit à six mains pour une lecture théâtralisée, le texte se divise en 10 tableaux, précédés d’un prologue et suivis d’un épilogue. Comme dans le théâtre classique, les trois unités sont quasiment respectées : une ville, une journée, une action. Ceci confère de la densité au texte, qui procède à la fois du récit, du dialogue, et du monologue intérieur. Quelques personnages se détachent : deux professeurs, dont l’un s’avère être un modèle positif de tolérance et de bienveillance. Jade, l’amoureuse, qui accepte la tenue de Robin, et dont les réflexions montrent un esprit curieux ouvert sur les problématiques du monde actuel. Nolan, le bad boy de la bande, homophobe, qui s’oppose à Selim, le bon copain. Robin, enfin, personnage principal qui prend en charge les monologues du prologue et de l’épilogue. L’une des forces de ce texte, c’est d’être dans l’action et de ne pas révéler, avant l’épilogue, les motivations de Robin. Dès lors le lecteur ne peut que s’interroger sur ce qu’il cherche. À transgresser des normes ? À provoquer ? À faire rire ? Le sait-il lui-même ? Il est embarqué dans une histoire qui le dépasse, mais qui met en jeu, au-delà du regard des autres, l’identité qu’il recherche et que cherche avec lui le lecteur. Ce n’est pas pour rien que l’épilogue reprend, vers sa fin, l’intégralité du prologue, qui tourne autour des verbes connaitre et reconnaitre. Peut-on connaitre quelqu’un si on ne le reconnait pas parce qu’il a changé d’habit ? Notre identité se réduit-elle à notre apparence ? Qui sommes-nous réellement ?

Un texte remarquablement écrit, touchant et juste, qui interroge le droit de chacun de vivre sa vie comme il l’entend et propre à ouvrir le débat sur les stéréotypes de genre et les préjugés.

La Planète des 7 dormants

La Planète des 7 dormants
Gaël Aymon
Nathan, 2018

Festival de SF

Par Anne-Marie Mercier

On trouve dans ce roman de science-fiction de multiples échos d’œuvres qui ont marqué le genre : La Planète des singes (pour le décentrement par rapport à une perspective terrienne), Dune (pour le désert et ses cultures du sable, ses prophéties plus ou moins truquées qui finissent par advenir), et d’autres sans doute. On y trouve aussi beaucoup d’idées originales et intéressantes, presque trop : il y aurait eu de quoi faire un énorme roman, ou une série.

Mais l’auteur (ou l’éditeur ?) a choisi de faire court. De ce fait, les scènes s’enchainent sans lien, scandées par de nombreuses ellipses, des changements de point de vue. Les caractères des personnages sont bien schématiques, leurs motivations simples. L’ensemble forme un puzzle. Le lecteur doit le reconstituer, tenter de saisir les liens et les causes, cela forme une œuvre curieuse, qui ressemble davantage à un scenario qu’à un roman. Elle plaira surtout à ceux qui aiment aller vite en enchainant les péripéties, plus amateurs de cinéma que de littérature : portrait de l’ado type ? On peut penser que d’autres resteront un peu sur leur faim.

La série des Anton

Anton et les filles
Anton est-il le plus fort ?
Anton et les rabat-joie

Ole Könnecke

Traduit (allemand) par Florence Seyvos
L’école des loisirs, 2015 [2005], 2014, 2016

Jeu philosophique

Par Anne-Marie Mercier

La série des Anton est un régal permanent, dont on ne se lasse pas. Son héros, toujours vêtu de blanc et rouge et portant un chapeau rouge, se confronte aux enfants de son âge, garçons et filles, et met en lumière des comportements caractéristiques, souvent genrés, mais pas toujours, dans les jeux et les conflits.
Dans Anton et les filles, la question est de savoir comment s’introduire dans le jeu des autres, comment être accepté dans un groupe. Faut-il faire étalage de ses qualités, de ses possessions, de ses talents ? Faire « l’intéressant » ? Rien de tout cela, surtout, semble nous dire l’auteur, lorsque l’autre est une fille ou un groupe de filles. La réponse est en apparence simple, mais en fait assez retorse…

Anton est-il le plus fort ? met en scène deux garçons, Anton et Luckas qui se placent en compétition sur cette question cruciale et font assaut d’exagération et de comparaison, montrant qu’un assaut verbal est possible et efficace. Les propositions imaginaires sont inscrites en traits de crayons de couleur, rouge pour Luckas (qui est vêtu de bleu) et bleu pour Anton (toujours en rouge). La chute est comique et met les deux enfants à égalité, tandis que la fin montre que tout cela n’était que des mots, qu’un jeu…

Anton et les rabat-joie est sans doute le plus subtil. On est ici très proche de la psychologie enfantine, où le désastre de ne pas être accepté équivaut à la mort, et où la mort est fantasmée (c’est quoi ? on ne bouge pas, on ne joue pas…?). Anton, refusé dans un jeu par ses amis habituels (Luckas, Greta et Nina), décide qu’il est mort et se couche. Luckas le rejoint bientôt, fâché avec les filles à qui il a emprunté une pelle (pour enterrer Anton, bien sûr) ; puis vient le tour de Nina, fâchée et enfin de Greta qui n’a plus personne avec qui jouer puisqu’ils sont tous morts. Les quatre enfants, couchés ne bougent plus… mais la pluie, mais les fourmis… Au calme succède l’explosion finale et les rires. Le récit se referme sur lui-même et sur le gouter proposé par Anton à ses amis

 

L’Art des Geeks

L’Art des Geeks
Floriane Herrero
De la Martinière, 2018

L’art pixelisé

Par Anne-Marie Mercier

Le titre peut tromper ceux qui n’ont pas suivi l’évolution du mot : désignant à l’origine des fondus d’informatique asociaux, le mot est devenu positif, et désigne aussi les adeptes des écrans. Parmi eux, des créateurs qui détournent les images de la culture populaire portée par la télévision, les animés, les jeux vidéo… mais aussi les produits dits dérivés. On y trouve aussi bien des icônes modernes comme Batman, Mario, les Simpson, les Playmobil… que des icônes religieuses, des personnages de contes (Cendrillon victime d’un accident de carrosse filmé par des paparazzi)…

L’ensemble est étonnant d’inventivité, de liberté joueuse, de détournements cocasses… que ce soit sous la forme de photo, d’objets, de meubles même (ceux imité de Star wars par Superlife et Eyal Rosenthal, par exemple). Il se présente comme un livre d’art : grand format, doubles pages, photos en pleine page, belle impression).

Le Silence du serpent blanc

Le Silence du serpent blanc
Arnaud Tiercelin
Le Muscadier 2019

Comme une transposition de la Flûte enchantée…

Par Michel Driol

Dans le pays de Thibault, le président s’est proclamé roi, et a imposé le silence à tous. Chacun n’a droit qu’à quelques mots, prononcés à voix basse, par jour. Cette règle s’impose à la maison, dans la rue, à l’école. Si cette loi n’est pas respectée, les militaires interviennent et emmènent les contrevenants on ne sait où. Depuis trois ans, Thibault est sans nouvelles de son père, disparu. Un beau jour Pamina arrive à l’école, et ne respecte pas la loi. Elle disparait, reparait, puis entraine Thibaut dans un univers musical et propose à tous les enfants de l’école de l’aider à rendre au pays sa liberté.

Publié dans la collection Rester Vivant, ce roman – lisible relativement tôt – aborde des problématiques actuelles graves dans notre société : la volonté du pouvoir de museler l’expression individuelle, la destitution des gouvernants, la dictature militaire, la désobéissance civile… Mais il le fait à hauteur d’enfant, car on s’identifie au narrateur, Thibault, à sa vie de famille avec ses deux petits frères,  à son désir de retrouver son père. Il le fait aussi en jouant sur différents genres romanesques : le roman d’aventure, bien sûr, aventures subies plutôt que souhaitées par le narrateur, le roman de critique sociale, proche de la dystopie, mais aussi, de façon plus surprenante, le roman merveilleux. Cette dimension est introduite par le personnage de Pamina, une fillette dotée de pouvoirs magiques lui permettant de franchir des passages secrets et d’entrainer le narrateur dans un univers musical bien loin de celui qu’il connait.

On note enfin la volonté de l’auteur de protéger d’une certaine façon les enfants à qui ce conte s’adresse. D’une part par l’explication donnée au comportement du roi – qu’on ne révélera pas ici, mais qui fournit une explication au titre.  Il s’agit de rassurer le lectorat enfant en occultant ce qu’il peut y avoir de machiavélique, d’antidémocratique ou de tyrannique  dans les décisions des hommes politiques, en nous donnant à lire un monde sans « méchant », où tous ne sont que des victimes innocentes…. D’autre part par le recours à la traditionnelle utilisation du rêve pour expliquer les phénomènes merveilleux ou fantastiques, ramenant ainsi tout ce conte au cauchemar d’un enfant . « Tout ceci n’était qu’une histoire», dit ainsi l’auteur, mettant en abyme sa propre pratique d’écriture, d’inventeur d’histoires.

Une fiction forte, portée par une écriture vive et rythmée, entrainante, qui pourra conduire à discuter de l’importance de la liberté d’expression et de création artistique dans notre société.

 

 

Théo et Élisa à la poursuite de la grande baignoire blanche

Théo et Élisa à la poursuite de la grande baignoire blanche
Pascal Prévot
Rouergue, 2018

Moby Dick ? Et zou !

Par Anne-Marie Mercier

On avait beaucoup aimé la première aventure de Théo et Élisa, chasseurs de baignoires, celle-ci est tout aussi délirante, et peut-être plus, car elle maintient la même impression extraordinaire tout en étant une reprise des surprises du premier.

Un prologue montre les héros à la recherche d’un robinet en fuite (la jungle, milieu humide comme on le sait est un refuge parfait pour les robinets rebelles). Ce robinet n’est autre que celui de la source du Nil, on imagine le désastre.   Le dialogue entre Élisa et son père donne une idée de la logique imparable de l’ensemble :

« C’est tout de même bizarre qu’un robinet soit la source du Nil, avait remarqué Élisa. J’avais lu que c’était un mélange de pluies et de lacs.
– C’est ce qu’on dit,. La vérité est plus simple et plus pratique, avait rétorqué mon père. Un problème ? Hop ! on ferme le robinet, et tout s’arrange. Ça se passait déjà comme ça dans l’Antiquité. On tourne le robinet et zou, c’était parti pour une nouvelle crue annuelle. »

Ces premières pages nous mettent dans l’ambiance pour partir avec les deux enfants et leur père à la recherche de la grande baignoire blanche, « l’aventure la plus terrible, la plus excitante » , non sans avoir au préalable revissé le robinet du Nil, pour traverser ensuite le lac Victoria, , l’Ouganda, le Soudan…

La suite est une réécriture de Moby Dick de Melville : le capitaine a une jambe en fonte et est obsédé par la baleine, pardon, la baignoire, qui est la cause de son infirmité ; il déborde d’ « énergie intérieure » à tel point que ses œufs brûlent dans son assiette.

Aventures, loufoqueries, rencontre d’une momie (plutôt sympathique et pleine de vie), rebondissements multiples au propre comme au figuré, tout est à l’avenant dans un rythme endiablé, pour un plaisir parfait.

 

Par Anne-Marie Mercier

 

Les poètes maudits

Les poètes maudits
Textes choisis et dossier Jean-François Frackowiak
Gallimard,  Folio  collège, 2019.

Pépites  et douleurs poétiques

  Maryse Vuillermet

Ces poètes sont maudits  parce qu’exilés, prisonniers, pauvres, rebelles, fous, marginaux, obsédés par la gloire,  mélancoliques,   mais ils ont en commun de tirer de cette malédiction des chants d’une humanité et d’une beauté très émouvantes. Les exilés sont Hugo, Chénier, les marginaux,  Rimbaud, Deudel, les hallucinés,  Antonin Arthaud,  Nerval, Rimbaud, Germain Nouveau, les obsédés par une tache noire,  Nerval,  les incompris et malheureux,  tous. Leurs poèmes reflètent détresse et mélancolie,  révolte et cri.

Mais le choix pertinent des textes, et le dossier pédagogique  qui les replace dans leur contexte, mettent en valeur leur modernité. Cette anthologie me semble bien faite et pensée  pour gagner  l’empathie de lecteurs adolescents,  en crise ou en recherche eux-mêmes.

Meurtres dans l’espace

Meurtres dans l’espace
Christophe Lambert
Syros (Mini Syros, « Soon »), 2017

Dagobert en robot

Par Anne-Marie Mercier

Publié dans un premier temps en 1998 chez Hachette jeunesse (« Vertiges SF »), ce roman trépidant paraît en petite collection de poche. Il est petit… mais concentré : de nombreux thèmes de la SF sont mêlés : le voyage interstellaire avec les contraintes qu’il suppose, le huis-clos, la biologie, les aliens, et surtout les robots, clin d’œil permanent aux livres d’Asimov. C’est l’originalité de cet ouvrage car PUCK (Personnalité unique à circuits kryptonisés) est l’ami, le confident et le compagnon de jeux d’Alexia, qui a embarqué avec ses parents à bord du Space Beagle 3, à destination d’Alpha du Centaure, et il joue un rôle déterminant. Les assassinats et sabotages se succèdent, qui est le coupable, le chef mécanicien ? le pilote ? le capitaine ? une chose est sûre (pour Alexia) : ce ne sont pas ses parents, et le lecteur le devine bien aussi.

On ne racontera pas l’intrigue, de peur de divulgâcher la surprise finale qui fait penser aux dénouements d’Agatha Christie.  Mais c’est aussi aux romans pour enfants d’Enid Blyton qu’on pense : Alexia et Puck valent bien à eux deux tout le groupe du Club des cinq, face à des adultes bornés et passifs, quand ils ne sont pas malveillants. Le fait que tout se passe dans l’espace, que Dagobert est un robot (énorme différence, Asimov n’avait pas prévu que les chiens sont plus fiables) et que les morts s’accumulent au fil du texte font la différence essentielle.

 

 

Mon père le plus grand des agents bricoleurs

Mon père le plus grand des agents bricoleurs
Barroux
Little Urban 2019

Bricoler ensemble

Par Michel Driol

Voici un album qui parle d’un papa bricoleur… Est-on dans les stéréotypes de genre ? Certes non. En 14 doubles pages, qui chacune porte un titre, on découvre progressivement les facettes de ce père bricoleur, vu par sa fille, future bricoleuse. Cela va de la caverne à la sieste, en passant par la guerre et les cartes postales. Et, bien sûr, l’album parle de la relation entre un père et sa fille qui partagent la même passion du bricolage.

D’entrée de jeu, on est dans un imaginaire enfantin : la petite fille assimile son père à un agent secret, qui change de tenue le weekend, afin de bricoler. Dès lors, il possède un coin secret, et une assistante, sa fille… Tous les attributs liés au bricolage sont là : les multiples boites qui servent à ranger, les outils aux noms poétiques et énigmatiques,  les blessures aussi… Au service de tout le quartier, le bricoleur sait aussi se faire inventeur, et proposer à sa fille, en grand secret, une invention qui les rapprochera encore plus… On trouvera peut-être que la mère est quasi absente, réduite à un rôle d’infirmière ou de spectatrice. Cela participe de la volonté de l’auteur de mettre en évidence la relation père fille.

Le récit est conduit avec beaucoup d’humour, en particulier à cause du regard de la petite fille et de son ton familier et ses énumérations qui tentent de dire l’univers du père. Les objets sont quasi animés : le père leur redonne vie dans son espèce de jardin secret qu’il partage avec sa fille. Les illustrations – souvent en double page – montrent un univers coloré, désordonné, et donnent une impression de joie et de bonheur dans la complicité qui se noue.

Un album à la fois joyeux et tendre, plein de poésie et de douceur, qui montre que le bricolage n’est pas réservé aux garçons !