La Fabuleuse histoire de la terre

La Fabuleuse histoire de la terre
Aina Bestard
Traduit (espagnol) par Philippe Godard
Saltimbanque Éditions, 2020

Quand la science est fabuleuse

Par Anne-Marie Mercier

Publié en collaboration avec le muséum des sciences naturelles de Barcelone, ce superbe album est aussi un livre sérieux et bien documenté. Il nous entraine tout au long de ce qu’on appelle l’histoire de la terre, s’arrêtant à l’apparition des hominidés. Histoire géologique, traces du passé (fossiles), Big Bang, progressive rotondité de la terre, débuts de la vie, premières espèces des fonds marins, premières plantes et animaux qui commencent à apparaitre sur la terre ferme, vie aquatique, grands reptiles (dinosaures), mammifères (les mammouths, les ancêtres des tigres et des buffles,…). Il nous entraine de l’Eon hadéen au mésozoïque, accumulant tous ces noms étranges et fascinants. C’est un long chemin, tout au long des doubles pages de cet album au format à l’italienne, très allongé.

Rien de rébarbatif à ces savoirs : la mise en page intelligente, les procédés pour varier les effets (rabats, calques…) et la beauté des illustrations suffiraient, s’il en était besoin, à rendre tout cela passionnant.
Aina Bestard et les éditions Saltimbanque ont choisi d’imiter l’esthétique d’albums anciens, avec une couverture cartonnées et toilée, des papiers forts aux fonds verts, beiges. Les illustrations ressemblent aux gravures scientifiques anciennes, coloriées de couleurs éclatantes ou sourdes selon le thème. Elles font surgir des paysages extraordinaires qui semblent issus de voyages imaginaires. Aina Bestard illustre avec une certaine liberté (et cela est précisé par le texte) ce que nous dit la science  de notre temps sur ce passé lointain, et cette place laissée à l’imaginaire, paradoxalement, rend plus proche cette extrême ancienneté.

Quelle est ma couleur ?

Quelle est ma couleur ?
Antoine Guilllopé, Géraldine Alibeu
la Joie de lire, 2010

La ronde des couleurs et des êtres

Par Anne-Marie Mercier

La question posée par le titre est l’équivalent d’un « qui suis-je ? » aux yeux des autres, et même dans l’absolu. Un enfant médite sur le fait qu’il est arabe pour les Français, français pour les Arabes, qu’il est un maitre pour son chien, un élève pour son maitre, qu’il est, selon les regards, d’Afrique ou d’Europe… Quelle est la couleur du Français, au fait ?

Les illustrations de Géraldine Alibeu qui placent l’enfant isolé dans de vastes espaces colorés (piscine, plaine jaune ou rouge, ciel nocturne…) montrent bien le désarroi de l’enfant, comme sa volonté de comprendre.
Le regard qu’il porte sur son chien ouvre et clôt l’album : l’animal est lui aussi un mystère (que pense-t-il ?) mais il aime sans faire de distinctions et d’ailleurs, « il est de toutes les couleurs ! »

Je serai cet humain qui aime et qui navigue

Je serai cet humain qui aime et qui navigue
Frank Prévot, Stéphane Girel (ill.)

Hong Fei, 2016

« Homme libre, toujours tu chériras la mer ! » … et la poésie

Par Anne-Marie Mercier

Il faut de l’espace pour évoquer le temps, la mer, l’amour, le lien, les racines… L’album est généreux et propose un grand format et même, vers la fin, une quadruple page à déplier. Les dessins, stylisés, plantent un décor de verts et de bleus, qui tournent parfois à l’orangé et au rouge, violet : décor d’herbe, de mer, de nuages, et parfois d’horizons lointains et de motifs exotiques, où l’envers peut être l’endroit.

Sur la plage où il accompagne son grand-père chaque année pendant l’été, un enfant trouve un coquillage sur lequel est inscrite la phrase « écoute-moi ». Il y entend des sons étranges, des rythmes, qui peu à peu deviennent un langage inconnu, langage qu’il finit par traduire, d’abord pour dire le poème qu’est la vie de son grand-père, puis pour dire la sienne avant d’inventer un autre poème.

Ce tâtonnement à la recherche d’un sens à donner au langage poétique s’accompagne d’une interrogation sur les origines : l’enfant  a pour ancêtres un marin européen et une femme originaire de Polynésie. A cette question qu’il se pose, il répond en fin de parcours avec le projet d’« être un humain », ce qui dit beaucoup, mais aussi un humain « qui aime et qui navigue », comme son grand père ; sera-ce sur la mer ou sur les vagues de la poésie ?

Ce narrateur est aussi un humain qui lit de la poésie, les références à des textes et auteurs connus étant nombreuses, sous la forme de clins d’œil, d’évocations plutôt que de citations et la question de l’écoute et de l’appropriation des sons, centrale.

L’histoire, comme les images, est dense, forte, et la magie du chant du coquillage prenante.

Et avant

Et avant
CharlElie Couture, Serge Bloch
Sarbacane, 2012

 Sur la question sans fin des origines

Par Dominique Perrin

Un habitant d’une grande ville moderne dialogue avec un interlocuteur essentiellement curieux, qu’on devine être jeune. Au départ, il semble s’agir d’un monologue ; quelqu’un décrit, de manière très concrète, les conditions actuelles de son existence : ce qu’il a sous les yeux, ce qu’il a fait la veille… Puis le récit embraye sur ce qui devient un principe d’engendrement : « Et avant ? », demande en cascade l’interlocuteur mystérieux. D’une peinture volontiers prosaïque et ironique du monde qui l’entoure, le narrateur-auteur passe au témoignage autobiographique, à la narration d’une histoire familiale, puis à l’histoire collective, puis au mythe des origines de l’humanité, et à une représentation poético-scientifique des origines de la vie. Il se réempare finalement de la première personne (« avant, j’étais une algue »), et retourne la question : « Et toi, à propos, d’où viens-tu ? ». Cet album percé de part en part d’un œil-soleil-tunnel présente la même fraîcheur et la même exigence que les productions séparées de ses deux auteurs « multistes » dans d’autres domaines de création – musique, dessin , conte…

 

Les Pakomnous

Les Pakomnous
Anne Jonas, Christophe Merlin

L’Edune, 2012

« En ces temps lointains, le monde s’occupait doucement de ses commencements »

Par Dominique Perrin

La fable est ancienne comme l’humanité, et son humour piquant aussi : deux peuples vivent en ennemis chacun de leur côté d’un fleuve, jusqu’à ce qu’un(e) innocent(e) convertisse la défiance atavique en désir de rencontre. L’histoire n’a pas une ride, et rayonne de tous ses feux sous les plumes d’Anne Jonas et de Christophe Merlin, qui semblent la réinventer, l’une dans une écriture « des commencements » associant de façon remarquable simplicité syntaxique et puissance métaphorique, l’autre dans un style graphique évoquant ici une tradition populaire russe mâtinée de clins d’oeil à Nicole Claveloux, là les stables paysages de Cézanne.