Calum ou le bonheur à portée de long nez

Calum ou le bonheur à portée de long nez
Rachel Corenblit, Julie Colombet
Sarbacane, 2018

Plaidoyer végétarien

Par Anne-Marie Mercier

Un tamanoir, ce n’est pas forcément noir depuis le poème de R. Desnos et ses tamablancs, tamableus, tamagris… Ici, ils sont bleus ou parme, et ils s’appellent Calum (prononcer Côlm), Ralum, Paluma Picassa (peintre célèbre), Krakum Luna (célèbre astronaute), Laluma, Baluma… tandis que les fourmis (noires, brunes, rouges…) s’appellent Louis, José, Marcello et Marcella, Sophie, Fofie et Sossie. Il y a parmi elles/eux, comme chez les tamanoirs, des explorateurs/trices, des surfeuses, des artistes… , et surtout il y a Dorothée, la préférée de Calum, le tamanoir ami des fourmis.
Pour cette raison, contrairement à tous les tamanoirs, Calum refuse de manger des fourmis ; sa mère a beau les lui préparer de toute les façons imaginables, sucrées, salées, cuites ou crues, c’est non. Transposant la situation des végétariens dans le monde animal, les auteures proposent une fin qui réconcilie toutes les générations avec une amitié entre espèces autrefois ennemies, scellée par un nouveau régime alimentaire : tartes aux pommes, muffins aux morilles, spaghettis au pesto, frites sans rien… un régime très enfantin et joyeux comme réponse à une question qui divise de nombreuses familles.

Tous cela est dit avec de larges images aux couleurs tendres et douces comme le bon Calum, et des gros plans drôles sur le peuple des fourmis. Calum, héros de rien contrairement à tous les membres de sa famille, est l’inventeur d’une nouvelle façon de vivre.

Big Bang Pop !

Big Bang Pop !
Claire Cantais
L’atelier du poisson soluble, 2018

… et le monde fut

Par Anne-Marie Mercier

Les papiers découpés de Claire Cantais, qui avaient fait merveille dans ses albums manifestes (On n’est pas des poupées, On n’est pas des super héros) sont tout aussi beaux ici, avec une autre visée. On retrouve leurs couleurs vives et contrastées, mais aussi de beaux noirs et gris lorsqu’il s’agit d’entrer dans le sujet : rien moins que la naissance du monde.
Une première partie relate donc toute l’histoire de la terre, depuis le big bang (et on devine les magnifiques effets d’explosions cosmiques) jusqu’à la conquête de la lune, en passant par les dinosaures (parés de couleurs extraordinaires sur fond de cieux jaunes ou roses), les premiers hominidés, les débuts de la civilisation, les inventions et découvertes, etc.
La deuxième partie montre une autre création, celle d’un enfant qui se développe dans le ventre de sa mère comme une planète, et émerge pour habiter cet univers que l’on vient de déplier.
Le texte est simple, une à trois lignes par double page, pas plus ; c’est l’image qui porte l’émerveillement et l’optimisme de toute cette belle histoire de l’humanité.

ABC. Une petite leçon d’anglais

ABC. Une petite leçon d’anglais
Bruno Munari
(Les Grandes Personnes), 2018

L’abc des langues

Par Anne-Marie Mercier

Dans ce drôle d’abécédaire, publié pour la première fois en 1960, bilingue (où l’anglais est premier), à partir de la lettre F une petite mouche (« Flye ») se promène. Elle est parfois à sa place (à la lettre V pour « voyage »), ou s’immisce à bon escient (ZZZZ pour la lettre Z), parfois c’est une intruse qui se croit tout permis et n’a pas besoin de prétexte alphabétique pour apparaitre.
Sur le fond blanc des pages se font de belles rencontres, proche de la poésie : un navire et une pierre (Ship et Stone), un marteau et un chapeau (…et une mouche !), un éléphant et un œuf…
Et quelles couleurs : le bleu-vert de l’œuf, les gris sombres de l’éléphant, le jaune brillant de la poire, le rose granuleux de la pastèque… on a envie de toucher ces objets, de les croquer et de savourer la saveur de leur nom, en anglais comme en français.
La précision du lexique et de l’ordre alphabétique n’exclut pas la fantaisie comme celle du sac de jute tout simple rempli de neige et d’étoiles pour le Père Noël  (« A Sack of Stars and Snow for Santa Claus ») ou des parapluies volants.
Une belle façon de jouer avec les mots dans les deux langues et surtout de se régaler des beaux effets d’aquarelle et de la mise en page pleine de légèreté

Le Voyageur du doute

Le Voyageur du doute
Maud Tabachnik
Flammarion 2019

Sombre road trip…

Par Michel Driol

C’est d’abord l’histoire d’un homme, Simon, et de son chien Black, deux amis, désabusés et pessimistes. Lorsque leur route croise 5 jeunes qui vivent de mauvais coups et de cambriolages, Simon ne peut s’empêcher de vouloir les aider, malgré le désaccord de Black. Et lorsque la route des 7 croise celle de Konk et d’autres malfrats, cela devient de plus en plus dangereux pour tout le monde.

Le Voyageur du doute laisse aussi le lecteur en plein doute. Publié en jeunesse, avec la mention de la loi de 1949, il permet de mesurer à quel point les conceptions de la littérature jeunesse ont évolué. Car voici un polar sanglant, faisant parfois l’apologie de la marginalité, du vol, et montrant une société future dystopique. Certes, on retrouve l’amitié entre l’homme et l’animal, l’animal qui sauve les hommes, mais le roman cultive les ambigüités : que veut exactement Simon ? Tout à la fois vivre avec d’autres marginaux, agir par amour pour Sonate et les empêcher de se salir encore plus les mains en agissant à leur place… Ces ambiguïtés ne sont pas une faiblesse du roman, mais sa force, car il oblige le lecteur à réfléchir, à se positionner, à se questionner.

Le roman s’inscrit dans un futur particulièrement sombre : si, politiquement, l’Europe semble unie et prête à se désigner un président, la pollution est omniprésente (l’eau du robinet n’est plus potable), et les tensions entre communautés ont atteint un paroxysme. Politiciens et truands sont de mèche (c’est l’un des ressorts de nombreux polars…). Dans cette société inhumaine, se marginaliser et vivre hors la loi devient pratiquement une preuve d’humanité.  Du passé de Simon, on ne sait pas grand-chose, mais ce qu’on en sait le présente comme un individu qui a fait de la prison – sans que l’on sache pourquoi. Les 5 jeunes gens sont tous plus ou moins issus de « bonnes »familles, et ont rompu avec elles. Reste donc la route, qu’ils parcourent en moto, façon Easy Rider…, les plages et les chambres d’hôtel. Se marginaliser, c’est vouloir être libre, mais quel est le prix à payer pour cette liberté ?

Le roman pose aussi une relation particulière entre un homme et un chien, philosophes désabusés tous les deux. Ils conversent, et le chien a un point de vue sur le monde, une capacité à réfléchir mais aussi à agir. L’auteure a la subtilité de ne pas faire « parler » le chien. Mais l’écriture montre qu’ils se comprennent, et rend compte des positions du chien, à travers ce que Simon comprend, ou ce que les autres perçoivent de cette relation. Et par bien des aspects, le chien se révèle plus humain que nombre de personnages…

Ce roman vaut enfin par son écriture, qui, paradoxalement, dans un polar où l’action prime, joue abondamment de l’imparfait. C’est dire que l’arrière-plan – la société, les pensées des personnages – passe souvent au premier plan. Il y a là un ton particulier, une langue particulière, qui installent une distance propre à la réflexion du lecteur.

Un polar qui ne laissera pas indifférent, et qui pose de nombreux problèmes liés à notre monde.

Journal d’un amnésique

Journal d’un amnésique
Nathalie Somers
Didier jeunesse, 2019

En immersion

Par Christine Moulin

Il n’aura échappé à personne que les amnésies totales sont plus fréquentes dans les romans et les séries que dans la réalité. Voici donc, encore une fois, le récit, sous forme de journal intime, d’un adolescent, Romain, qui a été retrouvé inconscient dans un couloir de son lycée et qui se réveille sans plus rien savoir de son passé.

La narration est habile: comme le veut le genre, le lecteur partage les angoisses du personnage et ses vains efforts pour évoquer quelques souvenirs. Et comme souvent, des indices dérangeants, qui soulèvent beaucoup de questions, sont distillés tout au long des pages: pourquoi son portable a-t-il disparu? Pourquoi l’atmosphère est-elle si pesante chez Romain? Pourquoi ses parents semblent-ils lui cacher des éléments de sa vie d’avant? Qui était vraiment Romain? Celui qui écrit ou un autre, moins « cool », plus renfermé (interrogation que résument assez bien ces quelques lignes de la page 34: « Je me rends compte que je viens d’écrire un truc complètement idiot. Qu’est-ce que ça veut dire « si j’étais quelqu’un d’autre » puisque je ne sais pas qui je suis? »)?

Ce sont ces  incertitudes sur l’identité qui font l’intérêt majeur du roman: finalement, l’amnésie de Romain, la seconde chance qu’elle lui propose, semblent en quelque sorte la métaphore de ce qu’exige l’adolescence, la lutte pour l’indépendance et la nécessaire affirmation de soi: il faut notamment apprendre à dire « non » quand c’est non, mais aussi tenter de se connaître et de se définir autrement qu’à travers le regard et le désir des autres.

Il est dommage que cette justesse dans l’enjeu de la quête de Romain ne se retrouve pas complètement dans la construction des personnages, un peu trop caricaturaux et stéréotypés parfois. Mais cela ne nuit pas à l’intérêt du roman, solidement construit pour faire durer le suspens et pour faire en sorte que le lecteur s’attache et s’identifie au héros.

 

Chère Fubuki Katana

Chère Fubuki Katana
Annelise Heurtier
Casterman, 2019

En immersion

Par Christine Moulin

C’est à une véritable immersion dans le Japon contemporain que nous invite Annelise Heurtier: évidemment, le mieux serait de pouvoir vérifier l’exactitude de ses descriptions (!) mais en attendant, on a vraiment l’impression d’y être. Tout est là pour créer l’illusion: le vocabulaire, la description des lieux (cela va du Mont Fuji, bien sûr, aux bars à thèmes – plus précisément, un bar à chats, qui joue un rôle important dans l’intrigue-); les boutiques; les odeurs, la nourriture, les coutumes.

Tout cela pourrait rester superficiel: mais le parti pris de l’auteure nous permet un réel dépaysement et une plongée passionnante dans l’univers japonais. En effet, nous adoptons le point de vue d’une adolescente, Emi, ce qui nous permet de comprendre de l’intérieur la vie familiale; l’univers scolaire, d’autant plus que l’héroïne est victime de harcèlement. Plus encore, ce sont les représentations sociales, les règles tacites, les tabous que nous découvrons: ainsi, à travers les lois d’airain qui obligent à taire ses émotions, on retrouve, décuplés,  les tourments de n ‘importe quelle adolescente (notamment un dramatique manque de confiance en soi et un sentiment de culpabilité incessant).

A cela s’ajoute un procédé particulièrement réussi: l’héroïne, pour s’échapper de la réalité quand elle devient suffocante, imagine la scène qu’elle est en train de vivre sous forme de mangas car elle est fan de ce genre.

Et enfin, l’intrigue est pimentée par une touche de mystère: des lettres énigmatiques adressées à la Fubuki Katana du titre émaillent le récit et créent un suspens qui rend la lecture fluide et prenante.

Bref, ce roman est une vraie réussite dans la mesure où il parvient à la fois à nous faire découvrir une culture très éloignée de la nôtre, sans lourdeur, sans explications indigestes, et à nous la rendre proche, en dégageant l’universalité des émotions.

 

 

Mécanique générale

Mécanique générale
Philippe Ug
(Les Grandes Personnes) 2019

Tu paraitras dans ta superbe auto…

Par Michel Driol

Ce livre pop-up explore différents véhicules,  « bien à l’abri dans mon garage » : la dépanneuse, le bolide, la vieille guimbarde, le minibus, le tout-terrain, l’engin électrique jusqu’au véhicule préféré, « le carrosse de mes parents ». A chaque véhicule est associée une petite proposition, sa finalité, ses caractéristiques qui dessinent en creux le portrait d’un enfant amoureux des voitures.

L’album fait en quelque sorte un inventaire des véhicules hauts en couleur : power flower pour le minibus, blanc immaculé pour le véhicule électrique. Invitation au voyage, l’album décline des destinations de rêve, des chemins de traverse, le tour du monde, et il ouvre vers les possibles, parfois de façon étonnante (le bolide pour faire ses courses aux marché). Les pop-up ingénieux, qui ne cherchent pas à tout prix le réalisme, font émerger des véhicules que l’on se plait à détailler et à admirer.

Un album qui montre que l’attrait pour les voitures n’est pas passé de mode…

Thésée et le minotaure – Atalante la princesse des bois

Thésée et le minotaure
Pierre Beaucousin – Eric Héliot
Père Castor 2019

Atalante la princesse des bois
Pierre Beaucousin – Eric Héliot
Père Castor 2019

Deux grandes figures de la mythologie

Par Michel Driol

Le Père Castor lance une nouvelle série consacrée aux personnages forts de la mythologie, dont voici les deux premiers. Les deux se présentent comme des biographies, commençant par la naissance et racontant la vie des personnages dans une langue simple et accessible à tous. De nombreux éléments favorisent l’identification du lecteur avec eux : le fait de les présenter dès la naissance, de les montrer enfants, accentue la proximité avec eux. Il s’agit par ailleurs de deux figures d’orphelins, ce qui accroit la sympathie du lecteur pour eux. Le texte, au présent, est animé par de nombreux dialogues. Les illustrations, tout en respectant certains codes liés à l’Antiquité – en particulier dans les arrière plans urbains – montrent des personnages à l’allure sympathique, presque contemporains dans leurs visages et dans leur expressivité, en particulier en ce qui concerne Atalante. On est ainsi parfois à mi-chemin entre l’album, avec une mise en page qui privilégie les doubles-pages,  et la BD ligne claire.

Les deux personnages ne sont pas choisis au hasard : une femme et un homme. L’une apparait comme une figure de la liberté et de l’émancipation féminine, qui clame que personne ne lui prendra sa liberté. L’autre apparait comme l’incarnation du courage et de la force physique, face au lion de Némée ou face au minotaure. Pour autant, la dimension tragique est bien respectée : ces deux personnages sont les jouets des dieux. L’amour d’Atalante et d’Hippomène est en fait l’enjeu de la lutte entre Artémis et Aphrodite.  Quant à Thésée, il est victime d’Athena, qui l’oblige à abandonner Ariane à Naxos. Ainsi le jeune lecteur peut découvrir la force des mythes antiques, et percevoir ce lien particulier entre les hommes et les dieux caractéristique de cette période. Un court dossier documentaire, en fin d’album, prolonge la lecture en donnant des informations sur tel ou tel épisode ou aspect de l’histoire, voire le futur des personnages.

Souhaitons de découvrir ou de redécouvrir d’autres personnages, d’autres mythes antiques dans ce qu’ils ont à nous dire grâce à cette nouvelle collection prometteuse.

Yiddish Tango

Yiddish Tango
Mylène Mouton
Gulfstream – collection Echos 2019

L’âme du Prince…

Par Michel Driol

A l’occasion de Noël, Etienne, qui apprend le violon, joue un magnifique tango devant le public de la maison de retraite où se trouve sa grand-mère. Il est remarqué par Elisée, un autre résident, qu’il a surnommé Furax, et qui le confond avec un jeune garçon qu’il avait rencontré dans sa jeunesse. Il lui révèle qu’il détient, dans son grenier, un violon extraordinaire, le Prince. Avec l’aide de sa nouvelle amie Elisa, Etienne se procure ce violon, est contraint de le réparer, et en découvre peu à peu l’histoire, en particulier sous l’Occupation. Ce violon est-il maudit, comme le prétend Elisée ? ou l’instrument qu’il faut apprendre à dompter pour être reçu à l’audition au Conservatoire de Paris qu’il prépare ?

Mylène Mouton propose ici son premier roman pour adolescents, et joue de toutes les cordes du violon avec bonheur. En effet, après deux avant-textes déroutants pour le lecteur – le premier où il est question d’hommes squelettes, de Zombras, de pièges et second extrait des carnets secrets d’E.F. où il est question du Maudit, d’un Noël 75 ans plus tôt – le roman classiquement s’inscrit dans une perspective réaliste : dans les Alpes – en Chartreuse vraisemblablement – des ados vont rendre une visite dans une maison de retraite, lieu de la perte de mémoire et des comportements étranges qui les font surnommer Zombras par le narrateur. Le roman poursuit son cours, s’inscrivant dans les relations sociales au collège, les transports scolaires, la relation naissante entre le narrateur et Elisa. Roman familial aussi, avec des familles particulièrement bien dessinées. La découverte du violon entraine le roman dans un fantastique qui poursuit  une lignée de textes – du XIXème siècle en particulier – où les violons sont maléfiques, vivants et remplis de pouvoirs. Pour préserver le plaisir de la lecture et de la découverte, on n’en dira pas plus ici sur ce que permet ce violon, le Prince. C’est alors l’histoire du violon que peut reconstituer Etienne, depuis sa naissance dans un quartier juif de Vitebsk au XIXème siècle jusqu’à son dernier propriétaire, M. Alex, violoniste et danseur de tango émérite. L’histoire du violon croise donc les heures sombres des pogroms en Russie, des exils, de la Shoah.

Toutes les cordes du violon, c’est aussi le jeu avec la polyphonie : à la voix du narrateur se mêle celle de son double, Elisée, de 75 ans son ainé, voix que l’on entend à travers des extraits de son carnet secret. D’un côté la vieillesse, et une vie qui aurait pu être autre, vie d’un artisan rongée par la culpabilité, de l’autre la jeunesse, la quête d’un père musicien absent, la découverte d’un passé tragique, et l’espoir d’une autre vie où l’art aura sa place. Ajoutons deux autres personnages, dont les voix sont plus ténues, bien qu’importantes au travers des dialogues : M. Alex, beau et brillant, expliquant que le tango est la danse de l’amour, et Elisa, jeune fille gothique, en apparence aux antipodes d’Etienne, mais aide fondamentale pour le héros.

Toutes les cordes du violon, c’est évidemment la musique, présente sur tout le roman : la musique du tango, et l’on croit entendre d’une page à l’autre Astor Piazzolla et les tangos yiddish, entre nostalgie et désir, la musique klezmer  aussi, les concertos de Vivaldi enfin… Musique des ghettos, orchestres des camps de concentration, les musiques se mêlent dans cette composition particulière, à la fois entrainante et lourde de sens.

Toutes les cordes du violon, c’est enfin le jeu entre le Bien et le Mal, sans manichéisme, entre l’amour et l’indifférence, voire la haine de l’autre.  Le violon sépare-t-il ou unit-il ? La fin optimiste parle de bonheur et de sérénité retrouvée.

Un beau roman, aux multiples résonances, qui conjugue l’histoire individuelle et l’Histoire avec un grand H, tout en s’inscrivant dans un genre fantastique parfaitement maitrisé.

Noun et Boby

Noun et Boby
Praline Gay-Parra, Lauranne Quentric (ill.)
Didier Jeunesse, 2019

Sans mièvrerie

Par Christine Moulin

Il y a récit de quête et récit de quête. Dans la littérature de jeunesse, les parcours et les arrivées sont parfois stéréotypés et un peu mièvres. Rien de tout cela avec cet ouvrage au titre pourtant neutre. Le cadre fait la différence: un petit garçon, Noun, est seul, ou presque, dans une ville toute grise désertée, dévastée, par une guerre sans doute: les papiers collés qui la représentent en font un lieu fantomatique et oppressant. Le point de départ est également original et émouvant: Noun part à la recherche d’un chien, Boby, qu’une de ses voisines a abandonné, en s’enfuyant dans un taxi. Au cours de son périple, il est amené à sauver d’autres animaux que Boby: un  oiseau, qu’on peut voir comme un symbole de liberté, une chatte et ses petits, qui indique que la vie continue et qu’une renaissance est possible, au milieu du désastre. Tous les éléments qui peuvent signifier l’espérance sont dessinés et se détachent sur le décor, en particulier Noun, vêtu de rouge, qui souligne combien il est porteur d’une énergie généreuse qui l’emporte sur la pesanteur de la catastrophe. L’avant-dernière double page, par contraste avec les autres, est une explosion de couleurs et ouvre vers un lieu enfin accueillant, où se trouvent de nombreux animaux et… Boby, dont le collier rouge évoque le lien indéfectible avec son nouveau maître. La dernière double page est une merveille de tendresse apaisée. Heureusement car on aurait pu interpréter la descente de Noun vers le paradis des animaux dans un sens beaucoup plus tragique.