La Fête d’anniversaire

La Fête d’anniversaire
Malika Doray
MeMo, 2019

« Même pas » une fête, de « même pas » anniversaire

Par Anne-Marie Mercier

« Il était une fois une souris qui voulait des biscuits. Elle décida donc de fêter son anniversaire et d’en préparer ».

Tout est dit. Le désir est affirmé, et réalisé. Il l’est même avec tous ses à-côtés car la souris ajoute aux biscuits quelques gâteaux et s’écrit à elle-même une jolie carte, affirmant son affection en post-scriptum. Elle met le tout dans un joli paquet qu’elle trouve à son réveil le lendemain et déguste avec délices en savourant sa tranquillité.
Le deuxième acte porte sur le partage : alors que la souris se félicite d’être seule et de n’avoir « même pas » invité personne, commençant à « même pas » s’ennuyer, on sonne à sa porte et « personne » entre, sous la forme (grenouille, lapin, renard, ours ?) de trois amis avec « même pas » un gâteau, des boissons, des bougies, et des cadeaux… que l’on voit entre leurs mains dans l’image. Tous se régalent ensemble et le mystère du « même pas » reste entier.
La structure de la page est sage au début : sur fond blanc, la souris est tantôt représentée une fois, parfois deux, trois, quatre fois, mais tout cela est bien aligné, avec des formes simples et des variations de postures qui lui donnent un air de pantin. A l’arrivée des amis, la structure explose, partiellement : le cadre reste bien en place, d’un trait bien droit orné de fruits et de feuilles. Simplicité et fantaisie garanties, dans un album grand format aux images très aérées et lisibles pour les petits. Et tout cela sur un beau papier avec une superbe impression (marque de fabrique de MeMo).

Dans mon petit monde

Dans mon petit monde
Sandrine Bonini & Elodie Bouédec
Grasset 2019

Le syndrome d’Alice

Par Michel Driol

Les parents de la narratrice la conduisent chez un médecin pour soigner ses insomnies. Elle lui raconte son petit monde, fait d’une amie qui ne supporte pas les vêtements à boutons, d’un ami qui a peur des animaux, de parents qui ont chacun leurs tocs.  Et il y a dans ce petit monde la narratrice, qui a tantôt l’impression d’être une géante, tantôt une naine. Le docteur lui offre alors Alice au pays des merveilles, qui permettra à la narratrice de se calmer, de surmonter ses angoisses en suivant Alice dans son monde merveilleux, où elle se sent enfin à la bonne taille. Plus besoin alors de retourner voir le docteur. Alice est là, pour aider.

Voilà un album ambitieux et réussi, qui évoque d’abord le méconnu  syndrome d’Alice, décrit par le psychiatre John Todd en 1955, et dont souffrent de nombreux enfants. Il se caractérise par des distorsions visuelles qui modifient la perception de soi-même, du temps et de l’espace. Cet aspect-là est particulièrement traité par l’illustration d’Elodie Bouédic, avec une technique rare dans les albums : le sable photographié, puis coloré par infographie, qui donne un aspect mouvant aux êtres et aux choses, en particulier dans les scènes oniriques. Mais, au-delà de mettre l’accent sur ce syndrome, l’ouvrage met aussi en abime Alice au pays des merveilles, et montre en quoi la littérature peut avoir un rôle psychologique et curateur. Il ne s’agit pas ici d’être dans l’album médicament, encore trop fréquent, mais de montrer en quoi l’identification aux héros et héroïnes peut aider à mieux voir clair en soi même, dans la rencontre avec d’autres qui partagent les mêmes troubles, obsessions, problèmes. Cette identification n’est pas aliénation car la narratrice et Alice restent distinctes, l’une agissant presque comme un passeur conduisant dans un autre monde où les choses sont en harmonie avec la lectrice qui s’y sent à sa place. Cet aspect-là est parfaitement bien traité avec le symbole quasi final du miroir : l’une retourne chez elle en traversant le miroir, l’autre ne peut que se regarder dans le miroir de sa chambre et s’y voir pour ce qu’elle est, dans sa chambre, et non pas en train de s’y admirer, comme le croit son père.  Belle image que celle de ce miroir, qui renvoie à la fois au stade du miroir de la psychanalyse, mais aussi à Stendhal lorsqu’il définit le roman comme un miroir que l’on promène le long du chemin. C’est peut-être bien, au-delà du seul roman, la fonction de la littérature : nous offrir un miroir de nos peurs, de nos angoisses, de notre petit monde, fait de bonheurs et de doute, pour le confronter au petit monde d’autres êtres de papier, mais qui aident à vivre et à appréhender le réel.

Ce bel album séduira bien sûr tous les admirateurs de Lewis Caroll, car, dans les magnifiques illustrations, ils retrouveront le lapin, le chat et une atmosphère très merveilleuse. Mais c’est un album qui, dans une langue poétique, parle de la difficulté de grandir, des bonheurs et des doutes, du besoin de soutien et du rôle indispensable de la littérature pour aider à mieux percevoir et se situer dans le monde.

 

Le Marchand de sommeil

Le Marchand de sommeil
Luna Granada
L’avant-courrier, 2017

La noirceur du monde par les mots

Par Anne-Marie Mercier

Les éditons de La Tête ailleurs, issues des éditions de l’Avant-Courrier sont une de nos découvertes de Montreuil, découverte un peu tardive puisque celles de l’Avant-Courrier sont nées en 2016.

Le Marchand de sommeil propose jeu sur la confusion entre les expressions « marchand de sommeil » et « marchand de sable » est ici un jeu sérieux. Il s’agit de l’approche faite par une enfant d’un mystère linguistique qui masque une réalité pour elle inimaginable. La cruauté du monde réel n’est pas exposée de façon crue, mais métaphoriquement, à travers l’imaginaire, sans doute d’un rêve.
Line voit des fenêtres murées et entend parler de ces étranges marchands. Line voit des êtres s’affairer de nuit sur les toits pour fermer toutes les ouvertures de son quartier, elle imagine le sort de ceux qui ont pu y être emmurés, elle voit les flammes d’incendies menacer sa propre chambre : le malheur ambiant entre dans son monde.
Elle est sauvée et ramenée dans la sécurité par le veilleur de nuit (autre belle expression imagée qui fait sens pour un enfant) ; elle gagne une « clé » : solution à tous les problèmes ou compréhension plus grande du monde ?
Les illustrations sont magnifiques, faites aux tampons de gomme et à l’aquarelle, en teintes douces et bleutées où quelques flammes de rouge créent des contrastes. C’est un bel album qui traite de manière détournée, à travers une question de langue, d’une question dite « sensible » que l’on n’évoque pas d’ordinaire devant les enfants et surtout pas dans leurs livres (un peu comme les Petits Bonshommes sur le carreau d’Olivier Douzou).

Les éditons de La Tête ailleurs se présentent ainsi sur leur site (et dans leurs albums) :  « Ce sont des livres aux univers artistiques forts, pour petits & grands.
C’est une ligne éditoriale moderne, autour de la ville
C’est une structure responsable, qui imprime ses livres en France
C’est un territoire, le 93, où nous avons nos racines
C’est aussi une association, qui organise des ateliers artistiques et des événements socioculturels
…une maison d’édition écolo, sociale et urbaine ! »

Un exemple, à travers un ouvrage chroniqué par Ricochet : « Créé à partir d’ateliers réalisés par l’association « La tête ailleurs » et avec les habitants de Saint-Denis, Au cœur de la ville propose au jeune lecteur une plongée active dans sa propre ville afin d’en découvrir ses secrets. Muni de ciseaux, de colle, de feutres et du livre d’activité comme journal de bord, il est invité à parcourir les rues qu’il arpente régulièrement, mais avec une curiosité nouvelle. » (lire la suite sur Ricochet)

Poussin

Poussin
Davide Cali, David Merveille
Sarbacane, 2019

Petit traité de littérature

Par Anne-Marie Mercier

Comment devient-on écrivain ? et comment devient-on écrivain pour enfants ? peut-on écrire pour les deux publics ? Est-ce que les enfants ont bon gout dans leurs choix de lecture ? et les critiques ? Que faut-il penser des séries populaires ?

Dans cet album, par ailleurs très drôle, on aborde toutes ces questions.
C’est une fable acide créé par des auteurs qui se moquent d’eux-mêmes, ou plutôt de ce que d’autres voient dans leur profession. Le personnage principal apprend à écrire, dans tous les sens du terme : de la formation des lettres à la vocation d’écrivain. Il apprend moins bien à surmonter les échecs lorsque ses manuscrits lui reviennent avec un mot de refus d’un éditeur.. De rage, il envoie pour se venger ce qu’il juge être un torchon indigne, les aventures d’un personnage « idiot », « moche », « banal », qu’il dessine lui-même en faisant une tache jaune et qu’il nomme Poussin. Poussin fait du ski est, à sa grande surprise, immédiatement publié et connait un tel succès que l’éditeur lui commande une série de 12 titres : Poussin fait du vélo, est suivi de Poussin fait un gâteau, etc… Il espère dégouter l’éditeur et en finir en lui proposant Poussin fait un gros caca : c’est un immense succès.  Tout l’itinéraire d’un succès mondial est décrit : séries télévisées, produits dérivés…
La succes story est ailleurs : l’écrivain aigri finit par découvrir qu’il a fait quelque chose de sa vie avec Poussin et que là où lui ne voyait que banalité et laideur, les enfants voyaient tout autre chose.

C’est toute une réflexion sur le livre pour enfants et sa place dans la hiérarchie des « produits culturels », et, plus largement et plus philosophiquement sur la question de « pourquoi écrit-on ? », menée avec drôlerie, sans se prendre au sérieux, mais en prenant les enfants au sérieux.

 

Les Funambules

Les Funambules
Corinne Boutry –Daria Petrilli
Motus 2019

Par-delà le mur…

Par Michel Driol

Swan et Mia habitent dans deux tours. Un matin, un mur se dresse entre leurs deux tours. Alors Swan écrit une lettre en forme d’oiseau qui parvient à passer de l’autre côté, et Mia lui répond. Les deux enfants s’envolent et se retrouvent aux antipodes.  Mais ce n’était qu’un rêve.  Swan une poignée de sable qui dessine un pont par-dessus les barbelés. Et comme deux funambules les deux enfants se lancent sur le pont.

Dans cet album poétique, les deux auteures abordent le thème des murs qui surgissent et séparent, de façon inexplicable, et inexpliquée. Un album tout en finesse, qui montre d’abord la rencontre du regard des deux enfants, l’un contemplant les passants, l’autre le ciel… comme s’il suffisait de changer un peu le point de vue pour se rencontrer. Mais comment relier ce que les hommes, sans aucune raison, ont séparé  pour toujours ? Par le pouvoir des mots, des rêves, de l’imaginaire, en faisant confiance à l’enfance pour transfigurer la réalité.  Un album qui dit l’espoir d’un monde meilleur, où  ceux qui sont séparés pourront se retrouver. Les illustrations de Daria Petrilli s’ancrent à la fois dans un réalisme sordide et anxiogène – le mur lépreux, couronné de barbelé – et entrainent dans un surréalisme à forte connotation poétique – les oiseaux origamis, les enfants qui volent. Les couleurs – plutôt froides et sombres : gris, sépia – disent un monde où même le bleu du ciel n’a rien d’éclatant. En revanche, de magnifiques portraits d’enfants, partagés entre tristesse et joie, proposent leur vision d’un monde qui ne pourra pas toujours être ainsi, et dons lequel les frontières artificielles devront être abolies

Trente ans après la chute du mur de Berlin, de façon métaphorique, l’album parle de ces murs qui se multiplient un peu partout, du sud des Etats-Unis à la frontière entre Israël et la Palestine, de Calais à l’Italie, sans rien nommer, comme pour dire l’absurde de ces situations et la nécessité de l’amour ou de l’amitié. Un album utile pour sensibiliser les enfants au danger du repli sur soi, pour les inviter à se jouer de l’oppression et à vouloir défendre leur liberté de se rencontrer pour communiquer et vivre ensemble.

L’on avait beaucoup apprécié le travail de Daria Petrilli dans l’album Demain les rêves

 

 

Lune

Lune
Junko Nakamura
MeMo, 2019

Reflets

Par Anne-Marie Mercier

Quelle magie se trouve dans les pinceaux, crayons et pastels de Junko Nakamura ?

Lune nous transporte dans l’émerveillement d’un enfant, la nuit. Il est dehors, un soir d’été, malgré l’heure tardive, car il sort d’une représentation au cirque. Et la lune est là. C’est l’occasion pour évoquer tous les moments où il peut la voir, moments paisibles dans la maison où pénètre parfois sa lumière, moments sur le port où elle joue sur les reflets. La lune, le cirque, le bateau qui passe et lance sa sirène, tous cela s’unit dans un échange fluide. Couleurs profondes, liquides, tout bouge dans ce bel album, doucement, calmement.

L’École des mini-garous

L’École des mini-garous
Julien Hervieux, Juliette Lagrange
Poulpe (« mini poulpe »), 2019

Des cancres garous pour sauver le monde

Par Anne-Marie Mercier

Variation drôle sur le thème des loups garous, ce mini roman illustré ne craint aucune fantaisie et propose des garous de toute sorte : garous chat, garou poussin et même garou poulpe ! Nos trois petits héros, risée de leur école, n’ont pas été « mordus » par un loup mais par l’animal dont ils ont pris la forme, ce qui leur donne bien du tracas : ils sont en effet peu aptes à terroriser leur entourage, et profitent peu des leçons qu’on leur donne dans ce domaine à l’école des garous.
Pour faire leurs preuves, mais aussi satisfaire leur curiosité, ils vont tenter de surprendre le terrifiant directeur et fondateur de leur école pour savoir quelle métamorphose est la sienne… surprise garantie ! et dénouement à la gloire des petits et des faibles qui renversent l’ordre des choses.

La Nuit sous le lit

La Nuit sous le lit
Cécile Elma Roger, Matthieu Agnus
Dyozol, 2019

Il y a un cauchemar sous mon lit

 Par Anne-Marie Mercier

La chambre de Charlotte n’est pas très bien rangée : on y voit trainer un poulpe, un puzzle, une poupée. Sous son lit, il y a sans doute d’autres choses, dont on aperçoit un morceau dans la première double page. Avant de s’endormir, elle pense à tous les monstres qui pourraient l’y guetter : une forêt pleine d’animaux à grandes dents, le salon d’une sorcière, un cirque, une cuisine qui pue, une soucoupe volante avec un horrible extra-terrestre… une maison de poupée avec sa cuisine équipée, un loup, une scie…

L’angoisse arrivée à son comble elle finit par se lever et regarder grâce à la lumière de son doudou-veilleuse : rien !

Mais le lecteur, lui, voit bien, toujours sous le lit ou à côté, le poulpe, la maison de poupée, le loup, l’extra-terrestre du puzzle… Les tons bleus et sombres de la chambre font un beau contraste avec l’imagination colorée de Charlotte et ses cauchemars sont bien gothiques. Ce « voyage autour de ma chambre » nous emporte bien loin : le happy end enfermant n’enferme pas le lecteur qui reste face au mystère de la nuit, un peu comme dans le classique Il y a un cauchemar dans mon placard de Mayer.

Dans ma couverture

Dans ma couverture
Baptistine Mésange
Dyozol, 2019

Doudou doux

Par Anne-Marie Mercier

La couverture doudou est l’héroïne de bien des histoires, qu’elle soit perdue / retrouvée, subtilisée pour un lavage, ou qu’elle offre à l’enfant tout un voyage (voir L’édredon d’Ann Jonas). Ici, c’est celle d’un tout petit qui n’a pas encore l’usage des mots. Ce petit album carré, cartonné, aux coins arrondis, les lui offre en déclinant aussi les utilisations possibles de cet objet de douceur : dormir, s’y enrouler, se glisser dessous, avancer sur le ventre, marcher ? se lever ? pousser des cris… Chaque situation met en regard un animal, faisant de ce parcours sensible un imagier.
Les illustrations, sur fond blanc, sont tout en douceur, avec plus de piquant et de contraste sur la page de droite consacrée aux animaux, tandis qu’à gauche l’enfant est juste crayonné sous le tissu coloré, dans toutes ses postures. Grandir, jouer, sentir, être aimé, jouer, une belle liste de plaisirs en petit format.

Pablo et Floyd. Sur le bord de l’invisible

Pablo et Floyd. Sur le bord de l’invisible
Michel Galvin
Rouergue, 2018

Par Marion Mas

Floyd, l’ami invisible de Pablo (certes visible, mais dont on ne voit jamais le visage), raconte comment son célèbre ami rend visible le monde en le peignant. Pour éviter à Floyd de se cogner contre les arbres et les rochers encore invisibles, Pablo « marque le contour des choses qu’il na pas encore eu le temps de peindre… ».
Côté illustrations, les contours au trait noir ne s’ajustent pas parfaitement aux aplats de couleurs auxquels ils donnent forme, donnant à voir le monde en train d’advenir. Le désert dans lequel évoluent les personnages se peuple de montagnes colorées et d’arbres, de matière, de texture, et de grain, mais toujours dans une forme d’épure. Les rayures, les trous et les passages, comme la mise en abyme de l’acte de dessiner rappellent l’univers de Fred, maître du méta, dans une fable méta au carré sur la fonction de l’art et le caractère visionnaire de l’artiste.