Dans moi

Dans moi
Alex Cousseau, Kitty Crowther
MeMo, 2015

Ego-philo

Par Anne-Marie Mercier

Qu’est-ce que l’être? Si on devient quelqu’un, qu’est-on donc auparavant ? Commence-t-on a exister à la naissance? Ou avant? Ou bien avec l’âge de raison? Qu’est-ce qui est autour de moi, est-il distinct ou dépendant de moi? Toutes ces questions sont celles que l’on se pose – avec bien d’autres – en découvrant cet album.

Le petit personnage en noir qui nous fait penser à d’autres personnages de Kitty Crowther parcourt l’espace blanc crème des pages parsemé de petits détails plantant divers paysages qui sont autant  d’états mentaux. Elle – il semble que ce soit un personnage de sexe féminin – prend petit à petit possession d’elle-même mais reste face à un problème : en elle il y a un autre qui veut l’éliminer, un ogre, comment faire ? Faut-l accepter d’être mangé pour progresser…

Album métaphysique dans lequel le lecteur projettera ses propres questions et peut être des réponses. Au bout du compte, ce sont les mots qui font accéder au sens.

L’Histoire de la petite maison qui recherchait des habitants

L’Histoire de la petite maison qui recherchait des habitants
Piret Raud
Rouergue

La petite maison dans la prairie

Par Michel Driol

La petite maison est triste d’être seule. Pourtant elle est belle et accueillante, avec ses motifs géométriques et ses roses. Elle part en quête d’un occupant, et rencontre successivement un chien, un poisson, un oiseau, un vagabond. A tous elle propose de se transformer pour les accueillir, mais tous refusent, avec des arguments sans appel : ils ont un déjà une niche, la mer ou un nid. Quant au vagabond, il préfère sa liberté. C’est alors qu’un fantôme demande à être hébergé. La petite maison et le fantôme pleurent ensemble, mais finalement sourient.

Piret Raud, auteure estonienne qui commence à être reconnue en France, signe ici un album étrange. Certes, il prend le contrepied du « Chacun cherche son toit » pour faire de l’héroïne de l’histoire la maison elle-même. Cela parle de solitude et de quête impossible de lien. La maison est prête à tout pour entrer en relation avec quelqu’un, prête à toutes les transformations – à toutes les altérations ou aliénations ? La voilà devenue niche, bateau, nid, mais ceux qu’elle rencontre n’en ont cure : ils ont déjà leur vie, leur monde, et n’entendent pas le changer, même s’il les contraint. Comme chez La Fontaine, le chien doit être très obéissant dans le jardin de Tata Anne, mais cela lui convient parfaitement, dit-il. A l’inverse, le vagabond avoue souffrir parfois d’être sans logis, mais aime bien cette situation. L’album se clôt sur une énigme : le fantôme n’existait pas, mais cela n’était pas un problème… la petite maison l’adorait. N’est-il que le produit de son imagination ? Ce dont elle a besoin pour être heureuse ? Cette fin ouverte ne manque pas d’intérêt, d’autant que les illustrations de la première et dernière page se font écho : c’est la même maison, dans le même cadrage, mais au début en pleine lumière, et à la fin en pleine nuit, sur une page très sombre.

Les illustrations de Piret Raud sont très particulières : illustration au point – chaque image est un amalgame de points serrés au crayon. Elle montre la métamorphose de la maison  à partir de quelques éléments graphiques, des roses qui deviennent roue par exemple. Les couleurs s’assombrissent de plus en plus, pluie et larme envahissent les pages, amplifiant le texte. Une mention particulière pour les représentations du chien et de l’oiseau, délicats entrelacs de courbes.

Un bel album en mi-teinte sur la solitude et la quête de l’autre.

Le Très Grand Petit Poucet

Le Très Grand Petit Poucet
Charles Perrault, Clémentine Sourdais
Helium, 2015

Poucet découpé

Par Anne-Marie Mercier

Clémentine Sourdais avait déjà fréquenté l’œuvre de Perrault, en illustrant pour les éditions hélium  » Le Petit Chaperon rouge « ,  » Le Chat botté  » et  » La Barbe Bleue », sous la forme de mini livres accordéons en papier découpé.

Sa maîtrise de la découpe laser et surtout son ingéniosité pour faire voir différentes choses selon qu’on voit la page découpée côté verso ou côté recto font ici merveille dans un album qui est cette fois de format exceptionnellement grand. A l’italienne, il s’allonge en doubles pages et fait alterner une page de texte  (celui de Perrault) et deux feuilles d’illustration, tantôt une feuille de papier découpé suivie d’une feuille d’illustration, tantôt deux feuilles de papier découpé. Elles jouent l’une sur l’autre en jeu de cache ou de révélation, une face en noir, l’autre en couleurs. Certaines montrent bien l’intérêt dramatique de cette technique, comme celles qui montrent d’abord les filles de l’ogre avec leurs couronnes d’or, au dessus de la représentation des gamins coiffés de casquettes, puis se transforment en image où les couronnes des filles sont remplacées par des casquettes et où l’espace occupé par les garçons est vide. Quand à l’ogre, il file comme le vent avec ses bottes. Tour de passe passe, magie des pleins et des vides, dynamique parfaite du récit, et marmots mignons à croquer !

Le Loup ne viendra pas

Le Loup ne viendra pas
Myriam Ouyessad – Ronan Badel
L’élan vert

Loup, y es-tu ?

Par Michel Driol

Dès la couverture, tout semble dit : un petit lapin terrifié dans son lit et l’ombre du loup. L’expressionnisme allemand relooké aux couleurs pastel. Dans son lit, le petit lapin questionne : « Tu es sure que le loup ne viendra pas ? ». Maman lapin rassure : les chasseurs les ont chassés, ils se cachent dans les bois, très loin,  il se ferait écraser par les voitures en ville, ne pourrait pas prendre l’ascenseur…  A chaque fin de page, le petit lapin relance « Comment tu peux en être sure ? ». Jusqu’au moment où on frappe à la porte, et que le petit lapin se précipite pour ouvrir « C’est surement le loup ! ». Changement de décor : on quitte la chambre à coucher pour découvrir un séjour, avec les restes d’une fête d’anniversaire : gâteau, ballons, cadeaux ouverts.  Et c’est le loup qui arrive, pour fêter l’anniversaire.  La chute est inattendue et désopilante : le loup dégustant sa part de gâteau entre les parents quelque peu interloqués.

L’album prend le contrepied des situations traditionnelles de peur du loup. Le loup est attendu, désiré par le petit lapin, et se montre plus fort que toutes les embuches tendues pour l’empêcher de rejoindre le lapin, le jour de son anniversaire. Le dispositif narratif est simple et efficace : page de gauche, le texte sous forme de dialogue, et la chambre du lapin, où l’on voit la maman ranger les vêtements, couvrir l’enfant, dans une atmosphère de grande quiétude. Page de droite l’extérieur, avec la forêt et les chasseurs, le bois, la ville la rue, l’immeuble, l’ascenseur. Les couleurs pastels, avec leurs dominantes de bleu (comme la robe de la maman) et d’ocre (comme le pelage du loup), unissent les deux univers, l’intérieur et l’extérieur, alors que les dernières pages font appel à plus de rose (le pyjama, le cadeau). L’un des intérêts de l’album est qu’il piège le lecteur qui se méprend, comme la maman, sur les sentiments du petit lapin : là où on voit de la peur et l’inquiétude irrationnelle du soir, on est en fait dans le désir et la confiance dans la force tranquille du loup qui se révèle pacifique. Si les ennemis traditionnels sont réconciliés, sans qu’on sache où et comment le loup et le lapin sont entrés en contact, l’album joue surtout sur les réponses stéréotypées, et montre combien il est parfois difficile pour les parents de comprendre ce que souhaitent réellement leurs enfants.

Un album malin, tendre et drôle qui montre que la compréhension n’est qu’un cas particulier de malentendu.

Rendez-vous à la Tour Eiffel

Rendez-vous à la Tour Eiffel
Elzbieta
Gallimard jeunesse (l’heure des histoires), 2017

Lourd / léger

Par Anne-Marie Mercier

Publié pour la première fois en 1989 par l’école des loisirs, ce petit récit n’a pas pris une ride, et est passé en petit format pour un moindre coût. Bien sûr on y perd un peu par rapport à l’original, la qualité du papier est différente, mais le rendu des couleurs est correct malgré tout, et le charme demeure.

Le clown Gratte-Paillette est invité – ou plutôt convoqué – par sa grand-mère à Paris, à la Tour Eiffel,  » la tour qui a quatre pattes et pas un seul mur ». Aucun problème : Il s’y rend en ballon (l’éléphant du cirque le gonflera pour lui) avec son amie la poule. Ceux qu’il laisse derrière lui sont si malheureux de n’avoir pu monter à bord qu’ils le rejoignent à dos d’éléphant, mais une fois arrivés, nouveau problème : comment faire monter l’éléphant à la Tour Eiffel?

Dans le petit monde d’Elzbieta où le chagrin affleure, il y a toujours une solution et de la légèreté, même pour un éléphant. C’est ainsi qu’on l’aime.

Le Chevalier courage !

Le Chevalier courage !
Delphine Chedru
Hélium, 2010

L’album dont vous êtes le héros

Par Anne-Marie Mercier

 

On connaissait les romans du type « le livre dont vous êtes le héros » voici un album gagné par ce jeu. Celui-ci prouve à quel point ce type d’ouvrages est adapté à ce genre : un chevalier doit accomplir une quête et se trouve devant divers obstacles et surtout des énigmes : il faut trouver  des motifs ou des objets dans les images, trouver des intrus, associer des paires… en même temps on rencontre avec le chevalier des êtres étranges, des lieux mystérieux et beaux…

C’est une belle promenade qui fait passer d’une page à une autre espacée de plusieurs autres, parfois revenir en arrière comme au jeu de l’oie… et c’est une vraie plongée si on le parcourt sérieusement car les énigmes demandent du temps et de l’attention !

Voir sur le site de l’éditeur.

Le pire livre pour apprendre le dessin

Le pire livre pour apprendre le dessin
Antonin Louchard
Seuil Jeunesse 2017

Le Maitre et l’élève

Par Michel Driol

L’album se présente sous forme d’un dialogue entre un professeur qu’on ne voit pas, dont les propos occupent la page de gauche, en caractères gras, et un jeune lapin, page de droite, vu de face. Ce dernier ronchonne, proteste que c’est sa mère qui l’a envoyé à ce cours de dessin, parce que c’est gratuit, râle parce qu’il n’a pas le droit d’avoir un cutter, voudrait dessiner avec un modèle, et réalise évidemment le dessin d’une carotte… sous forme d’un gribouillage bleu. Surprise du professeur qui trouve que ce n’est pas ressemblant et propose alors de lui faire rapidement le dessin d’un lapin très gentil, bien élevé, et qui adore les carottes… Le résultat est surprenant et le professeur explique qu’il n’avait pas de modèle…

Ce face à face entre deux personnages ne manque pas de saveur. D’un côté, la bonne volonté du professeur, de l’autre l’élève qui croit déjà tout savoir, et trouve tout nul… Comme toujours avec Antonin Louchard, les dessins sont à la fois simples et d’une totale expressivité : l’air buté et boudeur du petit lapin se lit sur son visage, ses yeux… Que dire de la trousse ouverte, du matériel de dessin en parfait état… et du petit porte-clef en forme de carotte, bien sûr ! La chute de l’album, avec la pirouette finale du professeur qui a plus d’un tour dans son sac, sera bien sûr comprise à différents niveaux par les enfants, et il sera intéressant de voir comment ils l’interprètent : nullité ou extrême subtilité de l’adulte…

Voilà un album décalé,  plein d’humour, sur le thème de l’apprentissage.

Le drôle de pique-nique d’ours

Le drôle de pique-nique d’ours
John Yeoman, Quentin Blake,
Traduit (anglais) par Catherine Gilbert
Gallimard jeunesse (giboulées, l’heure des histoires), 2017

Leçon de morale fraîche

Par Anne-Marie Mercier

C’est un classique pour les petits Anglais, publié pour la première fois en 1969. Pour les Français, il pourrait le devenir dans cette petite collection bon marché (4,90€). L’histoire est simple, charmante et pleine d’enseignements. Les personnages, l’ours et ses amis le cochon, la poule, l’écureuil et le hérisson sont bien typés, et leur pique-nique sur un radeau, confectionné par Ours, comique.

Les valeurs d’entraide et de tolérance ne sont pas assénées mais inscrites pour ceux qui voudront bien se donner la peine de tirer la morale du récit. Pour les autres (les petits, qui s’identifient moins dans les animaux – voir notre page « espace scientifique »), le charme des dessins du « maître » Quentin Blake esquissant les joies d’une journée dans la nature pleine de péripéties au milieu du chant des grenouilles suffira à leur bonheur.

Objets trouvés

Objets trouvés
Vanoli
La Pastèque, 2017

perdu / trouvé…

Par Anne-Marie Mercier

Au dos de cet ouvrage – comment le définir : recueil de nouvelles graphiques ? – l’illustration montre des objets divers (lunettes, appareil photo, clefs…), ceux que l’on peut s’attendre à trouver dans un bureau des objets trouvés. Mais ici, bien que l’on retrouve à l’intérieur du livre ( tiens ! Pile au milieu…)  la même illustration associée au bureau de la gare de Victoria Station, il s’agit de choses plus graves ou étranges.

En effet, un objet trouvé a d’abord été un objet perdu… enfants perdus, êtres abandonnés, souvenirs enfuis, temps révolus… tout cela fait l’objet d’une rêverie sous la forme d’un récit en images, de une à quatre pages.

La fantaisie n’en est pas exclue, ni le comique ou l’énigme. Au centre de l’ouvrage on trouve le mystère de la disparition du personnage de Saint Jérôme hors du tableau de Patinir du musée de Londres, et partiellement dans des versions du même artiste dans d’autres musées, à Madrid, Paris… on aurait retrouvé Jérôme à la gare de la Victoria Station… c’est lui qui tient le bureau des objets trouvés.

Achète Achète Achète

Achète Achète Achète
David Dumortier, Anastassia Elias
Møtus, 2016

Poésie pour un désirable durable

Par Anne-Marie Mercier

Face à l’injonction de la civilisation consumériste, qui consiste à nous faire vouloir acquérir et accumuler des objets,  David Dumortier propose d’autres désirs, portant sur des « biens » parfois intangibles, mais précieux et uniques, des choses éphémères, provoquant des sensations, des petits bonheurs, des jeux de mots et de pensée : une hésitation, une étoile filante, un petit caillou, un vieux violon… Comme le suggère l’image en couverture du livre, sur l’étagère à confitures, il n’y a pas que des conserves, fussent-elles sucrées.

Les illustrations, crayonnées, aquarelles ou pastels gras, imitent sur la double page le format d’un billet de banque en camaïeux divers, mais les motifs sont tout autres, à hauteur de vie et d’enfance, drôles ou tendres.

Achète, achète
Un avion en papier
Et lance-le
Dans la corbeille des nuages.

[…]

Achète, achète
Un petit morceau
De nulle part
Parce que ta maison
Peut être partout »

et plus encore sur le site de l’éditeur