A la belle étoile

A la belle étoile
Texte Nathalie Tuleff, musique Guillaume Lucas, Illustrations Janna Baibatyrova
Trois petits points 2023

Vive l’eau

Par Michel Driol

Pour la première fois, Rosetta et Lucien partent en vacances, dans le pays voisin, chez Opa et Oma. Au milieu de la nuit, ils entendent du bruit autour de leur tente. C’est Albert Hisson qui leur explique qu’il n’y a plus d’eau dans le ruisseau, et qu’il doit partir. Remontant le lit de la rivière, les deux amis découvrent Corentin le ragondin, qui leur explique que des hommes ont fait « un grand bazar » et que l’eau ne coule plus. Avec l’aide des ragondins, Rosetta et Lucien parviennent à refaire couler la rivière.

Voici un nouveau CD des aventures de Rosetta, un conte écologique dans lequel les enfants et les animaux parlent ensemble et collaborent pour faire revenir l’eau de la rivière, symbole de vie pour tous, une eau que la folie ou la négligence des hommes empêche de couler. Mais, en fait tout commence par l’observation des étoiles depuis le sommet du donjon, la quête des étoiles filantes qui permettront de faire un vœu, situation que l’on retrouve dans le dernier chapitre. C’est une façon d’inscrire le récit aussi bien dans le cosmos tout entier que dans l’imaginaire merveilleux du conte. Le texte est plein d’une poésie simple, celle de la nature, du bonheur et des plaisirs quotidiens. Nathalie Tuleff, qui lui prête sa voix,  en propose une interprétation toute en finesse, modulant les accents au gré des animaux rencontrés, non sans humour. L’accompagnement musical fait la part belle au phrasé tout en souplesse de Brahms et Debussy.  Un signal sonore discret indique le tourne-page, et permet de découvrir les illustrations aux couleurs vives, sans texte, de l’album qui accompagne le CD. Des illustrations qui s’inscrivent elles aussi avec bonheur sous le signe des étoiles.

Une histoire qui s’adresse certes aux plus petits, mais dont la poésie et la sensibilité ne laisseront pas les plus âgés indifférents.

Le projet hakana,

 Le Projet Hakana
Marin Ledun,
Rageot,  2023.

 Un roman d’aventures dans le temps et la réflexion sur la mort des civilisations

 Maryse Vuillermet

On est sur les îles Marquises en 1594, c’est-à-dire avant l’arrivée de l’homme blanc, 12 adolescents, garçons et filles appelés sentinelles, sept   scientifiques et deux légionnaires chargés de leur protection y ont été envoyés à titre expérimental par un programme scientifique de 2175 élaboré par l’Europe. Ce programme est destiné à trouver des endroits où l’homme occidental pourrait vivre puisqu‘il a détruit sa planète.
Mais tout ne s’est pas passé comme prévu, les jeunes sentinelles ont fraternisé avec les jeunes Marquisiens et Rim, la plus brillante et la plus belle, a eu une relation amoureuse avec Moana, un fils de chef, et elle est enceinte.
Et pour cette raison, elle ne peut pas être exfiltrée avec les autres à la fin de l’expérience.
Deux récits avancent en alternance, le récit du docteur Gauthier qui retrace les deux années passées sur l’ile et le récit de la guerre que vont se livrer les forces spéciales chargées de récupérer Rim et son bébé et la population marquisienne qui les protègent.
Rime et Moana fuient sur l’eau…
C’est un roman à la fois politique, écologique et d’aventures, plein de péripéties et de héros qui réussissent à changer leur destin et celui de leur peuple.
On peut dire que c’est aussi un roman féministe car la jeune Rim se bat à armes égales avec son compagnon et avec une intelligence rare
C’est encore un roman poignant et fort sur la destruction des civilisations hier et aujourd’hui.

Comment transformer une banane en vélo

Comment transformer une banane en vélo
Jerry Dougherty – Ravy Puth
Kata 2022

De la valeur et des échanges

Par Michel Driol

D’un côté, il y  a un couple, Michael et sa femme, vivant refermés sur eux-mêmes. De l’autre, il y a une bande d’enfants. Un jour, les enfants demandent une banane à Michael qui, tout en rechignant, la leur donne. Et quelle n’est pas leur surprise de voir les enfants revenir avec un tandem magnifique, dont ils affirment qu’il n’est autre que la banane. En effet, ils l’ont proposée au glacier qui en avait besoin contre un cornet de glace, proposé le cornet de glace au jardiner assoiffé contre une tondeuse à gazon hors d’état de marche, que la mécanicienne du dépotoir leur a échangée contre le vélo…

Voilà un album qui propose une petite leçon d’écologie et d’économie. La valeur des choses est fonction de nos besoins, et le troc une façon d’échanger des biens qui reçoivent ainsi une valeur ajoutée non négligeable. On passe ainsi d’une banane à un vélo, en échangeant, en recyclant dans son entourage. Il y a là de quoi s’interroger sur la notion de valeur, de propriété,  sur tout un système économique. La banane ne vaut un vélo que parce qu’elle a été échangée, ce qu’auraient été incapables de faire ses premiers propriétaires, présentés avec pittoresque comme « le vieux et grincheux monsieur Michael et son-épouse-pas-si-grincheuse-que-ça ». Elle ne prend de la valeur que parce qu’elle sort du domicile, que parce que ses premiers propriétaires acceptent de la donner, que parce que les enfants la font entrer dans un circuit économique. Chaque objet ne vaut qu’autant qu’il répond à un besoin particulier, et vaut moins que l’objet que l’on donne en échange. Cette leçon prend l’aspect d’une petite fable, bien écrite, avec des formules récurrentes, comme dans les histoires en randonnée. En quelques mots, les personnages et les situations sont posés, souvent dans des dialogues pleins d’expressivité. Les illustrations montrent des enfants très différents, souriants, dans un univers coloré et plein d’harmonie.

Une fable économique et écologique qui évoque avec humour la protection de l’environnement, la camaraderie, la débrouillardise et le partage, car les enfants, par honnêteté, rendent le vélo au propriétaire de la banane.

La Forêt, l’ours et l’épée

La Forêt, l’ours et l’épée
Davide Calì, Regina Lukk-Toompere
Traduit (italien) par Roger Salomon
Rue du monde, 2022

Qui a vécu par l’épée, survivra par la bêche (fable écologique)

Par Anne-Marie Mercier

Un ours très fier de son épée (on songe aux ours en armure de Philip Pullman) s’en sert à tort et à travers. Un jour il coupe même une forêt. Peu après, l’eau inonde son habitation. Il part pour couper en deux celui qui est responsable de cette catastrophe, mais qui est-ce ?
Sont-ce les gardiens du barrage ? le sanglier qui a attaqué les gardiens ? Le renard qui a blessé le sanglier ? les oiseaux qui ont provoqué la maladresse du renard ? Ou bien serait-ce l’ours, qui a détruit la forêt des oiseaux ?
À la manière d’Œdipe, cherchant un coupable qui n’est autre que lui-même, l’ours comprend tardivement son erreur. Mais heureusement (on n’est pas dans une tragédie) tout est réparable : il protègera les autres animaux et, en replantant des arbres, il rendra aux oiseaux leur forêt, à la condition qu’ils soient un peu patients. La morale de la fable n’est pas difficile à saisir et on est ici dans un plaidoyer pour la protection de la nature facile à comprendre. Le lecteur peut en déduire (sans que cela soit dit explicitement) que détruire ce milieu revient à détruire sa propre maison.
Couleurs éclatantes sur fond blanc, bruns profonds, aquarelles légères, des images belles et expressives accompagnent cette fable bien rythmée. Les animaux sont un peu humanisés par quelques vêtements, mais pas trop ; ils sont présentés en pleine action ou dans des postures bien choisies et l’ours est très expressif. Ici l’écologie n’est pas une triste leçon.

 

Mille arbres

Mille arbres
Caroline Lamarche Illustrations d’Aurélia Deschamps
CotCotCot éditions 2022

Zone à Défendre

Par Michel Driol

On projette de construire une autoroute qui coupera la vallée en deux, juste aux pieds d’une forêt plus que centaine, plantée là par des moines, et depuis soigneusement entretenue, en particulier par les grands parents du narrateur. L’autoroute doit passer juste au bord du jardin de sa grand-mère, au pied d’un tilleul centenaire dans lequel est mort son grand père. Le projet, porté par un ingénieur, soutenu par les politiques, est vivement combattu par les riverains, dont le père de Diane, l’amie du narrateur. Après courriers, réunions publiques, distribution de tracts, les deux enfants s’installent dans une cabane construite sur l’arbre, leur zone à défendre.

Issu d’une pièce radiophonique que Caroline Lamarche avait écrite pour France Culture, ce roman aborde bien des thèmes qui font, hélas, notre actualité, autour de personnages bien marqués. Il y a le narrateur, François, un brin rêveur, qui découvrira son histoire familiale. Il y a Diane, sportive, engagée, libre et pleine d’allant. Il y a aussi l’ingénieur, qui répond paradoxalement au nom de Prévert, archétype des technocrates qui pensent agir pour améliorer les conditions de vie. Autour de ces trois personnages phares tournent une galerie de personnages secondaires, tous habitant le même village, se connaissant bien, se fréquentant le dimanche matin à la messe. Ce que le roman montre, c’est l’opposition entre deux mondes qui se côtoient, mais sont loin de partager les mêmes valeurs. D’un côté, les politiques, qui sont en fait complètement sous l’influence des technocrates, des « ingénieurs », qui leur dictent leurs projets, pensant aller dans le sens du progrès (plus de voitures, donc plus de déplacements, donc des autoroutes…) et qui y voient quelque part une reprise d’activité pour leur communes. De l’autre, les riverains, attachés à une tradition séculaire de vie en symbiose avec la nature, symbolisée ici par cette forêt dont on prend soin. Pour eux, ce projet est un immense gâchis écologiste. Le roman a l’intérêt d’aborder cette question de la lutte contre des projets écocides dans une langue  proche de l’oralité, tant dans la syntaxe que dans le lexique. On y entend réellement parler François, le narrateur, et cela le rend proche du lecteur. Ensuite il l’aborde avec des symboles forts : d’un côté celui de ce tilleul magnifique, un arbre-bateau (et on songe à ce beau symbole de l’arbre, de l’arbre maison dans toute la littérature pour la jeunesse), de l’autre les mots de l’ingénieur Prévert qui parle de recoudre la vallée que l’autoroute aura décousue. Mais tout peut-il être recousu ? Il s’inscrit enfin dans une tradition propre au roman pour la jeunesse, proche de Robinson ou du Baron perché… Les illustrations d’Aurélia Deschamps, pratiquement bicolores oranger et bleu, apportent une respiration plutôt poétique à ce texte, respiration qui devient apocalyptique sur la seule double page centrale qui montre l’autoroute coupant la vallée, métaphoriquement coupant le livre… Une postface documentaire, bien documentée, pleine de clarté et de pertinence, met en perspective cette histoire, la cabane dans l’arbre de François et Diane, avec le combat des Zadistes, du Larzac à Notre Dame des Landes.

Un livre engagé dans la défense de l’environnement, pour montrer aux jeunes générations la valeur et le sens de la lutte, et leur rappeler que Demain se fera avec elles.

L’Envol de Miette

LEnvol de Miette
Anne Cortey – Herbera
A pas de loups, 2022

Heureux qui, comme Ulysse…

Par Michel Driol

Toute petite et légère, Miette s’envole dès que le vent se lève. Heureusement, une cigogne l’a ramenée dans le jardin qu’elle cultive avec son petit frère. Normalement, dès que le vent se lève, le petit frère attache Miette par une solide corde au gros platane. Jusqu’au jour où un coup de vent subit emporte Miette, alors que la cigogne est partie dans le sud… Miette est sauvée par un garçon qui fait le tour du monde à bord d’une montgolfière, et qui veut l’emmener avec lui. Mais finalement, Miette le décide à venir avec elle dans son jardin…

Miette… voilà un prénom prédestiné, une sorte de Petit Poucet au féminin pour une héroïne de conte merveilleux, philosophique ou initiatique en trois temps. A l’origine, une espèce d’Eden, de jardin paradisiaque dont s’occupent deux enfants jardiniers, un jardin nourricier dont les seuls ennemis sont les limaces. Vert paradis des amours fraternelles enfantines que rien ne vient perturber, pas même le grand vent, pays magique où les cigognes n’apportent pas que les nouveaux nés, mais rapportent les enfants perdus dans le ciel chez eux. Puis vient la catastrophe, non pas la chute, mais l’envol, ce voyage au loin, loin du petit frère à protéger, loin du jardin à cultiver. Miette ne peut que s’abandonner au vent, au destin, et accepter cet exil aérien. Vient enfin le sauvetage, par celui qui est l’exact contraire de Miette et de son frère. Eux sont des sédentaires, des cultivateurs, les pieds dans la terre. Lui est un nomade, tenté par le voyage, le plus grand, celui autour du monde. Du nomade ou du sédentaire, qui va l’emporter ? Du désir de voyager ou de rentrer à la maison, quel sera le plus fort ? Pas de longue argumentation entre les deux passagers, mais un simple regard, et l’empathie envers la tristesse de Miette détournent le voyageur de son voyage. C’est sans doute là l’un des attraits de ce roman : esquisser une histoire d’amour, ou à tout le moins de désir de connaitre une autre vie, un autre coin du monde. L’étranger apporte avec lui l’exotisme de sa cuisine : une potée milanaise, faite comme il se doit avec un chou – un chou rond comme la terre dont il voulait faire le tour… et l’étranger, juste nommé par « le garçon » découvre qu’ « un jardin peut être aussi beau qu’un continent ».

On laissera chacun interpréter comme il le souhaite les multiples symboles qui traversent cet album. Le jardin terre, microcosme sans cesse à découvrir. Le voyage, vécu à la fois comme un déracinement et un désir fort de tout voir. L’irruption de l’étranger dans la fratrie qui apporte du nouveau : quelque part  l’exogamie confrontée à l’endogamie. Tout cela raconté dans une langue qui sait ne pas trop en dire, souligner des regards, des sentiments, sans s’appesantir sur eux, pour laisser le lecteur et l’illustration faire leur part du travail d’interprétation.  Avec leurs couleurs vives pour la nature, et l’encre de chine pour les personnages, les illustrations dessinent un univers familier, enfantin, utopique peut-être…

Un conte poétique pour dire la valeur du voyage immobile et contemplatif. Comme la réécriture d’un Voltaire qui serait moins enclin au travail qu’au plaisir. Oui, il faut contempler et explorer  notre jardin.

De pire en pire

De pire en pire
L’Atelier du Trio : Cathy Ytak, Thomas Scotto, Gilles Abier – Illustrations de Claire Czajkowski
Editions du pourquoi pas ? 2022

Comme une réécriture du petit Poucet

Ils sont trois enfants dans la famille, Cami, l’ainée, 11 ans, Gibus 10 ans et Tosh, 7 ans. Tout va bien dans leur vie, faite de bonheurs et de bêtises, parfois bien grosses, jusqu’au jour où ils entendent leurs parents dire « On en a 3 sur le dos, il faut en liquider un. Et on ne tarde pas ». Après une explication sémantique du terme liquider, qui n’a rien à voir avec l’eau, les 3 enfants discutent pour savoir lequel sacrifier… Argumentation serrée ! Jusqu’à l’explication finale avec les parents et le happy end inattendu !

Cet album se présente comme une pièce illustrée à trois personnages, dans une écriture théâtrale très contemporaine qui mêle le dialogue entre les protagonistes et le récit par l’un ou l’autre d’événements hors champ. Huit tableaux pour raconter cette histoire reposant sur un quiproquo, qui n’en est un que pour les enfants, pas pour les lecteurs, qui ont bien compris ce dont parlent les parents. « On vit à crédit. On en a 3 sur le dos. Il faut en liquider un ».  Les lecteurs adultes, à tout le moins ! Il sera intéressant de voir la réception de ces quelques phrases par les enfants… L’action se situe donc dans une famille « ordinaire », plutôt aimante, avec trois enfants complices, enjoués, qui ont leur heure de gloire ou de détresse absolue lorsque les deux ainés racontent dans des tableaux monologues  leur dernière grosse bêtise (on laissera au lecteur le plaisir de les découvrir) : des bêtises qui risquent bien de leur couter la vie !  C’est que le mécanisme est celui de ces émissions de téléréalité où il s’agit d’éliminer quelqu’un. Après les bêtises qui pourraient être cause de « liquidation », on en vient à envisager ce que chacun apporte. à la famille, et ce qu’il lui coute aussi : et on passe en revue les achats de vêtements (aux vrais trous), d’ordinateurs hyper puissants, car le problème est bien économique, celui de la consommation à tout prix. Chacun fait la liste de ses atouts, c’est à dire de ce qu’il permet à la famille d’économiser par le fait de se nourrir de moins de viande et de plus de fruits, d’aller au collège en vélo ou de se promener en forêt au lieu d’aller s’inscrire dans un club de sport, ou même de manger jusqu’aux pépins de pommes !  Les enfants ont compris que la famille dépense trop, utilise trop de ressources, à l’image des terriens qui, le rappelle Gibus, ont déjà dépensé le 29 juillet tout ce que la Terre peut produire en une année. Avec beaucoup d’humour, on voit ici comment les trois auteurs instillent dans leur texte, l’air de rien, comme sans y toucher, une série de petits gestes pour sauver la planète ou faire des économies, pour concilier fin du mois et fin du monde. Et c’est bien ce qui fait la qualité littéraire de ce texte : tout en évoquant les changements possibles à l’échelle familiale des modes de consommation, il met au premier plan le désarroi de ces gamins, leur naïveté et leur bonne volonté, leur conscience économique et écologique, et surtout leur volonté farouche et irrésistible de ne laisser sacrifier aucun des trois et de s’entraider ! On comprend leur plaisir final lorsque la mère, parlant de voiture, dit qu’elle va se débarrasser de la sienne, et leur consternation lorsqu’elle annonce que c’est « pour en acheter une plus grosse ». Autre source de quiproquo potentiel vite élucidé !

Si, bien sûr, on souhaite qu’il soit monté sur un plateau, on prend néanmoins un grand plaisir à lire cet album dialogué plein de vie et d’émotion. Les illustrations de Claire Czajkowski y contribuent, qui, dans des teintes bleutées, donnent à voir les grands moments de l’histoire, de petits détails pleins de sens (les pantalons troués par de « vrais » trous par exemple) et surtout les bouilles impayables de ces trois enfants de plus en plus terrifiés, persuadés que tout va aller de pire en pire pour eux, et que leur dernière heure est arrivée.

Un texte vivant, drôle, autour de trois personnages sympathiques et bien dessinés dans leurs complémentarités et leurs complicités, qui sait évoquer des changements à faire dans nos modes de vie sans être moralisateur ou anxiogène, mais en étant tonique !

Sable bleu

Sable bleu
Yves Grevet
Syros, 2021

Anticipation ?

Par Anne-Marie Mercier

Depuis la trilogie très réussie de Méto, Yves Grevet fait partie de ceux dont on attend beaucoup dans le domaine relativement peu fréquenté de la science-fiction pour la jeunesse. La série de Nox lui avait permis, à travers des points de vue alternés, de mettre en scène non pas des garçons comme dans Méto, mais un garçon et une fille. Ici, c’est le point de vue d’un personnage féminin qui conduit l’histoire, personnage particulièrement éveillé et actif, contrairement au héros de Méto.
Tess a été adoptée. Elle vit avec des parents aimants mais qui ont du mal à communiquer avec elle et sont un peu perdus face à ses choix. Elle ignore ses origines et n’a jamais cherché à les connaitre. Elle en fera la découverte, difficile et douloureuse.
Adolescente, encore au lycée, elle s’interroge sur l’amour. L’un des fils conducteurs de la première partie du roman est sa découverte de la passion et du plaisir avec une autre fille, une étudiante un peu plus âgée qu’elle.
Tess fait partie d’un mouvement de militants pour la protection de la planète qui tente par tous les moyens d’alerter la population et de forcer les politiques à changer de méthode : manifestations, sabotages, affrontements, toutes les manières de faire sont abordées et le roman est une belle description de l’action de ces groupes. Le premier chapitre nous plonge dans une énigme : des vols sont commis chez elle, ses parents la soupçonnent un temps, mais ces vols sont répétés dans d’autres lieux, partout en France et dans le monde et semblent porter la marque d’une action d’un groupe militant pour une vie plus saine : des médicaments, des produits alimentaires industriels douteux, des substances toxiques disparaissent tandis que le pétrole est devenu inutilisable, contraignant les humains à une sobriété nouvelle.
Tandis que les autorités traquent les mouvement écologistes soupçonnés de ces actes, l’héroïne perçoit la présence de forces invisibles, et seuls quelques jeunes gens dans le monde ont ce pouvoir… Une policière qui croit comme elle en l’action d’extraterrestres tente d’agir tout en la protégeant. Parallèlement, des milliers de jeunes gens disparaissent un même jour de juillet, et parmi eux l’amour de Tess…
Ainsi, de multiples fils se nouent dans un roman ambitieux qui brasse beaucoup de questions, sans doute trop. Celle de l’orientation sexuelle est un des éléments qui apparaissent un peu plaqués sur les autres intrigues, d’autant plus que la tentative de Grevet pour rendre compte du plaisir féminin et relater les moments d’intimité entre les deux filles est marquée par l’utilisation d’un langage qui peut sembler souvent hétéronormé. Mais ses extraterrestres sont originaux ; l’avenir radieux qu’ils annoncent est une autre originalité et l’on va de surprise en surprise, notamment avec ce sable bleu, témoin de l’origine de Tess, qui pose encore d’autres questions…

 

 

Nox, t. 1 : Ici-bas et Aerkaos, le retour

Ma musique de nuit / La danse des signes et Uni vert / Remous

Uni vert / Remous
Stéphanie Richard, David Allart

Ma musique de nuit / La danse des signes
Marie Colot, Pauline Morel
Éditions du Pourquoi pas, 2020

Par Anne-Marie Mercier

Dans cette collection, « faire société », deux récits sont réunis, tête bêche, dans un même volume et se répondent. Dans Uni vert et Remous, on imagine un monde changé : il devient vert, totalement vert et les couleurs autres ont disparu, en dehors de la mémoire et de l’imagination des hommes : que va-t-il advenir ? Ou bien il devient mou et seuls certains arbres restent solides : c’est là qu’on doit se réfugier.

Dans Ma musique de nuit et La danse des signes ce n’est pas le monde qui est changé, mais la perception du personnage : l’une est aveugle, et veut jouer de la musique ; une autre est sourde et voudrait danser en rythme avec son ami : comment faire ? Tout est possible, avec la passion et l’amitié. C’est un beau message et un ebelle ouverture.

Les quatre récits s’achèvent avec une page de questions, questions au lecteur, sur son interprétation du texte, question à l’humain, sur ce que cela lui dit de la vie, question au citoyen sur un engagement possible, le sien ou celui des autres, qui serait peut-être déjà là : Pourquoi pas ?

Des voix pour la Terre

Des voix pour la Terre
Collectif

Bruno Doucey, « Poés’idéal », 2021

 

Des slogans pour la Terre

Par Matthieu Freyheit

Si l’écologie contemporaine en appelle à l’urgence et à la crise, la nature, elle, enseigne le temps long, comme le fait le travail : « Il nous a fallu un an de travail pour rassembler les textes de ce livre et en préparer l’édition », précise l’éditeur en fin d’ouvrage. Nul doute qu’il fallut du temps, de la patience et de la volonté pour rassembler les plus de 40 textes et 40 auteurs de ce collectif présenté comme une anthologie poético-combattive au service du défi climatique et environnemental. Ce rassemblement n’est cependant guère inattendu, dans un contexte marqué par l’alignement de voix faisant front face à ce qui relèverait d’un déni écologique (l’éditeur ne s’empêche pas, à ce titre, de mentionner Donald Trump).
De fait, l’heure est aux vertes lectures et aux littératures « éco-éthiques » qui, conscientes d’être dans le camp du Bien, réinvestissent volontiers la portée édificatrice de la littérature de jeunesse – une portée facilement jugée ringarde en d’autres circonstances, et sur d’autres sujets. Le numéro 172 (décembre 2019) de la revue Lecture Jeune posait d’ailleurs très directement la question : « Peut-on prescrire l’indignation écologique ? »
Fidèle aux lignes d’une collection militante (la quatrième de couverture choisit plutôt de parler d’une « collection engagée), Des voix pour la Terre revendique un héritage poétique tourné vers l’ancrage à la fois dans le réel et dans le collectif : le « je » ne cesse d’y rencontrer le « nous », le « nous » ne cesse de s’y élargir au profit d’un réseau de voix animales, végétales, élémentales, humaines (« Je suis un paysage et je m’adresse à toi. / Moi, je veux croire encore / en l’amitié des hommes et des paysages », Carl Norac).
Ce réseau n’est cependant pas harmonique, et l’apparente communion initiale (« J’ai les poumons comme deux banquises ») produit inlassablement des effets d’étouffement, d’écrasement, d’urgence (« J’ouvre la bouche / Crache une bouée », Florentine Rey). La poésie interroge alors les possibilités d’un langage évidé de nature : « Il pleuvait comme vache qui pisse / mais il n’y avait plus de vaches. / Il faisait un temps de chien, un temps de cochon / mais il n’y avait plus de chien ni de cochon » (Jean L’Anselme). Y a-t-il une poésie après la nature ?
Il n’y en a en tout cas pas nécessairement lorsqu’il s’agit de prendre sa défense. Le collectif fait ainsi la part belle aux slogans : ceux qui, à plusieurs reprises, ouvrent les parties de ce recueil. Ceux qui, également, nourrissent les textes eux-mêmes : formules convenues, stéréotypées, parfois naïves. En bien des endroits, la langue ressemble à celle d’une super-production hollywoodienne (pensons à Avatar, de James Cameron).
Cette tendance est renforcée par un appareil didactique édificateur : engagement, humanisme, partage, fraternité et autres vertus sont repris à l’envi dans les notices biographiques des auteurs, produisant un effet pour le moins hagiographique.
L’ensemble comprend également de fort beaux passages (« J’ai construit cette maison un jour / parce que je voulais la / saison la plus froide, où tu puisses être / toute proportion gardée, un / substitut de soleil ») dont on regrette seulement qu’ils ne soient pas plus nombreux dans un collectif qui fait le choix du discours plutôt que de la poésie.
L’ouvrage n’en demeure pas moins une proposition ambitieuse et travaillée qui offre aux jeunes lecteurs de nombreuse pistes, qui n’hésite pas à ouvrir et croiser les imaginaires, et à affirmer une vue essentielle qui caractérise, depuis longtemps, le travail des éditions Bruno Doucey : la certitude que la poésie à tout à voir avec le réel et avec l’immédiat.