L’Erreur de Pascal

L’Erreur de Pascal
Florence Seyvos

Illustré par Michel Gay
L’école des loisirs (mouche), 2011

Doisnel enfant

Par Anne-Marie Mercier

L’Erreur de Pascal.gif« Ma mère est morte ». L’excuse inventée par Antoine Doisnel dans Les Quatre cent coups est utilisée par un jeune garçon qui cherche à échapper à tout ce qui le contraint. Mais Pascal ne s’arrête pas à ce premier mensonge et s’empêtre dans de nombreux autres, finissant par ne plus savoir comment échapper à l’embrouillamini qu’il a créé, sinon par la fuite, l’envie de disparaître.

On peut craindre le pire, mais Florence Seyvos esquive et ce récit s’achève tout tranquillement sur une leçon claire : il suffit de dire la vérité, toute la vérité (du moins sur le plan des faits) pour que tout s’arrange… C’est une belle exploration d’un point de vue d’enfant buté qui s’évade loin des problèmes en inventant ou en regardant ailleurs. Et c’est fort bien écrit, avec des gros plans sur des moments, des mets, des odeurs.

Premier chagrin

Premier chagrin
Eva Kavian

Mijade (zone J), 2001

leçon de mort, leçon de vie

par Anne-Marie Mercier

Eva Kavian  Mijade (zone J), grand-mère, accident,cancer, famille,mort,grandir,collègeAnne-Marie MercierLes concepteurs de la couverture ont choisi d’expliciter le titre, qui sans cela évoquerait les laborieuses « compositions françaises » comme celle sur le « premier chagrin » évoquée par Nathalie Sarraute dans Enfance. Sur cette couverture dont la couleur vive semble contredire le titre, l’image d’une annonce demandant une  « jeune fille pour baby-sitting » indique bien le début de l’intrigue. Le début seulement, car ce roman ne cesse de bifurquer et, de mystère en mystère, de nous surprendre.

Il y a trois ou quatre histoires entrelacées, et pourtant une seule. La jeune Sophie, 14 ans, vivant seule avec sa mère, bonne élève mais mécontente de sa vie en général et du collège en particulier, cherche à se faire un peu d’argent, à grandir. Elle est embauchée par une vieille dame, surnommée Mouche. Gravement malade, Mouche lui dit que ses petits-enfants vont venir pour être avec elle dans les derniers mois qui lui restent à vivre.

Les petits-enfants ne viennent pas. À leur place, des amis, nombreux, affectueux, touchants. Sophie aide Mouche à ranger sa maison, puis à préparer sa mort. Rien de morbide, tant Mouche à de goût pour la vie dans tous ses aspects. Sophie apprend avec elle la gaieté, l’insouciance, le pardon, la gravité. Elle découvre que la gaieté de Mouche masque une blessure terrible et explique pourquoi les petits-enfants ne viendront peut-être jamais.

Sophie grandit. Ses relations s’approfondissent, elle prend des initiatives, pose les questions qu’elle n’a jamais osé poser. D’adolescente morose, elle devient vivante et crée de la vie autour d’elle. Qu’on ne se méprenne pas : pas de miracle, mais la mort de Mouche est une belle leçon de vie et un moment presque heureux. Malgré une écriture assez plate, qui se présente comme la voix de Sophie racontant son histoire, c’est un beau livre, plein de petites trouvailles, de moments drôles, vrai, touchant et surprenant.

Des crêpes à l’eau

Des crêpes à l’eau
Sandrine Beau, illustré par Sandrine Kao

Grasset jeunesse (lampe de poche), 2011

Dure réalité et tendresse

par Sophie Genin

9782246780663.gif Un livre tendre sur une vérité difficile à comprendre et à verbaliser pour Solène, petite fille de 7 ans : la galère financière de sa maman. La tendresse de ce court roman est accentuée par les illustrations douces et pudiques, aux crayons de couleurs semble-t-il, de Sandrine Kao. La résolution du problème est un peu rapide, certes, comme dans tous les textes narratifs de première lecture mais c’est le seul point noir de ce récit rythmé, aux titres accrocheurs mais pas racoleurs et surtout aux personnages attachants : Sara, la maman très originale que l’on rêve d’avoir, battante et inventive, Zoé, la meilleure amie, avec laquelle la jeune narratrice partage chaque semaine une pause « cacahouète qui frétille », et son père, Basile, musicien noir qui va « sauver » Solène et sa maman. Rien n’est jamais trop stéréotypé ni facile dans cette histoire qui raisonne longtemps dans l’esprit du lecteur. Une beau récit à proposer aux jeunes lecteurs qui sont mis, certes, face à une réalité douloureuse mais grâce à un texte littéraire de qualité.

Mongol

Mongol
Karin Serres

l’Ecole des Loisirs (Théâtre), 2011

Transformation réussie

par Sophie Genin

différence ; école    « Cette histoire a d’abord existé sous forme d’un roman (…). Je l’ai entièrement réécrite pour le théâtre à l’invitation de Pascale Daniel-Lacombe, du Théâtre du Rivage, qui l’a créée à l’Atrium de Dax le 24 mars 2011 » (Karin Serres). Nous pouvons remercier la metteur en scène car, si je n’ai pas lu Mongol sous forme de roman (édité en 2003), la pièce a tout des qualités de ce qui fait un texte marquant.

En effet, l’idée de départ, un quiproquo du héros, Ludovic, traité de « mongol » par Fabrice, caïd de sa classe, permet à l’auteur de nous emmener en voyage sur les traces des véritables Mongols, en particulier de celles de Gengis Khan. Jamais la visée de cette pièce n’est didactique ou moralisatrice car le jeune garçon trouve un sens à son existence dans la découverte de la langue et des traditions d’un peuple souvent méconnu. En refermant l’ouvrage, une seule envie : continuer à en découvrir plus !

On retrouve dans cette pièce au rythme rapide et dense, suivant celui de Ludovic au sein de sa famille et à l’école, par épisodes, la qualité d’une pièce pour plus jeunes : Le Petit Bonhomme vert (et le rouge!), publié aux éditions du Bonhomme Vert en 2008. En effet, l’adresse aux enfants est juste, sans non-dits, directe mais attentive. On peut alors suivre Karin Serres où bon il lui semblera de nous conduire. On se laisse emporter, suivant Ludovic, pas si « différent » que ça.

Câlin express

Câlin Express
Emile Jadoul

Ecole des Loisirs (Pastel), 2011

Marre des parents pressés !

par Sophie Genin

9782211203036.gifEmile Jadoul précise au début de cet album qu’il a été créé d’après une idée de son fils Edouard et on veut bien le croire tant les enfants et les parents (les papas, certes, mais aussi les mamans !) se retrouvent dans les personnages et les situations proposés. Comme dans le cas de toutes les réussites littéraires, il suffit de peu et si on résumait l’histoire qui nous est contée, cela pourrait donner : un papa toujours pressé ne prend jamais le temps de câliner son fils jusqu’au jour où ce dernier lui impose ce tendre moment.

Mais en écrivant cela, nous ne dirions rien de l’humour du texte (la notion de « PGV : papa à grande vitesse ») et de l’illustration (que dire du papa, cravate autour du cou, attaché case au sol et téléphone portable vissé à l’oreille mais en position pour un sprint, ou de ce même personnage, attachant, parlant dans l’appareil, faisant cuire des oeufs au plat et réussissant tout de même, du bout du museau, à embrasser son enfant?). Les personnages et les situations ne sont jamais caricaturaux car puisés dans la vie quotidienne mais transcendés par la Littérature telle qu’Emile Jadoul peut nous la proposer.

Merci à Edouard qui a sûrement inspiré une page qui fait à la fois penser à Grosse Colère de Mireille d’Allancé (double page rouge sang badigeonné en fond et enfant qui boude au premier plan) et au schtroumpf grognon (« moi, j’aime pas les câlins express. ») !

La Pêche à la lune

La Pêche à la lune
Claude K. Dubois

Ecole des loisirs (Pastel), 2011

Une transmission poétique

par Sophie Genin

Claude K. Dubois, famille, grand-père, Sophie GeninMomo passe une mauvaise journée, mais alors vraiment mauvaise : il renverse son bol de chocolat, ses copains sont partis sans lui et son doudou est dans la machine à laver ! Heureusement, son papy arrive et l’emmène avec lui à la pêche à… la lune !

L’univers de Claude K. Dubois, auteur qui offre un regard poétique sur le quotidien, fonctionne à merveille dans ce petit album tout simple, nostalgique de belles relations inter-générationnelles riches. Il nous emmène avec lui, tout doucement mais sûrement, pour décrocher la lune ! La dédicace, « à mon père », finit de nous convaincre, s’il en était besoin, que cet ouvrage en forme d’hommage nous concerne tous, petits et grands.

Le Jour où j’ai abandonné mes parents

Le Jour où j’ai abandonné mes parents
Agnès de Lestrade
Rouergue (DACODAC), 2011

Tout le monde n’a pas eu la chance d’avoir des parents communistes… et catholiques !

 par Sophie Genin

9782812602221.gifLa collection « Dacodac », petite soeur de « Doado » au Rouergue, se voit dotée d’un nouveau roman réaliste dans lequel Karla-Madeleine (en hommage à Karl Marx, du côté de son père, et en référence à la religion catholique de sa mère) part pour la première fois en vacances avec ses parents, très très différents l’un de l’autre, pour ne pas dire à l’opposé. Il faudra à la jeune fille rencontrer, par hasard et pour la première fois, sa tante et sa cousine ainsi que fuguer, l’espace de quelques minutes, pour connaître enfin les raisons de la rencontre complètement improbable de ses géniteurs : son père, « du chocolat fondu sur un chamallow », à l’intérieur, et sa mère, qui sait « qu’on ne se ballade pas en sandalettes sur un volcan en éruption » (le volcan en question étant son mari tentant vainement de ranger une tente « pop-up » !).
Le ton adopté par Agnès de Lestrade est juste et l’histoire fait mouche : la narratrice est touchante et pourrait faire penser à Josiane Balasko enfant dans Tout le monde n’a pas eu la chance d’avoir des parents communistes, sachant que c’est encore plus délicat dans cette famille puisqu’il faut concilier les deux fois incompatibles de ses parents !
Des perles qui permettent de s’initier à l’art délicat de la politique à partir de 9 ans ponctuent le texte :
« Je savais bien que beaucoup de gens sur cette Terre portent des sacs de chagrin bien plus lourds que les miens. Quand on grandit avec un communiste et une catholique pratiquante, si on ne sait pas au moins ça, on est la championne des tartes. Mais j’avais treize ans et les chagrins de la Terre, je les avais tétés avec le sein de ma mère. J’avais droit à l’insouciance. Oui, l’insouciance. J’allais créer un syndicat de l’insouciance. » (p. 26)