La Peinture de Yulu

La Peinture de Yulu
Cao Wenxuan – Suzy Lee
Rue du monde 2022

Ode à la persévérance

Par Michel Driol

Yulu sera artiste-peintre, ainsi l’ont décidé ses parents. Jusqu’à 8 ans, c’est son père qui lui enseigne la peinture, puis ce sont les plus grands artistes. Lorsque le moment est venu de faire peindre à Yulu son premier autoportrait, on va acheter la toile de lin la plus parfaite, celle qui était promise à un très grand peintre décédé la veille. Yulu réalise son autoportrait, mais, le lendemain matin, le tableau est devenu informe. Et ce phénomène se reproduit 7 fois de suite, au point que la mère de Yulu se débarrasse de cette toile. Yulu la récupère et peint une nouvelle fois son autoportrait, jette sur lui un tissu, et l’oublie. « Mais un jour, enfin, le soleil du matin vient inonder la toile. On y voit une petite fille lumineuse qui, paisiblement, sourit. »

Peu connu en France, Cao Wenxuan est un auteur chinois pour la jeunesse renommé, lauréat du Prix Hans Christian Andersen en 2016, prix reçu en 2022 par Suzy Lee, illustratrice coréenne un peu plus connue en France. Rue du Monde a réuni ces deux excellents auteurs et c’est Alain Serres lui-même qui a traduit et adapté le texte. Et le résultat est de toute beauté.  Des illustrations pleine page, qui s’ouvrent petit à petit à la couleur. C’est le huis-clos d’un appartement, envahi de tissus et de tableaux encadrés, huis-clos enfermant, dont on ne sort que deux fois, lorsqu’on va acheter la toile, et lorsque Yulu va la chercher dans les buissons, dans des scènes nocturnes très expressionnistes par l’éclairage et l’atmosphère. Ces illustrations, par le choix des couleurs et du cadrage, offrent un point de vue sur l’évolution de Yulu. Le texte avec poésie reprend un motif fantastique, celui de la toile ou du portrait maudit. Tout se passe ici comme si la toile voulait se venger de ne pas avoir été servie à un célèbre peintre, mais à une fillette inconnue. Toile qui met à rude épreuve la persévérance de la fillette qui, huit fois sur le métier, remettra son ouvrage. Pas de découragement, mais une volonté farouche de vaincre la matière de la toile, cet espèce de mauvais génie qui contrarie les projets que l’on a pour Yulu. Car, au fond, qui est Yulu ? Une fillette sur laquelle son père projette ses rêves, comme c’est malheureusement souvent le cas dans certaines familles. Lui qui se voulait artiste est devenu marchand de tissus… Yulu doit se couler dans le moule, dans ce que ses parents ont décidé pour elle. Mais que veut-elle vraiment ? Qui est-elle vraiment ? Docilement, elle obéit, prend des leçons, fait l’admiration de tous, jusqu’au moment où l’improbable fantastique se produit, et où Yulu devra lutter à la fois contre la mauvaise volonté de la toile, mais aussi contre la décision de sa mère de jeter la toile maudite. Réussir à peindre le tableau, c’est bien pour Yulu une façon de s’inscrire dans un chemin tracé pour elle, mais le recouvrir et l’oublier, c’est une façon de sortir de ce chemin, non pas comme un renoncement, mais plutôt comme une façon de dire qu’on a fait sa part. On laissera bien sûr chaque lecteur libre d’interpréter la belle fin, cette figure de la petite fille lumineuse, apaisée après les tourments qu’elle a traversés, et qui sourit à la vie. Suivra-t-elle le chemin tracé pour elle ? En suivra-t-elle un autre ? Ne faut-il pas laisser du temps au temps pour grandir, à son rythme, et devenir soi, avec son propre destin et ses propres rêves ?

Un album très riche, tant par la qualité de son illustration que par les thèmes qu’il aborde : aussi bien l’emprise des rêves parentaux sur le destin des enfants que la création et la nécessaire liberté de créer.

Voir la chronique d’Anne-Marie Mercier : http://www.lietje.fr/2023/09/17/la-peinture-de-yulu-2/

L’enfant renard

L’enfant renard
Laure Van der Haeghen
HongFei 2021

Apprendre à vivre ensemble

Par Michel Driol

Dans une petite maison, à l’orée du bois, vivent une maman rousse et son fils, malheureux d’être enfermé. Un jour, elle le laisse s’enfuir dans la forêt, et va le voir tous les soirs. Il revient, trempé, devant la maison, et y reste, se laissant câliner, cajoler, faisant le récit de ses futures aventures. Sauf que l’enfant est un petit renard, qui à la fin de l’histoire, va se métamorphoser en enfant humain, et que la maman est une ancienne renarde qui a accepté de devenir humaine…

Laure Van der Haeghen propose un album très poétique pour évoquer à la fois les relations entre la nature et la culture et entre les adultes et les enfants. C’est bien de socialisation qu’il est question ici, dans l’opposition entre cette maman humaine et cet enfant sauvage, qui ne rêve que de liberté, de grands espaces, d’épanouissement dans la forêt, loin d’elle. Tout comme sa maman, il va accepter, à son tour, de se transformer en homme, de perdre ses attributs sauvages, crocs et griffes qui font peur aux autres animaux, pour vivre dans une maison, tout en rêvant de repartir.  Les relations poignantes  entre les deux personnages sont évoquées avec beaucoup de pudeur.  Cette histoire, proche du conte par ses éléments, ses métamorphoses, son imaginaire lié à la forêt, dit comment parents et enfants doivent s’apprivoiser, comment les parents doivent laisser les enfants  faire leurs expériences par eux-mêmes, comment la confiance n’est pas donnée a priori, mais se construit petit à petit, avec des phases de défiance, d’incompréhension. Sous une forme symbolique et imagée, ce sont bien des propos sur l’éducation qui sont tenus, s’adressant au cœur autant qu’à l’intelligence. Les superbes illustrations montrent avec réalisme les deux personnages, tant dans leur état sauvage qu’humain, dans des poses très symboliques de leurs états d’esprit et de leur relation, pleine d’amour et de respect mutuel. Elles montrent une nature somptueuse, luxuriante, prés, forêts,  aux  couleurs de l’été et de l’automne. A cette nature s’oppose l’intérieur blanc de la maison, où se détachent quelques objets essentiels, chaise, jouets, et dont les fenêtres s’ouvrent sur l’extérieur, sur la nature.

Un superbe album qui s’adresse aussi bien aux adultes qu’aux enfants, qui doivent avoir le droit et la possibilité de parcourir librement la grande forêt du monde avant de retourner découvrir et accepter les choix faits par leurs parents, et de rejoindre la terre des hommes. Un album qui parle d’éducation à travers de somptueuses images, à la fois textuelles et iconiques, réalistes et symboliques.

 

Trop parfaite!

 

Trop parfaite!

Gigliola Alvisi

Traduit de l’italien par Françoise Liffran

La joie de lire (Hibouk), 2013

trop parfaiteBienvenue chez les ch’tis apuliens!

 Lucrezia est une jeune milanaise huppée à l’éducation parfaite. L’été de ses treize ans, elle est obligée de passer ses vacances chez sa tante des Pouilles, qu’elle ne connait pas. Elle découvre alors le sud de l’Italie que de nombreux « nordistes » aiment mépriser… L’antagonisme nord/sud italien est subtilement abordé.

L’héroïne découvre une vie aux antipodes de la sienne. Nourrie sainement depuis sa naissance, elle est initiée aux mets généreux. Élevée dans le calme et la retenue, elle est immergée dans une famille sanguine, au verbe haut, dont le quotidien tourne autour des allers-retours à la plage familiale. Elle découvre enfin et surtout la chaleur d’une maman imparfaite mais idéale à bien des égards…

Ce roman aborde également des sujets beaucoup plus graves, tels que le viol, le deuil d’un enfant, le secret de famille… Cela peut paraître un peu excessif pour un seul roman mais l’auteure réussit à construire une histoire cohérente et succulente comme un pain ciabatta arrosé d’huile d’olive.

Quand j’étais cagibi

Quand j’étais cagibi
Hélène Gaudy, Emilie Harel
Rouergue, Zig Zag, 2013

Le refuge

Par Caroline Scandale

quand j'étais cagibi

Personne ne veut m’écouter? Très bien! Vous ne m’entendrez plus! Je vais de ce pas m’enfermer dans le cagibi et plus rien ne m’en fera sortir!
Ainsi pourrait être résumée la pensée de la jeune Amy, qui face à une famille qui se désintéresse d’elle, décide de se créer un petit cocon de solitude… Dans le cagibi.

Avec toute la fougue qui caractérise les enfants, elle décrète dans un premier temps ne plus jamais vouloir en ressortir puisque ses parents et sa grande sœur la délaissent, empêtrés dans le quotidien et les problèmes « de grands »… A partir d’aujourd’hui plus question de l’appeler Amy, son nom est cagibi!

Cette petite fugue, connue de tous et au sein même de sa maison, lui permet d’abord de rassembler ses esprits, de pleurer puis de se ressaisir… Disparaître pour mieux exister! Plus encore, ce petit havre de paix, sombre mais débordant de vivres et d’objets joyeux (bateau gonflable, guirlande de Noël…) lui donne la possibilité d’écouter la maison respirer. Cette petite rébellion oblige la famille à se remettre en question et l’amour reprend le dessus. Le cagibi devient même le refuge de tous les membre du foyer et un lieu de discussion improvisé dès que le besoin s’en fait sentir…

Cette petite chronique familiale nous fait réfléchir à l’importance de l’écoute et du dialogue.  Ce petit roman illustré est une excellente surprise, une petite pépite poétique d’une grande douceur…

Câlin express

Câlin Express
Emile Jadoul

Ecole des Loisirs (Pastel), 2011

Marre des parents pressés !

par Sophie Genin

9782211203036.gifEmile Jadoul précise au début de cet album qu’il a été créé d’après une idée de son fils Edouard et on veut bien le croire tant les enfants et les parents (les papas, certes, mais aussi les mamans !) se retrouvent dans les personnages et les situations proposés. Comme dans le cas de toutes les réussites littéraires, il suffit de peu et si on résumait l’histoire qui nous est contée, cela pourrait donner : un papa toujours pressé ne prend jamais le temps de câliner son fils jusqu’au jour où ce dernier lui impose ce tendre moment.

Mais en écrivant cela, nous ne dirions rien de l’humour du texte (la notion de « PGV : papa à grande vitesse ») et de l’illustration (que dire du papa, cravate autour du cou, attaché case au sol et téléphone portable vissé à l’oreille mais en position pour un sprint, ou de ce même personnage, attachant, parlant dans l’appareil, faisant cuire des oeufs au plat et réussissant tout de même, du bout du museau, à embrasser son enfant?). Les personnages et les situations ne sont jamais caricaturaux car puisés dans la vie quotidienne mais transcendés par la Littérature telle qu’Emile Jadoul peut nous la proposer.

Merci à Edouard qui a sûrement inspiré une page qui fait à la fois penser à Grosse Colère de Mireille d’Allancé (double page rouge sang badigeonné en fond et enfant qui boude au premier plan) et au schtroumpf grognon (« moi, j’aime pas les câlins express. ») !