Histoire d’un œuf

Histoire d’un œuf
Mamiko Shiotani

Traduit (japonais) par Sophie Bescond
La Partie, 2025

Sortir de sa coquille

Par Lidia Filippini

Dans la cuisine, un œuf est soudain las de rester sans bouger sur le plan de travail. Il est temps pour lui de partir à l’aventure ! Il découvre alors le plaisir de se déplacer librement et veut partager ce bonheur avec ceux qui l’entourent. Malheureusement, les autres œufs ne semblent pas comprendre. Le seul qui accepte d’ouvrir les yeux se met à rouler et finit sa course, brisé, contre un mur. Notre héros prend alors pleinement conscience des contradictions de son espèce : un œuf, c’est dur et fragile à la fois…
Heureusement, l’œuf rencontre un marshmallow qui veut bien lui pardonner de l’avoir croqué et devenir son ami. Grâce à lui, il prend la décision de parler – chose à laquelle il n’avait jamais pensé auparavant. Les deux compères se mettent alors en devoir de parcourir la cuisine, puis, ayant pris confiance, la maison tout entière. Coiffés des somptueux chapeaux qu’ils se sont fabriqués, ils croisent toute une galerie de personnages – un pot de fleur sévère, un coussin anxieux, une horloge qui rêve de liberté et surtout des noix belliqueuses qu’ils tentent de réconcilier.
Cette aventure est l’occasion pour l’œuf de méditer sur sa vie – les jours de pluie surtout, puisqu’il n’y a rien d’autre à faire. « Quelle sorte d’œuf suis-je donc ? », « Un bon œuf ? Un mauvais œuf ? Un œuf banal ? Un œuf idiot ? » se demande-t-il. Et d’ailleurs comment être sûr d’être réellement un œuf tant qu’on n’a pas vérifié si on a bien un jaune et du blanc à l’intérieur ?
L’humour de cet album tient à l’écart entre la banalité des personnages (un œuf, un marshmallow, un coussin…) et la profondeur de leur réflexion. L’œuf évoque le Humpty Dumpty de Lord Tenniel que rencontre Alice dans De l’autre côté du miroir. Tout comme lui, il est pourvu de longs membres et doté de petits yeux, d’un nez rond et d’une bouche. Il fait preuve, en outre, de la même arrogance que son célèbre modèle. Au coussin qui dit s’inquiéter pour lui et son compagnon le marshmallow, il déclare : « Puisque c’est comme ça, nous aussi nous allons nous inquiéter pour toi (…) Tu es intrusif et cela m’inquiète. » Le lecteur, à qui il s’adresse directement, lui pardonne pourtant volontiers sa suffisance puisqu’il partage avec lui ses doutes et ses questions existentielles.
Mais Histoire d’un œuf n’est pas seulement drôle, l’album ouvre aussi une vraie réflexion sur le monde et sur l’identité. L’œuf philosophe évoque bien sûr l’enfant qui grandit. Il marche, puis parle et devient alors libre de découvrir un monde que, sans cesse, il cherche à questionner.
Tout comme pour L’Ami dans le grenier, le premier album de Mamiko Shiotani traduit en français, Histoire d’un œuf est illustré au fusain, avec quelques touches de couleurs. Les objets du quotidiens, ornés de visages, évoluent dans un univers ultra réaliste, assez proche de la photo, dans des tons doux et peu contrastés. C’est un vrai plaisir pour les yeux !

Sarbacane fait du sport

Les Œufs z’olympiques
Ludivine Nouguès, Émilie Gleason
Sarbacane, 2024

Qui est le plus beau ?

Par Anne-Marie Mercier

Le jeu de mot du titre semble avoir généré l’histoire : les volatiles sont conviés à un concours dans lequel on désignera le plus bel œuf. Ils accourent pour proposer l’œuf le plus gros (l’autruche), le plus prometteur (le colibri), le plus couvert (le pingouin), etc., en passant par le kiwi, le flamant rose, la poule, le dodo, l’aigle royal… D’autres sont disqualifiés d’emblée, comme Marguerite la chocolatière, ou le coucou (parce qu’il n’est pas sympa mais aussi parce qu’il évoque une horloge – le texte et l’image ne disent ici pas la même chose). La fin en catastrophe qui voit tous les œufs éclore en même temps met fin à la compétition générale, même si pour chaque parent son petit reste définitivement le plus beau.
Les images, explosent elles-aussi de couleurs, de détails, d’idées et de formes grotesques. C’est jouissif, cumulatif, et cela met un peu de ridicule bien venu sur toute idée de compétition. On peut être tout simplement… différent, et pareil à la fois.

Il va y avoir du sport !
Philippe Nessmann, Laura Lion
Sarbacane, 2024

Qui est le plus fort?

Par Anne-Marie Mercier

Même si l’approche des jeux olympiques en crée sans doute l’occasion, ce grand album ne parle pas que des jeux, et en parle même assez peu directement, en dehors d’une double page consacrée à Olympie et l’olympisme. Cette page arrive à aborder de nombreux sujets et même à avoir un début de regard critique sur cet événement.

Les sports, tous les sports sont évoqués, y compris les plus bizarres, décrits dans une vignette récurrente intitulée « Le sport trop bizarre » : elle décrit successivement le pato, la soule, la boccia, le pancrace, le fierljeppen….
On y développe les valeurs du sport (dépassement de soi, esprit d’équipe…) comme ses aspects économiques. On y traite aussi bien d’autres questions très diverses comme celles des règles, de l’entrainement, des vêtements, du dopage, des dangers… Le regard est souvent historique, à travers une réflexion sur l’évolution des sports, de leurs règles et de la place du sport et des sportifs et sportives dans la société.
Les illustrations pleines de détail sont un régal d’humour et de stylisation. Elles sont aussi un support agréable à toutes sortes de courts textes intéressants présentés sur l’image dans des encadrés. L’un d’entre eux est consacré à des expressions ayant un rapport avec le sport (c’est ainsi qu’il faut comprendre le titre, expliqué à l’intérieur de la première page, aussi bien en contexte sportif que dans la vie quotidienne). On y trouve l’origine de « jeter l’éponge », « faire un sans faute », « avoir une longueur d’avance », etc.
C’est un joli parcours historique et sociologique qui n’oublie pas que le sport est d’abord un jeu, un plaisir et une aventure.

 

Voici un oeuf

Voici un œuf
Cédric Ramadier & Vincent Bourgeau
L’école des loisirs (loulou & cie), 2013

Un album en jaune et blanc (et orange…)

Par Michel Driol

voiciunoeufUn album cartonné, donc apriori destiné aux plus petits.
Qui est le premier, de l’œuf ou de la poule ? Ici, c’est l’œuf qui va se métamorphoser, de façon amusante, en poule, après plusieurs essais d’ajouts successifs (queue de dragon, ailes de vautour…) avant que la poule ne ponde un œuf… et l’histoire est prête à recommencer.
Un album « minimaliste » : un texte bref et efficace, qui semble donner des ordres au graphisme (Ajoutez une queue… Oh non, pas celle-là), et un graphisme épuré (fond de terre orange foncé, fond de ciel orange clair se répétant de page en page, sur lesquels change l’œuf, presque à la façon d’un flip book, ).
Un album sympathique, qui permettra aux plus jeunes de retrouver des figures connues (le cochon, le paon grâce  à leurs attributs), et de jouer à une histoire sans fin, celle de la vie.

Oiseau et Croco

Oiseau et Croco
Alexis Deacon
traduit (anglais) par Elisabeth Duval
Ecole des Loisirs, 2012

Pour l’amour des oiseaux… et des crocodiles

Par Christine  Moulin

Il est des livres qu’on est heureux d’avoir rencontrés: l’album d’Alexis Deacon est de ceux-là. Un cadeau.

Tout commence dans l’indistinction originelle des pages de garde. Des œufs flottent dans l’espace, la nuit des temps. La page de titre fait acte de nomination, Oiseau et Croco. Déjà, la typographie indique ce qui risque de séparer les deux héros. Le nom « oiseau » est recouvert de plumes, le nom « Croco » d’écailles, les « o » figurant des yeux manifestement reptiliens. Mais il est vrai qu’une minuscule copule « et » les unit, timide et essentielle.

La première double page a des airs de genèse. Face à l’immensité étoilée, deux œufs sont tendrement posés l’un à côté de l’autre et le texte dit ce que montre l’image, dans l’évidence des premiers moments. La naissance a lieu : le premier à sortir, c’est Oiseau, très vite suivi par Croco. Inquiet, le lecteur attend, si l’on peut dire, le « couac », d’autant que le premier cri du crocodile n’est guère rassurant: « J’ai faim ». Mais non… Les deux bébés découvrent le monde et l’apprivoisent, chacun selon ses compétences: Croco est doué pour trouver à manger, Oiseau pour chanter la beauté des choses ou pour bâtir une maison. Ils comptent l’un sur l’autre pour se réchauffer, se protéger  mutuellement, bref, grandir ensemble. Ignorant ce que leur « nature » respective leur permet ou leur interdit, ils progressent, sans se poser de questions, s’entraînant tous deux à voler ou à « lézarder »… Jusqu’au jour où une rivière les emporte « jusqu’à un lac empli de crocodiles au milieu d’une forêt pleine d’oiseaux ». Les appréhensions du lecteur renaissent…

L’amour fraternel, la tendresse vaincront, par-delà les déterminismes sociaux ou les pesanteurs génétiques… L’image de la fin est une merveille de simplicité et d’émotion. Les derniers mots peuvent alors s’écrire, ceux de l’intimité protectrice à laquelle aspirent les enfants et dont les parents ont la nostalgie, parfois: « Bonne nuit »…

L’avis et l’analyse de Sophie Van der Linden