Abécédaire des métiers imaginaires

Abécédaire des métiers imaginaires
Anne Monteil
Little Urban 2020

Que veux-tu faire, quand tu seras grand ?

Par Michel Driol

De l’attrapeuse de chat dans la gorge au zoologiste de créatures fantastiques, en passant par le jockey de cheval de manège et l’onduleur de lacets de chaussures, l’album énumère 26 métiers aussi improbables les uns que les autres, mais dont l’utilité sociale ne fait aucun doute : celle d’amuser le lecteur ! Comme pour tout abécédaire, il faut de la rigueur et de la régularité : page de gauche, un court texte décrivant le métier, et une illustration page de droite montrant le professionnel en action.

Qui sont ces professionnels ? Pour l’essentiel des animaux, humanisés, inscrits dans un contexte tantôt urbain, tantôt rural, selon le métier. On croisera ainsi un loup, un bouc, un cerf… Mais on trouve aussi des humains, souvent dans des métiers en relation avec les animaux (réels ou fictifs) : l’attrapeuse de chat dans la gorge, ou la démaquilleuse de pandas. Quant aux activités, nombre d’entre elles sont en relation avec les enfants : nettoyeuse de doudou, barbier de barbe à papa. Beaucoup d’autres sont en relation avec la météo. D’autres enfin s’inscrivent presque dans une perspective étiologique comme la saleuse de mer…

Le recueil relève d’une poésie surréaliste – on songe à la fameuse rencontre fortuite d’un parapluie et d’une machine à coudre. Les textes incitent à rêver, se moquent doucement de nos ennuis récurrents (les chaussettes orphelines), voire de nos contradictions comme le xyloglotte bûcheron qui, après avoir écouté les arbres, est devenu un bûcheron qui les rassure avant de les tuer ! L’humour est omniprésent, tant dans les noms de métiers, qui reprennent souvent des expressions figées pour leur redonner sens, que dans les bons mots ou dans les situations montrées, très colorées, qui regorgent de petits détails croustillants.

On feuillette donc cet ouvrage à la recherche d’un autre mode de vie plein de fantaisie, qui fait apparaitre des emplois et des destins auxquels on n’aurait pas songé. Un ouvrage qui donne à la poésie et à l’imaginaire tous ses droits !

 

 

Dans un brouillard de poche – portraits au fil des écrans

Dans un brouillard de poche – portraits au fil des écrans
Thomas Scotto. Illustrations Madeleine Pereira
Editions du Pourquoi Pas ? 2020

Du pouvoir des images, sans clichés

Par Michel Driol

Il y a la grand-mère complice de sa petite fille, et qui découvre tous les bienfaits d’un usage maitrisé de cet écran. Il y a cet ado, qui refuse de passer au tableau, parce qu’il y sera photographié, harcelé, jugé, évalué sur les réseaux sociaux pour sa couleur de peau ou ses cheveux. Il y a le souvenir de cette fillette de 13 ans, Omayra, que l’on a vue agoniser et mourir en direct, victime d’une coulée de boue en 1985. Il y a cette photo d’un baiser entre filles partagée sur les réseaux sociaux. Il y a ce petit groupe d’activistes qui éteignent les publicités lumineuses… Et il y en a bien d’autres encore…

Thomas Scotto évite les clichés faciles. Il ne juge pas ses personnages – sauf peut-être un président des Etats Unis non nommé qui dirige un si grand pays avec si peu de mots…. Par cette galerie de portraits, il questionne avec sensibilité notre monde et le rôle qu’y jouent les écrans qui, souvent, font écran entre nous. Il dresse, avec finesse, un constat tout en nuances sur cette omniprésence des images dont trop souvent nous sommes les victimes. Il montre à quel point elles touchent tous les milieux sociaux, tous les âges, tous les sexes. Mais son regard n’est pas un regard de condamnation absolue. Car, s’ils nous manipulent, nous aliènent, les écrans et leur technologie peuvent aussi nous relier. Il y a un bon usage des écrans, comme dans ce texte où un ado obligé de filmer sa famille filme en fait la rue, la nuit, et y capture l’image incongrue d’un renard.

Variété des âges, des personnages, des situations, mais aussi grande variété des textes : récits à la première personne le plus souvent, portraits en tu, dialogues, collage de paroles anonymes pour parler des fake news. On est en fait très proche d’un réalisme poétique qui, en peu de mots, évoque le monde, en laissant le lecteur comprendre les non-dits des situations, se construire et se représenter les personnages. Certains textes par leur écriture, par leur usage de la langue, auraient tout à fait leur place dans un recueil de poèmes. Les illustrations de Madeleine Pereira participent aussi de ce réalisme, de cet ancrage dans le réel, mais aussi, parfois, donnent à voir un autre monde plus poétique.

Un beau recueil de textes pour sensibiliser aux usages des écrans, des images, et conduire à mieux le maitriser.

 

La Légende du roi errant

La Légende du roi errant
Laura Gallego Garcia
Traduit (espagnol) par André Gabastou
La joie de lire (hibouk), 2019

Aventures en poésies

Par Anne-Marie Mercier

Il était une fois, un prince… beau, brave, intelligent, savant, et surtout poète. Et le conte s’arrête là dans sa dimension simple et linéaire.
En effet, la suite introduit de la complexité, de la souffrance, de la contradiction et du hasard. Le héros change, contrairement à la plupart des personnages des contes, et le point de vue du lecteur également. Walid, prince de Kinda, ne se mariera pas pour devenir roi à son tour : il deviendra «roi errant».
Ce conte, riche et néanmoins très facile à lire, est d’abord celui d’une chute : Walid ne supporte pas qu’un simple tisseur de tapis compose une poésie plus belle que la sienne lors de chaque concours annuel, et qu’ainsi il l’humilie et surtout l’empêche de concourir au grand rassemblement de poésie d’Ukaz, où se retrouvent les meilleurs poètes du monde. La vengeance de Walid sera cruelle et lente, comme le sera en retour son long cheminement vers le remord et l’expiation, le dépouillement de tout ce à quoi il tient, jusqu’à la vie même.
Que la poésie soit au cœur d’un livre d’aventure est une belle surprise et on apprend beaucoup sur l’art des poètes arabes de la période pré-islamique, et leurs qasida avec leurs trois parties, nasib, rahil, madih (le thème de la femme aimée et disparue, le voyage dans le désert, l’éloge du prince…). Que cette poésie soit le but de toute une vie, ce à quoi on aspire, plus que les richesses ou le pouvoir, ou l’amour même, est aussi un beau sujet. Que le cœur et donc ce qu’on a vécu et la manière dont on a vécu soit le feu qui nourrit les plus beaux poèmes ajoute encore à l’intérêt du propos.
La quête de Walid, parti à la recherche d’un tapis maudit, et trouvant au bout de son errance la vraie poésie et un sens à sa vie qui, dans le même mouvement, le fait disparaitre, évoque un peu celle du Rahat Loukoum à la pistache du quatrième roi, dans Les Rois mages, roman en forme de conte de Michel Tournier : cherchant une chose, on y ruine sa vie, et on trouve une chose plus précieuse encore. C’est un superbe livre d’aventure, plein de rebondissements, de belles scènes, de paysages exotiques, et de poésie.
Les éditions La joie de lire avaient déjà publié cette traduction en 2013; cette réédition est un beau livre au format poche, avec une très belle couverture, et une belle typographie.

Hurluberlures d’une grand-mère pas très sage

Hurluberlures d’une grand-mère pas très sage
Françoise Coulmin – Séverine Perrier
Motus 2019

Comme une recette du bonheur

Par Michel Driol

Le livre donne d’abord quelques recettes en cas d’insomnie : recettes, comme le titre l’indique, pas très sages et quelque peu burlesques ou farfelues. Puis suivent d’autres recettes de choses à  faire, quand on est éveillé, la dernière étant se préparer à écrire un poème… Mais, quand toutes les conditions sont remplies pour l’écrire, peut-être a-t-on envie d’autre chose : réaliser un dessert nuage qui rendra heureux toute sa vie…

Un grain de folie plane sur cet album drôle et malicieux. Plaisir des mots, plaisir des actes défendus en temps normal, plaisir de la transgression : la grand-mère propose des listes de solutions, de choses à faire qui tiennent de l’inventaire à la Prévert et d’une envie de liberté sans contrainte, de magie à hauteur d’enfance où tout peut se mêler, de monde à l’envers où la sagesse traditionnellement prêtée aux grand-mères est devenue folie douce. Avec une grande poésie, le texte développe cet univers proche de celui d’Alice au pays des merveilles, où l’on croise des dragons, des limaces, où l’on guette les signes du poème à venir. La graphisme lui-même est pris de cette folie : taille et couleur des lettres, lignes d’écriture brisées, circulaires, ondulées Tout participe de cet univers burlesque, sorte d’éloge de la folie pour lutter contre une trop grande sagesse, invitation à utiliser les forces de l’imaginaire contre un réel trop contraignant.

Les collages de Séverine Perrier sont des petites merveilles et composent un monde surréaliste, farfelu et plein de douceur. On y cherche la petite bête, le petit détail qui font jubiler au sein d’un univers onirique qui n’a rien d’inquiétant.

Un album qui serait comme un éloge poétique de la folie.

Petit Garçon

Petit Garçon
Francesco Pittau – Illustrations de Catherine Chardonnay
MeMo Petite Polynie 2019

Fantastique enfance

Par Michel Driol

Une dizaine de textes pour raconter quelques épisodes de l’enfance d’un personnage qu’on ne nommera que « Petit Garçon ». Façon d’en dire à la fois l’universalité, et, d’une certaine façon, la taille et l’âge très indéfini ici puisque l’on va du jardin d’enfants à la perte d’une dent de lait. Il est question de choses ordinaires, comme les relations avec les parents, les jouets, les activités comme le dessin, les accidents comme la fièvre.

C’est du ton que ce recueil tire son originalité. Car, si les situations évoquées sont assez fréquentes dans l’enfance, le recueil bascule dans l’imaginaire, le fantastique et le merveilleux de la vision du monde d’un enfant. Petit Garçon se métamorphose en mouche, donne abri à un morceau de nuit qui s’est endormi au lieu de repartir le jour venu, pénètre dans son dessin après avoir discuté avec les personnages bancals qu’il a créés, perd son reflet et part à sa recherche dans un monde étrange, voyage sur la lune. Même ses jouets préférés, ses amis, un crocodile, un hippopotame et un chien vivent des aventures extraordinaires dans une forêt inquiétante qui n’est autre que le lit, terrorisés par une main géante qui s’empare d’eux. Tout est donc jeu, mais le jeu a toujours quelque chose de très sérieux pour les enfants. Il est donc ici question d’identité, d’intégrité corporelle, d’un univers mouvant où tout peut se transformer. On songe en lisant certaines nouvelles à l’univers d’Arnold Lobel pour la façon de dire ce monde de l’enfance, fait de questions existentielles, de naïveté, de poésie et de merveilleux, dans une langue simple et accessible à tous.

Quant aux illustrations, elles semblent faites aux crayons de couleurs, ou aux feutres, et reprennent les codes du dessin enfantin avec humour et expressivité.

Un recueil de textes pour grandir debout, et partager ses sensations d’enfant.

Signé poète X

Signé poète X
Elizabeth Acevedo
Trad. Clémentine Beauvais
Nathan 2019,

 Naissance d’une poétesse, un roman slamé

Par Maryse Vuillermet

Harlem, Xiomara, 16 ans, est trop belle, trop pulpeuse,son corps est trop voyant, elle est harcelée par les garçons et les hommes,  alors elle se tait ou elle cogne. Elle a un jumeau, trop maigre et trop intello et une amie Caridad. Ses parents sont venus de la République dominicaine, son père se mure dans l’indifférence et le silence, sa mère s’use à faire des ménages et survit à ses dures conditions de vie en allant tous les soirs prier à l’Église.

Un jour, un jeune professeur parle d’un club de slam, Xiaomara aimerait y aller, en brûle  d’envie mais c’est à l’heure de sa préparation à la confirmation catholique, alors, elle n’y va pas. Et puis, elle rencontre Aman, elle lui dit ses poèmes, il aime mais leur relation doit s’arrêter, Xiamora n’a pas le droit de sortir avec des garçons.

L’intrigue dite comme ça semble classique, un conflit de générations et de cultures, mais ce qui fait la force de ce roman, c’est qu’il est rédigé en vers libres, il est slamé. En fait. Les mots sont lancés par la narratrice comme ses coups, ils sont lâchés pour toucher.  C’est aussi l’énergie de l’héroïne qui veut trouver sa route, sa liberté sans la foi à laquelle elle n’adhère plus, avec l’amour et les caresses d’Aman interdites dans son milieu, avec son art, le slam qui dit ce qui devrait rester caché.  C’est encore la relation avec son jumeau, très forte et très étrange et le trio inséparable qu’ils forment avec Caridad, et enfin, le personnage du prêtre subtil et profond.

Une belle surprise !

 

Où tu lis, toi ?

Où tu lis, toi ?
Cécile Bergame – illustrations Magali Dulain
Didier Jeunesse 2019

Lieux de lecture…

Par Michel Driol

Voici un album qui se présente comme un inventaire des lieux où un enfant peut lire, lieux improbables, lieux secrets, lieux mystérieux, avant de se terminer par la question qui donne aussi son titre à l’ouvrage.  La mise en page est toujours la même : page de gauche, un groupe nominal précisant le lieu, page de droite, une illustration pleine page montrant l’enfant avec un livre.

Le texte inclut une forte dimension poétique, comme si l’imaginaire propre au livre rejaillissait sur les lieux où l’on lit. Ainsi l’escalier est sans fin, le linge à repasser forme des collines et des vallées, et l’arbre a des bras… Cette poésie des lieux est vue à taille d’enfant : la cabane en bois a oublié de grandir… Métaphores et comparaisons transfigurent l’univers familier, pour lui donner une autre dimension – parfois paradoxale –  à laquelle la lecture permet d’accéder. Cet inventaire poétique, qui unit l’intérieur et l’extérieur, l’ouvert et le fermé, ouvre un vaste champ de possibles où l’on ne retrouve ni la table, ni le bureau de l’écolier, ni le lit de l’enfant…

Les illustrations prolongent le texte dans sa dimension fantastique : ainsi les yeux des personnages photographiés regardent-ils tous l’enfant lecteur, ainsi un vrai lion de mousse occupe-t-il la baignoire à pattes de lion apprivoisé… On pourra aussi parcourir les illustrations à la recherche des livres évoqués : albums, bandes dessinées, classiques de la  jeunesse. Comme un fil rouge, le chien, animal familier, accompagne, à la fois complice et libre, mais non lecteur…

Un album libérateur, qui insiste sur la liberté du lecteur, la diversité des pratiques de lecture, et qui dit à quel point les livres sont indispensables pour changer notre vision du monde.

Montagnes

Montagnes
Valérie Linder
& Esperluète éditions 2018

Carnet de voyage

Par Michel Driol

Format à l’italienne pour cet album qui est d’abord une suite d’aquarelles lumineuses représentant des paysages de montage  sous le soleil mais aussi dans le brouillard ou sous l’orage, paysages presque toujours habités : maisons, hameaux, toits de tôles rouillés. Paysages de forêts et de lacs, mais aussi de champs cultivés, paysages habités de vaches et de moutons. Paysages traversés par des randonneurs minuscules, tantôt une seule silhouette, tantôt un groupe de quatre saisis dans la marche ou au repos.

Ces aquarelles sont accompagnées de poèmes sur la marche en montagne. Quand tu marches en montagne… Ce « tu » à qui s’adressent les poèmes est à la fois le lecteur et une figure dédoublée de l’auteure (accords au féminin). Ils évoquent les considérations pratiques sur ce que l’on met dans son sac à dos : l’essentiel. Ils disent les plaisirs liés aux sens : ce que l’on goute (le pain, les amandes, l’eau), ce que l’on entend (les moutons qui carillonnent), ce que l’on voit ou entrevoit (un fragment du lac), ce que l’on touche (ta peau sera attentive à l’air des nuages). Cette promenade ouverte aux sensations l’est aussi à l’introspection ou à l’imaginaire (Tu te faufiles mentalement/entrouvres les portes…). Cette poésie, des vers libres regroupés en strophes de longueur inégale, évoque la nature, parfois à la façon du haïku dans la concision de la notation au pouvoir évocateur. La montagne de Valérie Linder est à la fois le lieu de la contemplation, de la concentration et de l’évasion : autre façon de dire ce qu’est la poésie.

Un album de voyage qui fait penser à Ramuz et à la façon qu’a l’homme d’habiter la montagne.

Cet ouvrage fait partie de la sélection du Prix Poésie des Lecteurs Lire et Faire Lire

Les Oiseaux

Les Oiseaux
Germano Zullo illustré par Albertine
La joie de lire 2010

Ode aux petits détails

Par Michel Driol

Presque un album sans texte tant les illustrations, très souvent en double page, sur un format à l’italienne, disent l’histoire. Celle d’un camionneur qui, dans un désert de dunes,  ouvre la porte de son fourgon d’où sortent et s’envolent des dizaines d’oiseaux de toutes les couleurs. Reste pourtant dans le camion un merle qui refuse de partir, partage le sandwich de l’homme qui lui montre comment voler. Le merle alors rejoint la troupe d’oiseaux, la conduit vers le fourgon qui était reparti, et les oiseaux emmènent dans le ciel l’homme. Ceci peut constituer une première lecture : une histoire d’amitié entre un homme et un oiseau, illustrant le souci à avoir des plus petits et la valeur de la reconnaissance.

Le texte de Germano Zullo, découpé en phrases, présent sous dix-neuf illustrations environ, propose une seconde lecture. Il est question de découvrir dans la routine, la monotonie de la vie, des détails, minuscules, capables de changer notre perception du monde. De la morale, on est passé à la philosophie et à l’attitude à avoir face au monde : l’attention à avoir à l’égard des choses minuscules. On a là comme une mise en abyme et une définition de la poésie, qui donne à voir ce à quoi on ne prêtait pas attention en premier lieu, mais qui ensuite permet de prendre de la hauteur, d’accéder à une autre façon de voir le monde.

Un album très graphique qui parle à tous.

Cet ouvrage fait partie de la sélection du Prix Poésie des Lecteurs Lire et Faire Lire

La Bouche en papier

La Bouche en papier
Thierry Cazals / Jihan Dehon, Camille Coucaud, Pauline Morel, Mona Hackel
Editions du Pourquoi pas 2019

Freak poète ?

Par Michel Driol

Tom nait avec une bouche en papier. Honte pour ses parents. Souffre-douleur des enfants de l’école, il ne peut articuler le moindre mot. Mais, un jour, ses lèvres se couvrent de lettres : de longs poèmes laissant le monde sans voix. Cette écriture dérange les beaux parleurs, et Tom, suite à une agression, décide de rester muet. Ses parents l’envoient alors gagner sa vie dans un cirque. La fin reste ouverte, avec quatre propositions de chutes différentes quant à ce que devient Tom…

Ce conte poétique se prête à différents niveaux de lecture. D’abord, bien sûr, il y est question de handicap, la bouche en papier du héros signifiant son mutisme, sa fragilité et sa grande sensibilité.  Incompris, rejeté par tous, Tom va se révéler aux yeux des autres comme un extraordinaire poète.  La bouche en papier devient alors symbole de l’écriture poétique, qui dit le vrai, au risque de déplaire aux puissants, et Tom la métaphore du poète, à la fois inadapté et hypersensible, condamné par la société à subir la brutalité des autres, au silence ou au cirque. Les quatre fins possibles  laissent à penser la place que nous réservons  aux poètes et aux écrivains :inutiles et gelés sur la banquise, ou au service des autres et permettant d’apprendre à écouter les couleurs du silence, consolant ceux qui fuient la guerre, ou rencontrant enfin  l’âme sœur, aux oreilles en papier, dans un amour partagé. Le texte est écrit en vers libres et ne cherche pas les effets faciles de style, il se permet tout au plus quelques comparaisons. C’est dans le rythme, les reprises que la langue poétique fait entendre sa respiration, une langue faite pour l’oralisation.

Une fois n’est pas coutume, quatre illustratrices aux styles fort différents accompagnent le texte, en quatre cahiers qui l’encadrent. Cela ouvre à une belle réflexion sur le rapport texte/image, à ce que c’est qu’illustrer un texte comme une forme d’interprétation dans un univers graphique qui tout à la fois en respecte les grandes lignes mais exprime aussi l’imaginaire propre à chaque illustratrice. Papiers découpés et rayures seyes en clin d’œil chez Jihan Coucad, dans des couleurs jaunes dominantes. Grisaille du personnage confronté aux autres en couleurs agressives chez Camille Coucaud. Papiers découpés encore chez Pauline Morel, ainsi que carte à gratter dans une bichromie dominante bleue et rouge et une abondance de papillons comme issus des lèvres de Tom. Personnage croqué dans un univers où figurent des mots écrits chez Mona Hackel dans des dominantes de noir et de jaune.

Un album militant comme définition de la poésie et ode à la liberté d’oser écrire et d’oser interpréter.