La Peinture de Yulu

La Peinture de Yulu
Cao Wenxuan, Suzy Lee
Traduit et adapté (chinois) par Alain Serres
Rue du monde, 2022

Toile rebelle, art difficile

Par Anne-Marie Mercier

La jeune Yulu est destinée à être peintre. Son père qui souhaite réaliser à travers elle son rêve d’être un artiste, fait tout pour cela. Il achète pour elle une superbe toile de lin « yulu » qui était destinée à un maitre, décédé juste avant de venir la chercher.
Yulu, après avoir hésité longtemps, peint une image d’elle-même sur cette toile qui porte son nom. C’est un beau portrait. Mais chaque soir le tableau se défait en dégoulinures horribles. Désespoir, honte, acharnement à recommencer… on voit Yulu passer par toutes ces phases, jusqu’au moment final où elle décide après une huitième tentative de laisser sa toile reposer, et de la cacher. Elle la découvrira bien plus tard, belle et lumineuse.
Conte fantastique, fable célébrant la ténacité, et montrant le rôle du temps dans la création, c’est aussi une histoire de relation entre un enfant et ses parents face  à leur désir de réussite puis à leur inquiétude.
Les images de Suzy Lee sont merveilleuses, alliant des crayonnés vigoureux de fusain sur fond blanc à de délicats motifs floraux. Les couleurs vives et même criardes du tableau dégoulinant font un contraste saisissant et donnent à l’album sa charge fantastique un peu inquiétante, comme un Munch entré dans un univers d’estampes sages.

L’auteur, Cao Wenxuan, a reçu le prix Hans Christian Andersen (2016), comme Suzy Lee (2022).
Voir la chronique de Michel Driol sur cet album.

 

 

 

Le Portrait du lapin

Le Portrait du lapin
Emmanuel Trédez, Delphine Jacquot
Didier Jeunesse, 2020

Du l’art ou du cochon?

Par Anne-Marie Mercier

La couverture fait entrevoir bien des merveilles : un lapin qui sort d’un beau cadre ovale, endimanché comme celui d’Alice, entouré de portraits d’animaux, tous très élégants, à l’exception d’un renard au vêtement tâché de couleurs dont on devine qu’il est peintre, et d’un paon qui sort un peu du lot, on comprendra vite qu’il est davantage un symbole (celui de la vanité) qu’un personnage.
En effet, l’histoire narrée est une réécriture d’un conte de Grimm, « Les Habits neufs du grand-duc ». Un noble et riche lapin veut envoyer son portrait à la belle qu’il courtise et, suivant le conseil de son ami Cochon, engage Renard, artiste à la mode. Celui-ci, fameux pour ses monochromes, l’engage à poser nu et remet un tableau tout blanc qui fait l’admiration de tous les amis du lapin, lequel se croit obliger de voir quelque chose là où il n’y a rien.
L’argument est un peu tordu ; d’abord l’idée du nu est peu crédible et n’est pas du meilleur goût, d’autant plus que les costumes victoriens des personnages ne correspondent pas à cette pente, et est une fausse piste par rapport au conte de départ. On peut être aussi gêné que l’accusation de supercherie semble s’adresser à l’art contemporain dans son ensemble et mettre les fameux monochromes au rang de blagues. Mais l’absurdité générale finit par gagner : toute cette hsitoire n’est une vaste blague.
Les images de Delphine Jacquot sont un régal et proposent une mini histoire de l’art, avec des images qui représentent de « vrais » tableaux (enfin des copies sommaires) et d’autres des scènes dignes d’Alice au pays de merveilles.

Petit – Un cahier de poésie

Petit – Un cahier de poésie
Julien Baer – Illustrations de Camille de Cussac
Mouche de l’Ecole des loisirs 2018

Pas si petit…

Par Michel Driol

Le recueil se déploie entre un poème d’ouverture (Petit) et un poème de (presque) clôture (Anti-Petit) qui en est l’exact négatif. Qui est ce « je » dont on va découvrir les gouts, les passions, la vision du monde, à travers quelques poèmes dont les titres évoquent tantôt des animaux (le tapir), des lieux (l’appartement, au restaurant), des choses (nuages, le pamplemousse, la voiture), des sentiments (l’amour) ou des qualités (intelligent, sportif) ? Tout est concert dans ce recueil à la première personne et dit la vision du monde d’un enfant. Il s’ennuie au restaurant ou l’été quand tout le monde est parti, trouve immense son appartement, et surtout imagine… Il prend un tapir à la terrasse d’un café comme potentiel ami, rêve devant la forme des nuages, invente une histoire d’amour qui finit mal entre un éléphant et une fourmi… Quant au poème de clôture, entre la ville et l’ile, il évoque cette double tentation de l’ile exotique, de la liberté, des jeux perpétuels et du plaisir sans limite et de la ville, où l’on peut se sentir à l’étroit, mais où on risque moins de s’ennuyer.

Petit, c’est le recueil qui sait se mettre à hauteur d’enfant dans un entre-deux entre réel et imaginaire,  entre sérieux et jeu, entre petit et grand, entre désir de se faire remarquer et celui d’être comme les autres. Ecrit dans une langue simple, accessible à tous, le recueil laisse place à quelques jeux avec la langue que les plus âgés remarqueront.

Cet ouvrage fait partie de la sélection du Prix Poésie des Lecteurs Lire et Faire Lire

Elle est bizarre la dame !

Elle est bizarre la dame !
Laure Monloubou
Editions Amaterra 2018

La vérité sort de la bouche des enfants

Par Michel Driol

On retrouve le P’tit Gars, personnage récurrent de l’auteure, dans les transports en commun. Il décrit sa voisine, et la trouve bizarre. Page de gauche, le P’tit Gars, qui imite sa voisine, page de droite, les éléments du portrait de la dame, façon dessin d’enfant. Un nez rond et rouge, des cheveux violets frisés, que rejoindront vite les yeux, les oreilles… On croit entendre en haut de page le P’tit gars , en gros caractère, commenter ce portrait qu’il fait, tandis, qu’en petits caractères, on entend la voix gênée de la maman, chut, ça suffit… Jusqu’au moment où le dessin d’enfant fait place à la dame… très ressemblante à sa description… Et, cerise sur le gâteau, le P’tit Gars veut ajouter quelque chose…  savoir s’il peut l’inviter à son anniversaire !

Comme les autres albums de la série, celui-ci explore, avec humour et tendresse, une situation dans laquelle nombre d’adultes ou d’enfants se reconnaitront. Ici, ce sont les commentaires sans gêne de l’enfant sur le physique d’un tiers. Rien de méchant : juste un constat, et une volonté du petit d’aller vers l’autre, avec ses mots à lui, son franc parler, ce qui questionne aussi sur l’attitude des adultes face à qu’ils prennent pour quelque chose de désobligeant envers l’autre. Comme toujours avec l’auteure, une grande simplicité des codes narratifs, qui, avec expressivité, vont à l’essentiel sans disperser le lecteur.

Un album tranche de vie qui parle avec malice de différence et du regard des enfants sur les autres…

Un autre album de la série : C’est à moi

Espèces de monstres

Espèces de monstres
François David, Olivier Thiébaut
Motus, 2015

Un album « monstre »

Par Anne-Marie Mercier

Espèces de monstresAprès Les Hommes n’en font qu’à leur tête, François David et Olivier Thiébaut reprennent le procédé de portraits composites, à la manière d’Arcimboldo, accompagnés de courts textes poétiques. Ce sont autant de « caractères » (à la manière cette fois de La Bruyère ou La Fontaine) qui sont brossés : monstres fabuleux (le loup du Chaperon rouge), caricaturaux (le monstre d’hygiène, l’encyclopédiste), moraux (le brise-tout).

A cette liste s’ajoutent les monstres qui souillent la nature : marée noire voitures, ordures… François David et Olivier Thiébaut renouent ici avec un autre de leurs albums , Un Rêve sans faim, qui dénonçait les injustices et déséquilibres du monde ; poésie et art engagés ne sont pas avec eux des gros mots, loin de là. Textes simples, riches et rythmés, images sophistiquées alliant les assemblages les plus étranges, tout est… parfait : un album « monstre », qui conjugue monstration, dévoilement et poésie.

 

Un rêve sans faim

Histoire singulière du portrait en pied du Gouverneur de Mandchourie

Histoire singulière du portrait en pied du Gouverneur de Mandchourie
Marais, Dedieu
Hong fei, 2014

Leçon de peinture

Par Anne-Marie Mercier

Histoire singulière du portrait en pied du Gouverneur de MandchourieDans cet album, se déploie un conte qui prend son temps et laisse le lecteur en deviner la morale : refus d’une représentation mensongère du réel, refus du réalisme, mais choix d’une mise en scène qui s’adapte au réel… Une leçon de peinture mais aussi peut-être d’existence ?

On retrouve l’esthétique chinoise que Thierry Dedieu a développée dans ses albums précédents publiés aux éditions Hongfei, fonds blancs, couleurs rares mais éclatantes, dessin à l’encre subtil et percutant.

Boboth La machine à rêver

Boboth La machine à rêver
Texte Li-Cam – Sculptures Laura Vicédo – Dessins Marion Aureille
Organic Editions

Portrait d’une autiste en machine à rêver

Par Michel Driol

bobothBoboth a 14 ans. Elle est la meilleure de sa classe, sans travailler. Elle fait les devoirs des autres élèves, pour s’acheter la paix sociale. Elle adore Star trek et David Bowie. Elle est nulle en sports, et a une mémoire phénoménale… Et elle a été diagnostiquée TED, « ce qui n’est pas une marque de robot comme Moulinex ou Bosch », mais Trouble envahissant du développement. En fait, elle ne parvient pas à s’intégrer parmi les ados de son âge, dont elle ne partage pas les mêmes préoccupations. Son problème, c’est de ne pas percevoir les règles sociales de façon intuitive, mais en les intellectualisant pour tenter de compenser ce handicap.

La nouvelle de Li-Cam dresse le portrait de cette jeune fille, vue de l’intérieur, en faisant partager au lecteur ses pensées, ses sentiments, ses réactions face au monde dans différentes situations : en cours de maths, pendant un match de volley, sur le parking, dans sa chambre, en discussion avec un voisin… Et c’est là tout l’intérêt de cette nouvelle, qui n’emploie pas une seule fois le mot autisme, de faire découvrir au lecteur petit à petit le handicap de son héroïne, sur lequel  le diagnostic –  TED – n’est posé qu’au milieu de la nouvelle. On découvre donc progressivement la réalité de sa vie, sa façon de se raccrocher à la logique,  en pensant d’abord qu’elle est légèrement différente, comme bien d’autres adolescents brillants et en décalage de maturité ou de préoccupations  par rapport aux autres.

Boboth se prend, non sans humour, pour un robot, un prototype jamais construit en grande série pour cause de dysfonctionnement, et les illustrations, des sculptures photographiées, prennent le parti de montrer des machines improbables, faites de bric et de broc, d’objets récupérés, à la façon d’un théâtre d’objets. Point commun entre toutes ces machines : elles sont toutes montées sur des roulettes, comme pour montrer la volonté d’aller vers les autres, de ne pas s’enfermer. Des dessins, qui évoquent ceux de Léonard de Vinci, sur les rabats des couvertures, donnent les légendes de ces étranges machines – machine de la pensée intérieure ou machine pour fuir et s’enfuir.

Un bel objet livre et un texte qui permettront de mieux comprendre, de l’intérieur, cette forme particulière d’autisme, l’autisme à haut niveau de fonctionnement.

A lire également, de la même auteure, La petite Bébéth, portrait de l’héroïne quelques années plus tôt, à huit ans.