Le Garçon qui voulait être un chat

Le Garçon qui voulait être un chat
Véronique Foz
Tom Pousse 2023

Vivre avec Asperger

Par Michel Driol

Ilyan adore côtoyer les chats, qu’il observe à tout moment. Ce n’est pas pour rien si le premier mot qu’il prononce est chat. Il se croit chat dans un corps de garçon. Il parle peu, se met souvent en colère, ne s’intègre pas en classe. C’est alors qu’on lui diagnostique un syndrome d’Asperger. Avec l’aide de sa grande sœur, de son grand père, de sa mère ; de son AESH,  Ilyan parvient en cinquième. Lorsque c’est la maladie d’Alzheimer qui attend le grand-père qu’il adore, c’est un terrible drame qu’Ilyan doit affronter.

Véronique Foz parvient à surmonter une double difficulté : écrire dans la collection AdoDys (donc pour des enfants souffrant de dyslexie) un texte sur un enfant souffrant d’autisme. Disons tout de suite que le pari est réussi. D’abord par l’usage de la langue, des phrases courtes, souvent au présent, des phrases percutantes qui savent aller à l’essentiel des faits, des sentiments ou des émotions, des phrases qui savent dire aussi bien la vision du monde et des autres ressentie par  Ilyan que le mal-être de sa famille à aider cet enfant différent à grandir, à trouver sa place de petit humain et non de petit chat. Des phrases qui savent dire ce qu’il faut de patience et d’amour d’abord pour accepter le diagnostic, ensuite pour accompagner sans brusquer. Des phases qui savent osciller entre plusieurs pôles, d’une part  expliquer l’autisme, ses symptômes, la spécificité d’Asperger avec des mots compréhensibles par tous, d’autre part  faire éprouver au lecteur ce que ressent Ilyan, sa façon de voir le monde et les autres, ses difficultés à communiquer et à percevoir les implicites et les sous-entendus. Mais c’est peut-être dans un troisième registre que ce texte excelle, c’est dans la façon de faire naitre chez le lecteur l’empathie pour Ilyan et une forte émotion, en particulier vers la fin du texte. Cela tient à l’histoire racontée, à l’inventivité dont Ilyan va faire  preuve pour permettre à son grand père de retrouver les souvenirs qu’il a perdus, mais aussi à la  façon de mettre en mots la perception poétique de la vie et de la mort ressentie par Ilyan.

Autour d’Ilyan gravite toute une galaxie de personnages secondaires, qui incarnent différentes réactions face à l’autisme : le père qui préfère fuir et divorcer, le grand père, figure bienveillante et pleine de compréhension, la mère patiente, la sœur, entre amour pour son frère et sentiment d’être délaissée, les « copains » trop souvent moqueurs et d’une dureté insupportable, et Sol, la lumineuse, qui saura aller vers Ilyan.

On ne saurait trop que conseiller à toutes et tous de lire cet ouvrage, d’abord parce qu’il est une tentative réussie de faire éprouver les difficultés  d’un enfant atteint d’autisme et de son entourage, ensuite parce que le récit de cette chronique familiale sait faire la part belle au réel, à l’intime et à l’émotion.

Age tendre

Âge tendre
Clémentine Beauvais
Sarbacane, 2020

Un « Good bye Lénine » à la maison de retraite ou : le nouveau fan des sixties

Par Anne-Marie Mercier

Par temps de grisaille en tous genre, voilà un livre qui fait du bien.
Non par mièvrerie, il ne l’est absolument pas ; non par le fait qu’il emmènerait loin des questions difficiles, il en aborde au contraire plusieurs tout en étant très drôle, dont, en vrac :

le désarroi des lycéens devant l’application parcoursup,

  • le mal de vivre des adolescents affectés d’un syndrome autistique lâchés dans la vraie vie,
  • le drame des personnes âgées désorientées,
  • la vie en colloc,
  • les effets d’un divorce sur les enfants,
  • le deuil,
  • la responsabilité et l’entrée dans la vie professionnelle…
  • l’amour, le grand
  • Et, par-dessus tout cela, la découverte des chansons de Françoise Hardy par un adolescent d’aujourd’hui, avec un défi qu’il s’est lui-même forgé : faire venir Françoise Hardy (décédée depuis quelques années car l’intrigue se passe dans le futur) pour la faire chanter dans une maison de retraite.

Tout cela, énoncé ainsi, peut sembler hétéroclite. Mais l’intrique réunit ces questions grâce à la personnalité et à l’histoire de Valentin. Il vient d’achever ses années de collège et, avant d’entrer au lycée, il doit comme tous « les garçons et les filles de [s]on âge » faire un service civique ou militaire de dix mois. Ayant rempli le questionnaire de choix pour définir son affectation, il est surpris de voir qu’aucun d’eux n’a été respecté et se retrouve, lui le garçon du sud que tout effraye, à travailler dans un institut pour personnes âgées désorientées ou démentes, dans les Hauts de France, très loin de chez lui.
Malgré ce contexte lourd, le lecteur rit beaucoup : le ton compassé de Valentin, sa naïveté, les situations absurdes dans lesquelles il se retrouve font de la première moitié du livre un sommet de drôlerie grinçante. Le roman, écrit à la première personne a la forme d’un rapport de stage, celui que Valentin doit rédiger, et fait penser à la langue de bois pédagogico-administrative que l’on reconnait hélas de loin :

« L’individu rédigera au fil de l’année un Rapport de Service civique Obligatoire (RSCO), lequel sera noté par des professeurs du secondaire et constituera la première étape du baccalauréat (coefficient 6).
Ce rapport devra suivre le format règlementaire et sera évalué selon les critères suivants :

  • Précision de l’analyse du lieu de travail et de ses exigences
  • Justesse de la description des compétences développées […]
  • Le rapport ne devra pas dépasser trente pages dactylographiées. » On apprend tout de suite que Valentin a « dépassé » en rédigeant 378 pages.

Le début du livre est marqué par le style compassé de Valentin, qui imite le ton du guide de rédaction du rapport (Valentin est une « éponge » et il peut ainsi répéter tous ce qu’il a lu ou entendu, du guide touristique aux propos de coloc et sa langue est curieusement bigarrée). Ainsi Valentin écrit :

« J’ai sélectionné « Culture », éducation » et « social ». Ces préférences ont été motivées par le fait que je n’aime pas du tout être dehors, alors déjà c’était hors de question que je choisisse par exemple « Voirie » et « Nature ». Lors de la discussion avec Madame de Panafieu, il a été en effet déterminé que j’étais d’un tempérament plutôt adverse à l’environnement urbain, et aussi à l’environnement rural et à l’environnement naturel. Selon Madame de Panafieu, il est manifeste que mon champ de compétences préférentiel s’exerce dans des lieux clos (exemple : maison). »

Le pauvre Valentin va devoir exercer dans le parcours « santé », partir loin, seul, rencontrer des « personnalités non conventionnelles » et constater que « la vie nous jette parfois au-devant de défis imprévus », comme dit madame Panafieu, mais qu’avec un bon tempérament on peut arriver à aimer ce qu’on détestait. Il « aiguise son relationnel », c’est-à-dire se force à parler aux gens.
Grâce à ses colloc, Valentin découvre la vie en communauté, les bibliothèques (la description par Valentin des publics de la bibliothèque vaut le détour ! p. 114-115), la pratique d’un instrument de musique (il devient virtuose de l’accompagnement des chansons de Françoise Hardy et se produit sur les marchés, vêtu d’une mini robe Mondrian).
Quant à son travail sur l’unité Mnémosyne, il est mi tragique mi comique et les pensionnaires sont très divers, les uns totalement dupes de l’univers factice, copie des sixties, jusqu’aux informations télévisuelles, qu’on leur propose (comme dans le film « Good bye Lénine »)et les autres moins, ce qui donne des scènes cocasses et touchantes. Valentin finit par s’interroger pour savoir si ces unités, « Disneyland de la démence »  sont une « méthode révolutionnaire pour le bien être des patients » ou une entreprise cynique.
Et puis il faudrait ajouter l’histoire de tous les personnages rencontrés par Valentin, et surtout de Sola, médecin de l’unité, son tuteur de stage, avec son histoire d’amour et de deuil, très belle.
Mais je n’en dirai pas plus (j’ai dépassé) : lisez ce livre, vous verrez, c’est un régal !

Boboth La machine à rêver

Boboth La machine à rêver
Texte Li-Cam – Sculptures Laura Vicédo – Dessins Marion Aureille
Organic Editions

Portrait d’une autiste en machine à rêver

Par Michel Driol

bobothBoboth a 14 ans. Elle est la meilleure de sa classe, sans travailler. Elle fait les devoirs des autres élèves, pour s’acheter la paix sociale. Elle adore Star trek et David Bowie. Elle est nulle en sports, et a une mémoire phénoménale… Et elle a été diagnostiquée TED, « ce qui n’est pas une marque de robot comme Moulinex ou Bosch », mais Trouble envahissant du développement. En fait, elle ne parvient pas à s’intégrer parmi les ados de son âge, dont elle ne partage pas les mêmes préoccupations. Son problème, c’est de ne pas percevoir les règles sociales de façon intuitive, mais en les intellectualisant pour tenter de compenser ce handicap.

La nouvelle de Li-Cam dresse le portrait de cette jeune fille, vue de l’intérieur, en faisant partager au lecteur ses pensées, ses sentiments, ses réactions face au monde dans différentes situations : en cours de maths, pendant un match de volley, sur le parking, dans sa chambre, en discussion avec un voisin… Et c’est là tout l’intérêt de cette nouvelle, qui n’emploie pas une seule fois le mot autisme, de faire découvrir au lecteur petit à petit le handicap de son héroïne, sur lequel  le diagnostic –  TED – n’est posé qu’au milieu de la nouvelle. On découvre donc progressivement la réalité de sa vie, sa façon de se raccrocher à la logique,  en pensant d’abord qu’elle est légèrement différente, comme bien d’autres adolescents brillants et en décalage de maturité ou de préoccupations  par rapport aux autres.

Boboth se prend, non sans humour, pour un robot, un prototype jamais construit en grande série pour cause de dysfonctionnement, et les illustrations, des sculptures photographiées, prennent le parti de montrer des machines improbables, faites de bric et de broc, d’objets récupérés, à la façon d’un théâtre d’objets. Point commun entre toutes ces machines : elles sont toutes montées sur des roulettes, comme pour montrer la volonté d’aller vers les autres, de ne pas s’enfermer. Des dessins, qui évoquent ceux de Léonard de Vinci, sur les rabats des couvertures, donnent les légendes de ces étranges machines – machine de la pensée intérieure ou machine pour fuir et s’enfuir.

Un bel objet livre et un texte qui permettront de mieux comprendre, de l’intérieur, cette forme particulière d’autisme, l’autisme à haut niveau de fonctionnement.

A lire également, de la même auteure, La petite Bébéth, portrait de l’héroïne quelques années plus tôt, à huit ans.

L’étonnante disparition de mon cousin Salim

L’Etonnante Disparition de mon cousin Salim
Siobhan Dowd
Traduit (anglais) par Catherine Gibert
Gallimard jeunesse (folio junior), 2012

Autiste détective

Par Anne-Marie Mercier

Publié pour la première fois en français en 2009, ce roman fait penser très fortement au Bizarre incident du chien pendant la nuit de Mark Haddon, publié en 2004, qui a connu un grand succès et a été beaucoup exploité par les enseignants et tous ceux qui cherchaient à développer la compréhension et la tolérance vis-à-vis des enfants handicapés (voir un article sur ce livre paru dans Repères)

Dans les deux cas il s’agit d’une enquête policière menée par un jeune autiste. Si le héros de Haddon, Christopher, atteint du syndrome d’Asperger, était à sa façon un génie, celui de Siobhan Dowd est plus intégré. Il a une sœur, deux parents, va au collège (et y est malheureux). Mais, comme Christopher, il a des manies (la météo), des gestes incontrôlés, des difficultés à comprendre les émotions des autres et à les partager. L’intrigue policière est ici plus développée, autour d’un événement plus dramatique, une disparition d’adolescent. L’évocation de l’angoisse de la famille et de l’appareil policier et médiatique qui se met en place crée de vrais moments d’angoisse. Le texte, bien traduit, rend bien les raisonnements de Ted et ses difficultés de langage et d’adaptation. Le duo qu’il forme avec sa sœur est parfois comique et crée des pauses qui allègent le récit.

C’est une belle façon de faire entrer les jeunes lecteurs dans une pensée différente. Le désir de Ted d’avoir des amis autres que ses parents et son éducateur est émouvant et fait comprendre, au-delà du  problème de l’autisme, le drame des adolescents en mal de communication.

Siobhan Dowd est décédée prématurément mais est présente dans l’actualité littéraire par la parution d’un très beau livre de Patrick Ness, Quelques minutes après minuit, sur une idée de roman qu’elle n’a pas pu achever (voir notre chronique parue le mois denier).

Difficile d’avouer qu’on aime!

Comment (bien)  gérer sa love story
Anne Percin

Rouergue (doAdo ), 2011

 Difficile d’avouer qu’on aime !

par Maryse Vuillermet

  Encore une fois, exactement comme pour Comment bien rater ses vacances, du même auteur en 2010,  au début de ma lecture, j’ai été un peu agacée par un langage « djeun » un peu lassant et qui m’a semblé outré, mais, très vite, j’ai oublié mon agacement pour me laisser entraîner dans les péripéties de ses amitiés avec Kevin, très lourd mais d’un bon sens et d’une loyauté à toute épreuve, de sa rencontre sur Spacebook avec Natacha, des cours particuliers donnés à un aspi (comprendre un enfant souffrant du syndrôme d’Asperger, qui ne supporte aucun contact humain), de ses gouters-crêpes chez la grand-mère, de ses répétitions dans sa cave…

Maxime est encore enfantin, mais  fait l’amour avec Natacha, une étudiante en psychologie plus âgée, c’est un intellectuel, un artiste, il improvise à la guitare et a une immense culture en rock-jazz post-punk, mais il n’est pas sûr de lui, bref un adolescent totalement de son époque,  plein de doutes et de certitudes. Il n’est plus le jeune autiste du précédent roman, mais  pour devenir adulte, il a encore pas mal d’épreuves à traverser, comme la disparition soudaine de Natacha à sa soirée d’anniversaire, son arrestation pour détention de téléphone portable de contrebande…

Le ton est cependant plein d’humour, le franglais, le jargon jeune omniprésents; chaque fois qu’il lui arrive un malheur, son énergie et son humour  le font rebondir: on passe un bon moment de lecture en sa compagnie.