Agnès l’Ogresse

Agnès l’Ogresse
Benoit Debecker
Seuil Jeunesse 2020

L’enfant, la chouette, l’ogresse et le géant

Par Michel Driol

Quand on est ogresse et maitresse d’école, il ne faut pas s’étonner de n’avoir que peu d’élèves… Jusqu’au jour où Barnabé, un petit enfant perdu, vient toquer à la porte. Trop maigre pour faire un bon repas, il doit d’abord être engraissé. Trop triste pour faire un bon repas, il doit aussi être diverti par des spectacles de marionnettes. Fort heureusement arrive à temps un bon géant, à la recherche du propriétaire d’un doudou trouvé, qui corrigera  – au propre comme au figuré – Agnès, lui fera cultiver son jardin et accueillir tous les enfants abandonnés.

Voilà une réécriture de contes comme Hansel et Gretel bien réjouissante ! On apprécie en particulier le personnage d’Agnès, lieu d’oppositions saisissantes entre son métier et son état, entre sa représentation graphique, une chatte, somme toute plutôt sympathique dans son allure et son éternel sourire, et ce que dit le texte de sa cruauté. On s’attache ensuite à un personnage d’adjuvant incarné par une petite chouette compatissante, répondant au doux nom de Séraphine. On retrouve les recettes de sorcières avec un plat emblématique, une recette transmise de mère en fille pour nourrir les enfants, le ragout de culs de lapin à l’ail, dont Barnabé doit ingurgiter des quantités énormes. On croise aussi un Maitre Corbeau, sur un arbre perché, donneur de conseils. Enfin, deus ex machina, arrive le sauveur, géant au grand cœur, sorte de chat botté perspicace et généreux. Ces éléments s’enchainent pour le plus grand plaisir du lecteur qui devine d’avance que, comme dans tous les contes, tout finira bien, et qui prend plaisir aux touches d’humour, qu’elles soient graphiques (l’ogresse à skis) ou textuelles (la punition donnée à la chouette sous forme de lignes à copier). Les illustrations, dont le code graphique est celui de la ligne claire, renferment de nombreux détails à la fois réalistes et drôles à observer. On pense aussi parfois à l’univers  de Tony Ungerer en lisant cet album, tant par les personnages, par les situations que par certaines illustrations.

Un livre qui montre encore le pouvoir des contes sur notre imaginaire lorsqu’ils sont adaptés, réécrits, transformés avec humour, intelligence et sensibilité. Tout est bien qui finit bien !

Comment le Petit Poucet a semé des gaines en jetant des cailloux

Comment le Petit Poucet a semé des gaines en jetant des cailloux
Mathilde Paris, Marion Tigréat
Dyozol, 2018

Poucet découpé

Par Anne-Marie Mercier

Le conte du Petit Poucet est ici très réécrit : l’enfant, qui vit dans une ville moderne, grise et triste, entend ses parents s’inquiéter de leur peu d’argent. Il part à la recherche d’un trésor qui, dit-on, se trouve au-delà du pont, dans la forêt. Semant des cailloux gris, il part en quête, et rencontre un géant très gentil, sa femme, et leurs six filles qui s’affairent gaiement aux travaux de la terre.
Il découvre chez eux que le bonheur n’est pas dans ce que l’on possède mais dans l’amour d’une famille. Il rentre chez lui avec cette leçon et les graines données par le géant : tout fleurit alors dans la ville triste et la nature rend à tous le bonheur.
L’histoire a perdu les aspects sombres et terrifiants du conte, même si les auteurs insistent sur l’angoisse de l’enfant, son errance lorsqu’il ne retrouve plus son chemin… et la leçon en est un peu convenue. L’illustration faites de formes colorées découpées dans des pièces de feutrine, donne à l’image un relief intéressant.

Pompon Ours dans les bois

Pompon Ours dans les bois Benjamin Chaud Hélium, 2018

« Boucle d’or » inversée

Par Anne-Marie Mercier

On se réjouit à chaque retour de l’ours de Benjamin Chaud, tant pour son caractère ingénu et les situations loufoques que suscite son insouciance, que pour l’univers de l’illustration, saturée de détails et organisant un parcours sinueux du regard, jamais complet . Dans cet épisode, Pompon semble avoir grandi (de fait, ces albums se suivent puisqu’on trouve ici le petit frère, Tout Petit Ours, dont l’arrivée avait été célébrée dans un album précédent). Il se comporte en pré-ado boudeur qui s’ennuie et veut être ailleurs, être un autre,  un petit garçon par exemple. Il se perd dans les bois et arrive dans une maison qui se trouve pour l’instant vide de ses habitants. Il la parcourt sans vergogne… Voilà « Boucle d’or » mise à l’envers. Mais la maison qu’investit l’ourson pour son plus grand bonheur est plus grande et pleine de ressources ; la double page le montre dans toutes les pièces de cette maison, ouverte comme une maison de poupée : de la cave au grenier, il y a de quoi s’amuser, jusqu’à ce qu’un bruit fasse lever les terreurs, toutes sortes de maxi-monstres imités de Sendak, qui précipitent la chute, cocasse et tendre.

Le Petit Chaperon bleu

Le Petit Chaperon bleu
Guia Risari (texte) – Clémence Pollet (illustration)
Le Baron perché

Toute ressemblance avec une histoire connue ne serait que pure coïncidence

Par Michel Driol

pcbUne nouvelle réécriture du Petit Chaperon Rouge… et autres histoires, car on y retrouvera aussi les Trois petits cochons, Cendrillon et la Belle au bois dormant.

Voici un album qui offre une version moderne (le décor est urbain, contemporain) et décalée des contes, car cette fois, ce sont les deux enfants héros de cette histoire qui jouent à interpréter les personnages des contes. La petite fille, espiègle, malicieuse, ne se laisse pas impressionner et domine le garçon déguisé en loup, vêtu de rouge… Cette inversion des stéréotypes de genre modifie profondément la signification du conte, pour en faire une rencontre amoureuse dans laquelle c’est la fillette qui prend les initiatives, le loup n’étant plus le danger absolu, mais un partenaire de jeu consentant et séduit. Dès lors les deux enfants – complices – peuvent réinterpréter les histoires du monde entier : l’album invitant alors, à la fin, à cette réinvention des significations, indiquant tout à la fois que les enfants ont besoin de contes pour grandir, mais aussi qu’ils doivent s’approprier ces contes comme espace de jeu nourrissant leur imaginaire. Quel enfant n’a pas joué à « Si j’étais, tu serais.. » ?

Cet album se prête donc à différents niveaux de lecture, d’abord physiquement, puisque, comme dans les thèses les plus savantes, des notes nourries de bas de page l’accompagnent. Notes toujours pleines d’humour,  tantôt sérieuses comme la notice sur les « dents de lion »,  tantôt mathématiques comme la composition et le poids du panier,  médicales (la liste des maladies de la grand-mère)… Les uns y retrouveront l’histoire du Petit Chaperon Rouge, et s’amuseront des variations qui n’ont rien de gratuit. Les autres y liront les relations femme – homme, adultes – enfants. D’autres apprécieront les relations texte – image (comment l’univers urbain et le jardin de jeux d’enfants prennent la place de l’univers du conte)…

Gageons que cet album fera date dans les réécritures du PCR*

* PCR : abréviation universitaire pour le Petit Chaperon Rouge

Le Petit Principe

Le Petit Principe
Eva Almassy

L’école des loisirs (neuf), 2014

Un Petit Prince pour le XXIe siècle

Par Anne-Marie Mercier

Les réécLe Petit Principeritures ne sont pas toujours intéressantes en elles-mêmes, à quelques exceptions près (J’étais un rat de P. Pullman, L’Enfant Océan de JC Mourlevat…), et certains ouvrages semblent difficiles à imiter; Le Petit Prince est de ceux-la. On connaît d’ailleurs une série calamiteuse, à éviter, comme je l’écrivais dans une chronique de 2011. Mais il y a de bonnes surprises, comme le livre d’Eva Almassy.

L’idée de transposer la rencontre dans l’espace est belle ; elle est évidente après coup comme toutes les bonnes idées : le désert a été galvaudé aujourd’hui, survolé en hélicoptère, sillonné de 4×4. Il n’est plus dans notre imaginaire le lieu de la solitude absolue et sans remède ; l’espace interstellaire (oui, le film du même nom qui vient de sortir, et Gravity, le montrent bien) l’a remplacé. Donc, le narrateur, sorti de sa navette en scaphandre d’astronaute, répare sa machine, clef à molette en main. Arrive un enfant… et le dialogue s’engage entre l’adulte, agacé puis curieux, et l’enfant, perdu et questionneur. Il a voyagé de trou noir en trou noir, échappé aux requins de l’espace, et a fait des rencontres.

Les personnages du Petit Prince (dont on peut se demander s’ils signifient toujours quelque chose aux enfants, tant ils sont loin de leur monde, comme l’allumeur de réverbères) sont remplacés par d’autres, tout aussi étranges mais plus proches : professeur de physique, psychologue, adepte de sports extrêmes, magasinier, directeur de casting, ces personnages adultes ou adolescents sont tous pris dans des logiques absurdes et aveugles. Le petit Principe (je vous laisse découvrir la raison de son nom) rencontre même le temps, qui lui apparaît sous différentes formes illustrant la relativité de cette idée, et son importance pour les enfants : ainsi la réflexion sur le temps est au cœur du livre : temps perdu ou gagné, temps gâché ou rempli, temps donné ou temps volé.

sfar-010

 

C’est une belle réussite, écrite dans une marquèterie de styles oraux, chaque personnage ayant le sien, le narrateur inclus, un livre attachant et étrange. Les illustrations de Thanh Portal, proches de l’esprit de celles de Saint-Exupéry, plus encore que celles de Sfar, sont parfaites pour accompagner ce joli livre.

Voir aussi l’album Le Pilote et le Petit Prince. La vie d’Antoine de Saint-Exupéry
Peter Sís (Grasset Jeunesse, 2014)

pilote_petit_prince_couv-7f10a

http://www.lietje.f

 

r/2014/10/24/le-pilote-et-le-petit-prince-la-vie-dantoine-de-saint-exupery

 

 

Et bientôt,… La Petite Princesse de Saint-Ex de Pef.

Sur la bouche

Sur la bouche
Antonin Louchard
Thierry Magnier (tête de lard), 2011

Cap ou pas cap d’embrasser cet album ?

par Sophie Genin

9782844208996.gif

Antonin Louchard l’avait déjà commis en 2003 chez un autre éditeur. Il se fait plaisir (et à nous par la même occasion !) en rééditant ce petit album cartonné, « à embrasser », comme nous l’apprend la couverture, dans la collection dont il est responsable chez Thierry Magnier.

« Livre à embrasser », en effet, car le pauvre prince transformé en crapaud par un « sorcier très méchant » demande à une princesse qui lirait cette histoire de le délivrer de sa malédiction en l’embrassant, tour à tour sur le front, les yeux, les pieds, les mains… jusqu’au baiser salvateur. Mais la fin, surprenante, c’est peu de le dire, nous fera, comme très souvent chez cet auteur illustrateur de talent, nous esclaffer et crier « beurk » en même temps !

De plus, outre les références aux contes de fées traditionnels et l’humour décapant de son auteur, le texte, écrit en jaune sur fond rouge, rime. Citation à l’appui, comme mise en bouche (!), pour finir :

« Mais il me faut
une vraie princesse
pas une grenouille
avec des tresses
pour que le charme soit brisé
Embrasse-moi sur les pieds. »