Le Prince & le monstre

Le Prince & le monstre. Extrait de Phèdre
Jean Racine, Thiery Dedieu
Seuil jeunesse, 2023

Par Anne-Marie Mercier

Le fameux récit de Théramène dans Phèdre, racontant la mort d’Hippolyte, fils de Thésée, attaqué par un monstre marin invoqué par son père, est bien connu des plus de quarante ans et de quelques autres : il faisait partie des exemples de narration classique, on l’apprenait par cœur… C’est sans doute ce qui a marqué l’auteur des illustrations, qui déclare en quatrième de couverture « Dans ma jeunesse, j’aurais voulu qu’on me présentât Phèdre de cette manière ».
Ah oui, Racine illustré par Dedieu, ça a de l’allure, du rythme, du suspense, c’est beau, poignant… On pourrait dire que le texte est tout cela et pourrait se suffire à lui-même, mais Dedieu épouse remarquablement son rythme, sa poésie, sa tragédie.
On peut ajouter que ce que propose Dedieu est court, avantage certain avec des jeunes lecteurs. On pourrait objecter que présenter Phèdre uniquement par le récit de Théramène, c’est un peu limité, mais pourquoi pas ? C’est un bel extrait, il résume en partie le propos sans évoquer en détail les sujets délicats (l’inceste projeté par Phèdre, son désir, sa fureur), il y a de l’action, de l’héroïsme, c’est magnifique.
A partir de 9 ans, dit le service de presse. D’ordinaire, on aborde Racine plutôt au lycée. Mais ce pourrait être, pas forcément à 9 ans mais un peu plus tard, une initiation à la poésie du récit et à la culture du siècle classique : les pages de garde reproduisent la typographie de l’édition originale (1677), entrée austère vers le flamboiement des images qui suivent.

Œdipe schlac ! schlac ! + Carnet de théâtre

Œdipe schlac ! schlac ! + Carnet de théâtre
Sophie Dieuaide
Casterman Poche 2002 – 2020

Quand Œdipe remplace Godzillor…

Par Michel Driol

Ne voulant pas que, pour la pièce de fin d’année, les élèves jouent le retour de Godzillor, la maitresse leur propose de jouer Œdipe roi. Tandis qu’elle leur raconte la pièce, ils en improvisent les dialogues, dans une langue jeune et contemporaine assez éloignée de la langue de la tragédie grecque.  On suit donc le projet théâtral de sa conception à la représentation, en passant par la confection des costumes, des décors, des programmes.

Le petit roman de Sophie Dieuaide, dont le narrateur est un des enfants de la classe, ne manque pas d’humour. D’abord par la langue, vigoureuse, imagée. Ensuite par la vision qu’offrent les enfants de la tragédie, leur façon de représenter – et de représenter –  l’Antiquité en fonction de leurs connaissances du monde actuel. Les anachronismes se multiplient donc, pour le plus grand plaisir du lecteur. Enfin parce que cette classe est un microcosme du monde du théâtre, avec ses codes, ses relations, ses métiers, le tout vu à hauteur d’enfant capable aussi d’avoir un trou de mémoire, et le trac !

Cette édition est enrichie d’un carnet de théâtre, véritable guide pour jouer la pièce. On retrouve le même narrateur que dans le roman, et on a une série de fiches pratiques pour les costumes, les décors, les accessoires en plus du texte complet de la pièce. On a en plus quelques trucs anti trac… Ce carnet, tout en permettant la mise en scène du texte,  est aussi plein d’humour et repose sur une adresse du personnage aux lecteurs, comme autant de suggestions, de conseils pour aller au bout de l’entreprise.

Un texte drôle pour évoquer l’un de nos mythes fondateurs les plus tragiques.

Antigone

Antigone
Yann Liotard, Marie-Claire Redon
La Ville brûle, 2017

Celle qui a dit non

Par Anne-Marie Mercier

« Il était une fois dans un pays lointain, une jeune fille. Elle s’appelait Antigone.

C’était une fille qui ne se laissait pas faire.
Elle osait, dans un monde d’hommes,
être elle-même et marcher le front haut.
Elle avait le courage de penser,
le verbe qui mord, la beauté rebelle. »

Enfin, elle était une jeune fille comme les autres, « sauf qu’elle était princesse. Une princesse compliquée née dans une famille compliquée. Une princesse maudite qui vécut malheureuse et n’eut jamais d’enfant. »

Ainsi, l’auteur du texte, Yann Liotard, professeur de lettres classique qui connait les dififcultés des élèves pour aborder ce mythe, choisit d’entrer dans le mythe par la voie du conte, et la révolte du personnage par son actualisation (ici, féministe). La tragédie revient avec l’évocation du destin familial, et l’enchainement inexorable des événements, de l’abandon d’Œdipe par ses parents au meurtre de Laïos, son père, à son mariage avec sa mère Jocaste et la naissance de la fratrie maudite – à laquelle appartient Antigone. On la voit guidant Œdipe aveugle hors de la ville, puis tentant d’offrir une sépulture à son frère, mort en affrontant son autre frère, on assiste à sa condamnation, au suicide de Hémon, etc.
Le chœur accompagne ces événements ; il est composé de quatre à cinq rats des champs,  justes crayonnés sur fond rouge; ils portent une parole de commentaire, ou d’apitoiement. Les dessins de Marie-Claire Redon (dont c’est le premier ouvrage) font alterner l’histoire d’Antigone (en crayonnés ou en aplats de sombre indigo) avec les pages rouges dédiées au chœur. Ils donnent une touche fantastique à cette histoire : Antigone a une apparence de frêle jeune fille, hors les petites oreilles de chat qui émergent de sa chevelure, les corbeaux, les rats et la mort sont partout (celle-ci est représentée par des poupées qui jonchent le sol), et le pouvoir de Créon apparait sous une forme monstrueuse.

Le chœur livre la morale de l’histoire : « Il en faut des pas pour être soi. Pas fermer les yeux. Pas faiblir. Pas se sauver. Pas trahir. Pas plier. De petits pas en petits pas, Antigone sait pourquoi. Pourquoi elle a vécu et pourquoi elle s’est battue. » Voilà Antigone ramenée à son nom, celui de celle qui dit « non ». Cette version moderne offre aux adolescents une figure qui leur ressemble et des problématiques qui leur sont familières, dans un superbe album, poétique et tragique.

 

Les Enfants de Médée

Les Enfants de Médée
Suzanne Osten et Per Lysander [1975]
Traduit (suédois) par Marianne Ségol-Samoy
Théatrales jeunesse, 2009

De la tragédie pour les enfants ?

Par Anne-marie Mercier

« Inspiré librement de la pièce d’Euripide », le texte de Suzanne Osten et Per Lysander est fidèle à son esprit : Jason est infidèle, Médée est folle de douleur ou de colère, les deux sans doute. Les enfants sont à la fois perplexes et terrifiés. Tout cela est transposé à l’époque moderne, mais le plus grand changement vient du point de vue : c’est celui des enfants qui, dans la pièce n’existent que pour mourir sous les coups de leur mère.
Ils parlent entre eux. Petit Jason questionne sa grande sœur, Petite Médée, sur ce qui se passe et sur les mots qu’il ne comprend pas (comme « se séparer »). L’angoisse monte progressivement, avec les commentaires du chœur, ceux de la nourrice, et avec la violence des paroles de Médée et l’hypocrisie de Jason, jusqu’à une tentative de fugue, puis la scène du meurtre… qui est un cauchemar raconté par l’un des enfants. Après ce récit, comme sous l’effet d’une catharsis, la violence faiblit, une solution est trouvée, une acceptation plus ou moins, difficile finalement pour Jason.
L’écriture est sobre et belle, les parents et le chœur parlent dans le style du drame antique, la nourrice traduit en langage moderne courant ; les paroles des enfants sonnent juste ; elles sont aussi parfois drôles et crues. Le drame qui se joue est à la fois mythique et réel, le mythe se rapproche du fantasme par la vérité du rêve.
La transposition est parfaitement réussie. Devenue un classique en Suède, la pièce émeut autant les adultes que les parents et illustre une idée du théâtre pour le jeune public forte : un théâtre qui s’adresse à tous et qui parle de l’enfance et des enfants en les mettant au cœur du théâtre.

« Petite Médée : J’ai rêvé qu’on était morts ; Tu étais allongé comme ça… (Elle l’allonge par terre.) Et moi comme ça. (Elle s’allonge sur le lit.) On nous avait tués à coups de hache. La hache était décorée de grelots… J’avais reçu des coups de hache dans le ventre et toi dans le cou. Ta tête était tombée et elle roulait par terre comme un ballon. Elle fait rouler le ballon) Et c’est à ce moment-là que papa est arrivé. Il a pris ta tête parce qu’il devait aller au terrain de foot pour jouer et quand il l’a vue il a dit  (Jason mime) : « Il ne s’est même pas brossé les dents »

Petit Jason: Pourquoi on était morts? Qu’est ce qui était arrivé?

Petite Médée : Je ne sais pas . Maman était fâchée et elle s’était servie de ses pouvoirs… »

 

Electre Justicière

Electre Justicière
Sylvie Gérinte, Daniele Catalli
Amaterra (« Les grands personnages à hauteur d’enfant »), 2018

Du sang sur les pages

Par Anne-Marie Mercier

A priori, l’histoire d’Électre n’est pas «pour les enfants»: faire assassiner sa mère ne fait pas partie des choses acceptables dans ce domaine. Certes, ce n’est pas elle mais son frère Oreste qui tue, et sa mère était bien coupable : elle avait fait elle-même assassiner son mari Agamemnon par son amant au retour d’ Agamemnon la guerre de Troie ; certes, sa mère avait des excuses : son mari n’avait-il pas sacrifié leur fille ainée, Iphigénie, avant de partir pour cette guerre qui a duré 10 ans ? etc.
L’histoire est résumée en quelques pages, malgré sa complexité, et dans un style réussi pour ce qui est du récit, un peu plus apprêté pour ce qui est de l’insertion de paroles.  Les auteurs se tirent assez bien de l’exercice difficile de l’adaptation : l’assassinat de la mère et de son amant par Oreste  prend trois lignes ; le meurtre de leur père est révélé à la jeune fille par la déesse Athéna, dans un rêve, et le récit de cet événement s’étend sur une page entière se concluant par une lamentation (« Ô douleur de voir ce grand roi étendu, mort, sur un large voile ensanglanté ! ») tout le reste est centré sur la douleur et la solitude d’Électre, présentée comme un personnage proche de Cendrillon. Les illustrations sont simples et belles, entre le conte et le mythe donc bien en relation avec le projet.

Dans la même collection, on trouve Calamity Jane, Orphée  et Cléopâtre.
Signalons chez le même éditeur une autre collection proche, « Les grands textes
à hauteur d’enfant
, qui présenteUlysse (mais aussi Pénélope !) Cyrano, Alice, Thésé, Gavroche, Fadette…