Lili et l’ours

Lili et l’ours
Raymond Briggs
Grasset, (1994) 2015

Une digne cousine d’Anna

par Dominique Perrin

liliComment représenter l’imaginaire en tant que force de transformation du réel ? C’est au prisme de cette question que miroite ici l’impertinent talent de l’auteur de Sacré Père Noël. Lili passe très sagement la journée seule avec ses pensées tandis que son père travaille à ses côtés et sa mère au dehors. Du coup, lorsqu’elle annonce qu’un gigantesque ours polaire s’est introduit dans sa chambre et par là dans sa vie, personne ne lui conteste le droit de cultiver cette encombrante compagnie, sur le fameux mode qualifié de « playing » par Winnicott.

Seulement voilà, à l’image, et en l’absence du regard des adultes, cet ours est bien réel ! On ne saurait être plus attachant ni plus rassurant, mais il est de trop grand format, et décidément trop « animal » pour se tenir comme il faut : Lili est obligée de s’en faire l’éducatrice, ce qui n’est pas de tout repos, ni même assumable. La puissance graphique de ce récit (l’ours s’ébroue vraiment ici, excède vraiment le cadre ailleurs), conjuguée à l’efficacité du dispositif de double narration (dans l’édition originale, comme dans Anna et le gorille d’Anthony Browne (1983), le titre anglais se réduit au nom de l’animal, indiquant la primauté de l’imaginaire sur la réalité sociale), le classe dans les très grands albums. Il mérite son très grand format, sa qualité d’impression, et le prix qui s’ensuit.

Père Castor, Les Contes de toujours, vol. 2


Père Castor, Les Contes de toujours, vol. 2
Collectif
Flammarion Père Castor, 2015

Vive le Père Castor…

par Dominique Perrin

contes 2De Roule galette de Natha Caputo et Pierre Belvès en 1950 au Cheval bleu de Nathan Hale en 1963, du Petit chat perdu chaleureusement illustré par Albertine Deletaille en 1971, à l’Histoire de la lettre que le Chat et le Chien écrivirent à leurs amies de Josef Capek et Micheline Chevallier en 1970, on retrouve dans ce second volume des Contes du Père Castor le grand et beau souffle éditorial de François Faucher, son inspiration résolument internationale, sous les auspices de talents et d’esprits pionniers souvent venus de l’est de l’Europe.

La nécessaire réduction de format imposée aux albums originaux modifie parfois la magie de la célèbre « tourne de page » de plus d’un de ces albums. Mais la qualité matérielle de cette anthologie lui confère une réelle capacité de durer comme un trésor de la culture européenne ; et ce second volume de chefs-d’œuvres destinés à l’enfance associe au plaisir immédiat de la lecture celui de l’intertextualité : Nathan Hale était l’auteur enfant de La Vache orange, Josef Capek et Micheline Chevallier avaient d’abord donné le merveilleux Un gâteau 100 fois bon ; Etienne Morel revient deux fois dans le volume même avec Un petit chacal très malin et La plus mignonne des petites souris.

Tous les genres et les talents de la maison n’étant certes pas représentés ici, on ne peut que renvoyer ici à la médiathèque éponyme (à Meuzac dans le Limousin) et au site des Amis du Père castor, ainsi qu’à la production toujours précieuse publiée sous son égide en matière de contes du monde entier.

C’est Papa qui découpe

C’est Papa qui découpe
Pierrick Bisinski
Ecole des loisirs 2015

Comme un air de tangram

Par Michel Driol

cpapaUn petit cochon voit son père découper des formes dans du papier noir : des triangles, des rectangles allongés, des cercles. Son père alors l’invite à assembler ces formes pour  s’inventer un nouvel ami.. et voici qu’il compose un loup, qui se précipite sur lui pour le manger, avant de se casser. Le petit cochon décide alors, avec les mêmes formes, de se fabriquer un grand chien. La 4ème de couv’ invite le lecteur à jouer en créant de nouveaux personnages.

Cet album cartonné s’adresse aux tout-petits, et propose, avec humour, un  dialogue simple entre un père et son fils. L’un propose, invite à inventer, à jouer, mais le jeu peut révéler les angoisses et les peurs.  Il suffit alors de peu de choses, changer quelques formes de place, pour que les ennemis inquiétants deviennent des amis rassurants. Le graphisme, coloré et très dépouillé, représente avec une fausse naïveté des personnages expressifs dont les émotions et sentiments seront facilement perçus par les plus jeunes.

Une invitation à jouer avec les formes !

 

Les regards des autres

 Les regards des autres
Ahmed Kalouaz
Rouergue  2016,

 

 Affronter le harcèlement au collège

Par Maryse Vuillermet

 

 

 

les regards des auutres image A la différence du témoignage que je viens de chroniquer, Mauvaise connexion de Jo Witek, ce récit également  sur le même sujet et à la première personne,  d’une jeune fille Laure,  harcelée dans son collège de Lyon, me semble plus profond et plus touchant . Ahmed Kalouaz   décrit parfaitement le fonctionnement, une bande de filles qui s’attaque à une autre jugée plus faible, ou une bande de garçons qui s’attaque à un plus jeune parce qu‘il est gros ou à un Syrien parce qu’il est étranger, et ils le font pour se sentir forts.

 Et il démonte aussi  le mécanisme psychologique de la victime qui accepte  de se soumettre parce qu’elle a peur. Mais dès qu’elle relève la tête ou qu’elle en parle à des adultes, le mécanisme est cassé et le harcèlement cesse.

Mais ce qui rend ce texte fort, c’est le regard poétique, lumineux qui reste émerveillé   de la puissante sérénité de la montagne, du calme d’une promenade au pas des chevaux, et la beauté des images, par exemple,  quand Laure arrive enfin à parler à sa tante :

« J’ai parlé en retenant mes larmes, car elles venaient en même temps que les mots, finalement lâchés lentement entre ces rangées d’arbres qu’un vent léger courbait. Des mots parfois suspendus à la cime des sapins, entre ciel et terre. » p 70

« Il fallait que le flot intérieur se calme, retrouve son lit, comme après un gros orage qui charrie tout. J’avais brisé l’embâcle, repris le cours des choses un peu à ma façon. » p 74

Au début, les adultes, professeurs, CPE, parents,  sont perçus comme aveugles et indifférents, mais peu à peu, quand Laure relève la tête et trouve en elle la ressource de ne plus subir, ils deviennent attentifs et aidant, chacun à leur manière.

Un livre humaniste malgré le sujet.

 

Mauvaise connexion

 Mauvaise connexion
Jo Witeck
Talents hauts  2014,

 

 Un récit utile

Par Maryse Vuillermet

 

 

 

mauvaise connexion imageMauvaise connexion est le récit d’un harcèlement moral et d’une agression sexuelle,  par écran interposé,  mais bien réelle et dévastatrice. En effet, ce texte est le témoignage de Julie Nottin. Elle raconte qu’à l’âge de quatorze ans, passionnée par le monde de la mode et rêvant de devenir mannequin, elle a posté  sur le web des photos d’elle, sous le pseudo de Marilou.

Elle est alors contactée par un producteur  qui lui promet de l’introduire dans le milieu  et de la faire travailler. Sous ce prétexte,  il lui demande de prendre des pauses, puis de le faire en sous-vêtements puis nue,  et enfin, il demande de simuler des actes sexuels,  peu à peu, elle devint sa chose, sa victime consentante. Elle s’isole,  fuit ses amies et tait son secret.

Le récit montre bien l’emprise progressive établie par le prédateur, son habileté, il n’est autre qu’un pervers pédophile, et il n’en est pas à sa première jeune fille abusée. Nous comprenons que cette aventure peut arriver  à toutes, même à des filles intelligentes et équilibrées,  tant ces hommes sont habiles. Le récit narre ensuite la reconstruction psychique longue et douloureuse,  grâce à la famille, aux amies.

Ce récit simple,  qui se veut un avertissement,  est efficace et certainement très utile.

Les Quiquoi et l’étrange sorcière tombée du ciel

Les Quiquoi et l’étrange sorcière tombée du ciel
Laurent Rivelaygue, Olivier Tallec

Actes sud junior,

Le nouvel épisode des drôlissimes Quiquoi est sorti !

Par Claire Damon

Les Quiquoi et l’étrange sorcière tombée du cielCette petite bande dessinée d’apparence simple et légère n’est pas destinée aux plus petits… et pas uniquement aux 6 ans et un peu plus. Il faut en effet suffisamment de recul pour apprécier l’humour nonchalant et efficace du texte et des dessins. Lorsqu’on possède ce recul, cette maturité et cette intelligence de lecture (comme c’est notre cas à tous), qu’est-ce qu’on savoure !

voir aussi ici

Les mondes de l’alliance

Les mondes de l’alliance
David Moitet
Didier jeunesse, 2014-2015

Les mondes de l'allianceC’est toujours un événement lorsque paraît une trilogie de science fiction française : on attend de bonnes surprises, de l’originalité, tant ce domaine est dominé par les grandes machines éditoriales  » anglo-saxonnes « . Meto, par exemple, avait été une bonne surprise. Mais on ne peut s’empêcher d’être un peu déçu face à cette nouvelle série, même si elle reste dans une bonne moyenne.

David Moitet a un réel talent pour inventer des histoires, il a créé un monde cohérent, original et intéressant, il manie les allusions à Star Wars avec discrétion et humour. Mais, mais… l’écriture pose vraiment problème. Il aurait fallu supprimer  les clichés, les adjectifs ou adverbes inutiles, les dialogues insipides et faux.

Les mondes de l'alliance2Il est vrai que beaucoup de romans ados sont écrits ainsi, comme si imiter le style d’un narrateur débutant, puisque la plupart de ces romans sont écrits à la première personne, devait rendre l’histoire plus crédible. Ici, le narrateur étant extérieur à l’histoire, il n’avait pas cette justification et cela gâche en grande partie le plaisir.

C’est d’autant plus regrettable que tous les ingrédients d’une bonne historie de science fiction étaient réunis. Un monde post apocalyptique a réuni dans une Alliance apparemment démocratique les trois espèces pensantes de l’univers, humains, tauriens (énormes, proches du Minotaure) et régaliens (insectes géants sans émotions et très forts en informatique…). Les deux héros, orphelins comme il se doit, un garçon et une fille, jumeaux, sont élèves à l’académie militaire et y font des tâches ménagère pour payer leurs études, méprisés par certains de leurs camarades. Pendant la nuit, ils s’entraînent : mystérieusement, le placard de leur chambre donne accès aux salles de simulatiLes mondes de l'alliance3on – et deviennent ainsi l’un un combattant redoutable, notamment avec le sabre que lui a laissé son père, l’autre une pilote d’avion de chasse experte. Très vite, ils seront embarqués dans de multiples aventures dans lesquelles ils se trouveront dans des conflits de loyauté terribles : l’ennemi n’est pas celui qu’ils ont cru d’abord.

D’un volume à l’autre, la lecture se fait plus fluide, les situations se complexifient.. finalement, ce n’est pas mal du tout !

L’ogre, Margotte et la galette

L’ogre, Margotte et la galette
Catherine Tamain, Marjorie Béal,
âne bâté éditions, 2015

Une nouvelle Zéralda

Par Claire Damon

L’ogre, Margotte et la galetteSi vous n’en avez pas fait une overdose, je vous propose de reprendre encore un peu de galette avec ce charmant album.

Un ogre à la gloutonnerie sans limite s’apprête à dévorer Margotte. Celle-ci lui suggère de lui préparer plutôt une galette pour le goûter. L’ogre alléché et impatient devra pourtant passer par toutes les étapes de la confection – et de la cuisson ! – avant d’engloutir le délicieux goûter. Pour la fève, on garde le suspens… Un joli graphisme plein d’humour pour régaler nos yeux, avec en bonus la recette de la galette de Margotte font de la lecture de cet album un délicieux moment à partager, et à

 

Les Pozzi, 10

Les Pozzi, t. 10 (Pozzi)
Brigitte Smadja
L’école des loisirs (Mouche), 2015

La fin d’une série-fleuve

Par Anne-Marie Mercier

Les Pozzi, t. 10 (Pozzi)Voici le dixième volume, enfin ! Non qu’on se lassait, mais l’intrigue au fil du temps devenait un peu ténue et il fallait tout le charme de ce petit monde auquel on avait fini par être sensible (après un début un peu réticent) pour rester attentif aux sorties de nouveaux épisodes.

Fin où tout est expliqué, une sorte de genèse en forme de conclusion : on apprend d’où viennent les Pozzi, leur rapport avec le Lailleurs, l’origine de la guerre… Tout cela ressemble beaucoup à nos mythes, avec le thème des frères ennemis, de l’enfant livré au flots, et ce petit monde prend une allure autre tout à coup.

Voir sur les tomes précédents

Raconte à ta façon le petit chaperon rouge

Raconte à ta façon le petit chaperon rouge
Sonia Chaine Adrien Pichelin
Flammarion jeunesse 2016

Triangles, ciseaux, carré…

Par Michel Driol

pcrVoici un nouveau petit chaperon rouge – version Grimm. L’originalité vient de l’intention et du dispositif. L’intention est de fournir un support aux enfants pour qu’ils racontent – à leur façon – cette histoire connue, en leur fournissant un support stylisé à base de pictogrammes. Un marque page rappelle la signification des pictogrammes et propose, page par page, au verso, un résumé de l’histoire. Au nombre de neuf, les pictogrammes sont des triangles, de taille et de couleur variables, pour les personnages, un carré vert pour la forêt, un rectangle allongé pour le lit, une maison orange pour la maison, des petits ronds noirs pour les cailloux et, plus original, une paire de ciseaux pour le loup. Ces ciseaux sont l’objet polymorphe de cet album : mâchoires lisses ou munies de dents,  agrémenté d’un triangle symbolisant les dévorations, puis d’un cercle matérialisant les cailloux dans le ventre, il finit avec des spirales dans les yeux, mort.

On regrette la pauvreté du texte du résumé – écriture au présent, style très simple, dans le genre des Oralbums de Philippe Boisseau  – que, de toutes façons, l’enfant – dès 4 ans, dit la notice – ne pourra pas lire. Fallait-il vraiment le mettre ? A la limite pour un enfant apprenti lecteur de 6 ans ? En revanche, on trouve l’idée et la réalisation graphiques séduisantes : les pages suivent de très près le récit – bien plus que l’album de Rascal, autre version sans texte du petit chaperon rouge – et sont donc un bon support au rappel de récit par l’enfant. Le choix – comme chez Rascal, de graphismes dépouillés fournit  un tremplin pour l’imaginaire et constitue un premier pas vers le symbolisme et/ou l’abstraction figurative, tout en proposant une création originale qu’on croirait faite avec des gommettes – objet graphique par excellence pour les enfants !

 Un album support aux rappels de récit, sous toutes leurs formes (comme l’indique le préambule : tu peux ajouter des bruits, ce que pensent les personnages…) : l’enfant lecteur peut ainsi devenir auteur de son propre récit !