La Petite fille qui avait peur de tout

La Petite fille qui avait peur de tout
Aurora Cacciapuoti
Traduit (anglais) par Christian Demilly
Grasset jeunesse, 2022

Mais ça finit bien quand même

Par Anne-Marie Mercier

L’auteure « a étudié la psychologie et l’art thérapie avant d’obtenir son diplôme en illustration », dit la présentation, et on constate effectivement qu’elle a exploré les terreurs enfantines : la petite Amélie pense à tout («on ne sait jamais ce qui peut arriver», répète-t-elle) : de l’orage, des chutes, des orties, des araignées, de tous les animaux… et  elle se prive ainsi de beaucoup de choses : de la nature, des sorties en famille, des amis.
Un jour, arrive un petit être tout gris et larmoyant qui se présente de manière mystérieuse : « Tu ne cesses de m’éviter. Si ça continue comme ça, je ne pourrai jamais réaliser mes rêves ». Pour consoler cette petite chose, Amélie l’emmène faire ce qu’elle refusait de faire seule.

Prendre de la distance avec une émotion, s’occuper d’autrui pour oublier ses soucis, tout cela est intéressant. Mais le dédoublement est un peu étrange et le happy end apparait un peu facile. Cependant il y a de bonnes idées de choses à faire pour bercer son chagrin et les dessins sont précieux pour donner une forme à ce qui n’en a pas .

Le Livre coquin, Le livre qui a bobo

Le Livre qui a bobo
Le Livre coquin

Ramadier et Bourgeau
L’école des loisirs, 2021 et 2022

Jouer avec le livre ou être joué ?

Par Anne-Marie Mercier

Voici les 7e et 8e de la série.

En effet, « Le » livre a eu bien des aventures. Ramadier et Bourgeau ont eu le talent de lui faire vivre beaucoup de moments qui font de lui un miroir de l’enfant : avoir peur, s’endormir, être en colère, aller à l’école… toutes ces expériences ont été vécues par le  livre – et par son lecteur.

Et voilà que celui-ci se rebelle… un peu : le coquin se cache, il faut l’appeler, il joue à faire peur, le voilà devenu le compagnon de jeu de l’enfant… accompagné de l’adulte.
Dans le livre qui a bobo l’enfant est conduit à imiter les adultes qui le soignent quand il est malade : on joue au docteur pour soigner ce pauvre livre.

Toutes ces propositions qui demandent au lecteur d’agir avec le livre et suggèrent une interaction sont portées par le graphisme minimal et très expressif du « visage » enfantin attribué au livre, sur un fond de couleur tramée, couleur presque constante dans chaque volume : bordeaux pour l’un, vert maladif puis jaune soleil pour le deuxième. Un livre gai et en bonne forme !

Anne et sa maison de rêve

Anne et sa maison de rêve
Lucy Maud Montgomery
Traduit de l’anglais (Canada) par Laure-Lyn Boisseau-Axmann
Monsieur Toussaint Laventure, 2022

 

A la recherche du grand roman canadien

Par Anne-Marie Mercier

Anne poursuit sa vie dans ce nouveau volume qui la montre jeune mariée et installée avec Gilbert dans une petite maison chaleureuse au bord de la mer, à Four Winds le bien nommé, « un rivage qui connaissait la magie et le mystère des tempêtes et des étoiles ».
Si la maison est isolée, elle est cependant souvent pleine, grâce aux amis qui s’y retrouvent, ceux qui forment « le « clan des bons ». Il y a le Capitaine Jim, un vieil homme qui a vécu de nombreuses aventures extraordinaires, vraies pour la plupart, et qui les raconte volontiers au coin du feu. Il s’extasie à propos de tout : sur les peupliers (« si on choisit les érables pour passer le temps, on choisit les peupliers pour la compagnie »), sur la lune (« avec cette lune qui brille sur Four Winds, je me demande ce qu’il reste au Paradis ») et sur bien d’autres sujets, tout en pleurant secrètement sa fiancée Margaret, disparue en mer. Mademoiselle Cornelia est un personnage comique, avec son refrain « c’est bien typique des hommes », ses préjugés sur les méthodistes et les presbytériens, les gens de gauche et les conservateurs et son humour caustique qui lui fait trouver drôles les avis nécrologiques locaux. Il y a Susan, la servante célibataire qui pense que son heure viendra, ou pas, d’être heureuse. Il y a la belle Leslie, nouvelle âme sœur d’Anne, dont la conquête est ardue. Il y a enfin les gens de la ville et du village, prompts à se déchirer à propos de tout, dont les ridicules égaient les conversations.
L’histoire de Leslie, pétrie de malheurs qui l‘ont rendue amère et distante, est le défi de ce volume. Dans chaque tome Anne sauve au moins une personne d’un destin de souffrance et il semble que les défis deviennent de plus en plus difficiles : ici, le lecteur ne voit pas par quel miracle Anne pourra résoudre le problème de Leslie, à moins de souhaiter la mort de quelqu’un, ou de devoir s’en réjouir si cela arrivait, ce qui n’est guère chrétien et donc pas dans l’horizon de la série qui cultive les bons sentiments, du moins chez ses héros (notons au passage que la pudeur reste la règle et que les bébés y arrivent de façon « poétique »). Pour faire que Leslie sorte de sa vie conjugale cauchemardesque (ici encore l’auteure en occulte certains aspects, tout en les laissant deviner au lecteur adulte à travers des silences, des gestes), l’auteure a recours à une idée originale et pour le moins romanesque… elle fait ainsi pleuvoir les bonheurs après avoir abreuvé son lecteur de noirceur et de cruels chagrins, chagrins auxquels Anne elle-même n’échappe pas.
L’intérêt essentiel du roman, outre la peinture d’un milieu qui fait parfois penser à la causticité de certains romans anglais du XIXe siècle, réside dans la peinture des instants, de la nature, de ses changements, des jours, des nuits, des saisons. On y lit des réflexions sur la mer (« les bois nous appellent de leur centaine de voix, quand la mer n’en a qu’une ; une voix puissante qui noie nos âmes de sa majestueuse musique : les bois sont humains ; la mer est de la nature des archanges », sur un paysage de neige propre à susciter l’admiration mais non l’amour (« dans cette splendeur éblouissante ce qui était beau semblait dix fois plus beau  et en même temps moins attirant ; et ce qui était laid semblait dix fois plus laid ; et tout était soit l’un soit l’autre. […] Les seules choses qui conservaient leur individualité étaient les sapins, car ce sont les arbres du mystère et de la pénombre – ils ne cèdent jamais face à l’invasion brutale de la lumière ».
Enfin, on voit se poursuivre la réflexion sur l’écriture entamée dans les autres volumes. Anne sait sur quoi elle est capable d’écrire : « le fantaisiste, le féérique, le mignon », mais affirme qu’il lui manquerait le talent pour écrire « un grand roman canadien ». Il y faudrait, dit-elle, un style vigoureux, un talent de psychologue, un caractère d’« humoriste et de tragédien né ». Si son roman n’a pas l’ambition d’être sans doute un grand « roman canadien », ce n’est pas par manque de ces qualités, qui éclatent dans bien des pages où se mêlent tragique et drôlerie, mais sans doute par les limites qu’elle s’est elle-même imposées.

 

Hokusai et le Fujisan

Hokusai et le Fujisan
Eva Bensard, Daniele Catali
Amaterra, 2022

 La montagne, la peinture, le monde, la vie

Par Anne-Marie Mercier

Il fallait bien un bel et grand album pour célébrer le souvenir d’Hokusai , le génial « fou de dessin » comme il se désignait lui-même. Il fallait aussi un grand témoin, et pourquoi pas le mont Fuji lui-même : c’est lui qui raconte. Il voit les choses de haut et de loin et ne donne que les grandes lignes de la vie de l’artiste, avec quelques anecdotes saillantes.
La vie d’Hokusai est consacrée à l’art, avec son talent pour les dessins gigantesques ou minuscules, son obsession dans la deuxième moitié de sa vie, pour la nature et notamment la montagne, qui a suscité son œuvre la plus célèbre (avec « La vague ») : les « Trente-six vues du mont Fuji ».
Sans se livrer à un pastiche complet, Daniele Catali propose des clins d’œil, dans des images superbes, dépouillées, sur un beau papier où les encres et l’aquarelle se marient avec de multiples nuances, où les esquisses alternent avec les vaste paysages et où la couleur rare tranche sur le blanc quand elle n’envahit pas toute la page.

Le Livre de ma jungle

Le Livre de ma jungle
Alice de Nussy, Estelle Billon-Spagnol
Grasset jeunesse, 2022

Chaos coloré

Par Anne-Marie Mercier

Quelle jolie idée ! Elle vient sans doute de l’auteure du texte, Alice de Nussy, car elle est l’auteure de la surprenante Malédiction des Flamants roses (chez Grasset jeunesse également), qui sollicitait fortement le lecteur, tant dans l’interprétation que dans l’action (avec des propositions de découpages). Elle pourrait aussi venir d’une collaboration, car l’illustratrice, Estelle Billon-Spagnol, a créé l’album Crocky, original lui aussi dans son jeu avec les genres et les formes.

Esthétiquement, ça ne plaira pas à tous, mais ça risque bien de ravir les enfants : les couleurs sont vives, semblent mises un peu n’importe comment (mais c’est le but), les formes sont enchevêtrées, enfin chaque image est un gros fouillis joyeux. En un mot, c’est la jungle !
Dans la chambre de l’enfant, dans le bus qui l’emmène à l’école, à l’école, à la piscine, à la bibliothèque, au square, à la table du diner, dans son lit… la jungle (c’est-à-dire un joyeux désordre) règne.
Dans tout cela il faut retrouver un doudou peluche chat et deux petites formes rondes avec des yeux et des pattes. Ce n’est pas trop difficile, mais tout de même. Et à la fin on nous offre une feuille dessinée dans le même style, à colorier, et là il y a du boulot !

 

Matou blues

Matou blues
Jory John, Lane Smith
Gallimard jeunesse, 2022

Un vie de chien

Par Anne-Marie Mercier

Dur, dur, la vie de chat : pas assez de croquettes, un canapé à partager avec un intrus, le soleil qui n’en fait qu’à sa tête, un monstre (l’aspirateur) qui interrompt la sieste, l’ennui, l’envie de faire des bêtises… reste à miauler pour réclamer croquettes et pâtée. Seul événement notable, mais que le chat remarque à peine : à la fenêtre, derrière une moustiquaire, le discours d’un écureuil qui lui explique longuement, mais en une page (elle est couverte de mots en typographie variable) combien la vie de chat est agréable et combien la vie sauvage est difficile. On retrouve ici la question de la fable « Le loup et le chien » : vaut-il mieux avoir une vie confortable ou être libre?
Les illustrations de Lane Smith sont drôles, craquantes, et on se dit que ce chat est aussi mignon qu’insupportable, un vrai chat, quoi. Le jeu sur les caractères, la mise en page, les variations d’expression de ce chat font que tout cela est très mouvementé et intéressant malgré le sujet (l’ennui et l’enferment).
Avec Banquise blues, c’est le deuxième album de ces deux auteurs consacré à un jeune animal grognon auquel un animal vieux et sage tente de faire comprendre qu’il se plaint trop et à tort.

 

Banquise blues

 

Soirée d’été

Soirée d’été
Dina Melkinova

CotCotCot, 2022

« C’est toi qui dors dans l’ombre, ô sacré souvenir »

Par Matthieu Freyheit

Désormais que le temps a remis son manteau de vent, de froidure et de pluie, le moment est venu de nous rappeler nos douces soirées d’été. Celles de Dina Melkinova sont ici faites de patience, d’images enfouies dans les bois et entre les herbes, et de la présence lointaine d’une grand-mère qui savait son art. Réunion de la lenteur et du furtif, des ombres et des rayons, du présent et du passé, Soirée d’été offre une collection de mouvements parcimonieux, de frémissements, de gestes esquissés ou devinés. Le vivant n’y est pourtant jamais contenu, au contraire : il s’y livre dans sa délicatesse, sa retenue, la diversité de ses infimes expressions. Apparaître, disparaître, comme ces carottes que le lièvre emporte un soir.

Comme un éloge à la suggestion, les illustrations (qui n’en sont pas) disent l’attention accordée aux détails, autant que l’effacement de ces détails qui ne disent jamais tout : c’est que derrière la vue, il y a l’ouïe. Comme derrière l’ouïe, il y a l’odorat. Comme derrière l’odorat, il y a la mémoire. Merveilleux récit de sens enchâssés, Soirée d’été propose de dilater le temps : expérience d’une seconde dans laquelle se logent l’espace et le temps, et avec eux le vivant et le souvenir.

Les Editions CotCotCot offrent quant à elles au travail de l’auteure un format, une texture et des choix graphiques particulièrement réussis. Donnant au texte aussi bien qu’à l’image l’espace dont elles ont besoin, n’hésitant pas à diversifier les dispositifs et à autonomiser le texte et l’image (ce qui n’a en réalité que le mérite de les associer plus profondément), elles accomplissent avec cet objet un travail éditorial d’une qualité qui mérite d’être relevée.

L’Animal domestique d’Hermès Quichon

L’Animal domestique d’Hermès Quichon
Anaïs Vaugelade
L’école des loisirs, 2021

Petit, petit, petit…

Par Anne-Marie Mercier

Avoir un animal… le rêve de beaucoup d’enfants. Quand cet enfant appartient à une fratrie de soixante-treize enfants, on devine que c’est encore plus difficile à faire accepter aux parents que quand on est enfant unique.
Quand on est un petit cochon, c’est un peu cocasse aussi : quel animal a pu choisir Hermès ?
Cette vision en miroir est intéressante, un peu comme dans le livre d’Alain Serres, Le Petit Humain : le personnage animal permet de voir avec un peu de distance les conditions d’une situation. Ici, le choix de l’animal (une chenille) est dicté par sa petitesse : on peut le cacher. Lorsque le père, attentif à tous ses enfants comprend que le petit Hermès a un secret, découvre l’affaire, il a les paroles habituelles. Le quotidien d’Hermès et de sa chenille est cocasse (elle va même à l’école), de même que les pensées qu’il lui prête.
Pour entendre l’auteure parler de son travail, des animaux,d’elle-même, des Quichon,  et des questions d’identité et de confiance, voir la video: 

 

Mortel

Mortel
Emmanuelle Houdart
Les Fourmis rouges, 2021

Halloween est une fête

Par Anne-Marie Mercier

Ce qui était présent de manière allusive dans les albums précédents d’ Emmanuelle Houdart est ici affiché, décliné sous bien des formes. Mise en formes, en couleurs et en espaces, la mort s’expose, sous bien des formes et l’album se présente comme un catalogue de variations autour du thème : des personnages (la mort elle-même, « Madame la mort »,  les anges, dieu, le diable) des lieux (paradis, enfer, cimetière, maison hantée), des dangers mortels (maladies, animaux, plante et armes, métiers, catastrophes), des plaisirs mortels, ceux qui nous attendent peut-être après la mort (les retrouvailles avec ceux qui sont morts avant nous, et pourquoi pas la vie quotidienne dans l’au-delà dont on ne sait quels plaisirs elle peut nous offrir…).
C’est donc un album réjouissant, tonique et résolument optimiste, beau et doux la plupart du temps (seules deux images de la première section, la mort elle-même et le diable sont un peu effrayantes). Il est aussi paradoxalement très drôle parfois, soit de manière grinçante soit franchement comique, à travers les petites notes en forme de « Le saviez-vous ? » insérées au bas des pages.
Enfin la conclusion (mortelle) très philosophique de l’auteure, qui se moque des postures effrayées devant la mort, donne une furieuse envoie de vivre tout de même : « Aimons-nous, vivons et rions et profitons de cette chose si extraordinaire : être en vie !

Malgré son titre cet album est un bel hommage à la vie matérielle, au rouge du sang et à la chaleur des organes, à la beauté des fleurs et des corps, à l’infinie variété des belles choses qui nous entourent, et aux livres.

 

La Vérité est comme un oiseau

La Vérité est comme un oiseau !
Andréa Farotto et Anna Pirolli
Amaterra, 2022

Vérité et mensonge : théorie et pratique

Par Anne-Marie Mercier

Comme un oiseau, comme un poisson, comme une graine… la vérité est indestructible et toujours victorieuse, d’après les développements proposés sur ces métaphores. Les mensonges, eux, tombent dans le noir, l’oubli… Tout cela est un peu grandiloquent, mais les images sont fortes, colorées, dynamiques, alors pourquoi ne pas y croire un instant ?

La chute, en noir et blanc qui ramène ces questions philosophiques à une banale question de gâteau disparu fait un contraste drôle et saisissant : que valent les grandes affirmations de principe, devant les évidences de la complexité du quotidien ?
Elles ont le mérite d’être séduisantes, colorées, vives… alors que le quotidien est gris ? Mais le gris est drôle, alors…