La vallée aux merveilles

La vallée aux merveilles
Sylvie Deshors,
Rouergue 2019,

 

 Migrants et merveilles

 Maryse Vuillermet

 

 

 

Jeanne souffre d’un chagrin d’amour et d’une trahison, sa mère, pour lui changer les idées, l’envoie chez sa tante qui habite la vallée de la Roya. Là, malgré sa tristesse et son indifférence, malgré la pluie et l’inconfort de la petite maison, Jeanne  se laisse peu à peu surprendre puis happer par l’incroyable vitalité des réfugiés qui passent la frontière entre l’Italie et la France, dans la neige et le froid, après un parcours de plusieurs mois, où ils ont risqué souvent leur vie. Elle est aussi surprise par l’activité incessante de sa tante et des ses amis, de tous les aidants, en fait. Miette, la tante infatigable, Ronon, le jeune géant, calme et efficace, Laura la cultivatrice, tous trouvent comment la faire sourire à nouveau, lui redonner confiance en l’humanité et un sens à sa vie.

La description de la situation des réfugiés de la vallée semble réaliste mais elle n’est jamais misérabiliste ou larmoyante, la beauté des montagnes et des cœurs illumine ce petit roman.

 

Deux fleurs en hiver

Deux fleurs en hiver
Delphine Pessin
Romans Didier Jeunesse 2020,

 

 EPHAD, fin ou début.

 Maryse Vuillermet

 

 

 

Capucine, élève du lycée Mermoz, vient faire son stage dans l’EPHAD du Bel Air. Elle a les cheveux bleus, ou rouges, suivant les jours et suivant la couleur de la perruque qu’elle choisit. Le même jour, y entre madame Florent, institutrice à la retraite,  « pour sa sécurité « .

Capucine a toujours eu la vocation d’aider les personnes âgées, encadrée par une aide-soignante énergique et drôle, elle  se sent  » utile et à sa place. » Mais elle découvre le rythme harassant de son travail et la manque de temps qui rend les rapports avec les pensionnaires inhumains. Madame Florent déprime car elle a dû abandonner son chat qui s’est enfui au moment de son départ. Capucine, avec patience et tact,  arrive à percer sa carapace de tristesse, comprend sa détresse et, parce qu’elle  aussi a un secret, va tout faire pour l’aider.

C’est un roman touchant sur un monde peu décrit dans la littérature jeunesse et pour cause ! le monde des vieux, Capucine trouve que le mot « senior » est ridicule,  « Contrairement aux autres lycéens, je ne redoutais pas de travailler avec les seniors, ça, c’est le terme politiquement correct pour désigner les personnes âgées, je trouve ça crétin, on dit aussi « les pensionnaires », « les anciens » moi, je préfère « les vieux ». Il n’y a rien de dégradant à dire qu’ils sont vieux, c’est un fait, voilà tout. C’est même plutôt beau, quand on y pense, d’avoir déroulé le fil d’une vie et de se tenir au bout ; quand on est vieux, on a vécu, aimé, chialé, on a été courageux lâche, idiot et amoureux. On s’est trompé, on a choisi, qu’est-ce qu’il y a de mal à le dire franchement? »

Rien n‘est édulcoré, les conditions de travail des soignants, leur vocation mise à mal par la réalité, la solitude et l’abandon des personnes âgées et, malgré tout, l’étincelle de l’amitié intergénérationnelle.

A la recherche de Jack

 A la recherche de Jack
Mel Darbon
Helium, Actes Sud 2019,

 

«  Le syndrome de Down, ce n’est pas moi, je suis Rose »

 Maryse Vuillermet

Le récit est porté par la voix, l’élocution et le ressenti particuliers de Rose, atteinte du syndrome de Down, c’est-à-dire de la trisomie 21. Rose a la chance de vivre dans une famille aimante qui l’aide à comprendre et à assumer sa différence. Elle est courageuse, gaie, affectueuse. Elle va au collège et aide ceux qui sont plus handicapés qu’elle. Elle y rencontre Jack et ils deviennent fous amoureux l’un de l’autre. Mais Jack a eu le cerveau lésé à la naissance et il ne contrôle pas sa violence. Et justement, le récit commence alors que Rose attend Jack, il est en retard parce qu’il a, sans le faire exprès, dans un accès de colère, blessé un enseignant. Paniqué, il se cache et la police le recherche. Puis, il est envoyé dans un centre spécialisé.

Sans lui, Rose ne peut pas vivre, d’autant plus qu’elle ne reçoit pas toutes les cartes qu’il lui envoie, son père les lui cache. Alors elle décide de le rejoindre et de partir en cachette de sa famille qui lui interdit de le revoir pour la protéger.  A travers Londres, son métro, ses tempêtes de neige, ses bas fonds sordides, Rose avance, brave tous les dangers pour retrouver Jack.

C’est un roman très attachant sur un sujet bien délicat. Le personnage de Rose nous fait comprendre de l’intérieur les qualités et les énormes problèmes d’une personne trisomique, la haine, la méchanceté à laquelle elle se heurte, la bienveillance qu’elle rencontre parfois aussi. Et c’est aussi un roman très réaliste et dur, en particulier, quand il aborde la prostitution des très jeunes filles, la drogue ou la misère.

Ce qui m’a particulièrement intéressée, c’est le langage de Rose, cette manière de coller les mots pour en créer de plus proches de sa réalité; ex :

J’avais mal au ventre d’être tristefachée contre elle

à cause de mon pasheureux

C’est malmalmal

Cavatrebienmercibeaucoup

 Le roman souffre de quelques longueurs vers la fin, mais c’est le seul bémol, car c’est le  roman  d’une jeunesse différente à recommander à tous.

 

 

Zelda et les évaporés

Zelda et les évaporés
Florence Aubry,
Rouergue, 2019

 Enquête sur des disparitions et travail sur soi  

 Maryse Vuillermet

Zelda est une jeune fille assez insupportable, voire détestable.  Égoïste, cynique, manipulatrice, cruelle avec ses camarades et même sa propre famille, elle est médiocre à l’école et ne se passionne que pour les méchancetés qu’elle peut faire aux autres.

Cependant, à la suite de la disparition d’Antoine, un jeune qu’elle a humilié lors d’un été de vacances, elle s’intéresse à un sujet, celui des disparus, peut-être parce qu’elle aussi en a envie, elle se demande comment on peut faire pour partir et tout laisser derrière soi, sans donner de nouvelles. D’autant plus que Clément qui habitait à côté de chez elle a disparu aussi mais, le plus étrange, c’est que lui est en fauteuil roulant.

Parallèlement à l’histoire de Zelda, un autre récit avance, celui de Tom qui est parti, un soir d’inondation, sans vraiment démêler en lui toutes les raisons de sa fugue.

Un roman qui laisse un peu sur sa faim, dans la mesure où, sur un sujet intéressant, l’intrigue est un peu trop fabriquée.  Trois disparitions d’ados autour de la même fille, c’est peut-être un peu trop comme élément déclencheur !

 

 

Félines, Stéphane Servant

 Félines  
Stéphane Servant,
Rouergue, 2019

 

 Puissantes métamorphoses

 Maryse Vuillermet

 

 

 

Une, puis plusieurs jeunes filles de la ville subissent une étrange métamorphose, leurs corps se couvre de poils, leurs sens s’aiguisent, leur force se décuple et parfois, une violence sauvage les déborde.

Passée la stupeur, certaines se cachent à leurs proches, ne viennent plus au collège, d’autres l’assument. L’une d’elles, Louise, la narratrice, revendique son étrangeté et la vit même comme une richesse.

Un parti politique extrémiste appelle à la haine de ces créatures. Certaines décident d’entrer en résistance, elles organisent même une manifestation et s’appellent désormais les félines. Le gouvernement met en place des mesures pour les contrôler et les enferme dans un camp de travail.

Le roman est déroutant au début, on a du mal à croire à cette métamorphose mais peu à peu, on est envoûté par cette porosité des frontières entre monde animal et monde humain, on est horrifié par l’intolérance et la violence des « normaux », et on devient admiratif de la solidarité et de l’intelligence de groupe des félines

Un roman très fort qui pose de déroutantes questions sur notre identité humaine, et sur notre rapport à l’animal.

Décidément, Stéphane Servant poursuit une oeuvre originale et puissante.

 

Signé poète X

Signé poète X
Elizabeth Acevedo
Trad. Clémentine Beauvais
Nathan 2019,

 Naissance d’une poétesse, un roman slamé

Par Maryse Vuillermet

Harlem, Xiomara, 16 ans, est trop belle, trop pulpeuse,son corps est trop voyant, elle est harcelée par les garçons et les hommes,  alors elle se tait ou elle cogne. Elle a un jumeau, trop maigre et trop intello et une amie Caridad. Ses parents sont venus de la République dominicaine, son père se mure dans l’indifférence et le silence, sa mère s’use à faire des ménages et survit à ses dures conditions de vie en allant tous les soirs prier à l’Église.

Un jour, un jeune professeur parle d’un club de slam, Xiaomara aimerait y aller, en brûle  d’envie mais c’est à l’heure de sa préparation à la confirmation catholique, alors, elle n’y va pas. Et puis, elle rencontre Aman, elle lui dit ses poèmes, il aime mais leur relation doit s’arrêter, Xiamora n’a pas le droit de sortir avec des garçons.

L’intrigue dite comme ça semble classique, un conflit de générations et de cultures, mais ce qui fait la force de ce roman, c’est qu’il est rédigé en vers libres, il est slamé. En fait. Les mots sont lancés par la narratrice comme ses coups, ils sont lâchés pour toucher.  C’est aussi l’énergie de l’héroïne qui veut trouver sa route, sa liberté sans la foi à laquelle elle n’adhère plus, avec l’amour et les caresses d’Aman interdites dans son milieu, avec son art, le slam qui dit ce qui devrait rester caché.  C’est encore la relation avec son jumeau, très forte et très étrange et le trio inséparable qu’ils forment avec Caridad, et enfin, le personnage du prêtre subtil et profond.

Une belle surprise !

 

Le caméléon qui se trouvait moche

Le caméléon qui se trouvait  moche
Souleymane Mbodj, Ill. Magali Attiogbe
Les éditions des éléphants, 2019

 S’accepter   et s’aimer

Par Maryse Vuillermet

 Magnifique album !
Des illustrations somptueuses de couleurs, de vie, d’exotisme, des animaux pleins de personnalité et de beauté.
Le scénario est positif et entraînant, c’est une initiation, une quête de soi: un caméléon se trouvait moche et enviait les autres animaux qui, tous avaient des qualités et lui, que des défauts.  La sorcière lui montre  sa différence, ses atouts et finalement il s’accepte tel qu’il est,  comprend sa différence et donc sa richesse.

 

Quatre pattes, Gaétan Doremus

Quatre pattes  
Gaétan Doremus
Rouergue, 2019

 Ourson intrépide !

Par Maryse Vuillermet

Un ourson s’aventure dans le monde, à quatre pattes, il expérimente le goudron, les cailloux, l’herbe, la boue,  c’est chaud, ça gratte, ça pique, ça glisse.

Un monde de sensations nouvelles excitantes.

Et puis,ça se met à grimper,  il monte, là-haut,  tout là haut,  au sommet de la montagne, là, ça fait peur, au secours!

Et c’est papa qui vient le sauver.

En fait, il était sur une toute petite bosse au fond du champ, mais que c’est bon d’être réconforté dans les bras d’un adulte!

Un dessin naïf, coloré et drôle.

Adorable !

 

Les poètes maudits

Les poètes maudits
Textes choisis et dossier Jean-François Frackowiak
Gallimard,  Folio  collège, 2019.

Pépites  et douleurs poétiques

  Maryse Vuillermet

Ces poètes sont maudits  parce qu’exilés, prisonniers, pauvres, rebelles, fous, marginaux, obsédés par la gloire,  mélancoliques,   mais ils ont en commun de tirer de cette malédiction des chants d’une humanité et d’une beauté très émouvantes. Les exilés sont Hugo, Chénier, les marginaux,  Rimbaud, Deudel, les hallucinés,  Antonin Arthaud,  Nerval, Rimbaud, Germain Nouveau, les obsédés par une tache noire,  Nerval,  les incompris et malheureux,  tous. Leurs poèmes reflètent détresse et mélancolie,  révolte et cri.

Mais le choix pertinent des textes, et le dossier pédagogique  qui les replace dans leur contexte, mettent en valeur leur modernité. Cette anthologie me semble bien faite et pensée  pour gagner  l’empathie de lecteurs adolescents,  en crise ou en recherche eux-mêmes.

Scènes d’élections

Scènes d’élections
Emile Zola, dossier par Annie Vocanson
Gallimard, Folio Collège, 2019

La politique devenue romanesque et pédagogique

 Maryse Vuillermet

Emile Zola raconte une campagne électorale à travers 5 tableaux ou comédies ou reportages dans cinq endroits de France :
Faucigny, un joli village de Bourgogne
L’Estaque, un village de pécheurs près de Marseille
Villeblanche, Montagnac en Gascogne,  Grandpont.
L’analyse  sociologique est fine, paysans,  propriétaires,  commerçants,  curé se côtoient et se déchirent.  Et l’analyse politique est précise, Républicains contre Droite soutenue par l’Eglise. Mais le talent de Zola est aussi de mettre tout ce monde en action, que ce soit sur la route du village, pour aller voter et arrêtés par les coups à boire ou sur la plage de l’Estaque,  lors de l’inauguration par le candidat d’un  seul réverbère qui ne fonctionne que quelques minutes, ou encore à l’église lors d’une homélie très partisane, les scènes sont savoureuses.
On ne s’ennuie pas un instant. La scène de l’Estaque est pagnolesque. C’est une comédie qui n’a pas vieilli et  qui  est très instructive sur les enjeux personnels et financiers de chacun  qui,   en fait,  sous-tendent le combat politique.

Le dossier est impeccable, comme toujours, dans cette collection.