Ma famille, mon voisin loufoque et moi

Ma famille, mon voisin loufoque et moi
Lucie Lindemann
Amaterra 2023

Quand Jeanne rencontre André…

Par Michel Driol

Quand les parents de Jeanne se disputent – ce qui arrive souvent – c’est la voisine qui vient dire que cela fait trop de bruit. Mais quand la voisine est morte, que le père de Jeanne est parti, vient s’installer un nouveau voisin, steward, André. La rencontre avec ce nouveau voisin – bien plus âgé qu’elle – va changer la vie de Jeanne.

Voici d’abord un roman d’apprentissage : Jeanne va rencontrer l’amour, alors qu’elle n’y croit plus quand elle voit ses parents se disputer et sa sœur ainée aller d’échec en échec. Premier amour donc pour Jeanne, celui d’Ambroise, un garçon de son âge, et l’évolution de la relation entre les deux est particulièrement bien décrite, entre évitements et désirs. Mais c’est surtout la façon dont André, le voisin loufoque du titre, va redonner le gout de la vie à Jeanne qui est intéressante. Voilà un roman qui aborde un thème rare en littérature de jeunesse : celui de l’amitié entre une adolescente et un homme mûr, amitié sans aucun sous-entendu, amitié décrite depuis son commencement. Le hasard joue un grand rôle dans ce roman : oubli de clés, tempête de neige, coïncidences qui permettront à André de venir en aide à Jeanne, puis à Jeanne de soutenir André lors d’un moment difficile. Ce roman d’apprentissage est aussi un feel-good roman, dans lequel finalement à la fin tout le monde sera plus heureux qu’au début dans sa vie privée. Tout le monde – ou presque – y (re)trouve l’amour. Alsacienne, l’autrice ne manque pas de faire figurer quelques plats et desserts de sa région, donnant à ce récit un côté épicurien bien sympathique.

Un roman de découverte de la vie, de soi, des relations extra-familiales et familiales, dans lequel la narratrice, pleine de sincérité dans son récit, commence par chercher chaque jour trois choses positives à noter sur son carnet et finit par en trouver beaucoup !

On joue à cache-cache ?

On joue à cache-cache ?
Léa Viana Ferreira
CotCotCot Editions 2022

Jeu d’extérieur, mode d’emploi

Dans un jardin florissant, près d’une forêt profonde, trois enfants jouent à cache-cache…

Les illustrations, en double page, montrent des paysages denses, aux couleurs éclatantes, presque saturées. On devine un jardin et une forêt animés dans lesquels se cachent non seulement les enfants, mais des animaux que l’on observe, que l’on découvre au fil des pages : oiseaux, insectes, lapin, renard. Ajoutons à cela la richesse et la luxuriance de la végétation ; baies, fleurs, feuillages, champignons…

Ces illustrations s’accompagnent d’un texte minimaliste, une série de verbes à l’infinitif en bas à gauche qui énumèrent les différentes actions liées au jeu, et qui n’est pas sans évoquer le célèbre Déménager, de Georges Perec (dans Espèces d’espaces).  A cela s’ajoutent, sur les premières et dernière page, les voix des enfants, voix qui se taisent ensuite comme pour laisser place aux bruits – ou au silence – de la nature.

L’album évoque d’abord le plaisir du jeu à plusieurs, dans lequel on assume des rôles, celui du loup bien identifié, les autres signalés par les masques et chapeaux animaliers, les relations qui se tissent : je me cache, je te cherche, je te donne un indice… Mais l’album dit aussi qu’à ce jeu, on ne trouve pas seulement les autres enfants, qui se sont affranchis rapidement des règles du jeu (forêt et maison interdites,  pourtant !), mais aussi toute la vie cachée de de la nature dans un terrain, le jardin, la forêt, qu’on croit connaitre, mais qu’on ne prend pas forcément le temps de regarder et d’explorer. Il évoque donc l’exploration et la découverte de la nature dont le jeu n’est que le prétexte. A ce jeu-là, le temps passe vite, et la dernière page invite à profiter des derniers rayons du soleil.

Un album aux couleurs vives, aux illustrations foisonnant de détail, pour évoquer le plaisir d’un jeu enfantin et la découverte de la nature et de sa diversité

Dans la forêt

Dans la forêt
Philippe Jalbert
Gautier Langereau 2021

Pour vivre heureux, vivons cachés…

Par Michel Driol

Deux écureuils se lancent à la recherche de leur petit. On les suit dans une forêt peuplée de nombreuses familles d’animaux pleinement visibles, mais aussi de nombreux autres, bien cachés dans les herbes et les feuillages, à découvrir.

L’album vaut avant tout par la qualité de ses illustrations : des croquis en noir et blanc, rehaussés d’une touche de marron oranger pour mettre en évidence un des animaux, et qui regorgent de détails. C’est une représentation à la fois réaliste et poétique de la forêt, de sa lumière particulière dans laquelle les rayons du soleil se jouent à passer au travers des arbres, une forêt qui évoque les profondes forêts magiques de contes dans lesquelles les hommes sont absents. Les images sont particulièrement complexes, les animaux bien cachés, parmi lesquels, à chaque page, se trouve un intrus à découvrir aussi.

Un cherche et trouve astucieux, aux illustrations pleines de charme.

Un caillou dans la poche

Un caillou dans la poche
Marie Chartres
L’école des loisirs 2021

Une journée particulière

Par Michel Driol

Tino vit sur une ile, y fréquente la seule école, y rencontre les mêmes personnes, surtout des vieux. Il rêve. Si quelque chose seulement pouvait arriver, venir de la mer, ou surgir au milieu des fougères. En attendant, il passe son temps à mesurer toute l’ile, compter tout ce qu’il peut mettre en chiffres. Jusqu’au jour où, enfin arrive une classe de 25 élèves, du continent, venus visiter l’île, et où une  fillette de son âge, sujette au vertige, va l’entrainer dans une journée bien singulière, inoubliable.

Enfant solitaire, différent par ses activités, ses passions – les cailloux -, ses gouts, Tino va vivre une véritable éducation sociale et sentimentale. Lui pour qui seul comptait l’esprit de géométrie, dans sa façon de tout calculer, mesurer, noter, va rencontrer avec Antonia l’esprit de finesse. Ensemble, ils s’échappent du groupe pour découvrir l’ile pour l’une, découvrir l’autre pour le garçon, et partager des activités. Qui est vraiment Antonia ? Un mystère pèse sur elle, dont on ne saura que ce qu’elle veut bien raconter. Ses parents sont-ils vraiment des médecins humanitaires ? A-t-elle vraiment voyagé aux quatre coins du monde, à la différence de Tino qui ne connait que son ile ? Peu importe, ce qui compte, c’est la naissance d’une amitié, d’une complicité en milieu clos, de plus en plus en plus clos. Le regard est celui de Tino, regard porté sur le monde et, en particulier, sur les deux maitresses qui se partagent ce jour-là la responsabilité (ou l’irresponsabilité) du groupe d’enfants. Ces deux personnages sont de vrais personnages de comédie, traités sans ménagement par l’autrice (finalement pour le plus grand plaisir du lecteur !). D’autres personnages se distinguent de la masse des iliens, personnages caractéristiques et bienveillants comme le gros homme à vélo et la vieille dame pleine de bon sens, personnages qu’au fil de la journée Tino apprend à voir enfin. Les illustrations, très expressives, de Jean-Luc Englebert vont dans le même sens que l’humour du texte dans sa façon de croquer les personnages, et rendent sensible l’atmosphère bretonne de cette ile.

Un récit alerte, tendre, récit de la découverte de deux solitaires, qui apprennent petit à petit à arrondir les angles de leurs cailloux.

Quatre pattes, Gaétan Doremus

Quatre pattes  
Gaétan Doremus
Rouergue, 2019

 Ourson intrépide !

Par Maryse Vuillermet

Un ourson s’aventure dans le monde, à quatre pattes, il expérimente le goudron, les cailloux, l’herbe, la boue,  c’est chaud, ça gratte, ça pique, ça glisse.

Un monde de sensations nouvelles excitantes.

Et puis,ça se met à grimper,  il monte, là-haut,  tout là haut,  au sommet de la montagne, là, ça fait peur, au secours!

Et c’est papa qui vient le sauver.

En fait, il était sur une toute petite bosse au fond du champ, mais que c’est bon d’être réconforté dans les bras d’un adulte!

Un dessin naïf, coloré et drôle.

Adorable !

 

Hamaika et le poisson

Hamaika et le poisson
Pierre Zapolarrua Illustrations d’Anastasia Parrotto
MeMo Petite Polynie 2018

Un petit poisson, un petit oiseau….

Par Michel Driol

Hamaika est une petite poule curieuse qui aime explorer le monde, loin de son poulailler, contrairement à toutes les autres poules, casanières. Un jour, elle marche sur la queue d’un poisson. Et tous les jours, le poisson et la poulette se donnent rendez-vous sur la plage, où ils échangent leurs points de vue sur le monde. Un jour, Hamaiko emmène le poisson – qu’elle nomme Jonas – au poulailler, moyennant des efforts d’imagination pour le transporter sain et sauf. Le caquetage des poules l’émerveille, alors qu’elles le rejettent et ne voyent que nourriture en lui. Expérience inverse le lendemain : silence des poissons devant la poule, elle aussi fascinée par le monde aquatique et ka collectivité des poissons. Quand arrive l’été, les hommes envahissent la plage, Jonas et Hamaika se perdent de vue. Mais à l’automne, surprise : les poules côtoient désormais une grande variété d’animaux.

Pierre Zapolarrua évoque la rencontre entre deux mondes qui savent n’avoir rien en commun : le monde du collectif – celui du banc de poisson – où nommer les êtres et les choses n’a pas de sens, le monde de l’individu curieux qui trouve sa singularité en se marginalisant, qui explore le monde avec ravissement. Le roman – essentiellement écrit sous forme de dialogue – dit cette découverte mutuelle du monde de l’autre avec beaucoup d’humour et invite à aller vers l’autre plutôt que de rester entre semblables. C’est que le monde de l’autre s’avère être d’une extraordinaire richesse : seuls les imbéciles et les ignorants passent à côté, englués dans leurs routines. La conclusion est une ouverture qui fait preuve d’un bel optimiste quant à l’élan vers les autres de ceux qui étaient le plus refermés sur eux-mêmes. Rien de pédant pourtant dans ce livre : tout est vu à hauteur d’enfants, qui apprécieront la scène désopilante du poisson dans le poulailler, ou la poule munie de son tuba pour respirer sous l’eau.

Les illustrations, riches en couleur, rendent les personnages particulièrement expressifs et ne cherchent pas à les humaniser.

Une fable philosophique pleine de fantaisie pour transmettre la confiance dans l’autre et l’envie de laisser tomber les barrières..

Nos mains en l’air

Nos mains en l’air
Coline Pierré
Rouergue 2019

Eloge de la fugue

Par Michel Driol

D’un côté, Yazel, orpheline, sourde, adoptée par sa richissime tante … imbue d’elle d’elle-même et très antipathique à son égard. De l’autre, Victor, né et élevé dans une famille de braqueurs, obligé par un père tyrannique de suivre la voie familiale, mais ne désirant que d’y échapper. Lorsque Victor cambriole la maison d’Yazel, elle le surprend, lui indique comment ouvrir le coffre-fort, et lui demande de l’emmener loin de cet univers sans joie, en Bulgarie, pour y disperser les cendres de ses parents. Et Victor accepte… Les voilà tous les deux sur les routes d’Europe, d’Angers à la Bulgarie, en passant par Venise, le jeune homme de 21 ans et la jeune fille de 12 ans, l’un apprenant la langue des signes pour communiquer avec elle, l’autre demandant à ce presque frère, presque père de l’adopter…

On passe bien sûr sur toutes les péripéties, la recherche par les familles, les dangers : voilà un roman qui se lit presque comme un thrilleur, commençant par une scène nerveuse de braquage. Mais c’est surtout un roman qui parle de rencontre et qui s’intéresse à la psychologie, aux réactions, au ressenti de ses personnages avec beaucoup d’humanité. Yazel, sourde et lourdement appareillée,  que l’histoire familiale a fait passer d’un coup à cause de la mort de ses parents, d’un univers baba-cool et aimant à la sècheresse bourgeoise de la tante, a toute l’espièglerie, le don de répartie, la force et la fragilité d’une adolescente. Victor, personnage paradoxal, braqueur malgré lui et écoutant dans une association d’aide aux victimes, n’arrête pas de dire qu’il est désolé. Tous deux tentent de trouver leur place dans le monde, soit en rupture avec leur famille, soit pour continuer – par les lettres aux parents – le lien ténu avec les morts. La force du roman est démontrer comment ces deux-là vont s’apprivoiser avec pudeur, se découvrir dans leurs différences et leurs singularités. Le roman est fait de conversations tout au long de la route où chacun peut se dire et dire le monde qui l’entoure, en décrire les sons et les formes. Car la langue et le langage sont aussi au cœur du roman : la langue des signes, la langue maternelle, la langue du peuple, la langue de la bourgeoisie… Comment aller au-delà de ces différences pour apprendre la langue de l’autre et communiquer avec lui ?

Rien de mièvre ou de convenu dans ce roman qui reprend les thèmes du Bon Gros Géant ou du film Paper Moon dans l’exploration d’une relation entre un adulte qui devient protecteur d’une enfant, malgré lui, et cette enfant. Se trouver, se reconnaitre, c’est fuir, s’émanciper et échapper à sa famille, dans une complicité amicale et chaleureuse. Toutefois l’auteure porte deux regards différents sur les familles : autant la tante ne trouve pas grâce à ses yeux – caricaturée, excessive, mesquine, insupportable jusqu’au bout, autant le père de Victor devient petit à petit un personnage sympathique, humain dans son comportement pataud. Par ailleurs, le roman se tient sur une ligne étroite qui, par moments, dans la bouche du père, justifie ce travail de voleur. Les banquiers ne font pas un travail plus honnête, dit-il…

Le roman fait voyager dans des milieux et des lieux décrits avec le regard naïf des deux protagonistes : hôtel de luxe à Lyon – et assiettes gastronomiques !, lacs italiens, Venise en période d’acqua alta, frontière glauque entre la Roumanie et la Bulgarie, sans oublier les aires de repos des autoroutes. Ainsi c’est aussi à une découverte  du monde qui nous entoure que ce roman invite son lecteur.

Un roman riche qui aborde, sans didactisme, mais avec sensibilité, des thèmes très actuels.