Le Livre Jaloux

Le Livre Jaloux
Ramadier et Bourgeau
L’école des loisirs, 2024

Le livre en thérapie

Par Anne-Marie Mercier

Après Le Livre qui a bobo et Le Livre coquin, voici un nouvel opus du duo Ramadier et Bourgeau, qui explore sentiments et émotions à travers un personnage récurrent et étonnant : le livre lui-même. Le lecteur se doit d’être actif et il lui faut aider le livre à surmonter sa difficulté. Pour commencer, on explore le sentiment à travers le symptômes puis le diagnostic. Ici, la jalousie se voit à travers la bouderie. La petite souris interlocutrice devine l’origine de la contrariété : elle a un petit livre dans la main et celui-ci est, d’après le livre, « petit, mignon, tout le monde a envie de le câliner. » On devine qu’il s’agit ici de proposer un miroir à un enfant qui sans doute vient d’avoir un petit frère ou une petite sœur. Le lecteur, cet enfant, va devoir traiter ce livre tout en se soignant lui-même, bel emboitement de soins : il faut le rassurer, le faire rire, et lui donner envie d’aller à la rencontre de ce petit autrui.

 

 

Amour amour après quoi chacun court

Amour amour après quoi chacun court
Mélusine Thiry, Julie Guillem
HongFei, 2021

Il court, il court (le furet?)…

Par Anne-Marie Mercier

Le soleil se lève dans une chambre d’enfant, une petite fille accueille le jour tandis qu’un ours en peluche est sagement assis. De page en page, le jour grandit, jusqu’à la nuit, montrant différents animaux qui se précipitent (de la gauche vers la droite) vers l’être aimé, tandis que le texte, conçu de page en page sur le même modèle (lieu ou temps + nom de l’animal + verbe de mouvement + « vers qui le » + verbe) évoque successivement un décor (par-dessus les collines, de branche en branche, entre les buis, le soir venu), le nom de l’animal (oiseau, sanglier, licorne –eh oui, elles sont partout–, belette…) et le geste d’amour vers lequel ils volent : être caliné, cajolé, dorloté, embrassé, apaisé, chéri, enchanté.
Voilà de bien belles déclinaisons de l’amour, jusqu’au geste de bercer qu’attend l’ourson de la première page, que l’on retrouve ici à la fin, dans un dispositif en miroir, sur la dernière page où un père lit cette histoire à une petite fille.
Les illustrations sont délicates et douces, allant des tons pastel du ciel aux couleurs franches des végétaux. Le caractère répétitif de l’histoire est contrebalancé par la variété des dispositifs sur la double page : le texte, placé dans une bulle, est tantôt seul sur la page de gauche, tantôt inscrit ici ou là dans la double page, la bulle de la licorne est transparente… il y a de multiples détails aussi bien dans le texte que dans les images pour accompagner une histoire tendre pour le soir.

Feuilleter sur le site de HongFei (You tube).
Mélusine Thiry est vidéaste (voir son atelier). Julie Guilhem a un style très reconnaissable, raffiné, alliant tradition de l’illustration et innovation, sobriété et art de la couleur.

Le Souffle de l’été

Le Souffle de l’été
Anne Cortey, Anaïs Massini
Grasset jeunesse, 2017

 Dans le monde de deux amis…

Par  Chantal Magne-Ville

C’est avec un grand plaisir que nous retrouvons Kimi et Shiro, deux lapins dont l’amitié délicate se déclinait au fil des saisons. Désormais, c’est au tout début des vacances d ‘été qu’ils poursuivent leurs jeux, mais ils ont bien grandi !  Ce sont des sentiments beaucoup plus forts qu’ils partagent au travers de quatre petites histoires de rien du tout. Leur complicité semble s’être approfondie, au point que souvent ils n’ont pas même besoin de se parler.
La mise en espace alterne les dessins et le texte en suggérant même des  scènes muettes, par exemple lors de la construction de châteaux de sable ou de jeux de cerfs volants.  Quand Kimi nage seule dans la mer, elle repense aux échanges qu’ils ont eus la veille avec Shiro, et elle peut imaginer la réalisation des rêves qu’il a évoqués.
Si les émotions sont suggérées avec beaucoup de pudeur, les couleurs très vives recréent cependant une atmosphère qui fait la part belle à la fantaisie. L’aquarelle est parfois renforcée par des crayonnés rapidement ébauchés, voire « bougés », qui insufflent une vibrante dynamique qui fait ressentir ce fameux souffle de l’été. Une lecture rafraîchissante, avec de très beaux sentiments, qui toutefois ne confinent jamais à la mièvrerie, grâce à la justesse des dialogues, qui miment avec justesse les tournures enfantines.

Chat par ci/ Chat par l

Chat par ci/ Chat par là
Stephane Servant
Rouergue (boomerang), 2014

Par ci par là, le sentiment va

Par Anne-Marie Mercier

Chat par ci_ Chat par lSelon le principe de la collection, une même histoire est racontée de deux points de vue différents : deux personnages, l’un jeune l’autre âgé, voisins mais ne se connaissant pas immobilisés chacun chez soi, regardent par la fenêtre et voient la même chose plus ou moins : chacun voit ce qui l’intéresse. Ils reçoivent la visite d’un chat, et ce chat est porteur d’une lettre non signée qu’ils croient leur être destinée. Chacun imagine que le scripteur est celui ou celle qu’ils voient de leur fenêtre, mais ce n’est pas celui qu’on croit…

Au bout du compte, chacun sortira de son isolement ; c’est une belle fable sur la nécessité d’aller vers l’autre, et sur les pouvoirs de l’écriture, mais aussi ses dangers.

L’auteur arrive à rendre en peu de pages ses personnages présents et attachants, à leur donner la parole de façon vivante et bien individualisée.

Comment te dire ?

Comment te dire ?
Edwige Planchin, Anne Cresci (ill.)
Editions Fleur de ville, 2014

Un peu, beaucoup…

Par Anne-Marie Mercier

Pas facilecommentdire de parler de l’amour sans tomber dans le pathos ou la niaiserie. Pas facile non plus d’en parler de façon générale, tant les amours diffèrent les uns des autres. L’album d’Edwige Planchin réussit les deux paris. Chaque double page propose une manière de décliner le sentiment : à travers des adverbes, des comparatifs, des mots doux, des images, des adjectifs et des comparaisons, l’intensité du sentiment, son allant, l’exaltation qu’il procure, tout cela est beau et juste. Seul regret : les illustrations ancrent souvent le propos dans un domaine purement enfantin.

Les éditions Fleur de ville, situées dans l’Ain, publient des albums dans deux collections. L’une propose des « ABC du sport «  pour explorer différentes activités comme le ski, l’escalade, le badminton… l’autre des récits de fiction orientés pour la plupart sur le vivre ensemble et les sentiments. Bienvenue chez les tous-pareils d’Edwige Planchin, a été chroniqué sur li&je.

Ce n’est pas très compliqué

Ce n’est pas très compliqué
Samuel Ribeyron
HongFei, 2014

Pas compliqué… et pourtant

par Anne-Marie Mercier

Ce n'est pas très compliquéDans un format assez grand, c’est une histoire simple qui nous est contée, pas compliquée en effet, celle de deux enfants qui jouent ensemble dans leur rue, puis sont séparés ; mais l’essentiel est ailleurs : dans les deux épisodes où le garçon cherche à savoir ce qu’il a dans la tête et se demande s’il a un cœur, et ce qu’il y a dedans. La réponse est belle, discrète et forte : les émotions vraies ne sont pas forcément celles dont on a conscience. Curieux, n’est-ce pas? C’est une façon de dire aux enfants qu’ils ne savent pas ce qui, dans les émotions ressenties, restera ou non gravé dans leur esprit, installé dans leur « maison » intérieure.

Les illustrations mêlant différentes techniques (papiers découpés, pastels, encres, aquarelles…), sur un fond beige, ont un style très original et les doubles pages sur ce qu’il y a dans la tête de l’enfant  (une forêt, sombre silencieuse, secrète, douce…) sont pleines de poésie et de mystère et invitent à se perdre dans cette forêt intérieure.

Saint-Valentin

Le Rendez-vous de Valentin
Sylvie Serprix
Grasset jeunesse, 2013

La Saint Valentin pour tous !

Par Anne-Marie Mercier

LeRendezvousdeValentinBeaucoup sont agacés par l’importance prise récemment par la Saint Valentin en France – encore une idée américaine, dit-on. C’est oublier les amoureux de Peynet et les jolies cartes d’avant guerre, comme la tradition qui veut que cette fête célèbre le début du printemps, le moment où les oiseaux font leur nid.

La Saint Valentin c’est aussi traditionnellement le jour des noces de l’illustration et du sentiment amoureux. Deux beaux albums pour la jeunesse le célèbJetaimetellementrent: Je t’aime tellement de Anne Herbauts, une merveille à offrir aux grands comme aux petits, qui sera chroniqué très bientôt, et ce Rendez-vous de Valentin.

On retrouve l’atmosphère des images de Peynet dans l’album de Sylvie Serprix : la ville représentée ressemble à un Paris idéal : bistrots, jardins, ponts et architecture haussmannienne où circulent vespas et péniches. Au début de l’album, le jour se lève ; les couleurs jaunes de l’aube sur une ville rouge et bleue sont magnifiques et donnent une envie de printemps, comme les ciels bleus qui suivent, puis le violet de la nuit tombée. L’album parcourt une journée à travers la ville en suivant Valentin, un oiseau tracé à la plume sur un décor de pastels gras. Il part à son rendez-vous et croise toutes sortes d’amoureux : jeunes ou vieux, humains ou animaux, ceux qui le savent et ceux qui ne le savent pas encore.

L’album, dans un style graphique superbe, propose de jolies trouvailles pour représenter le sentiment amoureux (sidération, envol, explosion…). Il décline ce sentiment de bien des manières sans oublier ceux qui n’ont pas d’amoureux/se : on pense au chagrin des enfants (et de quelques adultes) de n’être pas « comme tout le monde » ce jour là. Un musicien joue devant sa muse, une statue du parc, les chiens Cookie et Bobby sont « presque » amoureux. Notons que c’est le seul couple qui pourrait ne pas être hétérosexuel, l’artiste a-t-elle fait un clin d’œil, vraiment très discret, à l’actualité du vote de cette semaine ?

C’est quoi l’amour?

C’est quoi l’amour ?
Davide Cali
Illustrations d’ Anna Laura Cantone
Sarbacane, 2011

L’amour ? Attention !

Par Gaëlle Franckiewiez et Aurélie Gagnaire
(étudiantes en Master MESFC, Lyon1 )

C’est quoi l’amour ? Davide Cali,Anna Laura Cantone,Sarbacane,etu,amour,sentiment,randonnée,questionAhhh l’amour !!! Qui ne s’est jamais interrogé sur ce sentiment susceptible de nous frapper tous un jour ou l’autre ?

Tout au long de cet album « haut en couleurs » dans tous les sens du terme), Emma se demande ce qu’est l’Amour et aimerait bien savoir à quoi il ressemble. Dans un premier temps, elle s’en va interroger un par un les membres de sa famille : sa Maman, un brin poétique et toujours les mains dans les fleurs ; son papa, grand amateur de football ; sa « Momie gâteau », et son Papi,collecteur d’automobiles miniatures… qui lui donneront, chacun à leur manière, leur propre définition de l’Amour…. Assommée et intriguée par tant de réponses divergentes et extravagantes, elle n’est pas plus avancée et tout en essayant de se faire sa propre idée de ce qu’est l’Amour, elle décide finalement de l’attendre, patiemment….

 Plein de tendresse et de romantisme, cet album délivre une jolie petite histoire, poétique et bucolique, sur l’Amour avec un grand « A ». Ainsi, avec sa structure en randonnée : »Maman, c’est quoi l’amour? », « L’amour c’est… », « de quelle couleur est-il ? de quelle forme,… ? », « être amoureux, ça veut dire… « , Davide Cali mêle ici d’une manière réussie humour et poésie. En effet, la présence d’analogies dans les multiples définitions proposées par les personnages, et notamment l’emploi récurrent de la métaphore et de la comparaison en « comme » : « « L’amour ça chauffe le cœur comme un moteur qui démarre au quart de tour ! » marquent une certaine fantaisie tout au long de l’ouvrage. Le coté humoristique et poétique est aussi visible dans les illustrations remarquablement originales d’Anna Laura Cantone, qui a parfaitement su recréer l’univers innocent d’une petite fille, par une atmosphère romantique, marquée par la présence de papillons voletants, de motifs fleuris, du rose, la couleur de prédilection des filles, et d’une armada de grenouilles qui n’attendent qu’une chose : le prince charmant ! De même, les personnages sont illustrés d’une façon pour le moins loufoque, avec de gros yeux globuleux, des nez proéminents, des corps filiformes ou carrément bedonnants… qui leur donnent un coté assez caricatural, tout comme les objets du quotidien, disséminés dans chaque page, qui participent à la démesure de cet album désopilant.

 Enfin, l’histoire est racontée à la hauteur de cette petite fille, curieuse et espiègle, symbolisée notamment par les grandes silhouettes des adultes qui n’entrent parfois pas dans la page ! Finalement, tout contribue à « épouser les chimères » d’une petite fille, Emma, face à sa quête de l’amour… et ce, jusqu’à la fin de l’histoire où, sentant ses joues qui la brûlent, elle pense que l’amour arrive, mais…

 En fin de compte, le lecteur pourra apprécier l’humour et la tendresse de cette histoire toute en légèreté, qui en fait un album agréable à lire, sans fioritures, qui plaira sûrement à toutes les jeunes (ou moins jeunes) âmes romantiques et curieuses de connaître les mystères de l’Amour… !