Pombo courage

Pombo courage
Emile Cucherousset – Clémence Paldacci
MeMo Petite Polynie 2019

Une cabane dans les arbres

Par Michel Driol

Pombo est un ours qui aime le repos et la tranquillité, tandis que son ami Java est hyperactif. Mais, lorsque Java décide de construire une cabane dans les arbres, et, pour cela, a besoin de Pombo, les choses se gâtent. Comment convaincre Pombo  de monter sur l’arbre pour faire contrepoids afin de hisser le plancher au sommet ? Et que faire lorsque, la nuit venue, l’orage éclate, et que Java est en danger dans sa cabane ?

Pongo et Java sont deux ours bien sympathiques, de ceux qui sont plus de la race des nounours que de celle de grizzlys. Les illustrations nous les montrent menant une vie très humanisée, avec cabane confortable, rocking chair, poêle à bois et thé brulant… Ils symbolisent à la fois deux tentations des hommes, le gout du risque et l’amour de la tranquillité, mais aussi la force de l’amitié qui transcende les oppositions et les différences de caractère. Le récit est alerte, recourant souvent au dialogue et conduit du point de vue de Pombo, dont on suit les rêveries et les pensées, que l’on voit plus ou moins manipulé par Java, mais dont on apprécie finalement le courage. Les illustrations colorées, pleines de détails croustillants, situent l’action au cœur d’une profonde forêt, dans une civilisation qui évoque la Russie des contes (l’isba, les tapis).

Un récit pour parler de l’amitié, de l’adaptation à l’autre, dans un univers sympathique et attachant.

Rosie court toujours

Rosie court toujours
Marika Maijala
Traduit (finnois) par Lauriane Renquet
Hélium, 2021

Cours plus vite, …elle a filé

Par Anne-Marie Mercier

Cet album surprenant au grand format allongé, nous vient de Finlande. C’est un petit bolide. Il marque, par une impression de vitesse et d’espace dévoré. Traitées en pastels gras appliqués à grands traits, saturées de couleurs, imitant un style enfantin, elles nous font suivre un lévrier de course, nommé Rosie.
On la voit d’abord dans ses compétitions, puis au repos dans sa cage, puis échappée et cherchant un endroit pour vivre : elle traverse une ville puis une autre, découvre la mer… Après plusieurs espoirs déçus (la maison et le jardin d’une vieille dame ? un cirque ? une petite fille dans une voiture ?), elle trouve la vraie liberté, celle de courir avec d’autres chiens, dans un jardin «public» c’est-à-dire qui n’appartient à personne, comme elle désormais.

C’est un album où l’air circule, où on sent l’odeur de l’herbe et de la mer: un bel espace de liberté et un plaidoyer pour elle.

Dans la montagne, Irène Penazzi

Dans la montagne
Irène Penazzi
Maison Éliza, 2021

« S’éclater » dans la montagne

Par Maryse Vuillermet

Un album sans texte. D’une maison d’édition solidaire qui propose pour 5 albums vendus d’offrir un livre à un enfant qui a peu accès à la culture.

Trois enfants bien équipés et un chien dans la montagne, saisis dans de multiples situations.

Des situations de jeux : se pendre à une branche, faire le tour d’un tronc avec ses bras, se bagarrer comme les bouquetins, se baigner dans le ruisseau, grimper aux arbres, faire de la luge sur un névé…

Des activités : construire une cabane, ramasser du bois,  toutes sortes de feuilles, d’insectes et les trier, les dessiner, récolter des châtaignes, des baies, faire un feu…

Des moments forts de la randonnée, la tempête, la soirée  au coin du feu, la nuit dans la tente, une halte dans un très grand refuge, la traversée d’un torrent à l’aide d’un câble, boire à la fontaine, pique-niquer au bord d’un lac, faire un feu dans un four en pierre et cuire le repas…

De multiples situations d’observation : de traces d’animaux, d’oiseaux avec des jumelles, de vaches dans un pâturage, de marmottes, de  bouquetins, de grenouilles dans le ruisseau, des étoiles, du feu, des cascades, lecture de carte, repérage, orientation…

Le message est clair et convaincant, la montagne est un univers d’une richesse infinie, on ne peut pas s’y ennuyer.  En refermant cet album, on n’a qu’une envie, y aller, se lancer, s’y amuser, se livrer à cette infinie palette d’activités.

Mon Père est un super-héros

Mon Père est un super-héros
Arnaud Cathrine, Charles Berberian
De La Martinière jeunesse, 2020

« Moi, mon père… »

Par Anne-Marie Mercier

Achevé en aout 2019, cet album semble avoir été écrit un an plus tard tant il fait l’éloge d’une figure de héros magnifiée en 2020 et 2021 : le médecin. Plus précisément, c’est un chirurgien qui est présenté, tout auréolé de gloire et de sacrifice.
Sous une allure enfantine, à travers un dialogue entre deux enfants qui sont en compétition sur le thème du « moi mon père… », c’est plus un témoignage sur la vie de l’enfant avec ce père (et le couple qu’il forme avec sa femme), sur l’admiration qu’il éprouve pour lui, son inquiétude devant sa fatigue et ses soucis, son désir de lui ressembler et la peur de ne pas être à la hauteur de ce modèle écrasant.
La fin de l’album est  intéressante par la réponse apportée à ce défi : l’enfant affirme qu’il choisira une voie autre : non pas être super-normal comme le lui conseille sa mère, mais créer, étonner et surtout être… super-soi.
Si le thème du prestige du chirurgien n’a rien de bien renversant, la présentation du regard enfantin porté sur la profession d’un parent est intéressante : fantasmes, incompréhensions, projections.
Le rouge (sanglant ? ) de la couverture est adouci à l’intérieur par des bleus doux ;  l’humour des dessins accompagne le ton de cette histoire grave et légère.

Louise du temps des cerises

Louise du temps des cerises
Didier Daeninckx – illustré par Mako
Rue du monde (Histoire d’Histoire) 2012

Ah laissez-moi chanter Clément…

Par Michel Driol

En ce cent cinquantième anniversaire de la Commune de Paris, force est de constater que peu d’ouvrages de littérature jeunesse évoquent cet épisode de notre histoire. C’est l’occasion d’évoquer celui de Rue du Monde, signé Didier Daeninck et Mako, même s’il remonte à 2012.

Comme toujours, dans cette collection, une fiction historique est accompagnée, en bas de page, de petites notices documentaires. L’héroïne, et narratrice, est fille d’un facteur parisien. Elle traverse le printemps de la Commune, du 12 avril 1871 à la semaine sanglante, accompagnant son père dans ses tournées, suivant les façons d’expédier le courrier par la Seine, puis par ballons. Elle se retrouve à bord d’un des ballons jusqu’en province avant de revenir à Paris. Le récit se clôt sur le retour de déportation du père, en 1880, la découverte de son petit-fils, et l’emblématique Temps des cerises.

L’album constitue un bel hommage à la Commune de Paris à travers les yeux d’une fillette de 11 ans, prénommée Louise comme Louise Michel, et dont le prénom du fils, Jean-Baptise, évoque bien sûr Jean-Baptiste Clément. Si le récit n’évoque que peu les décisions prises par la Commune en termes d’avancées sociales, il met surtout l’accent sur le blocus et la dureté de la répression, récit porteur d’espoir qui se clôt sur une naissance. Daeninck met surtout l’accent sur l’amour, amour revendiqué par la fillette comme argument contre les provinciaux qui ne voient dans les communards que des sauvages sanguinaires, amour pour le fils du maçon rencontré par hasard, amour et naissance à la fin, façon pour lui de dire que sans amour il n’est pas de fraternité ou de progrès social possible, ce qui constitue un beau message pour les enfants.

Ce sont les documentaires qui mettent l’accent sur la résistance du peuple de Paris et sur les idées neuves qui jaillissent à cette époque. Les illustrations évoquent avec beaucoup de réalisme le Paris de 1871.

Un album pour parler aux enfants d’un pan bien occulté de notre histoire.

 

Les rêves d’Ima

Les rêves d’Ima
Ghislaine Roman – Bertrand Dubois
Cipango 2020

Créer pour maitriser la peur

Par Michel Driol

Au bord du lac Titicaca vit une fillette, dont les oncles et tantes sont potier, tisserande, bijoutier. Mais chaque nuit Ima fait d’incroyables cauchemars. Chacun des membres de la fratrie tente de lui faire découvrir son art. Peine perdue. Jusqu’au jour où un vieil indien lui propose un bateau pour enfermer ses cauchemars. Mais, une fois les terreurs nocturnes enterrées, toute la famille perd son pouvoir créateur. Ima alors déterre le piège à cauchemars et devient, à son tour, une grande conteuse.

Prenant les allures d’une légende inca, voici un album qui tisse les liens entre les peurs et la création artistique. On retrouve bien sûr tout l’imaginaire des Indiens d’Amérique du Sud, les motifs tissés les poteries, les bijoux, la Terre-mère, Pachamama, que les illustrations de Bertrand Dubois rendent à merveille, toujours en grand format, soit en page simple, soit en double page. L’album est donc d’abord une invitation au dépaysement vers un autre continent, une autre culture. Mais, au-delà de ce pittoresque, il montre à quel point la joie de la création qui habite la fratrie est indissociable de la peur, peur des volcans, des monstres qui assaillent la fillette, comme s’il y avait là l’envers et l’endroit d’une même chose. Sans peur, la création devient insipide, sans âme, sans esprit, et le marchand d’art rejette sans pitié les productions artisanales. La peur doit être acceptée, comme faisant partie de la vie, et est la condition de la création, suggère l’album. Les récits merveilleux d’Ima, comme une mise en abyme de l’album, mêlent les forces cosmiques, les forces naturelles, et donnent des conseils, tracent des voies pour trouver son chemin dans la vie. Belle définition non seulement des contes, mais aussi de la force de l’art, et tout particulièrement de la littérature. Et on ne peut que songer au travail et aux thèses de Serge Boimare sur la question.

Un album qui parle des peurs de tout un chacun, pour apprendre à les dépasser, en particulier grâce à la littérature.

C’est pas gagné Félipé

C’est pas gagné Félipé
Laure Monloubou
Kaleidoscope 2021

Passion foot à l’épreuve !

Par Michel Driol

Félipé ne parle et ne rêve que de football. Mais lorsqu’il est inscrit au club, il faut bien avouer que, sur le terrain, il ne brille pas. Le jour du match, il reste sur le banc, à son grand soulagement. Mais lorsqu’un joueur est blessé, le voilà obligé de jouer. Et c’est par hasard qu’il devient le héros du match !

Avec l’humour qu’on lui connait, Laure Monloubou fait ici le portrait d’un enfant pris entre ses rêves et la réalité. S’il est loin du ballon sur le terrain, il se vante d’exploits sportifs chez lui, à table.  Le football, il en parle mieux qu’il n’y joue… En même temps, Félipé est tout à fait lucide et honnête envers lui-même et sur ses compétences. Il n’est absolument pas jaloux ou envieux de ses camarades plus forts que lui. On a donc ici le portrait d’un anti héros positif, qui accepte de reconnaitre ses limites. L’album est rythmé entre des doubles pages et des vignettes, qui multiplient l’action. Les paroles, surtout celles de Félipé, se retrouvent dans des bulles façon BD, ce qui donne encore de la vie et du rythme à l’album. Tout commence par une adresse au lecteur, visant à lui faire deviner, en lui présentant la chambre du héros, sa passion, façon peut-être d’impliquer le jeune lecteur pour qu’il s’interroge sur ses passions à lui et leur réalisation.

Un album drôle et plein de pensée positive sur l’acceptation de ses qualités et de ses défauts.

Et si on redessinait le monde ? Daniel Picouly, Nathalie Novi

 Et si on redessinait le monde ?
Daniel Picouly, Nathalie Novi (Ill.)
Rue du monde, Nouvelle édition, nouveaux espoirs, 2020

Maryse Vuillermet

 

 

La puissance du rêve proposée aux enfants

 

Superbe album poétique et subtilement politique, une invitation à rêver mais aussi à réfléchir et à proposer, qui s’adresse à des enfants à partir de 8 ans, mais aussi à des adultes. C’est une réédition d’un album qui a connu un beau succès il y a sept ans. L’auteur, l’illustratrice ont voulu renouveler texte et image après une si étrange année 2020. Dix-sept textes, dix-sept mondes rêvés par des enfants issus des quatre coins de la planète-terre.  Chaque double page présente un texte débutant par « Moi, si je pouvais dessiner le monde… je… »  Et ce texte exprime le rêve d’un monde parfait pour chaque enfant.  Par exemple, un enfant d’Afrique souhaite un monde « sans fin ni faim ». Un enfant de Mongolie souhaite un monde « cheval sauvage » et un enfant d’Amazonie « une forêt de toute la palette des verts ».  Ainsi, chaque enfant part de son univers, de ses conditions de vie, pour les rêver meilleurs.

En face du texte, l’illustration de Nathalie Novi est si riche et si poétique qu’elle représente elle aussi un monde singulier et onirique.  L’enfant est représenté sur une carte ancienne, dans sa tenue caractéristique, et entouré de ses objets, animaux ou êtres fétiches. Le fondu des couleurs, la tendresse du dessin, la fantaisie des mondes imaginaires nous transporte vers un ailleurs idéal.

A la fin de l’album, l’auteur lance une invitation au rêve à l’enfant lecteur : « C’est ton métier, enfant de recommencer ce que les grands ont abîmé. »

 

La Route du lait grenadine

La Route du lait grenadine
Alex Cousseau et Charles Dutertre
Rouergue, 2019

Vroum, vroum, boum !

Par Anne-Marie Mercier

La Route du lait grenadine est une compétition qui a lieu chaque année et voit s’affronter des concurrents de toutes sortes dans leurs véhicules bricolés. C’est une parodie de la Route du Rhum que les adultes suivent parfois avec passion. Les enfants pourront suivre avec peut-être autant d’angoisses les aventures de ces concurrents qui rencontrent toutes sortes d’avanies : pannes, erreurs d’itinéraires, carambolages, explosions…
Ils portent, comme leurs engins, des noms évocateurs, comme Rhubarbe noire et sa toupie foreuse, Heliogabalum avec son avion en pot de yaourt, Muriel Crapoussin sur le tracteur de son grand-père, etc. L’un ressemble à un coléoptère, d’autres à un escargot, une mouche, une taupe, une chenille, d’autres sont de petites choses plus ou moins humanoïdes. Certains engins sont tout petits, d’autres immenses comme le paquebot à hélice nommé la grande Baragagne (allusion aux Voyages en Grandes Garabagne d’Henri Michaux ?) pilotée par Jules d’Espinasse (descendant de Julie de l’Espinasse, la célèbre épistolière du XVIIIe siècle). La fantaisie règne partout.
Le trait de Charles Dutertre se fait minutieux, détaillant les engins, donnant toutes leurs bizarreries, les colorant aussi, comme il colorie les espaces divers dans lesquels les équipage se perdent : feuillages jaunes, nuit bleue… pour finir dans un grand désert blanc où l’horizon indique la ligne d’arrivée.
Voilà au moins une compétition où l’on ne s’ennuie pas, où les concurrents sont là pour s’amuser et parfois s’entraider, et où le gagnant probable ne sait même plus pourquoi il est là, un petit régal d’humour.

La Révolte de Sable

La Révolte de Sable
Thomas Scotto – Mathilde Barbey
Editions du Pourquoi pas ? 2021

Personne n’est trop petit pour faire la différence – Greta Thunberg

Par Michel Driol

Sable est une jeune renarde qui joue souvent avec le narrateur, dont on ne connait pas la race exacte, jusqu’au jour où, prenant conscience d’un dérèglement climatique en voyant le printemps arriver trop tôt, et s’inquiétant pour la Terre, elle s’enferme dans le silence. Rien n’y personne ne peut l’en faire sortir. Sable sort pourtant de sa tanière plus forte et déterminée, entraine à sa suite ses parents et le narrateur, et se rend en ville pour gronder contre les hommes qu’elle tient pour responsables de la situation. Si les adultes sont moqueurs et indifférents, les enfants, eux, sont sensibles à ce discours, et relaient auprès de leurs parents un message pour avoir une planète vivante.

Bien sûr il est question ici de Greta Thunberg – présente à la fois dans l’épigraphe et représentée en dernière page aux cotés de Sable. Mais ce serait réducteur de ne voir dans cet album qu’une fable sur cette jeune fille. D’abord en raison de la poésie du texte de Thomas Scotto, poésie de l’écriture, qui introduit dès les premières lignes le lecteur dans un univers où la syntaxe est bousculée pour faire le portrait de Sable, façon de dire qu’elle est unique. Ce travail poétique de l’écriture se poursuit tout au long du texte, et en fait la qualité : travail sur le rythme des phrases, sur l’utilisation de la phrase nominale, sur l’évocation de la nature. Ce travail sur l’écriture accompagne un récit métaphorique dont le narrateur, le compagnon de jeu de Sable, est le témoin un peu craintif, moins fin que sa compagne, à l’image d’un lecteur lambda qui voit les choses sans forcément en prendre conscience ou en mesurer les dangers potentiels : il voit bien que les litières sont plus sèches et que de plus en plus d’animaux viennent se réfugier de ce côté-ci de la forêt… Le récit fait aussi un beau portrait de personnage révolté, capable de s’indigner et d’accuser. Portrait en trois phases : l’une consacrée au jeu et à l’insouciance, l’autre liée à la prise de conscience qui isole et condamne au silence, silence dont l’auteur a la sagesse de ne pas donner les raisons, et la dernière consacrée à l’action qui prend forme d’un discours magnifiquement évoqué par le narrateur à travers les attitudes et le regard de Sable, autant que par ce qu’il croit avoir compris de ses mots. C’est finalement le regard qui prend la place de la parole : regard de Sable, regard des enfants, mais aussi regard sur la nature, façon paradoxale de souligner l’insuffisance des mots dans un texte hautement littéraire.

Mathilde Barbey accompagne ce texte plein d’esprit de juste révolte par des illustrations à base de papiers découpés, illustrations jouant sur le contraste entre un ciel bleu et froid et la chaleur de la robe de Sable, ou des couleurs des arbres, des plantes, des animaux, ou, à la fin, des banderoles portées par les enfants.

La poésie engagée de Thomas Scotto invite donc à ne pas baisser les bras, et à ne plus assister avec passivité à la destruction de la nature.