Moi j’irai dans la lune, et autres innocentines

Moi j’irai dans la lune, et autres innocentines
René de Obaldia, Emmanuelle Houdart
Grasset jeunesse, 201

Jardins d’enfants fous

Par Anne-Marie Mercier

Avec Obaldia, la poésie s’affranchit, et pourtant elle rime toujours. Les mots se tordent, les sens se multiplient, les syllabes se contractent et l’esprit d’enfance fait sa révolution. Le garçon et la fille de « Chez moi » rivalisent d’exagérations, l’enfant du « secret » court après des choses vues en rêve, la fillette de « J’ai trempé mon doigt dans la confiture » est excessive, Pétronille veut être un garçon, Zaza envie le zizi de son frère, « Antoinette et moi » rêvent de grandir pour être amants en vrai… On n’a donc pas que des histoires de confitures et de jeux ici, et quand il y en a, ça s’emballe sérieusement et les chevaux de bois ruent dans les brancards, tandis que les enfants mordeurs ne se laissent pas faire. Les dessins  colorés d’Emmanuelle Houdart ont la cruauté et l’innocence qui sied.
Un texte déroule toutes les caractéristiques de la langue anglaise et des anglais (enfin, celles que le locuteur débutant imagine), un autre un voyage dans le lune, un autre le charme des départs en « Ouiquenne, un autre une Sologne rêvée…

Vivement mes dix ans
(Ah ! cogne mon cœur cogne !)
Vivement mes dix ans
Pour aller en Sologne

En Sologne la neige
Tombe jusqu’au mois d’août
On y chasse en cortège
On y chasse le loup

Des loups qui sont tout blancs
Mais avec des dents noires.
Leurs pattes de devant
Ecrivent des histoires. […]

Dans les forêts perdues
Quelque part en Sologne
Mon cœur déjà fendu
bat pour les autochtones.
[…]

 

Petit jardin de poésie Robert-Louis Stevenson

Petit jardin de poésie
Robert-Louis Stevenson,  Ilya Green
Grasset jeunesse (la collection), 2017

Jardin d’enfants sages

Par Anne-Marie Mercier

Suivant le principe de « La collection » de Grasset, l’illustratrice a disposé d’une palette limitée à trois ou quatre couleurs et d’une semaine de délai pour illustrer le texte classique qui lui a été proposé. Les dessins d’Ilya Green ont une allure un peu désuète, imitant à la perfection des images de livres d’enfants d’autrefois.
Les poèmes de R.L. Stevenson sont joliment traduits, sagement, avec des rimes et des vers réguliers. Ils évoquent la maison, les heures de la journée, les jeux et les jouets, toutes choses charmantes reflétant l’idée que l’on se faisait à l’époque des bonheurs enfantins – du Maurice Carême en somme avec des problèmes liés à la traduction.
Cette sagesse fait un contraste intéressant avec l’album précédent de la collection, La Valse de Noël de Boris Vian, décapante et détonante.

Si Les pommes avaient des dents

Si les pommes avaient des dents
Milton et Shirley Glaser
adapté par Didier da Silva
Helium, 2017

A croquer et déguster lentement

Par Anne-Marie Mercier

« Si on laissait le choix au truites, elles prendraient certainement la fuite », « Si les oursonnes étaient coquettes, elles s’occuperaient de leur poilette (sic) », « Si les rhinocéros portaient des pulls, ils seraient certainement ridicules »…
Les formules jouent tantôt sur les sonorités des mots, tantôt sur la forme des objets et des animaux. Les plus intéressants sont ceux dans lesquels le rapport entre les éléments n’est pas évident : on cherche, on associe… Les dessins sont absurdes à souhait : la pomme souriante mais un peu inquiétante de la couverture en est un bon exemple.

Une « lecture » active et stimulante,

La géographie absente

La Géographie absente
Jeanne Benameur
Editions Bruno Doucey 2017

L’exil vu par une enfant

Par Maryse Vuillermet

Ce recueil de poésies raconte « l’exil, à travers le regard d’une enfant et le courage muet des mères ».
C’est une poésie presque narrative, évocatrice, faite de notations précises d’instants clés. L’exil se dit par les souvenirs.
De départs,
Les mains de nos mères avaient glissé
Sur la poignée des portes
Elles avaient fermé à clef
Ce qu’elles n’ouvriraient plus
De sensations,
La craie au fond de la gorge
D’attitudes corporelles, de gestes
 Depuis leurs gestes restaient
Suspendus
Et leurs bouches
Closes .
Des formules incandescentes, presque philosophiques, ramassent en courts-circuits le drame :
 L’enfance de nos mères
est une terre sans aveu
nous y marchons pieds nus .
Le contexte est la guerre d’Algérie pour l’auteur,  mais ces poèmes parlent de tous les exils de tous les enfants.

Passagers d’exil

 

Passagers d’exil
Anthologie présentée et établie
par Bruno Doucey et Pierre Kobel
Editions Bruno Doucey 2017,

De quoi faire aimer la poésie aux ados
Par Maryse Vuillermet

Cette anthologie vient enrichir la collection Poes’idéal « une collection engagée de poèmes rassemblés autour d’un idéal » dirigée par Mireille Szac qui a déjà publié Guerre à la guerre, Vive la liberté !, Chants du métissage, Quand on a que l’amour.
Elle rassemble soixante poètes d’âges, de nationalités et de sensibilités très différentes, comme Mahmoud Darwich, le Palestinien, Mohamed Cherfi et Soprano, les rappeurs d’origine algérienne et comorienne, les romanciers français Laurent Gaudé, Didier Daeninckx , les poètes classiques comme Jacques Prévert, Herman Hesse ou plus contemporains comme la Mauricienne Ananda Devi, Gaël Faye…
Elle se structure en cinq parties qui sont les étapes du parcours de l’exil :
I Il a fallu partir,  parle de l’arrachement, du départ et de ses causes, la misère, la guerre, la persécution.
II Maintenant il faut traverser Les poèmes disent les dangers et les douleurs du voyage.
III Cet endroit n’entend pas, décrit la douleur et la surprise d’arriver dans un lieu indifférent, hostile, froid, d’être rejetés
IV Et les portes se referment, disent l’exil, l’errance, la solitude et l’anonymat.
V Parle-leur d’espoir Là, on nous parle de fraternité, de collectif, de langue et de paroles pour s’exprimer.
Entre chacune des parties, une double page de citations, phrases percutantes et fortes.

L’anthologie est accompagnée d’une introduction et d’une conclusion de Bruno Doucey, poète et éditeur, qui rappelle avec ses images, son histoire personnelle et de manière poétique, le contexte historique et politique.
Et enfin, chaque poème ou texte est accompagné d’une courte biographie de l’écrivain mettant l’accent sur sa relation au thème, personnelle, familiale,  politique, ou d’engagement personnel.
Bibliographie, discographie, filmographie ainsi que des références bibliographiques de chaque extrait permettent d’aller plus loin.
C’est vraiment un très beau travail que l’illustration de Bruno Clarke,  subtile et forte,  sert avec justesse, les textes sont émouvants, le choix est varié, le propos n’est jamais larmoyant mais toujours, les mots des poètes parviennent à dire mieux que tous les documentaires l’humain, le singulier et l’inacceptable de cette actualité.

 

La Valse de Noël

La Valse de Noël
Boris Vian
Nathalie Choux
Grasset (« la collection », 2017

Croire au Père Noël?

Par Anne-Marie Mercier

Le principe de « la collection » de Grasset : « puiser dans le patrimoine littéraire des textes adaptés aux jeunes lecteurs » et proposer à un/e artiste contemporain de l’illustrer en suivant un cahier des charges contraignant : travailler pendant une semaine seulement, et en utilisant une palette limitée à trois ou quatre couleurs.
Après les Histoires naturelles dont nous avons parlé sur lietje, voici Boris Vian à travers un texte peu connu, écrit en 1955 (voir dans l’album les détails sur ce texte fournis par Nicole Bertolt, de la Fond’Action Boris Vian).
On retrouve le goût de Vian pour les accumulations dans cette liste de tous ceux que Noël intéresse (ou non) : enfants, bébés, parents, dévotes, mais aussi travailleurs de la mine, clochards, soldats…, et des cadeaux qu’ils reçoivent (ou non). On retrouve aussi un appel à la paix et au partage, qui rappelle que Noël ce n’est pas que pour les cadeaux :

Valse des gens de la terre
Qui partageront en frères
le pain et le sel

Mais, pour ceux qui savent lire, la fin est moins rose :

C’est une valse éternelle
Pour ceux qui préfèrent
Plutôt que de faire la guerre
Croire au Père Noël…

Les illustrations de Nathalie Choux donnent la part belle à un beau gris, rayé de fines rayures bleues ; il fait le fond de toutes les images, en dehors de celles où apparaissent des soldats, donnant une note douce et un peu mélancolique à la fête.

Danse, Petite Lune !

Danse, Petite Lune !
Kouam Tawa – Illustrations Fred Sochard
Rue du Monde

La plus merveilleuse des danseuses

Par Michel Driol

Tout commence par une adresse au lecteur : « Regardez, regardez ». Ce que l’album nous donne à voir, c’est une vieille dame qui marche, courbée sur sa canne. Mais cette vieille dame a été une grande danseuse dans son village, et l’album raconte alors sa vie et sa danse, dans toutes les circonstances de la vie. Son espoir aussi de danser la plus belle des danses le jour de son mariage… Mais qui oserait épouser la plus belle danseuse du village ? Si elle ne danse plus maintenant, elle donne, par son maïs, la force aux oiseaux de danser.

Tout se passe, dans cet album, comme si un griot racontait la vie de Petite Lune, s’adressant à plusieurs reprises aux auditeurs. De fait, le recueil mime l’oralité, dans ses reprises et ses anaphores, dans ses structures syntaxiques. Tout est fait pour suggérer la profération du texte dans cet  album qui met l’art en abyme : Petite Lune nait dans une famille d’artistes, son père est joueur de tamtam et sa mère chanteuse. Il est donc « naturel » qu’elle devienne danseuse. Mais l’album parle aussi de la solitude de l’artiste, être un peu à part, isolé, à la fois apprécié et craint pour sa capacité à faire naitre des émotions. Petite Lune devient alors une légende dans son village, et on lui prête des pouvoirs surnaturels.

On voit se déployer ici une poésie narrative, qui raconte la vie d’un personnage féminin, dans une forme qui se veut proche des contes et des généalogies africains. Les illustrations, presque toujours en double page, accentuent ce côté africain, en reproduisant, sans le copier, un art naïf et débonnaire, d’une Afrique quasiment idéalisée.

Cet ouvrage fait partie de la sélection pour le prix de la poésie Lire et Faire lire 2018

Les Petits Malheurs

Les Petits Malheurs
Jean-Claude Dubois – Images Estelle Aguelon
Cheyne

L’art d’être grand père

Par Michel Driol

39 poèmes en vers libres qui disent la relation entre des grands-parents et des petits enfants. Tout commence par la présentation de la famille : les deux grands parents (Opa et Oma) et les cinq petits-enfants. Suivent alors des sortes d’instantanés, petits riens de vacances, promenades estivales, courses, devoirs de vacances, questions existentielles. Le recueil se clôt avec la rentrée des classes et le départ des petits-enfants.

Le titre invite à rechercher, dans ce bonheur partagé, ce que sont les petits malheurs : une petite blessure, la solitude, le silence ou les pleurs d’un enfant, sans que l’on sache quoi dire, la mort, la séparation. C’est là que, dans la tendresse de cette relation, le recueil prend une dimension philosophique : ces petits malheurs, à l’échelle d’un homme, le sont-ils pour des enfants ? Un enfant doit pouvoir s’abandonner aux larmes.  Il est question d’apprentissage et de découvertes, d’étonnements devant les choses du quotidien, du pain laissé pour les poules à l’église au centre du village, mais aussi de l’école. Là, c’est le grand-père qui questionne cette dernière, non sans humour. L’école apparait alors comme un lieu étrange, artificiel et superficiel face à la profondeur de la relation vécue pendant les vacances.

Je rêve d’une école où on leur apprendrait la nostalgie, et non à lire, écrire et compter, les points cardinaux, ou ce qu’est un métro.

Après Hugo, Jean-Claude Dubois renouvèle l’art d’être père : l’art de perdre au jeu tout un été, l’art de guetter les mots que forment  les enfants, l’art d’être indulgent, de comprendre l’enfance et de la prendre au sérieux. Le tout est dit dans une langue quotidienne, simple, qui tisse le « je » de l’auteur avec le « on » du couple et le « ils » des enfants.  Cette immédiateté de la langue n’empêche pas des subtilités ou des trouvailles linguistiques :

Il y a des exercices difficiles :
par exemple celui où il faut écrire
une jolie phrase
mais conjuguée au passé perdu.

Nostalgie, temps qui passe, parenthèse de l’été, transmission, ce recueil dit, avec une grande simplicité et modestie, beaucoup de choses de cette relation entre grands-parents et petits enfants. Les images d’Estelle Aguelon, à base de cartes à jouer découpées, donnent un côté ludique au recueil.

Cet ouvrage fait partie de la sélection pour le prix de la poésie Lire et Faire Lire 2018

Chanson de l’hippocampe et autres poèmes

3033Chanson de l’hippocampe et autres poèmes
Aimé Césaire – Illustrations Charline Picard
Gallimard Jeunesse – Enfance en poésie

Une profonde voix d’outre-mer

Par Michel Driol

Le recueil rassemble six extraits de deux textes d’Aimé Césaire : Et les chiens se taisaient (1946 – publié en 1958) et Moi laminaire (1982). Ils donnent à entendre une poésie ample, anaphorique, qu’on sent destinée à la profération plus qu’à la lecture solitaire et silencieuse. Ils disent une prise de parole qui s’assume, celle d’un homme fondateur du concept de négritude dès les années 30, parole destinée à être dite sur le théâtre car Et les chiens se taisaient est en fait une tragédie lyrique qui pose la question de la solitude d’un héros entier, refusant le compromis, jusqu’à la mort.

On regrette l’absence de paratexte : certes, il y a une biographie de Césaire, une carte de la Martinique, et une belle introduction de Guy Goffette. Mais on aimerait que soit précisé ce qu’est un laminaire, et que Et les chiens se taisaient est une tragédie où il est question d’engagement et de mort. A ce compte, c’est la dimension politique de Césaire qui est en quelque sorte gommée par la publication.

Reste, heureusement, la poésie de Césaire, ce qu’elle dit du monde et comment elle le dit. Il est question de fraternité, de respect des différences et de protection mutuelle. Il est question du pouvoir des mots sur le monde. Il est question d’un nouveau monde à bâtir avec les débris de l’ancien. Il est question de la nature, volcans ou hippocampe, et le lecteur est invité, implicitement, à chercher de quels hommes ils sont les métaphores. Tout cela est proféré dans une langue riche tant par son lexique que par sa structure. Couresse, éther, tutélaire, cadène, rhombe, autant de mots  que le jeune lecteur ne connait pas forcément, mais qui, par leur étrangeté même, disent un autre monde et un ailleurs. Les poèmes sélectionnés jouent abondamment de l’anaphore et de la liste, comme une façon de tenter d’épuiser la diversité du monde et des êtres, ou le travail qui reste à accomplir vers un monde meilleur.

Très colorées, les illustrations montrent, sans exotisme, le monde maritime et volcanique de la Martinique.

Un recueil riche, mais qui nécessite un accompagnement assez précis à l’égard du jeune lecteur.

Cet ouvrage fait partie de la sélection pour le prix de la poésie Lire et Faire lire 2018

Saisons d’Issa

Saisons d’Issa
Issa – Illustrations Erlina Doho
L’iroli 2017

Haïkus des quatre saisons

Par Michel Driol

Issa est un poète japonais de la fin du XVIIIème siècle. Cet album réunit 20 de ses haïkus regroupés par saisons. Le haïku est une forme exigeante, encore peu connue du public français, et surtout des enfants. Le choix éditorial a été de montrer une version japonaise du haïku, mais de laisser la traduction française envahir l’espace de la page en épousant les illustrations, au détriment de la traditionnelle répartition en 3 vers. On retrouve bien sûr tous les éléments naturels : oiseaux, insectes, animaux, plantes, l’eau sous forme de pluie, de rosée ou de neige.  Il y est bien sûr question aussi de sentiments : solitude, fraternité, joie, étonnements. Ces vingt instants minuscules observent le monde minuscule et lui donnent vie : les insectes sont omniprésents,  microcosme à l’image du macrocosme :

Les montages au loin dans les yeux de la libellule reflétées.

Le recueil célèbre la joie de vivre, sous toutes ses formes, dans la solitude ou en groupe, dans le silence de la méditation ou dans les cris. Il est de fait une incitation à ouvrir les yeux sur la nature qui nous entoure, à la re303specter dans tous ses aspects, et à profiter de l’instant. Belle leçon de sagesse au fond…

Cette poésie subtile, de l’instant, est accompagnée d’illustrations qui parfois l’interprètent, pouvant ainsi aider les enfants à entrer dans cette forme elliptique, qui pourra les déconcerter.

Cet ouvrage fait partie de la sélection pour le prix de la poésie Lire et Faire lire 2018