Judith et Bizarre

Judith et Bizarre
Benoït Richter

Nathan, 2018

Qui est le monstre ?

Par Anne-Marie Mercier

Les parents de Judith sont éleveurs, et celle-ci se prend d’affection pour un petit animal tout mignon, qu’elle cache et tente de sauver lorsqu’elle comprend le sort qui lui est réservé…
On sait le drame lorsque des enfants s’attachent à un petit animal alors qu’il est destiné à être abattu pour la boucherie. Mais ce récit échappe au réalisme sentimental pour s’attaquer conjointement à un autre sujet, très à la mode en ce moment, celui des clones, ou des donneurs d’organes, de l’immortalité, etc.  (voir un roman récent, La Déclaration) : Bizarre est, comme tout le « bétail » élevé dans la ferme, un minotaure, élevé pour fournir des organes aux humains. Mais il est exceptionnel par le fait que, au lieu d’avoir une tête de bovin sur un corps d’enfant, il a une tête d’enfant sur un corps de bovin. Il parle, il a des émotions…
Entre préoccupations sur le bien-être animal et débats sur la légitimité de l’élevage et de la consommation de viande, ce petit roman arrive à ne pas asséner de leçon, à ne pas prendre parti de façon abrupte, mais à poser les questions de manière simple, à travers une histoire touchante et prenante.
Les bons romans de science-fiction pour la jeunesse sont rares, celui-ci est donc le bienvenu, après l’Enfaon d’Eric Simar qui traitait de la tolérance des mutants.

Miss Pook et les enfants de la lune

Miss Pook et les enfants de la lune
Bernard Santini
Grasset jeunesse, 2017

Sombre terre, mystérieuse lune

Par Anne-Marie Mercier

Depuis Le Yark (2011), jusqu’au tout récent Hugo et les secrets e la nuit, Bernard Santini explore avec brio les terreurs enfantines tout en revisitant les classiques de la littérature. Ici, c’est le personnage de Mary Poppins qui est repris : elle en est très proche au début par sa complicité avec la petite Elise, sa fantaisie, sa tendresse, qui s’oppose à la rigueur des parents, bourgeois caricaturaux. Elle vole aussi, ce qui est un autre trait commun – mais non grâce à un parapluie ; c’est un dragon qui l’emporte avec la fillette, jusqu’à la lune. Entretemps, Miss Pook aura fait croire à Elise que ses parents voulaient la manger…

Sur la lune, on retrouve les atmosphères étranges des premiers récits d’anticipation et Elise, fuyant le domaine de Miss Pook quand elle comprend qu’elle a affaire à une sorcière, découvre sur la face cachée de la planète les autres « enfants de la lune ».

Ce sont d’autres enfants enlevés par Miss Pook, pour d’obscures raisons dont on devine qu’elles ont un trait commun, trait qui ne sera révélé qu’à la fin (et que l’on de dévoilera pas ici). Ils se sont enfuis comme Elise et, comme elle, ont été capturés à nouveau. Elle rencontre aussi d’autres créatures fabuleuses, Sphinx, Vampires, Faune, qui sont l’incarnation des nombreux dangers qui guettent les enfants.

Les mystères s’ajoutent aux mystères, le bien devient le mal, l’inquiétant le rassurant… La cruauté est partout présente, subtile et ambiguë. Cette série commence fort bien et promet de beaux rebondissements à ceux que n’effraient pas les récits subtilement noirs mais non dépourvu d’humour (souvent « noir » aussi !).

Zita la fille de l’Espace, t. 2 et 3

Zita la fille de l’Espace, t. 2 et 3
Ben Hatke
Rue de Sèvres, 2016 et 2017

Série spatiale

Par Anne-Marie Mercier

Encore de l’espace!

Zita est une fille comme les autres… mais depuis qu’elle a sauvé la planète Scriptorius (de scriptor, l’écrivain), pas question de la laisser rentrer chez elle : elle doit aller sauver d’autres mondes en péril. Pour échapper à la cohorte de ses admirateurs et à des obligations de super héroïne, elle laisse imprudemment sa place à un robot qui lui ressemble comme deux gouttes d’eau… et qui part sauver une autre planète à se place. Traquant l’imposteur, elle se met au ban de la société spatiale et est désignée comme « la terreur de l’espace ». En fuite, arrêtée, emprisonnée, contrainte aux travaux forcés… elle rencontre aussi bien de nouveaux amis que des anciens.

Les deux volumes sont aussi inventifs que le premier, plein d’humour; les formes de vie rencontrées par Zita défient les lois de l’univers connu aussi bien de de la sage SF… Les retrouvailles avec Joseph dans le troisième volume sont pleines de surprises, comme leur retour (provisoire !) sur terre, chez leurs parents. Zita, « fille de l’espace », « terreur de l’espace », « aventurière de l’espace » est l’héroïne d’une vraie série qui ajoute d’épisode en épisode, de nouvelles complexités à son monde et de la profondeur à ses personnages, sans trop se prendre au sérieux. Les adultes se régaleront eux-aussi.

Le Facteur de l’espace


Le Facteur de l’espace
Guillaume Perreault

La Pastèque, 2016

Vive la poste et les postiers !

Par Anne-Marie Mercier

Cet album, entre roman graphique et BD, est un jalon dans l’histoire de la littérature de jeunesse en France : il a été le premier de son genre à recevoir un prix au Salon de Montreuil. De fait, le livre est si riche qu’il aurait pu recevoir plusieurs « pépites » d’un coup.

Bob, facteur « spatial », fait sa tournée régulière et y a pris ses habitudes. Un jour, on lui donne un autre circuit à faire et il ronchonne tout au long de cette journée, jusqu’à la fin, où son regard change. La pire journée de sa vie devient celle où il reprend un regard neuf sur les choses: il y a donc un zeste de philo dans cette petit e histoire.
Il salue ses amis les robots, son patron le poulpe, mange, et voyage dans un univers totalement futuriste mais aussi délicieusement daté, dans  un style de SF retro et humoristique. Ce voyage de planète en planète évoque celui du Petit Prince et justement c’est lui l’un des nouveaux clients de Bob, qui comme les autres a quelque chose à lui demander ou une épreuve à lui faire subir (dessiner un mouton, encore et encore, par exemple…).De la planète où il pleut à celle peuplée de chiens hurlants, il livre des objets divers : un parapluie, une théière, une lettre, un voyageur…

Tout cela donne peu à peu à ce facteur une grande humanité tout en faisant un beau portrait de ce métier qui relie véritablement les hommes. C’est drôle, surprenant, rythmé, et tendre.

 

Le Château des étoiles, vol. 2 et 3

Le Château des étoiles, vol. 2 et 3
Alex Alice
Rue de Sèvres, 2017

De la terre à Mars via la Lune

Par Anne-Marie Mercier

Alex Alice, auteur de l’adaptation en BD de la saga de l’Or du Rhin (Siegfried, La Walkyrie, Le Crépuscule des dieux parus chez Dargaud) poursuit son parcours mythique en plaçant la conquête de l’espace sous les auspices de Louis de Bavière, en 1870. Tous les ressorts du roman populaire sont également sollicités : le manuscrit volé, le thème du complot politique contre le savant pur et visionnaire, la trahison, l’enfance malheureuse, la quête d’une disparue… L’intrigue est complexe, les personnages multiples, le suspense permanent, ce qui n’empêche pas une pointe d’humour.
Comme le précèdent volume, ces deux tomes sont vertigineux par la succession des événements, la multiplication des points de vue, l’originalité des inventions proches d’un imaginaire Vernien. On y retrouve le roi de Bavière et, brièvement mais de façon déterminante), sa cousine Elisabeth d’Autriche (Sissi), Bismarck, et l’on se retrouve sur la lune, Mars… en compagnie des trois héros et de leur grand-père (cette fois c’est leur père qui a disparu). Jusqu’où ira-t-on ?
Revoir pour l’occasion le merveilleux Une Femme dans la Lune, film muet de Fritz Lang (1929), qui a bien des points communs avec l’intrigue.

Lotto Girl

Lotto Girl
Georgia Blain
Traduit de l’anglais (australien) par Alice Delarbre
Casterman, 2017

L’unicité, cette banalité

Par Matthieu Freyheit

La multiplicité des publications théoriques liées au posthumain et au transhumanisme laisse apparaître un écueil dans l’absence de prise en compte des productions pour la jeunesse, pourtant irriguée des questions de modifications, d’augmentations, peuplée de cyborgs et de mutants, nourrie de savants fous et d’hybrides. Or, les seuls mots de posthumain et de transhumain s’imposent de plus en plus dans le paysage et l’imaginaire collectifs, et il est attendu des publications pour la jeunesse qu’elles traitent ouvertement de sujets qui font l’actualité, surtout lorsque celle-ci consiste à évaluer nos capacités à modeler l’avenir.

Georgia Blain s’inscrit dans cette perspective avec Lotto Girl, dans lequel des parents gagnent à la loterie des modifications génétiques pour offrir à leurs enfants les meilleures chances dans une société réévaluée et réorganisée par les avancées de l’ingénierie génétique.

Fern Marlowe fait partie de ces ‘lotto girl’ et grandit dans la certitude de sa valeur et de son unicité au sein d’un monde à deux vitesses aux allures de Gattaca : les modifiés qui réussissent, et les autres qu’unit une même paupérisation technologique. Le livre aborde évidemment la question de la perfectibilité de l’individu par les biotechnologies, faisant du posthumain le passage de la perfectibilité indéfinie rousseauiste à une forme nouvelle de perfectibilité définie, voire programmée : qui pour être musicienne, qui pour développer des talents de communicante, qui pour prendre soin des autres, etc. Ce faisant, Georgia Blain interroge non seulement la fonctionnalisation de l’individu, qui au titre d’un destin non plus probable mais programmatique se voit voué à jouer un rôle précis dans le collectif, mais également celle, essentielle et peu abordée, des nouvelles formes de verticalité qui viennent remplacer la traditionnelle ascendance parentale. De fait : que vaut encore l’affranchissement comme structuration du sujet dès lors que le pouvoir dont il convient de s’affranchir n’est plus identifiable ? De quoi ou de qui se libérer et comment produire du ‘grandir’ quand la naissance devient un processus économique, social, politique et technologique dont les enjeux nous échappent ?

Sans simplifications ni réponses toutes faites, le roman de Georgia Blain est une œuvre singulièrement intelligente et ouverte qui donne la mesure des enjeux que nous sommes collectivement en train de dessiner. Et dont il n’est pas inutile de parler à nos adolescents.

Mes voisins les Goolz, vol. 1

Mes voisins les Goolz, vol. 1 : « Sale nuit pour les terreurs »
Gary Ghislain
traduit (anglais) par Isabelle Perrin
Seuil jeunesse, 2018

Père écrivain, enfants en danger…

Par Anne-Marie Mercier

Les histoires de morts-vivants n’ont aujourd’hui plus rien d’original. Quant aux enquêtes menées par de jeunes détectives, la nuit, dans un ancien cimetière, cela fait bien longtemps que c’est un lieu commun des histoires qui cherchent à faire peur. Ajoutons à cela un héros maltraité par les brutes du collège, un objet magique fascinant mais destructeur, et on aura une bonne partie des ingrédients de ce volume qui joue sur les clichés avec humour et ne craint pas d’y ajouter du sang et de la violence.
Son originalité tient à d’autres ingrédients, annexes par rapport à l’intrigue policière ou fantastique, mais importants dans l’installation de l’atmosphère et des personnages. Le narrateur est un jeune garçon, Harold, qui se déplace en fauteuil roulant (il est resté paralysé après une chute). Ce fait ajoute beaucoup d’intérêt à l’histoire car les difficultés qu’il a à se déplacer, sa frustration, ses rêves, donnent à toute l’histoire une allure de cauchemar. Autre originalité : s’il vit seul avec sa mère, c’est qu’il « n’a pas de père », non pas par abandon mais parce que sa mère en a décidé ainsi et qu’il a été conçu par fécondation in vitro avec un donneur anonyme. Cela est dit au passage, sans en faire toute une histoire : une façon comme une autre d’être au monde ; voilà une nouveauté en littérature de jeunesse. Enfin, et surtout, M. Goolz, le voisin est non seulement le père de deux charmantes filles, dont l’une a l’âge du héros et lui fait chavirer le cœur, mais il est aussi un auteur à succès de romans d’horreur (un genre de R. L. Stine, en somme). Les tentatives de la mère de Harold pour entrer en contact avec cette famille, puis pour empêcher son fils de la fréquenter sont hautement comiques, comme le portrait de l’écrivain en maniganceur d’intrigues qu’il n’aura qu’à copier ensuite dans ses livres – quitte à mettre en danger des enfants.
Mon dernier livre pour enfants de Chris Donner abordait déjà cette question de l’inspiration, et du rôle de la famille de l’auteur, sur un mode plus sérieux, mais lui aussi  humoristique.

Bug 1

Bug, livre 1
Enki Bilal
Casterman, 2017

« bug », n. m., tiré de l’anglais : insecte (punaise), bestiole, panne informatique (bogue)

Par Anne-Marie Mercier

« Maman ?! J’arrive pas à me connecter… »

Ce sont les premières paroles proférées dans cette histoire. Elle débute au moment d’un grand « bug » informatique planétaire : toutes les données numériques ont été aspirées, on ne sait comment. Pendant que Gemma et sa mère s’interrogent et cherchent des informations sur le réseau hertzien ou auprès de leurs amis, Paul, père de l’une et ex-mari de l’autre, est en orbite autour de la terre, seul pilote rescapé d’une attaque étrange. Pendant ce temps, à New York, Paris, Istanbul, les dirigeants du monde politique, industriel et financier se livrent à une course aux informations. Pendant ce temps, on recrute des hypermnésiques (personnes à grande capacité de mémoire) et on fait appel aux retraités : anciens pilotes, médecins, techniciens, etc. capables de travailler en mode « sans ». Pendant ce temps, diverses Mafias se déchainent et pillent ce qu’elles peuvent, tandis que des groupements de bénévoles mettent en place des « pillages citoyens » pour répartir les subsistances. Pendant ce temps, des ados hébétés, coupés de leur réseau, se suicident en masse, des malades meurent, des ascenseurs restent bloqués dans les tours… Tout est à l’arrêt, mais pas l’intrigue qui tisse une toile serrée en différents lieux autour du même enjeu : récupérer Paul dont le corps est habité par une « bestiole » (bug) et qui semble avoir capté toutes les données perdues. L’enlèvement de Gemma par des mafieux, l’atterrissage de Paul en plein califat, tout cela promet de multiples rebondissements.
Le rythme est autant narratif que visuel, avec le talent de Bilal pour l’ellipse, les variations d’angles et de points de vue, et la constance dans les tonalités sombres et bleutées. Cette obscurité est rompue par les couleurs vives des petits journaux imprimés des Geek, Le Monde Today, quotidien au style fruste et aux fautes d’orthographe et de syntaxe qui disent un état de la langue (et de la pensée) dans cet univers futuriste pas très loin du nôtre.
Les thèmes abordés par cette fiction sont très intéressants et posent des questions sur la place du numérique dans nos vies et nos rapports sociaux, sur la fragilité de ce monde dépendant d’une technique, sur la perte de capacité de mémoire des individus du monde occidental, sur la mondialisation des réseaux, la place des organisations criminelles… .
Au milieu de ces sombres perspectives, l’attachement fort qui lie Paul et sa fille est une bouffée d’espoir et d’humanité.

Un superbe début!

 

 

 

Génération K, t. 2

Génération K, t. 2
Marine Carteron
Rouergue (epik), 2017

Une sauce qui « prend »

Par Anne-Marie Mercier

J’avais un émis des réserves sur le premier volume de cette série, pourtant élu « meilleur roman jeunesse 2016 par la rédaction de Lire (voir ma chronique sur lietje). Si les causes restent (mélange de sujets à la mode, efficacité liée à des techniques narratives plus qu’à l’intérêt que l’on pourrait porter aux personnages, héros parfois caricaturaux…), cette sauce prend mieux dans le deuxième tome où les personnages se font plus nombreux, plus fouillés (même Ka a des moments intéressants, lorsqu’il est question du pouvoir de la musique). Comme ils sont en relation étroite, la narration alternée est encore plus efficace et le suspens permanent.
On retrouve les thématiques du réveil du vampire, des races élues, des « pouvoirs » surnaturels alloués aux héros, d’un complot planétaire organisé par des savants cupides et fous, tout cela dans un déchainement de violence ponctué par des moments musicaux tendance « metal ».
Les précisions qui entourent la stratégie d’un laboratoire pharmaceutique pour vendre (très cher) un vaccin après avoir provoqué une épidémie sont intéressantes et évoquent quelques scandales récents. Ce projet, qui vise par des manipulations génétiques à éliminer 99% de la population mondiale pour ne garder qu’une humanité « triée » (on devine dans quel sens) et par la suite augmentée avec de nouveaux gènes pose la question du transhumanisme aux héros : doivent-ils se soumettre à la volonté des pères pour régner avec eux ou les mettre à mort, quitte à se perdre eux-mêmes, pour sauver l’humanité ordinaire ? Les ados héros, surhommes malgré eux, refusent leur destin de cobayes et sèment la mort autour d’eux : le nouveau Dracula va avoir quelques difficultés! (la suite au tome 3, déjà paru, dont je parlerai très prochainement…).

 

 

 

 

Sirius

Sirius
Stéphane Servant
Rouergue, 2017

Le meilleur ami de l’homme.

Par Anne-Marie Mercier

Sirius, c’est le nom du chien de la famille d’Avril. Il doit revenir la chercher pour les emmener elle et son petit frère, Kid, rejoindre leurs parents à la montagne. Mais très vite on doute : les parents sont-ils encore en vie ? Et Sirius ? Le monde a été dévasté par une catastrophe, les animaux ont disparu, décimés par la contagion, les radiations, ou exterminés par les hommes qui les croient porteurs du virus mortel. Plus aucune naissancen’a eu lieu, les espèces sont devenues stériles. La survie n’est possible que grâce à des capsules disséminées çà et là contenant des rations de nourriture, des médicaments, des couvertures… Les humains sont dispersés en tout petits groupes, couples, hordes, ou bien sont massés aux portes d’une Ville inquiétante. Avril et Kid sont seuls et vivent dans un arbre.

La robinsonnade se mue en ‘road novel’ lorsque ils sont retrouvés et pourchassés par un tueur de la secte des Etoiles noires. Pour des raisons d’abord mystérieuses, il ne lâche pas la piste d’Avril et veut assassiner Kid. Les deux enfants se mettent en route vers la montagne. Sirius fait alors son apparition, mais ce n’est pas un chien mais un cochon noir au front frappé d’une étoile… blanche, que l’enfant nomme du même nom. En chemin, face à de nombreux périls et des souffrances en tous ordre, ils rencontrent une ourse, un âne, des rats… une dame Tartine dévoreuse d’enfants, et un Conteur qui les guidera jusqu’au bout de leur quête.

Cette figure du Conteur est centrale. Elle reprend d’autres figures liées au livre et développe la fonction des histoires, celles qu’on lit ou qu’on écrit, celles qu’on raconte, celles qu’on écoute, l’histoire de sa vie que l’on met en mots pour la dévoiler à autrui et s’en libérer. Avril a en effet de nombreux secrets, qui sont autant de cailloux à porter. Elle ne s’en délivre que peu à peu ; le lecteur, comme les autres protagonistes de l’histoire, ne découvre que très progressivement qui elle est, ce qu’elle a fait et pourquoi on la poursuit. Le suspens est constant et fonctionne remarquablement bien.

De nombreux autres thèmes s’entrecroisent sur ce fond de catastrophe : les peurs modernes, bien sûrs : nucléaire, épidémies, révoltes, terreurs et terrorismes sectaires… mais aussi la cause animale qui s’affirme peu à peu et donne une allure fantastique à une histoire qui n’avait aucun horizon d’espérance.

La poésie nait de la description d’une nature pauvre mais résistante, de paysages vides ou macabres, d’espaces humains abandonnés. Elle est aussi dans la manière dont l’auteur fait percevoir ce réel par les personnages : sensations, émotions, petites choses, intuitions. De courts chapitres en vers libres font entendre leurs voix intérieures, nous plongent dans leurs rêves. C’est une belle route que nous fait emprunter ce roman, sombre et tendu vers les étoiles.