Le Dernier Petit Singe

Le Dernier Petit Singe
Sarah Cohen-Scali
Casterman 2020

Piège diabolique ?

Par Michel Driol

Devant se rendre en voyage scolaire aux Etats-Unis, Karim voit sa photo d’identité refusée par l’agent chargé d’établir son passeport, qui l’envoie à trente kilomètres de là dans un centre commercial pour y faire LA bonne photo qui conviendra. Y arriver n’est pas aisé. Le GPS a du mal à fonctionner. Mais la cabine a un fonctionnement étrange : elle donne des pièces et des billets de 5 €, puis se transforme en un cube qui emprisonne le héros. Pour en réchapper, il est contraint d’accepter une mission. Commence alors un angoissant compte à rebours… qui conduit Karim une nuit, seul dans son appartement, à assister à d’étranges phénomènes.

Voilà un roman complexe qui s’inscrit parfaitement dans le genre fantastique et offre de nombreux rebondissements propres à maintenir une atmosphère inquiétante tout au long du récit. D’abord par les personnages, comme l’employée de la mairie, vieille femme à l’allure de sorcière malfaisante, qui va envoyer le héros en mission. Ensuite parce que la mission du héros ne se révèle à lui que par bribes : qui est la jeune fille à sauver dont il reçoit l’image ? Par l’atmosphère de peur qui envahit peu à peu le roman, et culmine dans cette soirée que le héros passe seul dans l’appartement de ses parents. Enfin parce que la Mal n’est pas là où on l’attendait, et renvoie au un mal présent dans notre société, que l’on ne révélera pas, bien sûr, ici. C’est ainsi que la fin du roman bifurque vers un roman plus social, invitant à ne pas adopter la posture des trois singes qui sont aveugles, sourds et muets, mais au contraire à réagir. Tout au long du texte le fantastique est mis en abyme, laissant le lecteur se questionner sur la frontière ténue entre le rêve et la réalité, avant de réapparaitre à la fin, comme une espèce de pirouette ou de clin d’œil.

Un roman fantastique de qualité qui parle aussi de notre monde où l’horreur existe.

Mes voisins les Goolz, vol. 1

Mes voisins les Goolz, vol. 1 : « Sale nuit pour les terreurs »
Gary Ghislain
traduit (anglais) par Isabelle Perrin
Seuil jeunesse, 2018

Père écrivain, enfants en danger…

Par Anne-Marie Mercier

Les histoires de morts-vivants n’ont aujourd’hui plus rien d’original. Quant aux enquêtes menées par de jeunes détectives, la nuit, dans un ancien cimetière, cela fait bien longtemps que c’est un lieu commun des histoires qui cherchent à faire peur. Ajoutons à cela un héros maltraité par les brutes du collège, un objet magique fascinant mais destructeur, et on aura une bonne partie des ingrédients de ce volume qui joue sur les clichés avec humour et ne craint pas d’y ajouter du sang et de la violence.
Son originalité tient à d’autres ingrédients, annexes par rapport à l’intrigue policière ou fantastique, mais importants dans l’installation de l’atmosphère et des personnages. Le narrateur est un jeune garçon, Harold, qui se déplace en fauteuil roulant (il est resté paralysé après une chute). Ce fait ajoute beaucoup d’intérêt à l’histoire car les difficultés qu’il a à se déplacer, sa frustration, ses rêves, donnent à toute l’histoire une allure de cauchemar. Autre originalité : s’il vit seul avec sa mère, c’est qu’il « n’a pas de père », non pas par abandon mais parce que sa mère en a décidé ainsi et qu’il a été conçu par fécondation in vitro avec un donneur anonyme. Cela est dit au passage, sans en faire toute une histoire : une façon comme une autre d’être au monde ; voilà une nouveauté en littérature de jeunesse. Enfin, et surtout, M. Goolz, le voisin est non seulement le père de deux charmantes filles, dont l’une a l’âge du héros et lui fait chavirer le cœur, mais il est aussi un auteur à succès de romans d’horreur (un genre de R. L. Stine, en somme). Les tentatives de la mère de Harold pour entrer en contact avec cette famille, puis pour empêcher son fils de la fréquenter sont hautement comiques, comme le portrait de l’écrivain en maniganceur d’intrigues qu’il n’aura qu’à copier ensuite dans ses livres – quitte à mettre en danger des enfants.
Mon dernier livre pour enfants de Chris Donner abordait déjà cette question de l’inspiration, et du rôle de la famille de l’auteur, sur un mode plus sérieux, mais lui aussi  humoristique.

Et Gretel

Et Gretel
Marien Tillet, Paule Ka (ill.)
CMDE ( Dans le ventre de la baleine), 2015

Au commencement était la faim

Par Anne-Marie Mercier

etgretelSi l’on voit souvent le conte de Hansel et Gretel adouci afin d’éviter aux jeunes lecteurs ou auditeurs les scènes cruelles et les descriptions effrayantes, il est ici au contraire rendu avec toutes ses aspérités, et quelques autres en plus.

Tout commence au moment où Gretel, dont on suit le point de vue de bout en bout, voit son frère repu grâce au festin de la maison en pain d’épice popularisée par les traductions françaises. Elle « a faim. Très ». Et dévore à son tour. Lorsque la sorcière apparaît, la question de la dévoration reste toujours présente, au premier plan. Dans la conclusion heureuse, le thème du manque reste bien présent malgré les richesses prises à la sorcières et le retour à la maison parentale : la faim peut revenir, ou la pauvreté, et Gretel reste marquée par cette angoisse. Contrairement à ce qui se passe dans l’univers du conte, il n’y a pas de retour à un état initial amélioré, mais un changement dans la mentalité du personnage, marqué à jamais par les épreuves.

Les illustrations sont noires, non seulement par le choix du noir et blanc qui domine en dehors de quelques taches jaunes discrètes, mais aussi par le caractère sinistre de ce qui est représenté : bois sombre, mais aussi mâchoires, intestin, ventre…

Quand on remâche Grimm, il n’y a pas que du sucré.

Les éditions du CMDE proposent toujours des choses intéressantes; j’avais rendu compte ici de l’ouvrage précédent de Marion Tillet, interprétation très libre du Petit Chaperon rouge.

 

Le garçon talisman

Le garçon talisman

Florence Aubry

Rouergue,

Doado noir,  2012

 

Fuir l’horreur

                                                                                                             par Maryse Vuillermet

 

 Heinrich, 17 ans  se cache dans un container sur le port. Il fuit Les Autres. Il est un Zeru Zeru, un enfant du diable parce qu’il est albinos. Les Autres peuvent à tout moment l’attraper, lui couper les cheveux, le mutiler, le tuer. Alors, il se cache depuis sa naissance ; sa mère l’a abandonné, sa tante lui a appris à se maquiller et se grimer pour passer inaperçu, il sait reconnaître le danger et les ennemis. Même dans l’établissement spécialisé où on l’a mis avec les autres enfants comme lui, il est en danger, les Autres ont enlevé une fillette,  lui ont coupé bras et jambes.

Alors, il vit dans le container, il vend ses cheveux aux pêcheurs qui les croit magiques, il a une seul ami Vincent.

Un autre garçon du même âge souffre,  Val,  qui est en partie responsable de l’accident de sa sœur en kitesurf et qui veut tout faire pour la sauver. Le sorcier lui a dit que pour cela,  il fallait un morceau du corps d’un albinos. Il va donc rencontrer Heinrich…

 

Roman haletant, très angoissant, noir, cruel mais réaliste (inspiré de faits réels au Burundi à l’heure actuelle) tendre aussi, parfois et qui se termine par une lueur d’espoir.