L’Erreur de Pascal

L’Erreur de Pascal
Florence Seyvos

Illustré par Michel Gay
L’école des loisirs (mouche), 2011

Doisnel enfant

Par Anne-Marie Mercier

L’Erreur de Pascal.gif« Ma mère est morte ». L’excuse inventée par Antoine Doisnel dans Les Quatre cent coups est utilisée par un jeune garçon qui cherche à échapper à tout ce qui le contraint. Mais Pascal ne s’arrête pas à ce premier mensonge et s’empêtre dans de nombreux autres, finissant par ne plus savoir comment échapper à l’embrouillamini qu’il a créé, sinon par la fuite, l’envie de disparaître.

On peut craindre le pire, mais Florence Seyvos esquive et ce récit s’achève tout tranquillement sur une leçon claire : il suffit de dire la vérité, toute la vérité (du moins sur le plan des faits) pour que tout s’arrange… C’est une belle exploration d’un point de vue d’enfant buté qui s’évade loin des problèmes en inventant ou en regardant ailleurs. Et c’est fort bien écrit, avec des gros plans sur des moments, des mets, des odeurs.

Ultraviolet

Ultraviolet
Nancy Huston
Thierry Magnier, 2011

Grandir en 1930 au Canada quand on a treize ans 

par Sophie Genin

9782844209047.gif« Les larmes me montent aux yeux et je les chasse, il faut qu’elles aillent dans les mots, que leur eau salée devienne encre sur la page au lieu d’aller se perdre dans mon cou en traçant des rigoles à travers la poussière. » (p. 10)
Lucy Larson vit au Canada. Nous sommes en 1936 et la chaleur ainsi que la famine pèsent sur l’héroïne, fille du pasteur d’une petite ville perdue dans la campagne appauvrie. La narratrice entame son journal intime le mercredi 29 juillet, peu avant l’arrivée d’un jeune médecin à qui elle devra ses premiers émois adolescents. Le docteur Beauchemin n’a plus le droit d’exercer, c’est pourquoi il accepte l’hospitalité des Larson. Lorsque s’éclaircira le mystère de sa déchéance sociale, le récit prendra fin, après une crise existentielle de Lucy qui aura, en quelques mois, grandi et accédé à la liberté de penser et à la maturité d’un futur écrivain.
Nancy Huston n’est pas loin de cette jeune fille, dans l’évocation de l’écriture salvatrice, même si l’aspect historique en toile de fond ne permet pas d’envisager l’auto-fiction. Le ton, très réaliste, rappelle celui d’une certaine Anne Frank, c’est dire à quel point on croit au personnage de Lucy, auquel on s’attache, surtout lorsqu’elle se libère des contraintes familiales et sociales qui pèsent très fortement sur elle, jeune fille de treize dans les années 30 au Canada.

Le soleil et la mort

Le soleil et la mort
Elise Fontenaille
Grasset-Jeunesse (Lampe de poche ados),  2011

Regarder la mort en face

par Maryse Vuillermet

  «  Le soleil et la mort ne se peuvent regarder en face ». Cette  phrase de La Rochefoucauld est placée en exergue de ce court roman car, justement, la mort, plus exactement le suicide, en est le centre, on y revient toujours, à la fois horrifiés et fascinés.

Le narrateur, 15 ans, a perdu sa mère, très jeune, puis son grand-père qui l’a élevé, et, enfin, son chat écrasé par une belle-mère stupide. Il ne supporte plus sa vie chez son père, remarié à cette marâtre, et rêve de mourir. Mais comment ? Sur un site internet dédié, intitulé Le soleil et la mort, il rencontre d’autres adolescents qui, comme lui, veulent mettre fin à leurs jours, ils en parlent sans cesse, jouent avec l’idée, se l’approprient, sont heureux d’avoir trouvés des « frères de suicide ». Avec l’aide d’Anton, le plus âgé d’entre eux, le plus cultivé aussi et le plus déterminé, ils organisent une expédition qui sera un suicide collectif sur l’île du grand-père. Mais la rencontre « ça nous avait fait drôle de nous voir en vrai », l’arrivée sur l’île, la vie de groupe, tout cela va changer un peu la donne.

Il faut du courage pour s’attaquer à un sujet aussi délicat, quand on sait que le suicide est la deuxième cause de mortalité chez les jeunes. Les passages où les jeunes parlent aussi naturellement de la mort que de musique ou d’informatique sont un peu déconcertants au début : complaisance morbide ? Sujet noir en or ? Mais l’auteur, malgré un style percutant, des phrases courtes, le fait avec délicatesse et c’est le récit qui met en place la sortie de l’enfer, qui trouve les solutions : écoute de sa souffrance, de sa peur, amitié, projets de vie, épreuves communes. 

J’émets quelques réserves, certains personnages sont un peu stéréotypés, la marâtre, l’ange de la mort, le grand-père génial, les parents défaillants, et récurrents chez l’auteur, mais après tout, ces stéréotypes sont peut-être les personnages de notre société !

Le monde dans la main

Le monde dans la main
Mikaël Ollivier
Thierry Magnier, 2011

 Le carillon des anges

par Christine Moulin

mikaël ollivier,thierry magnier,adolescence,deuil,secret de famille,christine moulin« Le carillon des anges » : l’évocation de ce jouet que la famille du narrateur, Pierre, ressort à chaque Noël, encadre le récit et fait mesurer ce qui s’y est joué.
Disons-le d’emblée : ce roman est bouleversant. La phrase ultime, en forme de mise en abyme, en est particulièrement révélatrice : « C’est une autre histoire que celle que je termine d’écrire aujourd’hui en ajoutant ce point final qui suit ce dernier mot ». Roman d’une disparition, il est tout entier construit sur une absence, à tel point que l’on se demande encore longtemps, bien après le livre refermé, ce qui est arrivé à la mère du narrateur, qui s’en va, un jour, sur le parking d’Ikéa.
Cette rupture va jouer le rôle d’un révélateur, permettre l’écriture, débusquer les non-dits, transformer les êtres, faire remonter les secrets. Jusqu’à la révélation finale.
La virtuosité de la narration est au service du propos, qui souvent, émeut, interpelle le quotidien de tout un chacun, tout en brossant le portrait d’un adolescent sensible, généreux, un peu perdu dans ce monde de brutes mais non dépourvu de ressources ni de force.
Et en prime, c’est drôle : le début est hilarant. Ikéa plus vrai que nature (première phrase du premier chapitre : « Ikéa, c’est drôle au début »; Dernière phrase du même chapitre : «Là où ils sont forts chez Ikéa, c’est que tu en as tellement marre à la fin, que tu es soulagé de payer » !).
Sur le site de l’auteur, on peut voir une vidéo où il parle de son livre (mais attention, allez l’écouter après lecture: SPOILER!). Il dit qu’un bon roman pour ados doit pouvoir intéresser pleinement les adultes : n’est-ce pas tout le pari de Lietje?
Et voici à quoi ressemble un carillon des anges :

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Premier chagrin

Premier chagrin
Eva Kavian

Mijade (zone J), 2001

leçon de mort, leçon de vie

par Anne-Marie Mercier

Eva Kavian  Mijade (zone J), grand-mère, accident,cancer, famille,mort,grandir,collègeAnne-Marie MercierLes concepteurs de la couverture ont choisi d’expliciter le titre, qui sans cela évoquerait les laborieuses « compositions françaises » comme celle sur le « premier chagrin » évoquée par Nathalie Sarraute dans Enfance. Sur cette couverture dont la couleur vive semble contredire le titre, l’image d’une annonce demandant une  « jeune fille pour baby-sitting » indique bien le début de l’intrigue. Le début seulement, car ce roman ne cesse de bifurquer et, de mystère en mystère, de nous surprendre.

Il y a trois ou quatre histoires entrelacées, et pourtant une seule. La jeune Sophie, 14 ans, vivant seule avec sa mère, bonne élève mais mécontente de sa vie en général et du collège en particulier, cherche à se faire un peu d’argent, à grandir. Elle est embauchée par une vieille dame, surnommée Mouche. Gravement malade, Mouche lui dit que ses petits-enfants vont venir pour être avec elle dans les derniers mois qui lui restent à vivre.

Les petits-enfants ne viennent pas. À leur place, des amis, nombreux, affectueux, touchants. Sophie aide Mouche à ranger sa maison, puis à préparer sa mort. Rien de morbide, tant Mouche à de goût pour la vie dans tous ses aspects. Sophie apprend avec elle la gaieté, l’insouciance, le pardon, la gravité. Elle découvre que la gaieté de Mouche masque une blessure terrible et explique pourquoi les petits-enfants ne viendront peut-être jamais.

Sophie grandit. Ses relations s’approfondissent, elle prend des initiatives, pose les questions qu’elle n’a jamais osé poser. D’adolescente morose, elle devient vivante et crée de la vie autour d’elle. Qu’on ne se méprenne pas : pas de miracle, mais la mort de Mouche est une belle leçon de vie et un moment presque heureux. Malgré une écriture assez plate, qui se présente comme la voix de Sophie racontant son histoire, c’est un beau livre, plein de petites trouvailles, de moments drôles, vrai, touchant et surprenant.

Des crêpes à l’eau

Des crêpes à l’eau
Sandrine Beau, illustré par Sandrine Kao

Grasset jeunesse (lampe de poche), 2011

Dure réalité et tendresse

par Sophie Genin

9782246780663.gif Un livre tendre sur une vérité difficile à comprendre et à verbaliser pour Solène, petite fille de 7 ans : la galère financière de sa maman. La tendresse de ce court roman est accentuée par les illustrations douces et pudiques, aux crayons de couleurs semble-t-il, de Sandrine Kao. La résolution du problème est un peu rapide, certes, comme dans tous les textes narratifs de première lecture mais c’est le seul point noir de ce récit rythmé, aux titres accrocheurs mais pas racoleurs et surtout aux personnages attachants : Sara, la maman très originale que l’on rêve d’avoir, battante et inventive, Zoé, la meilleure amie, avec laquelle la jeune narratrice partage chaque semaine une pause « cacahouète qui frétille », et son père, Basile, musicien noir qui va « sauver » Solène et sa maman. Rien n’est jamais trop stéréotypé ni facile dans cette histoire qui raisonne longtemps dans l’esprit du lecteur. Une beau récit à proposer aux jeunes lecteurs qui sont mis, certes, face à une réalité douloureuse mais grâce à un texte littéraire de qualité.

Mistral

Mistral
Angela Nanetti

La joie de lire, Collection Encrage,  2011

 Roi d’une île et adolescent  à problèmes

 par Maryse Vuillermet

  Mistral, le héros éponyme de ce roman,  est né sur une île minuscule, ses parents sont gardiens de phare. Ils l’ont appelé Mistral parce qu’il est né une nuit de tempête et qu’il a crié très fort.

Mistral grandit dans ce royaume de rochers,  et d’oiseaux, il se croit le roi de l’île,  comme son père.

Même quand ses parents ont des problèmes (le phare est automatisé et ils perdent leur emploi, les grands-parents maternels ne parlent pas à son père, celui-ci doit partir travailler sur les bateaux de pêche,) lui, rêve,  ivre de liberté et de mer.

Un jour, arrive un magnifique voilier, avec à son bord,  Chloé,  une petite fille riche, pianiste. Il en tombe éperdument amoureux,  même si elle repart et n’écrit pas souvent.  Un jour, longtemps après,  elle revient avec ses amis qui racontent mai 68 à Paris.

Ce roman offre un malicieux mélange de réalisme, (les affres d’un adolescent qui doit choisir un métier, qui se heurte à la transformation de l’ile en paradis pour riches touristes, à la mésentente de ses parents) et de poésie : Mistral ne cesse d’arpenter son ile et de rêver.

C’est un roman de formation attachant, très vivant, un roman de vent d’amour et de mer.

Difficile d’avouer qu’on aime!

Comment (bien)  gérer sa love story
Anne Percin

Rouergue (doAdo ), 2011

 Difficile d’avouer qu’on aime !

par Maryse Vuillermet

  Encore une fois, exactement comme pour Comment bien rater ses vacances, du même auteur en 2010,  au début de ma lecture, j’ai été un peu agacée par un langage « djeun » un peu lassant et qui m’a semblé outré, mais, très vite, j’ai oublié mon agacement pour me laisser entraîner dans les péripéties de ses amitiés avec Kevin, très lourd mais d’un bon sens et d’une loyauté à toute épreuve, de sa rencontre sur Spacebook avec Natacha, des cours particuliers donnés à un aspi (comprendre un enfant souffrant du syndrôme d’Asperger, qui ne supporte aucun contact humain), de ses gouters-crêpes chez la grand-mère, de ses répétitions dans sa cave…

Maxime est encore enfantin, mais  fait l’amour avec Natacha, une étudiante en psychologie plus âgée, c’est un intellectuel, un artiste, il improvise à la guitare et a une immense culture en rock-jazz post-punk, mais il n’est pas sûr de lui, bref un adolescent totalement de son époque,  plein de doutes et de certitudes. Il n’est plus le jeune autiste du précédent roman, mais  pour devenir adulte, il a encore pas mal d’épreuves à traverser, comme la disparition soudaine de Natacha à sa soirée d’anniversaire, son arrestation pour détention de téléphone portable de contrebande…

Le ton est cependant plein d’humour, le franglais, le jargon jeune omniprésents; chaque fois qu’il lui arrive un malheur, son énergie et son humour  le font rebondir: on passe un bon moment de lecture en sa compagnie. 

Je ne suis pas Eugénie Grandet: l’art, la vie

Je ne suis pas Eugénie Grandet
Shaïne Cassim
L’école des loisirs (médium), 2011

Les livres et l’art comme leçons de vie

Par Anne-Marie Mercier

Je ne suis pas Eugénie Grandet .gif   Dans ce beau roman, une jeune fille découvre son propre trouble en visitant une exposition (« Eugénie Grandet » vue par Louise Bourgeois) et en parcourant le roman de Balzac. Dans une deuxième partie, c’est La Cerisaie de Tchekhov qui est au centre de l’intrigue et des préoccupations… Autant dire que ce roman ravira les « médiateurs culturels » et les amoureux de la culture et qu’il ne fait pas rimer réalisme avec misérabilisme. Certains pourraient lui reprocher d’être un peu « élitiste-parisien », de montrer des vies et un cadre peu communs pour l’ensemble de la population. Oui, et alors? ça change au moins du monde des vedettes,champions, malfrats et stars qu’on propose sans état d’âme.

La situation, les personnages, sont ce qu’ils sont, ce sont des vies comme il y en a d’autres, affrontées à des difficultés et qui se nourrissent de rencontres. Il n’y a rien de cuistre ni de trop didactique. C’est un roman, avec des personnages attachants, tous un peu bizarres, ce qui leur donne un ton de vérité : un metteur en scène, une costumière, un fleuriste, une grand-mère médecin de campagne à la retraite…, tous ces personnages se croisent sous le regard un peu perdu de l’héroïne.

À travers le personnage d’Eugénie Grandet, elle découvre sa grand-mère et comprend le mystère de sa vie, le pourquoi de sa dureté et de son apparente insensibilité et un peu de l’histoire de sa propre mère qui l’a abandonnée ; mais surtout elle comprend à travers l’angoisse qui la prend lors de la visite de l’exposition sa propre angoisse face à son passé comme face à son futur : comment ne pas rater sa vie ? comment naît un amour ?

L’ensemble fait une belle lecture des livres, des arts et des émotions et, ce qui n’est pas négligeable, donne envie de relire ou lire Eugénie Grandet et La Cerisaie

K-cendres

K-cendres
Antoine Dole
Sarbacane (exprim’), 2011

Fous de musique

par Anne-Marie Mercier

k-cendres.gif   K-cendres est le nom de scène d’Alexandra, rappeuse, mais aussi devineresse à la manière de Cassandre : celle qui prédit des malheurs et ne peut les empêcher. C’est pourtant un roman absolument réaliste dans son cadre et dans ses principaux enjeux. Il décrypte les milieux et stratégies du show-biz, non seulement à travers l’héroïne mais aussi de nombreux personnages : patron de label, attachée de presse, garde du corps, médecin… chacun est caractéristique, aucun n’est caricatural, tous sont humains, trop humains. Au contraire, Alexandra et Marcus, son garde du corps, sont porteurs chacun à sa manière d’une certaine pureté.

Alexandra est à l’image de certains jeunes talents exploités par des firmes, assommés de drogues et terriblement seuls (on évoque dans le livre le modèle d’Amy Winehouse, morte en juillet dernier, à l’âge de 27 ans). Prise entre la folie qui lui a fait passer sa jeunesse enfermée à l’hôpital et la transe qui lui fait trouver des rythmes et des mots, parfois des visions, elle ne vit sa vie que dans la musique.

L’écriture d’Antoine Dole accompagne ce passage en enfer, dit l’excès et le désespoir mais aussi l’amour de la musique et l’énergie de la scène. Il prend parfois un rythme fort, se fait musique. On pourrait parler dans certaines pages de « roman-rap ». C’est un roman poignant, prenant, rythmique, magnifique.