Welcome Sarah

Welcome Sarah
Véronique Foz
Milan 2024

Mais je suis une fille…

Par Michel Driol

Arthur, un prénom de roi pour ce petit métis, qui raconte son histoire. Ce petit métis ou cette petite métisse, car Arthur se sait fille depuis toujours, emprisonnée dans un corps de garçon, ce que son entourage ne veut pas voir. On n’accepte pas qu’elle mette des robes, pour se déguiser… On est dans une famille monoparentale, la mère est aide-soignante, le père, d’origine africaine, et parti. Trop violent, sans doute, si bien qu’on ne parle pas de lui à la maison. Arrive dans la vie de la mère Dumi, émigré d’origine roumaine, un homme doux et plein de qualités humaines. Les voisins avec lesquels on s’entend bien déménagent, laissant en cadeau une robe de princesse des neiges… C’est le temps de l’école primaire, puis du collège. Comment accepter  son identité de genre et se faire reconnaitre comme Sarah, entre tentative de suicide, harcèlements divers, et l’amitié de trois personnages lumineux, Lenny l’assistant d’anglais, Amérindien, Elliott, l’américain, et Natasha la jeune russe ?

Ecrit à la première personne par Arthur-Sarah, voilà un roman poignant qui aborde sans détours un sujet difficile, celui de la transidentité de genre, et ses conséquences psychologiques et sociales chez un enfant. On voit grandir Sarah, depuis sa naissance jusqu’à son adolescence, jusqu’au moment où elle fait son coming out en venant habillée en fille au collège. Le récit à la première personne permet un discours sur les émotions, le ressenti, les craintes, les rêves, les espoirs de la fillette, et surtout l’expression de son incompréhension. Incompréhension face à cette différence qui la laisse en marge, craintes face à la puberté qui avance et le fait de se sentir encore plus étrangère dans un corps de garçon. Elle n’est pas la seule à ne pas comprendre, Sarah. Il y aussi sa mère, qui refuse de voir en elle une fille, et reste sourde aux propos pourtant plus ouverts de la voisine qui va déménager.  Il y aussi les psychiatres et les psychologues, qui, sous un mot savant, dysphorie de genre, laissent Sarah et sa mère bien désemparées. Le roman décrit bien les différentes phases par lesquelles passe Sarah, abattement, révolte, violence, avec la figure métaphorique du loup présent en elle prêt à se réveiller.

On ressent avec l’héroïne toute la violence subie du temps du collège. Peu d’adultes protecteurs face au harcèlement dont elle est victime (triste figure que celle du principal, plus préoccupé par un « pas de vague » que par la sécurité physique et affective de cette élève, victime d’une bande de quatre garçons harceleurs et hyper violents, dans leur refus d’accepter la différence). Insultes homophones et coups conduisent Sarah à l’hôpital après une agression particulièrement sauvage. L’autrice ne cache rien de ce harcèlement scolaire, et de ses conséquences.

Le roman vaut aussi par les personnages secondaires : la mère, à la fois débordante d’amour, aide-soignante dans un EHPAD, qui reprend des études d’infirmière, protectrice maladroite, Idriss, le frère ainé, lui aussi plein d’amour pour Arthur-Sarah, en quête de son père biologique, personnage déchiré et en crise d’identité, lui aussi cherchant sa voie entre travail et études, Natasha, la jeune russe, orpheline de mère, qui sait être à l’écoute d’Arthur, celle à qui il confie pour la première fois son angoisse quant à son identité, et surtout Lenny, le jeune indien d’Amérique, personnage non binaire qui allie une force naturelle à une profonde sensibilité qui le conduit à comprendre les désarrois et la souffrance – morale et physique – d’Arthur. Sans compter tous les autres (Dumi, les oncles et cousines de Sarah…), personnages bien dessinés et attachants.

On reprochera peut-être le côté un peu didactique du chapitre 51, qui décrit le parcours  de transition « classique », mais il est le signe d’un roman documenté, qui ne veut rien laisser au hasard, cherche à instruire tout en présentant une grande qualité littéraire. La langue est claire et précise, c’est celle du témoignage, qui ne cherche pas les effets faciles de pathos, mais raconte, dans l’ordre chronologique, à hauteur d’enfant ou d’adolescent. Des allusions au conte (en particulier la petite sirène) ou à la comptine (la souris verte), des citations de chansons, de films apportent aussi une ouverture culturelle pour dire cette force qu’ont les récits pour qui veut bien les écouter. Des motifs récurrents (liés aux lectures de Sarah souvent) viennent aussi structurer le récit.

Welcome Sarah, un roman plein d’empathie pour ses personnages principaux, et pour ceux qui se situent dans les marges, celles et ceux dont l’intégration et l’acceptation dans la société est encore difficile. Gageons que ce roman permettra d’appréhender ces questions avec plus d’humanité ! n’est-ce pas là un des grands rôles du roman et de la littérature ? Ce serait tellement mieux de changer les mentalités, affirme Lenny à la fin…

La Vie en rose de Wil

La Vie en rose de Wil
Susin Nielsen
Helium 2021

Toronto- Paris : premier amour

Par Michel Driol

Wil(bur) vit avec ses deux mères, les Mapas. Son seul ami : Sal(omon), juif échappé à la Shoah… C’est dire son âge ! Au collège, il est le souffre-douleur de Tyler – et de quelques autres – depuis que ce dernier a lu à tout le monde le texte de Wil, écrit lors de son entrée au collège, et destiné à être enfermé dans la « capsule temporelle » jusqu’à la fin des études. Lorsque le chef de la fanfare du collège organise un échange avec un établissement français, il accepte de recevoir Charlie… et découvre que c’est une fille, dont il tombe amoureux au premier regard ! Va-t-elle lui préférer Tyler, sportif, entreprenant, alors que lui est timide et empâté ? Et comment payer le voyage à Paris ?

 Autrice célèbre et reconnue au Canada, Susin Tyler propose ici un roman qui conjugue la problématique du harcèlement scolaire avec celle du premier amour qui va permettre au héros de se révéler à lui-même, de prendre confiance en lui et de s’opposer aux autres. C’est qu’il n’a rien pour lui, Wil : adoré et protégé par ses deux mères, il est resté dans leur cocon jusqu’au collège, et, dès la rentrée, il se retrouve harcelé à cause de l’indiscrétion de Tyler et du hasard. Pas très sportif, dans un milieu très modeste (l’une des mères vivote de petits boulots comme chauffeur Uber, l’autre va de petit rôle en petit rôle), il apprécie son voisin, bien plus âgé que lui, et un chien  qui n’a rien d’un chien de race. On apprécie la conduite du récit, à la première personne, qui révèle les doutes et les sentiments du héros, mais aussi le regard sur la société canadienne, ouverte et tolérante à l’égard des couples homosexuels (les deux amis les plus proches de Wil sont homosexuels), mais aussi dans laquelle l’argent est roi (Wil se fait exploiter par le patron de la boulangerie où il travaille). On apprécie aussi le rôle de la poésie : chaque chapitre s’ouvre par un petit poème écrit par Wil qui révèle ainsi ses talents secrets.

Avec un titre qui sonne comme un clin d’œil à Edith Piaf, voici un hymne à l’amour plein de délicatesse et montrant à quel point le respect est une dimension essentielle dans les rapports humains.

 

Moche le pou

Moche le pou
Claire Fillon – Illustrations de Kiko
L’élan vert 2023

A l’école des insectes

Par Michel Driol

De Moche le pou, on ne connaitra jamais que le surnom que lui donnent ses camarades d’école pour se moquer de lui et l’exclure de leurs jeux, en dépit des remontrances de la maitresse. Lorsqu’arrive une nouvelle élève, Petite Puce, tout le monde l’entoure, pour devenir son amie. Mais elle choisit Moche le pou, en raison de ses qualités morales de protecteur des plus faibles. Et c’est le grand amour !

Voilà un album bien salutaire en cette période où la lutte contre le harcèlement scolaire est une priorité. Un album qui met en scène des insectes, dans une chevelure. Rien de bien ragoutant, a priori ! Des libellules, des fourmis, des scarabées, c’est toute une ménagerie pittoresque que propose l’autrice et que dessine Kiko, dans des couleurs vives. Des insectes quelque peu anthropomorphisés, portant lunettes, cartable au dos, et marchant sur deux pattes ! Ces illustrations, pleines de vie et de mouvement, contribuent à faire le pas de côté qui permet d’aborder la question du harcèlement et de l’exclusion.  Les deux autrices nous en montrent les effets (ou les symptômes) : manque d’envie d’aller en classe, dévalorisation de soi, tristesse, tentatives de réactions inutiles, solitude, désintérêt pour l’école…  Elles soulignent aussi les limites de l’intervention de la maitresse, qui peut faire cesser les moqueries, mais ne parvient pas à intégrer dans le groupe Moche le pou. Est-il vraiment plus moche que les autres ? A leurs yeux oui, mais, à nos yeux de lecteurs humains, sans doute pas. Certes, il porte de grosses lunettes, mais il a la même bouille ronde et les mêmes antennes sur la tête que les autres Et il n’est pas le seul à être noir et jaune… Cet effet de distanciation, d’étrangéisation, lié à l’univers des insectes, permet au lecteur humain de mieux prendre conscience de ce qu’il y a d’artificiel et d’irrationnel chez les harceleurs. Ajoutons à cette mise à distance celle provoquée par l’humour du texte, en particulier dans les jeux de mots (certains ne seront compris que des adultes !) ou les rimes intérieures, les assonances ou allitérations. Humour également de la « chute » de l’album, qui voit en un extraordinaire happy end la puce et le pou s’envoler au septième ciel dans des verts, des jaunes, des roses très pop, au milieu d’une végétation luxuriante.

Une fable contemporaine, pleine de tendresse, pas moralisatrice, pour faire prendre conscience des effets du harcèlement, et mettre l’accent sur le fait que les qualités du cœur ont bien plus d’importance que la beauté ou l’intelligence.

 

Ezima, ou le jeu des trois sauts

Ezima, ou le jeu des trois sauts
Didier Jean et Zad, illustrations de Lucie Albon
Utopique 2020

Comme un oiseau de passage

Par Michel Driol

Pendant les vacances de Pâques, Sybille, la narratrice, fait la connaissance d’Ezima, une migrante de son âge, qui lui apprend à jouer aux trois sauts. Mais lorsque l’école reprend, Ezima est en butte aux quolibets et rejets de Blanche, la meneuse, et Sybille n’ose montrer son amitié pour Ezima. Pourtant, lorsque cette dernière porte le pull que Sybille lui a offert, elle ose s’afficher à ses côtés, et devient à son tour cible de l’hostilité des autres. Certains vont pourtant rejoindre les deux fillettes, et jouer aux trois sauts. Mais, durant l’été, alors que Sybille est chez ses grands-parents, Ezima et sa famille sont partis pour le Canada, laissant un grand vide.

Ecrit à quatre mains par Didier Jean et Zad, ce court roman illustré aborde des thématiques très contemporaines, l’accueil des familles de migrants et le harcèlement scolaire, avec beaucoup de justesse et de sensibilité. Les deux auteurs ont fait le choix d’une fillette ordinaire, soumise à un dilemme : choisir entre son amitié pour Ezira et son appartenance au groupe. Rien d’héroïque dans cette fillette, qui assumera le choix du cœur pour ne pas laisser accuser son amie. Trois personnages se détachent dans cette histoire : Ezira d’abord, qui a traversé sans doute beaucoup de choses, et regarde avec un certain détachement et une certaine distance ce qui lui arrive, et dont la narratrice note l’accent chantant comme une marque de sa différence et de son originalité. Sybille, la narratrice, dont la vie est bouleversée par cette amitié, Sybille qu’on sent intégrée dans une famille, des routines comme les vacances chez les grands-parents, et qui sort transformée et grandie de ces quelques mois de sa vie. Blanche enfin, incarnation du racisme et de la xénophobie, leader de la classe, à laquelle personne n’ose vraiment s’opposer, mais qui disparait du roman et des préoccupations de la narratrice lorsqu’elle a trouvé le courage de s’opposer à elle. Ce qui frappe aussi dans ce roman, c’est la façon de raconter l’intégration, la xénophobie et le harcèlement à partir de petits détails et de quelques objets : trois bâtons, une règle cassée, un cahier déchiré, un pullover.

Les illustrations de Lucie Albon, traitées en ligne claire, donnent vie aux situations et aux personnages avec expressivité.

Un roman aux personnages touchant pour parler de l’amitié plus forte que le racisme et la xénophobie.

La Folle Rencontre de Flora et Max

La Folle Rencontre de Flora et Max
Martin Page, Coline Pierré
L’école des loisirs (médium + poche), 2018

Prisons – écrire pour s’échapper

Par Anne-Marie Mercier

Ce petit roman épistolaire déjà publié en 2015 méritait une réédition en poche, tant l’hisotire de Max et Flora est à la fois singulière et commune et tant elle est abordée avec délicatesse. Flora est en prison pur avoir blessé gravement une fille de sa classe qui la harcelait. Max lui écrit pour lui dire qu’il la connait de loin et qu’il a eu envie de lui écrire parce que leur situation est à la fois lointaine et semblable : il est lui aussi prisonnier.

L’histoire de l’un et de l’autre est distillée peu à peu, avec pudeur et sensibilité. L’humour de Max et l’énergie de Flora sont touchants, tout cela est parfaitement agencé, percutant, mais en douceur. Les lettres sont brèves et proches de ce qu’on pourrait attendre d’adolescents d’aujourd’hui, même si l’auteure préférée de Flora est Sylvia Plath…).