La Cabane au milieu de rien

La Cabane au milieu de rien
Angélique Villenueve – Anne-Lise Boutin
Sarbacane 2023

Ce qui nous lie…

Par Michel Driol

La Viok arrive dans une cabane isolée, la nettoie, et se met à écrire des histoires. Elle découvre alors que cette cabane est peuplée par de très nombreux enfants de taille minuscule, aussi bruyants que chahuteurs. La Viok tente de leur lire une de ses histoires, mais peine perdue. Seule une petite fille écoute, et veut montrer son univers à la Viok Mais cela ne l’intéresse pas, et elle chasse tous les enfants. Seule la petite fille revient écouter les histoires, de l’autre côté de la fenêtre, et découvre que ces histoires l’ont fait grandir. Elle trouve alors la Viok allongée par terre, demande l’aide de tous les autres enfants pour la relever. Après le partage de nourriture, la petite fille entreprend de raconter une histoire à la Viok, sur laquelle se sont assis tous les autres enfants.

Voilà un album qui aborde, avec une langue assez familière et marquée de traces d’oralité, avec des illustrations pleines de vie, des problématiques complexes.  C’est d’abord la question du lien intergénérationnel, entre ce personnage que l’image ne montre pas si vieille que cela mais que le texte appelle la Viok et des enfants qui sont restés minuscules, et qui vivent dans une espèce d’autarcie heureuse. Comment créer ce lien ? La première tentative de la Viok est un échec, faute d’avoir pris en compte la réalité des enfants et de vouloir leur imposer, à tous, le même traitement. Mais ce sont les enfants qui sauvent la Viok, en unissant leurs forces. La chute de l’album montre le renversement qu’opèrent les enfants, en inversant les rôles. C’est ensuite la question du pouvoir des histoires et des mots, traités avec la métaphore puissante des histoires dont l’écoute fait grandir, au sens propre. La Viok est autrice, illustrant le stéréotype de l’écrivain qui s’isole et recherche la tranquillité pour écrire loin de tous. Pour autant, ses récits qui abordent des thèmes conventionnels (la lune, les étoiles, les batailles et les amoureux : on se croirait dans les romans qu’apporte la vieille fille au couvent où est scolarisée Emma dans Emma Bovary) ont le pouvoir de faire sortir les enfants de leur état initial pour leur faire découvrir autre chose. Rappelons l’étymologie d’enfant : infans, celui qui ne parle pas, celui qui n’a pas accès au langage du récit, dit cet album. En prenant le pouvoir des mots, la fillette permet d’instaurer un ordre nouveau en réécrivant l’histoire. En effet, le récit de la fillette à la dernière page reprend le texte même de la première page, sauf que le mot « cabane » est remplacé par le mot « enfants », la vie bruyante et agitée prenant la place du décor isolé. C’est enfin la question du lien intertextuel entre cet album et la littérature populaire, en particulier celle des contes. On retrouve des personnages minuscules, enfants, lutins, Petit Poucet, incarnations du désordre et de la vie, et une vielle femme peu accorte, figure de la sorcière ou du géant, incarnation de l’ordre. On retrouve le rôle du récit, comme dans les Contes des mille et une nuit, l’enjeu étant toujours celui du vivre ensemble autour des récits qui unissent, fascinent, captivent.

Un album vivant qui reprend certains aspects du conte (la cabane isolée, la vieille femme, les enfants) pour dire la nécessité du récit, pour dire aussi, dans sa construction circulaire, que rien n’est écrit d’avance, que tout peut être réécrit.

Le Pousseur de bois

Le Pousseur de bois
Frédéric Marais
HongFei, 2020

Le goût du jeu d’échecs

Par Anne-Marie Mercier

L’histoire est simple et belle : un jeune mendiant indien est initié aux échecs par un vieil homme. Il devient un champion de ce jeu. Devenu vieux, de retour dans son pays, il offre à son tour son trésor à un enfant, une petite fille cette fois. Cette histoire a en plus le mérite d’être en partie vraie : elle est tirée de celle de Mir Malik Sultan Khan (1905-1966). Mais les choses ne sont pas si simples ; l’enfant commence par refuser le cadeau pour lui sans valeur de ces pièces de bois, et ce n’est que lorsque le vieil homme se met à raconter des histoires tout en jouant que le monde des échecs et sa passion s’ouvrent à lui.  C’est donc une belle histoire de transmission d’une passion et d’écoute.

L’album est simple et beau, avec son grand format, son beau papier et ses illustrations en trois couleurs, ses formes simples qui lui donnent une puissance saisissante.
Voir sur le blog de HongFei.

 

 

 

 

 

 

La Classe aux histoires

La Classe aux histoires
Rémi Chaurand – Illustrations de Laurent Simon
Casterman 2020

A chacun son histoire

Par Michel Driol

Ils sont 11 dans la classe de M. Berflaut : de Fouillis à Castagne, de Proprelette à Cradô… Tous les matins, ils racontent une histoire. Chaque histoire tient sur une double page avec, à chaque fois un dispositif narratif original, à l’image de l’histoire racontée. Enfin, c’est M. Berflaut (beau nom en verlan) qui raconte son histoire, à l’aide de tous les enfants de la classe.

On l’aura compris, le livre vaut moins par les histoires racontées que par la façon de les raconter, en fonction de son propre caractère, de son propre vécu. Et ce sont autant de portraits d’enfants qui se dessinent sous nos yeux, portraits forment induits par le nom de chacun. On pourra peut-être reprocher à cet album son côté caricatural et stéréotypé, mais ce serait passer à côté de deux de ses grandes qualités : l’humour et le respect pour les enfants dont il fait preuve. L’humour est présent à chaque double page, que ce soit dans l’histoire racontée ou dans le graphisme qui l’accompagne, toujours adapté et révélateur, au service du récit de l’enfant narrateur. Quant aux histoires, elles sont bien le reflet des enfants, et révélatrices de leurs désirs secrets, de leurs blessures intimes, de leurs fantasmes, de leurs espoirs en un monde meilleur. A leur façon, elles en disent long sur chacun d’eux, et sont comme une incitation à prendre en compte l’imaginaire des enfants pour ce qu’il révèle d’eux-mêmes.

Si le plaisir de raconter et d’écouter des histoires est aussi vieux que l’humanité elle-même, ce livre parle des rapports entre l’auteur et son récit, d’un monde de paroles où les récits des uns et des autres se croisent, se juxtaposent, ou se fondent ensemble pour inventer quelque chose de nouveau et de collectif. Et tout cela avec un humour sans faille !

Moi à travers les murs

Moi à travers les murs
Annie Agopian et Audrey Calleja

Rouergue, 2015

Naissance d’un conteur

par François Quet

moiatraverslesmurs « Des fois ma chambre est une punition ». C’est ce que dit le personnage principal au début de son histoire. « Des fois je déteste ma chambre », ajoute-t-il un peu plus loin. La chambre, c’est un espace de réclusion, « forteresse triste », qui isole, qui sépare, de la classe de neige ou de la chambre des parents. C’est l’espace du « Moi tout seul », expression qui revient souvent, l’espace du « malgré moi », de l’ennui et de la contrainte. Cependant, le dessin d’Audrey Calleja, à la façon parfois d’un gribouillage enfantin, peuple la chambre solitaire d’une foule de personnages : monstres verts, héros à la mode, Spiderman en pleine action, lapins aux grandes oreilles, animaux préhistoriques, créatures endormies ou sages fillettes aux yeux mi-clos.

Car le moi tout seul et exilé est aussi le roi « absolu » de cet univers et la chambre « d’aventure et de rêve » lui permet de s’évader « à travers les murs » mieux que ne le permettraient une porte ou une fenêtre ouverte. Plusieurs références à Sendak laissent penser que Moi à travers les murs est une réécriture moderne de Max et les Maximonstres. L’enfant puni (ou même reclus dans le secret) s’invente un monde d’aventures, de voyages et d’exploits : superhéros, monstres domptés, ménagerie endormie. Un jour les histoires auront grandi et le moi mélancolique de la chambre connaitra d’autres murs, d’autres pays, d’autres aventures réelles ou imaginaires.

Ni le récit, ni les images de cet album ne sont très conventionnels, et la syntaxe un peu heurtée de l’illustration comme du fil narratif gêneront peut-être le lecteur adulte. Il est probable que l’enfant, au contraire, flânera, plus à l’aise, dans cette imagerie chaotique, et trouvera son chemin singulier entre les lignes du récit et les figures du décor.