Un jour je suis mort

Un jour je suis mort
Kyunghye Lee
Traduit du coréen par Catherine Baudry et Sohee Kim
L’école des loisirs (Médium), 2011

L’amour, est-ce que ça se mérite?….

Par Chantal Magne-Ville

un jour je suis mort.gif« Un jour je suis mort » : un titre accrocheur que cette phrase découverte par Youmi sur la page de garde du journal intime de son copain Jaijoun, mort deux mois auparavant dans un accident de moto. La maman de ce dernier n’a pas eu la force de lire le cahier bleu et le lui a confié. L’intérêt du roman tient surtout dans la découverte, au fil des semaines, des réactions de Youmi, une adolescente écorchée vive, pétrie de culture coréenne mais aux préoccupations finalement très semblables à celles des adolescentes européennes.

La lecture fragmentée du journal intime de Jaijoun fait naître de nombreuses réflexions sur le sens de la vie et des amours rêvées ou inatteignables. Le point de vue interne rend l’émotion poignante, tout en laissant transparaître la complexité d’une amitié amoureuse qui ne dit jamais son nom. A part quelques longueurs, la tension psychologique ne retombe jamais car Youmi découvre peu à peu qui était véritablement son ami et pourquoi il est mort. Le ton n’est cependant pas pathétique malgré la gravité du sujet qui évite toujours le larmoiement et sait toucher son public.

Premier chagrin

Premier chagrin
Eva Kavian

Mijade (zone J), 2001

leçon de mort, leçon de vie

par Anne-Marie Mercier

Eva Kavian  Mijade (zone J), grand-mère, accident,cancer, famille,mort,grandir,collègeAnne-Marie MercierLes concepteurs de la couverture ont choisi d’expliciter le titre, qui sans cela évoquerait les laborieuses « compositions françaises » comme celle sur le « premier chagrin » évoquée par Nathalie Sarraute dans Enfance. Sur cette couverture dont la couleur vive semble contredire le titre, l’image d’une annonce demandant une  « jeune fille pour baby-sitting » indique bien le début de l’intrigue. Le début seulement, car ce roman ne cesse de bifurquer et, de mystère en mystère, de nous surprendre.

Il y a trois ou quatre histoires entrelacées, et pourtant une seule. La jeune Sophie, 14 ans, vivant seule avec sa mère, bonne élève mais mécontente de sa vie en général et du collège en particulier, cherche à se faire un peu d’argent, à grandir. Elle est embauchée par une vieille dame, surnommée Mouche. Gravement malade, Mouche lui dit que ses petits-enfants vont venir pour être avec elle dans les derniers mois qui lui restent à vivre.

Les petits-enfants ne viennent pas. À leur place, des amis, nombreux, affectueux, touchants. Sophie aide Mouche à ranger sa maison, puis à préparer sa mort. Rien de morbide, tant Mouche à de goût pour la vie dans tous ses aspects. Sophie apprend avec elle la gaieté, l’insouciance, le pardon, la gravité. Elle découvre que la gaieté de Mouche masque une blessure terrible et explique pourquoi les petits-enfants ne viendront peut-être jamais.

Sophie grandit. Ses relations s’approfondissent, elle prend des initiatives, pose les questions qu’elle n’a jamais osé poser. D’adolescente morose, elle devient vivante et crée de la vie autour d’elle. Qu’on ne se méprenne pas : pas de miracle, mais la mort de Mouche est une belle leçon de vie et un moment presque heureux. Malgré une écriture assez plate, qui se présente comme la voix de Sophie racontant son histoire, c’est un beau livre, plein de petites trouvailles, de moments drôles, vrai, touchant et surprenant.

J’ai 17 pour toujours

J’ai 17 pour toujours
Jacques Descorde

l’Ecole des Loisirs (Théâtre), 2011

Coup de poing à l’estomac

par Sophie Genin

adolescence ; banlieueDeux amies sur un toit. Des séquences brèves. Très brèves. 22 en tout. Un univers noir qui espère toujours, à la Olivier Adam. Des adolescentes écorchées par la vie avant même d’avoir atteint 17 ans. Un texte difficile à suivre car basé sur les associations d’idées, voire les obsessions (comme compter le nombre de fenêtres allumées à différentes heures de la nuit, perchée sur le toit d’un immeuble-tour immense), des deux filles paumées et désabusées. Parfois les prénoms, Stella et Adèle, se brouillent et semblent s’inverser. Ce qui reste, comme goût amer, à la fin, c’est la mort mais aussi la vie.

L’écriture lapidaire, comme un uppercut, s’accompagne d’une bande-son actuelle (Portishead, Télépopmusik, Nirvana) qui la transforme en road-movie oppressant et fascinant.

Même pas mort !

Même pas mort ! 
Audren
L’école des loisirs (théâtre), 2011

Dommage !

Par Michel Dieuaide

Même pas mort.gif Parler de la mort aux jeunes spectateurs avec le langage théâtral est un choix courageux. Dans une pièce intitulée « Même pas mort ! », l’auteur se risque à aborder une thématique qui engage beaucoup, quand on sait combien les adultes restent souvent sans voix devant les interrogations des enfants à ce sujet.

Audren met en jeu ses personnages dans une situation unique : l’attente des familiers d’un mort autour d’une tombe ouverte avant l’arrivée du  cercueil. Peine, frustrations, humour s’égrènent pour supporter ce sursis à l’adieu définitif, en présence de deux importuns, autoproclamés « conservateurs de bonheur », qui vont s’immiscer dans la conversation des proches du disparu.

Très vite, malheureusement, les dialogues s’évertuent à dédramatiser la situation de base et la pièce s’engouffre dans une légèreté décalée qui fait disparaître toute tension émotionnelle. Qui plus est, le mort n’est même pas mort et sa réapparition renforce la sensation que, décidément, vouloir parler de la mort ne suffit pas si l’écriture s’emploie à l’esquiver. Tous les personnages – à l’exception de Bérénice (la femme de ménage du mort) – s’échinent à prendre de la distance, perdant ainsi toute épaisseur. Ernest et Maya, les pseudo-poètes du bonheur de vivre, ressemblent à des baudruches langagières et contribuent principalement à retirer à l’écriture toute la densité que le choix initial de contenu pouvait laisser espérer. Dommage ! « Même pas mort ! » tient de la supercherie…même pas drôle !

Mon Beau Jardin

Mon Beau Jardin
Carol Ann Duffy et Rob Ryan

Gautier Languereau, 2010

Ces quelques fleurs

Par Anne-Marie Mercier

Mon Beau Jardin.gifUne vie de femme, tout simplement : elle est une enfant, une jeune femme, puis est de moins en moins jeune, ou de plus en plus âgée, et meurt.

Chaque étape est marquée par une visite à ce jardin qui est en fait une clairière, découverte par la protagoniste dans son enfance. Cet endroit était si séduisant qu’elle y a fait le vœu d’y être enterrée et y a rencontré une personne étrange, une vieille femme, qui a prétendu pouvoir réaliser son désir. Au moment où, bien plus tard et comblée par la vie, elle meurt, elle se retrouve dans le rôle de cette vieille qui promet la même chose à une enfant.

On peut prendre ce récit au pied de la lettre. On sera séduit (ou agacé?) par la sérénité du propos et la simplicité de cette vie remplie par les relations aux autres, la peinture et le jardinage…

On peut aussi y voir une métaphore de la vie : on construit soi-même sa vie et sa mort. Plus qu’un monument, ce jardin est un « tombeau » (au sens abstrait) qui résume cette vie, tracée pas à pas, accumulant les découvertes, grandes et petites, et faite de ce qu’on y a planté, apporté.  Apprécier les belles choses et les beaux moments, les faire partager, autant d’actes de « jardinage ». La composition circulaire de l’histoire dit que la mort n’est pas une fin, mais une transmission, à condition d’avoir « cultivé son jardin ».

Dans les deux cas, on sera conquis par les papiers découpés, d’une virtuosité étonnante, avec un effet de relief proche du trompe-l’œil. Chaque double page, d’une seule couleur sur fond blanc, reflétant la « couleur » du texte qui s’y inscrit. Les amateurs de cette technique découvriront ainsi l’univers de Rob Ryan (http://www.misterrob.co.uk/). Tandis que les amateurs de poésie auront découvert une petite partie de celui de Carol Ann Duffy, critique et poète lauréate au Royaume-Uni.

Marie et les choses de la vie

Marie et les choses de la vie
Tine Mortier et Kaatje Vermeire

Le Sorbier, 2011

Histoire d’amour intergénérationnelle 

par Frédérique Mattès

Marie et les choses de la vie.jpgTine Mortier évoque avec une grande sensibilité les rapports entre Marie et sa grand-mère. Une complicité sans faille les lie. Elles se racontent des histoires, partagent leur amour des gâteaux et de la vie, les mille et une choses du quotidien. Le temps qui apporte décrépitude n’aura pasde prise sur ce lien qui les unit…. Marie sera toujours aux côtés de sa grand-mère, même quand elle aura perdu la parole, le goût de la nourriture, de la vie…

Ces propos sont admirablement soutenus par les illustrations délicates et travaillées (collages, peinture au  pochoir et dessins réalistes au trait) de la jeune illustratrice flamande Kaatje Vermeire.

Une bien belle façon d’aborder un sujet difficile. Il faut toutefois oser au-delà de la première page un peu déroutante qui décrit la naissance de Marie.