Et avant

Et avant
CharlElie Couture, Serge Bloch
Sarbacane, 2012

 Sur la question sans fin des origines

Par Dominique Perrin

Un habitant d’une grande ville moderne dialogue avec un interlocuteur essentiellement curieux, qu’on devine être jeune. Au départ, il semble s’agir d’un monologue ; quelqu’un décrit, de manière très concrète, les conditions actuelles de son existence : ce qu’il a sous les yeux, ce qu’il a fait la veille… Puis le récit embraye sur ce qui devient un principe d’engendrement : « Et avant ? », demande en cascade l’interlocuteur mystérieux. D’une peinture volontiers prosaïque et ironique du monde qui l’entoure, le narrateur-auteur passe au témoignage autobiographique, à la narration d’une histoire familiale, puis à l’histoire collective, puis au mythe des origines de l’humanité, et à une représentation poético-scientifique des origines de la vie. Il se réempare finalement de la première personne (« avant, j’étais une algue »), et retourne la question : « Et toi, à propos, d’où viens-tu ? ». Cet album percé de part en part d’un œil-soleil-tunnel présente la même fraîcheur et la même exigence que les productions séparées de ses deux auteurs « multistes » dans d’autres domaines de création – musique, dessin , conte…

 

20 poèmes au nez pointu

20 poèmes au nez pointu
Davis Dumortier, Anne-Lise Boutin
Sarbacane, 2012

Géo-métrique

Par Anne-Marie Mercier

Si on a un « côté » comique, comment sont les autres ? Quand on dit « ça ne peut pas faire de mal », en est-on bien certain ? Si on est « très attaché » à quelque chose, comment s’en débarrasser ? Quand on a un « trait » de caractère, pourquoi pas deux ?

David Dumortier traque les formules toutes faites, les banalités, pour les renverser et les faire jouer en poèmes courts et apparemment tout simples. Les illustrations les prennent au pied de la lettre font un joli pied de nez à la réalité.

Appelle-moi Charlie

Appelle-moi Charlie
Marcus Malte
Sarbacane, 2011

L’ado et le bonhomme de neige

Par Anne-Marie Mercier

Marcus Malte est excellent dans les effets de suspens et d’angoisse (voir Il va venir, policier qui a reçu plusieurs prix). Ici, l’errance dans la neige d’un garçon de 13 ans monte jusqu’à l’angoisse et s’achève en un dialogue philosophique étrange où l’humour se mêle à la leçon de vie : message aux ados qui pensent que leur vie est un enfer, imaginez d’autres vies, même impossibles…

L’étrange aventure du courageux chevalier très peureux

L’étrange aventure du courageux chevalier très peureux
Arnaud Alméras, Jacques Azam
Sarbacane, 2012

Histoire d’oxymores

par Anne-Marie Mercier

Petit Paul est mal aimé, petit, faible, peureux, nul enfin. Sa famille le vend à des pirates ; il se sauve à la nage et arrive à l’île Impossible où il rencontre la sorcière adorable, la belle princesse affreuse, le nain géant… et est déclaré « courageux chevalier très peureux ». Après bien des aventures, dignes de tout séjour sur une île inconnue, il épouse… la sorcière, dont il a de nombreux enfants uniques !

La fantaisie des aventures se mêle à la loufoquerie des images et au jeu de l’illogisme ; l’ensemble forme un conte savoureux. La famille indigne est définitivement mise hors-jeu, contrairement à ce qui se passe dans les contes traditionnels, mas c’est de son propre fait : les enfants peuvent enfin jouer tranquillement, la conscience en paix.

Jabberwocky le dragragroula

Jabberwocky le dragragroula
François David, Raphaël Urwiller, d’après Lewis Carroll
Sarbacane, 2012

« Sur la terre sous les cieux rôde le dragragroula qui terrifige qui scogneugneute qui ravageolle sous l’éther silencieux »

Par Dominique Perrin

Voici la chanson de geste de Jabberwocky, vainqueur du bien nommé dragragroula, monstre à figure de dragon et corps en muraille de papier tantôt déroulé sur la plaine infinie, tantôt sinuant entre les arbres de la forêt. Cette revisitation francophone de la fantaisie de Lewis Carroll par deux grands auteur et illustrateur est une merveille de stylisation graphique en deux couleurs, et un condensé d’humour verbal. Tout ceci n’inspire qu’un seul regret : que la réécriture d’un tel chef-d’œuvre de subversion épique à destination de l’enfance n’ait pu prêter une potentialité féminine à son protagoniste. Une réplique comme : « à présent, mon fils, file ! » semblait y inviter ? Les petites filles d’aujourd’hui méritant de se concevoir sans détours en chevalières porteuses de « l’épée humouristible/ qui zigouille tous les oiseaux de malheur » ­ comme, assurément, les petits garçons en Alice.

C’est quoi l’amour?

C’est quoi l’amour ?
Davide Cali
Illustrations d’ Anna Laura Cantone
Sarbacane, 2011

L’amour ? Attention !

Par Gaëlle Franckiewiez et Aurélie Gagnaire
(étudiantes en Master MESFC, Lyon1 )

C’est quoi l’amour ? Davide Cali,Anna Laura Cantone,Sarbacane,etu,amour,sentiment,randonnée,questionAhhh l’amour !!! Qui ne s’est jamais interrogé sur ce sentiment susceptible de nous frapper tous un jour ou l’autre ?

Tout au long de cet album « haut en couleurs » dans tous les sens du terme), Emma se demande ce qu’est l’Amour et aimerait bien savoir à quoi il ressemble. Dans un premier temps, elle s’en va interroger un par un les membres de sa famille : sa Maman, un brin poétique et toujours les mains dans les fleurs ; son papa, grand amateur de football ; sa « Momie gâteau », et son Papi,collecteur d’automobiles miniatures… qui lui donneront, chacun à leur manière, leur propre définition de l’Amour…. Assommée et intriguée par tant de réponses divergentes et extravagantes, elle n’est pas plus avancée et tout en essayant de se faire sa propre idée de ce qu’est l’Amour, elle décide finalement de l’attendre, patiemment….

 Plein de tendresse et de romantisme, cet album délivre une jolie petite histoire, poétique et bucolique, sur l’Amour avec un grand « A ». Ainsi, avec sa structure en randonnée : »Maman, c’est quoi l’amour? », « L’amour c’est… », « de quelle couleur est-il ? de quelle forme,… ? », « être amoureux, ça veut dire… « , Davide Cali mêle ici d’une manière réussie humour et poésie. En effet, la présence d’analogies dans les multiples définitions proposées par les personnages, et notamment l’emploi récurrent de la métaphore et de la comparaison en « comme » : « « L’amour ça chauffe le cœur comme un moteur qui démarre au quart de tour ! » marquent une certaine fantaisie tout au long de l’ouvrage. Le coté humoristique et poétique est aussi visible dans les illustrations remarquablement originales d’Anna Laura Cantone, qui a parfaitement su recréer l’univers innocent d’une petite fille, par une atmosphère romantique, marquée par la présence de papillons voletants, de motifs fleuris, du rose, la couleur de prédilection des filles, et d’une armada de grenouilles qui n’attendent qu’une chose : le prince charmant ! De même, les personnages sont illustrés d’une façon pour le moins loufoque, avec de gros yeux globuleux, des nez proéminents, des corps filiformes ou carrément bedonnants… qui leur donnent un coté assez caricatural, tout comme les objets du quotidien, disséminés dans chaque page, qui participent à la démesure de cet album désopilant.

 Enfin, l’histoire est racontée à la hauteur de cette petite fille, curieuse et espiègle, symbolisée notamment par les grandes silhouettes des adultes qui n’entrent parfois pas dans la page ! Finalement, tout contribue à « épouser les chimères » d’une petite fille, Emma, face à sa quête de l’amour… et ce, jusqu’à la fin de l’histoire où, sentant ses joues qui la brûlent, elle pense que l’amour arrive, mais…

 En fin de compte, le lecteur pourra apprécier l’humour et la tendresse de cette histoire toute en légèreté, qui en fait un album agréable à lire, sans fioritures, qui plaira sûrement à toutes les jeunes (ou moins jeunes) âmes romantiques et curieuses de connaître les mystères de l’Amour… !

Le Rêve du cachalot

Le Rêve du cachalot
Alexis Brocas

Sarbacane, 2010

 

Les rêves du kiosque

Le Rêve du cachalot.jpg La vendeuse obèse du kiosque à journaux a deux vies ; dans l’une elle est une femme solitaire et renfrognée, après avoir été une fillette obèse et « perturbée » ; dans l’autre elle est un cachalot et connaît tout des fonds marins. C’est cette part de vie qui est la plus développée. Elle est présentée comme un rêve, mais très précise et se déroule en continu. L’écriture ressemble à ce récit étrange : ample, sous-marine, pleine de replis et de méandres et pourtant filant vers un but : la rencontre du cachalot et des ennemis de son espèce.

Le terne personnage devient une figure héroïque proche de Moby Dick.

Les Mohamed

Les Mohamed
Jérôme Ruiller
Sarbacane, 2011

La Sociologie est un sport de combat… en BD

Par Anne-Marie Mercier

 Soutenu par Amnesty international, cette bande dessinée est une adaptation d’un livre de sociologie, Mémoires d’immigrés de Yamina Benguigi. Trois sections proposent différents portraits : les pères, les mères, les enfants.

À la manière de Maus, l’auteur présente les êtres humains sous une forme vaguement animale: ils ont tous des oreilles rondes (souris, ours?…), quels que soient leur origine ou leur sexe. Mais il n’y a pas de diabolisation, juste un regard lucide sur les conditions d’existence (la misère des bidonvilles, des foyers pour hommes, le rêve du HLM, la solitude, le regret du pays, quelques éclairs de solidarité et d’amour). Si la section des pères est dominée par le silence et la soumission, celle des mères est davantage portée par le désir de liberté et la curiosité. Celle des enfants est marquée par la révolte et l’action sociale ou politique, la quête d’identité et de reconnaissance.

C’est toute une part de notre histoire qui est ici écrite et dessinée à travers des récits de vie portés par un langage très individualisé, des voix marquées par un accent, des images, des tournures. Chacun s’inscrit dans son décor, entouré d’objets, pauvres mais porteurs de toute une vie. L’ensemble est d’une grande humanité. C’est un très beau moment de lecture, pleine de poésie simple et de rélité.

Le narrateur et son projet y figurent, tantôt de façon rétrospective lorsque, dix ans auparavant, il interroge lui-même son père, qui participa à la guerre d’Algérie, tantôt de façon contemporaine lorsqu’il s’interroge sur son propre regard sur les immigrés ou sur la proximité de situation entre sa fille handicapée et ceux que la société française voudrait tenir à l’écart. En arrière-plan, deux figures incarnent l’une le démon du racisme qui guette toujours la société française, (« ça revenait par vagues, inlassablement ») et l’autre l’espoir, couronnée de feuillage et souriant sereinement. Ces deux figures incarnent les deux faces de ce livre, l’une terrible et noire révélant la honte d’une époque, l’autre plus heureuse imaginant la possibilité d’une société tolérante et réconciliée. Deux événements se font face de la même manière : le massacre de Charonne et la marche pacifique des maghrébins de Marseille à Paris, la « marche des Beurs » de 1983, pour aboutir à l’échec du rêve d’une France « black, blanc, beur » de la coupe du monde de 1998.

C’est tout un pan de l’histoire de la France qui est racontée ici, à travers la guerre d’Algérie, le regroupement familial, les crises économiques, les politiques sociales et la montée des communautarismes. Les mémoires d’immigrés forment une partie de cette histoire et il est bon que, à travers une bande dessinée, cela soit rappelé.

Comme si

Comme si
Christine Beigel, Anna Laval
Sarbacane, 2010

par Frédérique Mattès

Le héros de l’histoire est tout simplement chargé d’aller chercher des éclairs chez le boulanger… Il va transformer cette simple course en un périple « extraordinaire » : il fait « comme si »… Comme si  la boulangerie était Fort Alamo et le boulanger le commandant des Tuniques Bleues. Comme s’il allait délivrer la fille du boulanger, prisonnière au milieu du désert … Les enfants rêveurs pourront aisément se laisser emporter par cette histoire, ils y trouveront vraisemblablement un écho à leurs propres rêveries. Le trait enlevé (un petit côté Sempé) s’associe agréablement au texte clair et simple.

L’étrange projet de Monsieur G

L’étrange projet de Monsieur G.
Gustavo Roldan
Sarbacane, 2010

par Frédérique Mattès

Un coup de cœur pour ce « Concerto pour mille oiseaux et une fleur, au cœur du désert » où comment la volonté d’un seul homme peut soulever des montagnes ou plutôt ici, faire pousser des fleurs dans le désert. Un petit livre réjouissant à tous points de vue. Jacques Fuentealba et Emmanuelle Beulque ont su le traduire avec justesse pour lui conserver sa simplicité, sa fraîcheur mais aussi son côté alerte que l’on  retrouve dans l’illustration peuplée de petits personnages humoristiques (qui font un peu penser aux Shadocks). On reconnaît l’intérêt porté à la nature que l’on avait déjà perçu dans le très poétique La couleur des sens du même auteur, aux éditions Quiquandquoi.