Alexander von Humboldt, Explorateur de l’extrême

Alexander von Humboldt, Explorateur de l’extrême
Rocio Martinez
Saltimbanque 2025

Faire l’expérience de la nature avec ses émotions

Par Michel Driol

Ce documentaire assez particulier rend vivante la figure d’un explorateur assez méconnu en France, Alexander von Humboldt. Avec une formation d’ingénieur des mines, il a été aussi bien naturaliste que géographe ou géologue. Ses voyages l’ont conduit en Amérique, entre sommets volcaniques et fleuves comme l’Amazone ou l’Orénoque, entre la côte de l’Atlantique et celle du Pacifique, mais aussi aux confins de la Chine et de la Russie. Il a cartographié, herborisé, et passé sa vie à tenter de comprendre les interactions entre les forces naturelles, autour du début du XIXème siècle.

Très classiquement, l’album retrace de façon assez chronologique la vie de Humboldt, trois pages mettant l’accent sur ses grandes intuitions, la connexion du monde par l’eau, l’air et la terre. Chaque page associe, comme de coutume dans ce type d’album, des textes  offrant des explications, courts, agréables à lire, et des illustrations.

L’originalité est ici double. D’abord elle vient du format choisi, un format très allongé et très étroit, mais, quand on l’ouvre, les pages permettent de déployer deux rabats, proposant ainsi des pages d’un format assez gigantesque, à l‘image du monde à découvrir, du monde parcouru par cet explorateur aussi hors norme que l’album.  La seconde originalité vient de l’esthétique choisie pour les illustrations. On est loin d’un dessin qui se voudrait scientifique ou neutre. Il s’agit plutôt ici de reprendre les couleurs, les codes des peintures aztèques ou mayas. Très fouillées, très complexes, les illustrations sont à explorer sur chacune des pages, mettant ainsi la sagacité et la curiosité du lecteur en éveil, à la façon de l’homme dont il retrace la vie et les découvertes. On notera que par ailleurs les cartes, bien volontairement, ne respectent pas forcément les distances, n’ont pas les codes habituels pour être beaucoup plus dans l’esprit des cartes anciennes laissant une part importante à l’imaginaire dans une représentation plus naïve du monde.

Un album qui replace bien Humboldt dans son époque, ne cherche pas à faire de lui un précurseur, ne cherche pas à monter de façon explicite tout ce que nous lui devons (la notion d’isotherme, ou  encore la mise en évidence des différentes interactions entre les éléments naturels, dont l’homme…), un album qui fait le portrait d’un homme de son temps, un savant encyclopédiste, héritier des lumières et très sensible à la dignité des hommes, et révolté par toutes les formes d’esclavage.

Bulles de savon

Bulles de savon
Emma Giuliani
(Les Grandes Personnes) 2015

Je me souviens…

Par Michel Driol

Sur le modèle des « Je me souviens »  de Georges Perec, Emma Giuliani propose ses « Je n’ai pas oublié », comme une manière de signifier la présence du passé. Un passé lié à l’enfance, bulles de savons, cerises, sapin à décorer ou cerf-volant. Autant de petites choses, de petits rien à la fois éphémères, intemporels et gagnant ainsi une sorte d’éternité.

Ce sont autant de phrases courtes, qui juxtaposent les groupes nominaux du souvenir,  dans une forme de poésie soulignée par les rimes qui assurent un écho entre les réminiscences. Les propositions suivent les saisons ; l’été avec les cerises, la rentrée avec les fournitures scolaires, les marrons de l’automne, l’hiver avec la neige et Noël, le printemps avec le cerf-volant, et, à nouveau, l’été. Eternel recommencement des temps de  l’enfance, remplis de découvertes, de plaisirs variés et de douceur… Tout ceci culmine avec les promesses muettes échangées avec un amoureux un jour de fête d’été, comme une ouverture vers le futur. Le texte se veut une célébration des temps e l’enfance, de l’insouciance, du bonheur immédiat. On est tout à la fois dans l’intime et dans l’universel.

Mais l’album vaut aussi par son étonnante mise en page et les animations qui y sont proposées, à chaque double page. Une tirette… et voici les cerises qui rougissent. Une librairie, et voici un store à soulever, pour découvrir la devanture. Un fil tendu, et voici des fanions qui volettent. Un autre fil, et voici le cerf-volant qui s’envole à l’ouverture de la page.  A chaque page, sa surprise à découvrir, dans un graphisme très épuré et très coloré qui n’a rien de nostalgique, de figé, mais affirme la vie et le mouvement.

Un bel album animé pour dire la douceur des souvenirs d’enfance, dans ce qu’ils sont de minuscule et, quelque part, d’universel…

Vents de mémoire

Vents de mémoire
Yves Nadon – Nathalie Novi
D’eux 2025

52 drapeaux pour se souvenir

Par Michel Driol

A Dharamsala, un jeune garçon voit des drapeaux de prière flotter au vent. Cela lui donne l’idée de peindre sur des drapeaux les souvenirs de sa grand-mère, amnésique, et de les entendre sur des cordes dans le jardin de la résidence où elle habite. Des souvenirs que le vent lui porte.

Ecrit à la première personne, l’album articule trois dimensions complémentaires. Il y a d’abord l’amour de ce petit fils pour sa grand-mère, la sollicitude dont il fait preuve, et le désir de lui venir en aide pour qu’elle retrouve ses souvenirs. Il y a le présent de la grand-mère, au milieu d’autres personnes âgées comme elle, certes entourées de soignants qui prennent soin d’elles, mais  coupées de leurs racines. Et il y a enfin l’évocation de la vie extraordinaire de cette grand-mère, russe d’origine, émigrée au Canada.  De façon fine et intelligente, l’album fait alors la part belle aux illustrations de Nathalie Novi, le plus souvent sans texte, pour donner à voir les drapeaux peints illustrant la vie de la grand-mère, à travers des reproductions de photos, des objets  dans des tons pastels, comme s’ils étaient déjà à moitié effacés, ténus.

Yves Nadon propose un texte qui, dès les premières lignes, s’inscrit dans la thématique du souvenir, car le narrateur évoque l’été de ses dix ans comme époque de l’histoire racontée. Dans une belle mise en abyme, il évoque à travers ses souvenirs ceux de sa grand-mère, inscrivant ainsi une sorte de filiation, d’émouvante  transmission mémorielle intergénérationnelle. L’album prend aussi le contrepied du rôle que l’imaginaire fait habituellement jouer au vent, celui qui fait disparaitre le présent. Autant en emporte le vent… Ici, le vent rapporte le passé, l’anime, le fait revenir à la surface de la conscience, de façon à la fois magique et mystique. Cette magie, le texte la souligne, signalant bien le côté inexplicable du phénomène.

Nathalie Novi propose des illustrations en pleine page, pleinement en harmonie avec la poésie du texte. Elles dessinent plusieurs univers : celui de l’Inde, qu’elle connait bien, celui des drapeaux qui flottent ou qu’on fabrique, celui, déjà évoqué dans cette chronique, du passé de la grand-mère avant de faire flotter et danses ses personnages dans un mouvement plein de vie.

Les deux auteurs proposent ici un album poétique et sensible autour de la question des souvenirs, de l’oubli, et du lien intergénérationnel.

Merci mille fois

Merci mille fois
Didier Jean – Joséphine Onteniente
Utopique 2025

Gracias a la vida que me ha dado tanto

Par Michel Driol

Tout au long de l’album, la narratrice évoque certaines circonstances de sa vie dans lesquelles elle a dit merci. En pleine forêt, au milieu d’un orage, lorsque sa maman la console… Au garçon qui lui a envoyé son premier mot d’amour…. A celle qui l’a sauvée de la noyade… Au personnel de l’hôpital après une opération. Ce qu’elle évoque aussi, ce sont les mercis reçus, tant d’un garçon dans la cour de récréation que de celui à qui on tient la porte.

La première originalité de l’album est de montrer un personnage tout au long de sa vie, de son plus jeune âge, à table avec ses parents, à un âge avancé, se promenant avec  son bien-aimé, ses enfants et petits-enfants. Façon de prouver que dire merci, ce n’est pas réservé aux enfants, pour montrer qu’on est bien élevé, pas seulement un automatisme de politesse dénué de sens, mais que c’est un acte profond de gratitude envers l’autre. Ce qui se joue à travers ce mot, c’est une forme de lien interpersonnel  de reconnaissance, dans différentes circonstances. Les situations illustrées dans l’album vont du plus quotidien, le repas à table, le cadeau d’anniversaire aux situations les plus dramatiques, dans lesquelles la vie est en jeu. C’est bien là la seconde originalité de l’album, de redonner son sens plein et entier à ce petit mot qui entre dans le système du contre don après un don, à la condition qu’il soit humain, engageant, authentique. Ce que souligne aussi l’album, c’est qu’il n’est pas toujours facile de recevoir un merci, qu’on peut oublier de remercier, et que ce mot a pris un sens dévoyé, celui de licenciement.

En pleine page, pleines de vie et de douceur, les illustrations mettent l’accent sur le regard de la narratrice, un regard bleu, intense, profond, donnant une belle épaisseur à ce personnage et aux différentes étapes e sa vie. Une vie banale, ordinaire, avec des hauts et des bas de plaisirs et des deuils, un de ce vies minuscules, mais si proche de celle du lecteur ou de la lectrice. Un carnet de gratitude à remplir, en fin d’ouvrage, permet de garder trace des bons moments passés.

Donner un sens plus pur aux mots de la tribu, écrivait Mallarmé. C’est bien ce à quoi nous invite cet ouvrage, afin que des rapports de fraternité, authentiques, puissent se tisser entre nous.  Un ouvrage loin des ouvrages traditionnels de morale ou de politesse, mais qui milite pour plus d’humanité, pour plus d’attention les uns envers les autres. Un grand merci à l’auteur et à l’illustratrice pour nous le rappeler.

Ma maison jaune

Ma maison jaune
Catherine Girouard – Clémentine Pochon
D’eux 2025

Déménager – Partir – Reconstruire

Par Michel Driol

La narratrice habite une maison jaune, entre mare et forêt, près d’un magasin, à 83 pas de la maison bleue d’Eloi, son ami. Mais un jour elle doit déménager, et va habiter en ville, dans une maison blanche, entre un parc et une ruelle, entourée de maisons de toutes les couleurs.

Ce n’est pas le premier album jeunesse à parler de déménagement, de transition, de déracinement et d’enracinement, mais celui –ci le fait avec une grande originalité qui tient aux couleurs. L’album raconte en effet comment on passe d’un monde en deux couleurs – le jaune et le bleu – à un monde arc-en-ciel, comment, symboliquement, on passe d’un univers protégé, un peu clos, refermé sur lui-même, sur ce qu’on a toujours connu, à un univers dans lequel le blanc de la maison ne demande qu’à se parer des couleurs de la diversité du monde. Le texte parvient à créer une atmosphère poétique, liée au travail sur les sonorités (rimes ou assonances), liée aux répétitions, répétitions de quatre qualificatifs associés aux couleurs – le jaune, le bleu, le blanc -, mais aussi répétition des structures initiées par « il y a »  afin d’évoquer les alentours des maisons, répétition aussi des motifs en écho, celui du parc en écho à la forêt, celui du boulanger en écho au magasin. Cette construction en échos pleinement maitrisée est une manière de rassurer en trouvant du semblable dans le différent, donc d’aller de l’avant sans perdre ses repères.

L’album commence un peu comme une énigme, l’illustration et le texte confrontant le lecteur à un caillou jaune, dont la narratrice prétend qu’il est sa maison. Caillou transitionnel, souvenir emporté pour ne pas oublier, que l’on retrouve ensuite dans la main du personnage, lorsqu’elle se retrouve en ville. Autre énigme, celle de l’âge de ce personnage, enfant solitaire dans la maison, dont on ne voit jamais les parents, allant seule dans les magasins, mais cherchant la compagnie d’enfants. Façon de dire que les déracinements peuvent arriver à tout âge, surtout lorsqu’on n’en est pas responsable.

Les illustrations, encre noire, encre aquarelle et crayons de couleur sont d’une grande douceur. Elles jouent finement sur  les cadrages, la composition, les couleurs bien sûr pour rendre sensibles les sentiments éprouvés par la narratrice, toujours paisible, toujours calme, toujours revêtue de la même robe jaune, jusqu’à l’explosion de couleurs finale.

Se tenant toujours sur la ligne de crête entre nostalgie et nouveauté, l’album offre des perspectives intéressantes et touchantes sur la fidélité au passé, aux souvenirs, et sur l’ouverture nécessaire au futur, aux autres.

La Nuit est notre amie

La Nuit est notre amie

Zina Modiano – Caroline Péron

Gallimard Jeunesse 2025

Si, par une nuit d’hiver, deux enfants…

Par Michel Driol

Deux enfants malicieux refusent que la nuit entre dans leur chambre, et l’accusent d’être noire, froide, et méchante. Attristée, la nuit se met à pleurer des larmes qui se transforment en flocons de neige. Emerveillés par ce spectacle, les deux enfants demandent à la nuit d’entrer.

 Cet album poétique entend rassurer les enfants qui ont souvent peur de la nuit, d’abord en la personnifiant. Elle devient un personnage à part entière, dotée de sentiments, au milieu d’un monde dans lequel le jour, la lune deviennent des entités mythologiques, qui ont leur propre sociabilité. Si elle est bien noire et froide, car elle vit dehors, la nuit n’est pas méchante. Elle s’avère sensible et désireuse d’être l’amie des enfants, à qui elle promet de beaux rêves. Poète, la nuit sublime sa tristesse pour en faire le plus beau des spectacles, celui de la neige luisant sous les étoiles. Avec beaucoup de douceur et de légèreté, le texte évoque cet instant de basculement entre le jour et la nuit, entre le noir de la nuit et le blanc de la neige, entre le refus de la nuit et son acceptation.

Les illustrations, toutes en ondulations, en courbes, contribuent à créer cette atmosphère de douceur. Réalisées au crayon de couleur, dans des dominantes bleues réchauffées par des touches de rose et d’oranger, elles donnent à voir une nuit calme, mais pleine de la vie d’animaux sauvages. Il s’en dégage une grande sérénité propre à lutter contre la peur du noir et de l’inconnu.

Longtemps, je me suis couché de bonne heure… Un album qui revisite l’instant du coucher, inscrivant celui-ci dans un cycle immuable, celui de l’alternance entre le jour et la nuit, comme pour dire qu’il faut accepter ce moment, ne pas en avoir peur, mais l’accueillir avec confiance pour laisser place aux rêves.

Dans ma petite maison

Dans ma petite maison
Suzie Morgenstern / Charlotte Pirotais
Gallimard Jeunesse – Enfance en poésie – 2025

Le poème comme une maison de mots

Par Michel Driol

10 poèmes dont les titres sont des éléments bien connus des maisons : lit, chaise, toilettes, table, étagère, commode, coffre, fauteuil, bureau, lampe. Poèmes tantôt en je, tantôt en tu, tantôt en il/elle, poèmes qui inscrivent en creux la figure d’un enfant dans un univers familier, un enfant curieux, joueur, rêveur, émerveillé par le monde.

Des textes pleins d’humour et souvent inattendus. Légèrement transgressifs, comme celui qui est adressé aux toilettes, proclamant l’utilité des objets, énumérant leurs contenus,  évoquant la famille ou les amis. Des textes qui parfois donnent la parole aux objets, qui effectuent un parcours qui va du lit  à la lampe qu’on éteint avant de faire de beaux rêves. On y croise les livres, objets familiers qu’on range sur les étagères ou, objets insolites dont on découvre l’existence dans le coffre à jouets. On y rencontre aussi, autour de la table, toute une famille élargie aux amis. Paradoxalement, on y joue peu, sauf avec les mots que les rimes apparient, de façon parfois cocasse : caca et délicat, bébé et mémé, parfois plus classiquement : nuage et voyage. La rime est l’occasion de voir que dans la réalité, la table ne rentre pas dans le cartable, alors qu’il en va différemment avec les mots.

Chaque poème occupe une page, illustrée dans un style enfantin et coloré par Charlotte Pirotais, qui mêle objets, enfants et animaux de joyeuses farandoles, entrainant dans un univers de fantaisie bien en harmonie avec les poèmes. Pour les plus grands, signalons aussi la préface de Guy Goffette qui invite à pousser la porte de la poésie pour faire exister ce qui n’existe que par les mots.

Un recueil qui montre – sans chichis –  que tout peut être mis en mots, pour peu qu’on s’intéresse aux objets et qu’on les regarde avec attention.

De moi à toi

De moi à toi
Julia Billet – Nadège Baumann
Editions du pourquoi pas ?? 2025

C’est un jardin extraordinaire…

Par Michel Driol

Un après-midi de pluie au jardin, au milieu ders bruits de la pluie ou de la poule, une petite fille entend quelque chose. Le bruit de la chute d’une girafe, qu’elle s’empresse de consoler. Commence alors un jeu de cache cache, puis un gouter qu’on partage.

L’ouvrage s’adresse aux plus jeunes. On retrouve ici un enchainement de schèmes d’action bien connus dès l’enfance : jouer, consoler, faire un câlin, gouter. A ceci près qu’on passe vite dans l’imaginaire avec la rencontre avec la girafe, animal assez incongru dans un jardin. Mais qu’à cela ne tienne ! Dans les albums, tout est possible ! Le texte est particulièrement travaillé : assonances et allitérations bien marquées, rimes, onomatopées donnent à entendre une langue à la poésie simple et accessible. Une autre de ses particularités est d’être écrit à la seconde personne du singulier. Ce n’est pas la fillette qui parle, c’est à elle que l’on parle, à elle, mais aussi, forcément, au lecteur à qui un adulte lit le livre, façon d’identifier le personnage et le destinataire de l’album.  Dès lors, le texte se fait invitation, invitation à écouter les bruits de la nature, invitation à regarder,  invitation à consoler par les mots, invitation à jouer, invitation enfin à gouter, et surtout à partager son gouter.  Au plaisir de sens (l’ouïe, la vue, le toucher, le gout) s’ajoute le plaisir du partage et de la convivialité.

Chaque page de texte est suivie de deux pages d’illustrations. La première pleine page, tandis que la seconde, découpée en 7 ou 8 vignettes, attire l’attention sur des détails de la page précédente, qu’elle reproduit. Cela peut ainsi devenir un jeu de cherche et trouve. Si le texte n’évoque qu’une enfant et une girafe, les illustrations montrent un jardin peuplé d’enfants qui jouent, observent, de jeux, des dominos aux quilles, et surtout d’animaux, de la girafe du texte au serpent en passant par les poissons, ce jardin devient un véritable paradis dans lequel le soleil succède à la pluie.

Un album qui, à partir de situations simples, d’illustrations pleines de vie et de couleur, est une invitation à aller de soi vers l’autre, pour tout partager, bananes et cornichons, dans un grand mélange de plaisirs et de saveurs !

Le Musée des Générosités

Le Musée des Générosités
Laurence Gillot – Emma Morison
Editions du Pourquoi pas ?? 2025

Le gilet rouge

Par Michel Driol

Passant devant Idriss, un jeune garçon peu vêtu qui mendie avec sa mère et un bébé, Suzie lui donne son gilet car on vient de lui cacheter un pull neuf.  Quelques temps après, elle revoit les trois personnages, et se débrouille pour leur donner tout le contenu de sa tirelire.  Dix ans plus tard, le gilet rouge sera exposé au Musée des Générosités, et Idriss et Suzie se retrouvent.

Ce résumé rend compte de l’histoire vue par Suzie, alors que le texte, de façon polyphonique, fait alterner les points de vue des deux personnages. C’est ainsi que l’on apprend qu’Idriss est afghan, et qu’avec sa mère – professeur de français –  et sa petite sœur, ils se sont exilés après la mort de son père.

Cette histoire d’une rencontre, d’un mouvement de générosité vers l’autre entre deux êtres qui auraient pu ne jamais se voir montre l’importance des petits gestes, des petites actions à la portée de toutes et tous. S’y mêlent à la fois un côté très réaliste – dans le récit des vies, dans l’histoire d’Idriss, dans la peinture que fait Suzie de son milieu privilégié – et un aspect de conte de fée, de conte merveilleux, d’abord avec cet improbable Musée des Générosités, belle invention de l’autrice, musée dont on aimerait bien qu’il voie le jour pour garder trace de toutes les formes de solidarité, et ensuite dans le destin d’Idriss, devenu poète et chanteur, entre rap et slam, commençant à être connu.  C’est par un de ses textes qu’il rend hommage à la bonté de Suzie, dont il a découvert le prénom sur le gilet qu’elle lui a donné. Le poème d’Idriss et le texte de Laurence Gillot font voix dans la voix pour magnifier la force de ce lien ténu, devenu inoubliable.

Les lieux ont toute leur importance dans ce récit, en particulier deux musées, l’un d’art, que fréquente Suzie, avec notamment une statue symbolique de femme oiseau gigantesque, et le musée de la Générosité. Des musées, comme autant de lieux pour conserver des œuvres différentes, pour célébrer le beau sous toutes ses formes. L’art a toute sa place dans la vie des personnages : c’est la petite statue du chat oublié dans le gilet rouge qui devient objet transitionnel pour Idriss, c’est la musique pour Idriss, le dessin pour Suzie. Et, par le dessin ou la musique, les deux tentent de garder trace et de dire leur vécu, et cette rencontre marquante, bien que muette.

Très colorées, les illustrations d’Emma Morison font alterner, dans le cahier central, le regard sur les deux personnages, donnant à voir ce que fut la vie de famille heureuse d’Idriss en Afghanistan en contraste avec ce qu’elle est aujourd’hui, et tissent un motif floral lumineux– amplifiant  la décoration du gilet évoquée dans le texte, comme lien entre le don du gilet et le musée, entre les personnages, symbole d’une générosité qui prospère et tisse des liens.

Un récit optimiste à deux voix sobre et pudique qui évoque la solidarité, mais aussi la gratitude, l’accueil des migrants et le rôle de l’art dans nos vies…

Ouvre la porte de ta maison

Ouvre la porte de ta maison
Nathalie et Yves Marie Clément – Hélène Humbert
Editions du Pourquoi pas 2025

Pour accueillir l’autre

Par Michel Driol

Il faut les protéger, leur donner à manger, les réchauffer,  les réconforter, les dorloter… Qui donc ? des animaux qui cherchent un abri et, pour cela, le texte invite le lecteur –représenté par un oiseau –  à ouvrir la porte de sa maison, bien humaine.

On retrouve ici le thème de l’hospitalité, cher aux Editions du Pourquoi pas ??, mais à destination des plus petits à qui s’adresse cet album. D’abord par un univers animal, et c’est bien toute une ménagerie qui accueille les animaux cherchant un abri. Animaux marins, comme le beluga, animaux de la jungle, comme le singe, gros comme l’éléphant, ou petits comme la souris, les enfants prendront plaisir à retrouver ici les animaux qu’ils sont en train de découvrir dans la grande diversité de leurs espèces.  Le texte, le plus souvent rimé, répète la même structure autour des verbes d’action liés à l’accueil, en une sorte de randonnée poétique. Chacun fait quelque chose à sa mesure pour venir en aide à l’autre. De façon parfois cocasse : l’orang-outang cuisine un flan géant, de façon « réaliste », la souris donne des souliers riquiqui… Bref, le texte dans sa répétition sait ménager de drôles de surprises bien adaptés dans le ton et aux plus jeunes enfants. On songe ici aux nombreuses comptines animalières.

L’éditeur a pris le parti de séparer les pages de texte des pages d’illustrations, deux fois plus nombreuses, qui donnent à voir le texte précédent. Cela permet à la fois à l’enfant de se construire le film de l’histoire, puis de chercher, dans l’image, tous les animaux et toutes les actions évoquées. Pas d’anthropologisation à outrance. Les animaux sont représentés au naturel avec un accessoire humain : écharpe pour porter ses bébés pour maman ourse, instrument de musique, bonnet rendant bien compte de cet entre-deux imaginaire, entre animalité et humanité. Des illustrations très colorées, capables d’attirer l’œil, mais aussi montrant un joyeux pêle-mêle d’animaux fraternellement réunis autour d’une table bien garnie, ou tendrement enlacés pour dormir.

Parler des animaux pour parler des hommes, donner une belle leçon d’hospitalité et de solidarité, voilà des graines semées qui ne demandent qu’à germer pour apprendre, dès l’enfance, à ne pas stigmatiser l’autre.