Hervé ne veut pas partager

Hervé ne veut pas partager
Steve Small
Sarbacane 2025

Le lièvre, les lapins et le sanglier

Par Michel Driol

Hervé est un lièvre radin, amateur des navets qu’il cultive exclusivement por lui. Pas question d’en donner à cette famille de lapins qui vient d’arriver. Pas question de se lier d’amitié avec eux – ou les autres animaux de la forêt qu’ils invitent joyeusement. D’ailleurs, désormais, il travaille à son potager la nuit ! Mais lorsqu’un sanglier affamé vient l’attaquer, lui vole ses navets, contre toute attente, il le détourne des lapins qu’il va avertir du danger, et qu’il aide à sauver leurs précieuses carottes. On verra à la fin du livre qu’un bienfait n’est jamais perdu !

Le scénario de cet album ressemble fort à une fable de La Fontaine : personnages d’animaux, morale invitant à dépasser son égoïsme pour aider les autres, et récompense inattendue finale montrant tout le sens de l’amitié. Bien sûr tout cela est présent dans cet album, mais c’est compter sans l’humour et la fantaisie de Steve Small qui, d’album en album, montre sa capacité à croquer et à dessiner des personnages expressifs, touchants, toujours saisis dans des positions du corps  pleines de signification. Ainsi ce lièvre roux aux grandes oreilles, serrant fièrement ses navets sur la couverture, dans une pose de vainqueur à un concours de jardinage. Ainsi ce père lapin ou cette grenouille, coiffés d’un beau chapeau ! Venu du film d’animation, l’auteur n’a pas son pareil pour placer les personnages au centre de scènes pittoresques parfaitement cadrées, laissant d’ailleurs les images seules raconter la chute de l’histoire ! La course pour sauver les carottes de lapins est digne de figurer dans une anthologie des missions impossibles où l’on lutte contre le temps : c’est animé, parfaitement mis en page, avec ce qu’il faut de strips et de plans fixes pour dire la vitesse, le danger, la précipitation pour sauver de justesse… les carottes !

Un texte efficace, qui se focalise sur le personnage d’Hervé l’énervé, pour à la fois montrer son propre questionnement quant au partage des choses qu’on a du mal à faire pousser, mais ne rien dire de ce qui conduit ce même personnage de grognon misanthrope à venir au secours de ses voisins, ménageant ainsi l’effet de surprise de façon à ce que le lecteur le trouve moins égoïste qu’il n’en avait l’air. Façon aussi de plaider implicitement pour ne pas juger trop vite…

Un album qui sait allier une histoire drôle, pleine de rebondissements, des personnages bien caractérisés,  avec un message prônant les valeurs de l’amitié et du partage. Que demander de plus ?

Vous, les arbres / L’Anniversaire d’Anaïs

Vous, les arbres / L’Anniversaire d’Anaïs
Françoise du Chaxel
Editions théâtrales jeunesse 2025

Arbres en scène

Par Michel Driol

Ce sont deux courtes pièces de théâtre. Dans la première, Sam raconte aux autres enfants l’histoire d’un arbre différent que tous vont adopter. Dans la seconde, du haut d’un arbre, deux merles discutent et commentent les invités déguisés qui se pressent à l’anniversaire d’Anaïs.

Deux pièces de théâtre qui ont en commun de mêler, comme personnages, des enfants et des éléments naturels. Des arbres dans la première. Des merles et des chats dans la seconde. Cela crée un univers merveilleux, plein de poésie et de fantaisie.

Visiblement écrites pour des enfants, les deux pièces multiplient les personnages, dans un chœur pour la première, dans des individus déguisés pour la seconde. Des enfants qui questionnent, refusent d’entendre toujours les mêmes histoires, sont curieux, mais sont aussi timides, à l’image de ce garçon au cheveux roux de la seconde pièce, qui ne sait pas trop s’il est invité ou non, alors qu’il aime en secret Anaïs. Deux pièces dans lesquelles il est question du rôle des arbres dans l’écosystème, certes, mais surtout de sentiments qu’on ose confier aux arbres, l’ennui, la solitude, l’arbre devenant ainsi un confident, un révélateur des blessures secrètes.  La seconde pièce, avec le thème du déguisement, aborde aussi la question de l’identité, des rêves, des secrets, des non dits, avec beaucoup de finesse, et un bonne pointe d’humour lorsque les animaux commentent l’anniversaire, espérant bien, pour les merles, profiter des miettes du gâteau. C’est frais et réjouissant.

Deux pièces de théâtre à jouer, pour le plaisir des plus grands et des plus petits, qui incitent à préserver le vivant et à accueillir toutes les différences.

L’Ombre qui faisait des tatastrophes

L’Ombre qui faisait des tatastrophes
Alain Serge Dzotap – Maria Gabrielle Gasparri
Sarbacane 2025

Si ce n’est moi, c’est donc…

Par Michel Driol

Bodobé est sage. Les catastrophes, c’est Karamoka, son ombre, qui les cause. C’est lui qui casse le pot de fleurs avec le ballon, ou mange ses crottes de nez… Sans doute Bodobé tente-t-il de se débarrasser de son ombre, de l’enfermer dans l’armoire. En vain. Mais quand Bodobé se fait mal aux genoux, et que papa et maman veulent consoler Karamoka, Bodobé n’est pas d’accord !

L’album propose un duo comique bien réjouissant, avec cette ombre qui prend son autonomie, agit indépendamment de son propriétaire. Cela pourrait être un beau sujet de récit fantastique, mais rien de cela ici. Bodobé s’est-il trouvé un beau bouc émissaire pour se dédouaner de toutes ses bêtises, ou est-il vraiment victime d’un sortilège, d’une ombre malicieuse plus que maléfique ? Le récit parle bien de la façon d’assumer ou pas ses responsabilités, voire sa culpabilité dans des bêtises qui restent somme toutes mineures et bien enfantines, mais il le fait à hauteur d’un enfant pour qui l’imaginaire joue un rôle de premier plan, et dans une langue aussi enfantine et  juste (n’est-il pas question de laver l’ombre avec de l’eau froide mouillée, de tatasrophes et non de catastrophes ?). Les bêtises jouent avec les interdits, le scatologique, et ont un coté carnavalesque bien réjouissant dans leur naïveté. Par ailleurs, on est bien loin de la logique cartésienne, ou d’un jugement péremptoire des parents, bien mécontents des bêtises de leur fils. Pour autant, ils entrent dans son jeu à la fin, le conduisant à comprendre en quoi son double n’est pas lui… on ne peut que saluer et admirer cette attitude qui n’a rien de punitif, mais est une belle marque d’amour, de sensibilité et d’intelligence.

Maria Gabriella Gasparri illustre ce garçon et son ombre avec beaucoup de malice, dans des illustrations qui ont un petit côté rétro dans les couleurs, les décors, les accessoires.  On est dans une famille d’origine africaine, vivant dans un pavillon entouré d’un jardin. Elle fait bien sûr de l’ombre un personnage à part entière, illustrant ce en quoi il transgresse alors que Bodobé est d’une sagesse et d’une civilité puérile bien honnête !  Elle illustre à merveille la lutte entre Bodobé et son double : scène de boxe, combat dans le bain… Et que dire du clin d’œil proposé par la dernière illustration, sans texte, montrant une ombre avec un pansement, et un Bodobé lisant un livre ? Pirouette finale qui est  une façon de dire que, contrairement à tout ce que l’on a pu croire, Karamoka est bien réel, et Bodobé bien complice de son ombre, à laquelle il adresse un malicieux clin d’œil  !

Un album piquant, plein de légèreté, qui sera l’objet de bien des discussions autour des questions qu’il soulève avec impertinence et tendresse, celles de la transgression et de la reconnaissance de culpabilité.

Maki veut tout décider

Maki veut tout décider
Claudia Bielinsky
Gallimard Jeunesse 2025

Les malheurs de Maki

Par Michel Driol

Dès la première page Maki – une espèce de petit koala humanisé – l’affirme : il est grand, il va tout décider. Puis on assiste à une série de scènes qui se répètent, avec la même structure. Page de gauche, Maki prend une décision importante : de ne pas manger, de ne pas ranger, de manger tout le gâteau, de jouer sous la pluie… et page de droite, on assiste aux conséquences funestes de ses actions : la faim, la perte du doudou, le mal au ventre, le rhume… Mais tout se termine par un gros câlin, demandé par Maki !

Beaucoup de parents reconnaitront sans doute leur enfant dans Maki, car il est un âge où les enfants veulent décider. Sans doute beaucoup d’enfants se reconnaitront-ils dans les pages de gauche. L’album tente de leur montrer les risques encourus, qu’ils reconnaitront peut-être aussi. C’est donc un album sur l’affirmation de soi, la grande époque des je veux… C’est aussi cela, grandir, vouloir faire ce qu’on a envie de faire, mais aussi apprendre les conséquences de ses actes, apprendre à différer ses désirs, apprendre la frustration. L’album accompagne avec humour les enfants sur cette voie, en leur proposant des situations simples, sans doute déjà vécues, universelles tant les désirs qui y sont exprimés sont courants. L’humour, il vient certes du texte, qui se répète de page en page, créant un comique de répétition, des échos d’une page à l’autre, renforcés par de discrètes rimes. Mais l’humour vient surtout des illustrations, pleines de couleur. Avec beaucoup d’expressivité, les doubles pages montrent l’univers familier de Maki, ses désirs, et ses déboires. Cela joue sur les détails, peu nombreux pour rendre les images lisibles par les plus jeunes. Voyez comme les joues de Maki varient entre plusieurs nuances de rose et le vert de l’indigestion. Ajoutez à cela un personnage muet, un copain peut-être de Maki, un hérisson interloqué, compatissant, apportant une pomme, dégouté par l’odeur de Maki , prêt à lui donner des tonnes de mouchoirs en papier. Personnage secondaire, muet, non pas une figure parentale compte tenu de l’espèce, de la taille, mais figure d’un doudou ou d’une conscience aidante, clin d’œil à Pinocchio ?

Un album plein d’humour pour aider les enfants – et les parents – à franchir cette étape du tout et maintenant, et tenter d’apprendre à envisager les relations de cause à conséquence dans le domaine des actions et des désirs.

3 secondes pour plonger

3 secondes pour plonger
Jinho Jung
CotCotCot éditions 2025

Bon à rien ?

Par Michel Driol

Je ne suis bon à rien.. Ainsi commence cet album, traduit du coréen, qui montre un enfant au pied des marches d’un plongeoir, au bord d’une piscine. Page après pages, il s’élève le long de cet escalier interminable, labyrinthique, confessant toutes ses échecs : il n’est pas doué, quel que soit le sport,, lent, nul en maths. Arrive alors sa motivation profonde : il ne veut pas gagner, parce qu’alors quelqu’un doit perdre. 3 secondes suffisent pour plonger et éclater de rire ensemble.

Voilà un album qui conjugue un texte d’une grande simplicité avec un graphisme d’une grande complexité, tout en restant éminemment lisible et symbolique. C’est la symbolique de l’escalier, figure peut-être de l’ascenseur social, de la vie, des difficultés à surmonter. Cet escalier, réalisé avec des tampons bleus, envahit progressivement tout l’espace, à la façon des prisons de Piranèse,  des escaliers d’Escher, ou du décor de certains jeux vidéos dans lesquels le héros se déplace sur un parcours semé d’embûches. Il est oppressant, ce parcours, interminable, bien délimité par des barrières qui sont autant de grilles, composé de lignes, d’arcs, de voutes de plus en plus inextricables.  Il semble infini, cet escalier, sur lesquels on retrouve le narrateur d’abord tout en bas, puis au milieu, avant qu’il ne soit en haut. Il progresse donc, mais lentement. Chemin faisant, il rencontre d’autres personnages, silhouettes dessinées au crayon : le cuisinier impatient de la voir finir,  le prof de maths assénant un « C’est pourtant facile » devant un tableau rempli de calculs, ou encore le maitre de taekwondo  exécutant un parfait coup de pied circulaire. Autant d’adultes qui renvoient le héros à sa propre dévalorisation, à son sentiment d’infériorité, à sa mésestime de soi. Autant d’adultes qui le renvoient aux codes de la réussite enfantine, sportive, scolaire. Cet escalier conduit vers le haut autant qu’il emprisonne, comme le montre la dernière page avant d’arriver au sommet, une page qui joue à la fois sur la contre plongée et le graphisme d’un jeu (de l’oie) avec ses cases et son parcours. La vie doit elle être à l’image du jeu où, si l’on gagne, d’autres perdent ? Quelle place faut-il donner à la compétition poussée à l’extrême ? Rappelons ici que cet album est signé d’un auteur coréen, et que la Corée du Sud est réputée pour son système scolaire qui pousse à la compétition, et qu’un véritable système éducatif parallèle y oblige les enfants à des journées de quinze heures de cours, voire plus l

Au final, se héros apparait donc comme un résistant, qui ne se soumet pas aux codes sociaux admis, qui promeut d’autres valeurs : celle de l’égalité (en haut, le héros retrouve deux copains qui l’attendaient), celle du rire partagé, du plongeon (mouvement du haut vers le bas) qui s’oppose à l’ascension.  On comprend dès lors que les figures d’adultes rencontrées dessinées au crayon sont autant de fantômes, de fantoches, sans consistance, vite oubliées, autant d’obstacles vers le bonheur et la joie de vivre.

Un album qui touche juste, qui dit bien les blessures de l’enfance, les échecs et le sentiment de dévalorisation poignant qu’ils suscitent, mais qui promeut aussi d’autres valeurs, plus solidaires, plus liées au plaisir de l’instant présent, ne dût-il durer que 3 secondes… Enfin un album dont la construction graphique, très maitrisée, très symbolique, lui confère un aspect universel.

Plouf et Nouille

Plouf et Nouille
Steve Small
Sarbacane2025

Rendez-vous sous la pluie

Par Michel Driol

Il y a Plouf, le canard, avec son grand ciré jaune et son parapluie : c’est qu’il n’aime pas l’eau, Plouf. Et quand une nuit de tempête un gros trou apparait dans son toit arrive Nouille, une grenouille qui adore l’eau. Mais comment retrouver la maison de Nouille, en vélo ou en bateau ? Finalement, c’est Jo Pélican, le facteur, qui raccompagne Nouille. Mais, pour Plouf, il manque quelque chose : Nouille. Et, bravant le vent et la tempête, il va retrouver Nouille et l’inviter chez lui.

Cet album catonné propose  une histoire qui repose sur un schéma bien classique en littérature de jeunesse : deux personnages que tout oppose et qui vont devenir amis, en dépit de leurs différences, grâce au partage de quelque chose : un repas, une aventure, ou ici l’hospitalité, deux personnages qui font un pas vers l’autre. Sans revisiter ce schéma, Steve Small , à la fois dessinateur de dessins animés et concepteur de livres pour enfants, croque des personnages identifiables et visuellement réussis. Plouf, impayable sur ses deux pattes dans son grand ciré jaune qui l’accompagne à chacune de ses sorties, qui a tout du marin pécheur. Nouille, minuscule, large sourire, et canotier sur la tête, qui ne dit que Craôa. Sans compter les comparses : le castor couvreur, le pélican facteur, la taupe, les lapins, rencontrés au fil des recherches, tous dessinent un univers drôle vivant, animé et coloré. IEt que dire de la maison de Plouf, maison de bois sur pilotis, maison cosy avec son poêle, son fauteuil à bascule, ses livres et son thé… Tous les détails sont pleins de saveur et de signification : par exemple les bottes de Plouf, qu’il échange contre de confortables charentaises bleues à la maison. Le texte se conjugue avec les onomatopées de l’image, les plocs de la pluie, les crôas de Nouille à qui il donne toujours du sens, mais jamais le même.  Il suit le point de vue de Plouf (ce que suggère le titre original, (The duck who didn’t like water), nous entraine dans ses phobies, ses pensées, et son sentiment de manque lorsque Nouille n’est pas là. Enchainant des propositions courtes, il est facilement compréhensible par les plus petits. On notera que le texte, répétant à loisir les noms de Plouf et Nouille, réussit le tour de force de ne pas genrer ses personnages, laissant au lecteur le choix (tout comme la version originale où il est question de Duck et Frog).

Humour, tendresse, douceur, et joie de lire ensemble définissent l’atmosphère de cet album réconfortant dans lequel l’expressivité des personnages s’accorde avec les couleurs acidulées et gaies d’un graphisme très cartoonesque !

Les Follets

Les Follets
Camille Romanetto
Little Urban 2024

A la recherche du Criquidibou

Par Michel Driol

En vacances chez ses grands-parents, Madenn ramasse un minuscule bonnet rouge au milieu d’un bois. Quand le propriétaire vient le récupérer, la voilà mise sur la voie de la découverte d’un peuple de créatures minuscules, les follets. Ces derniers ont perdu un objet plein de prix pour eux, le Criquidibou, et ils cherchent Madenn de le retrouver.

Ce roman illustré, découpé en 14 chapitres, entraine ses lecteurs dans un univers enchanteur et des personnages qui évoquent Alice de Lewis Caroll, Hippolène  ou Adèle de Claude Ponti, voire la Baba Yaga. Un univers proche, avec ces vacances chez les grands-parents, leurs rituels, leurs manies, leur amour aussi. Un univers féérique, avec ses mystères, ses créatures étranges, et les conversations qu’on peut y tenir avec un héron trop bavard, un lapin prolixe mais ignorant, et une Dame Grelette à la fonction bien définie. On est dans un univers de conte, avec cette maison des grands parents dans la foret, une maison qui a des allures d’isba dans l’illustration, avec la magie des créatures qu’on rencontre, ces follets d’apparence enfantine, pleins de sagesse, avec la quête surtout d’un objet dont on ignore tout, mais dont on laissera le lecteur découvrir à la fin quel il est et à quoi il sert. L’autrice joue avec l’intertextualité pour s’inscrire dans un certain de type de littérature, mais créer aussi un univers bien à elle, un univers dans lequel l’aventure vécue a quelque chose d’initiatique et sert à faire grandir l’héroïne, qui, avec son caractère bien trempé, mais son incapacité à prêter, va découvrir le sens de l’amitié, de l’amour, mais aussi se découvrir loin de sa famille, trouvant ainsi sa propre identité. Ainsi l’autrice propose un conte qui s’affirme comme tel, avec sa structure très archétypale, où tendresse et amitié sont les maitres mots. Le texte est d’abord un récit, qui fait la part belle à l’évocation des lieux, des créatures, des sentiments, des émotions. Il laisse place à quelques bouts rimés, des comptines pour se donner du courage, des formes de sagesse populaire, sorte de parenthèses amusantes. Il pourrait se suffire à lui-même, mais il constitue avec les illustrations un magnifique objet « à l’ancienne ».Outre quelques pages encadrées par des arbres, ou encadrant des fleurs, les illustrations pleine page évoquent, en particulier par les bordures et encadrements, les anciens livres pour enfants, ou, plus spécifiquement, les contes russes illustrés par Bilibine. Des couleurs tendres, des détails précis, des décors fouillés, autant de qualités de ces illustrations qui sont parfois de véritables tableaux.

Un roman illustré à l’écriture pleine de charme, aux illustrations pleines de poésie, qui entraine le lecteur dans un univers très enfantin, très féérique, un univers où tout est sérieux, même le jeu, un univers plein d’une tendre et douce fantaisie.

Ööfrreut la chouette

Ööfrreut la chouette
Cécile Roumiguière – Clémence Monnet
Seuil’issime 2025

Prom’nons nous dans les bois…

Par Michel Driol

Du haut de son arbre, Ööfrreut observe une maison de vacances, et une petite fille, enfant unique, passant ses journées à lire. Elle assiste à l’anniversaire de la fillette, une nuit, dans la forêt. C’est là que la fillette la repère. Puis la chouette, les nuits suivantes, se laisse approcher par cette enfant. Et lorsque la fillette se retrouve menacée par une laie, Ööfrreut n’hésite pas à ralentir cette dernière, puis à guider la fillette jusqu’à chez elle.

Voici la réédition méritée d’un ouvrage paru en 2020, un album plein de poésie dans lequel la narratrice est la chouette. Une chouette qui dit le monde des humains avec ses propres mots. Le temps se mesure en couvées, la bougie d’anniversaire devient un bâtonnet, et les bottes rouges de la fillette des coquilles rouges sur le bout de ses pattes.  La fillette est, pour elle, la dernière de sa couvée, et a toutes les qualités pour devenir une excellente chasseuse. Il y a là, de la part de l’autrice, une réelle volonté d’imaginer le monde vu par une chouette effraie, et, de ce fait, d’en montrer l’étrangeté sauvage, l’altérité profonde par rapport aux humains. Pour autant, elle partage quelques traits bien humains : ses petits ont quitté le nid, et elle se sent seule. Elle perçoit la fillette non pas comme une menace, mais comme une amie. On est donc dans un entre deux intéressant, entre animal sauvage, chasseresse, et le monde des hommes. De là vient, sans doute, la poésie dans la façon de mettre en mots cette histoire dont le cadre est une forêt, une forêt à respecter, menacée par le feu, refuge d’animaux sauvages qui protègent leurs petits, une forêt dans laquelle il faut savoir prendre le temps de saluer les arbres et d’observer, en silence. Autant de qualités possédées par la fillette.

Cette histoire d’amitié entre un animal et une chouette effraie permet de dépasser deux solitudes. Tout est fait pour qu’on imagine les sentiments de la fillette à travers le regard, forcément déformé, de la chouette, mais aussi à travers les aquarelles de Clémence Monnet qui donnent à voir ce que voit la chouette dans toute la première partie de l’album. Des aquarelles qui évoquent la poésie de Marie Laurencin dans la naïveté de la représentation de la forêt, qui se font un lointain écho aux peintures pariétales dans la figuration du sanglier. Des aquarelles qui montrent la beauté essentielle de la nature, de la forêt, de la nuit. Et, au milieu de tout cela, une sympathique petite fille libre, audacieuse, cheveux bleus, bottes rouges, pleine d’énergie, de curiosité et d’intrépidité.

Un album très original par son écriture, par le point de vue qui y est suivi de façon magistrale, un album pour évoquer la liberté des enfants au milieu des bois… Liberté perdue aujourd’hui, à l’ère des smartphones et des villes ?

Mimi le Sumo

Mimi le Sumo
Naoko Machida – Traduit du japonais par Alice Hureau
Le Cosmographe 2025

Le boulanger qui rêvait d’être sumo

Par Michel Driol

Mimi est un chat boulanger. Chaque opération – du pétrissage à la vente – est pour lui l’occasion de prendre des postures et des attitudes de sumo, un sumo dont il a un peu la carrure. Un lexique, en fin d’album, explique les termes du sumo, et donne les clefs pour comprendre les différents gestes de Mimi.

Ce n’est pas le premier album de Naomi Machida, une illustratrice japonaise dont l’univers est peuplé de chats. Mimi vit dans un univers très humanisé. Ne porte-t-il pas un beau tablier à rayures et un petit nœud papillon ? Son laboratoire n’a rien à envier aux boulangeries professionnelles, à cela près qu’il n’a rien de métallique. Table en bois, fours entourés de briques, couleurs chaudes… Ne manque que l’odeur du bon pain ! Pour autant, l’autrice le croque dans des postures félines, lorsqu’il patoune (sic) la pâte pour la pétrir, lorsqu’il se prépare au combat contre trois chatons… Mais le plus souvent, il est saisi dans des attitudes qui conjuguent les gestes du sumo avec ceux du boulanger, bien campé sur ses deux pattes arrière, le regard fier et la tête haute.  Le poil luisant, bien portant, Mimi incarne la joie de vivre, magnifié par un point de vue qui tantôt le saisit à bonne hauteur, tantôt en plongée, façon de montrer sa force et d’amplifier son corps.

Le texte reprend comme un leitmotiv Dosukoï, qui est à la fois le nom de la boulangerie de Mimi et un cri d’encouragement lors d’un tournoi de sumo. Il fait alterner les phrases avec un verbe être, les états de Mimi, et les verbes d’action. Il est et il agit, son enthousiasme étant souligné par les phrases exclamatives… toute une philosophie pleine d’humour pour ce gros dur au cœur tendre !

Un album qui, avec finesse et drôlerie, pourra initier les plus jeunes à l’esprit du sumo, à une certaine culture japonaise, empire des signes, tout en collant à certaines caractéristiques félines. Mais, comme dans les combats de sumo, le temps est écoulé… Dosukoï !

Séverine la frondeuse

Séverine la frondeuse
Sylvie Arnoux
L’Astre bleu 2025

Reporteresse et engagée

Par Michel Driol

Pour beaucoup de gens, aujourd’hui, le nom de Séverine n’évoque malheureusement rien. Ce petit livre de Sylvie Arnoux redonne vie avec passion à cette journaliste, fort active entre1883 et 1927, et fourmille d’informations rendues accessibles au plus grand nombre.

Les quatre premiers chapitres, très biographiques, retracent la vie de Séverine, depuis les blessures de l’enfance, évoquent son désir d’indépendance et de liberté, jusqu’à ses engagements, d’abord aux côtés de Jules Vallès dans Le Cri du Peuple, puis dans différents journaux, jusqu’à la consécration et la célébrité. Des pages pleines de vie, d’empathie, d’admiration aussi, qui rendent sensible ce qu’était l’éducation des filles au milieu du XIXème siècle dans une famille de la petite bourgeoisie, et qui montrent comment le désir de justice et de liberté peuvent guider toute sa vie.

Les 9 chapitres suivants sont plus analytiques, et reprennent, thème par thème, les grands combats qui ont animé Séverine : combat pour les travailleurs et les travailleuses, pour améliorer les conditions de travail, combat pour les femmes, combat contre le racisme, combat pour les animaux… Séverine multiple les combats, avec toujours l’idée directrice d’une humanité plus juste, d’une vie meilleure pour les plus défavorisés. Ces chapitres-là donnent à lire la prose de Séverine, toujours précise et informée, souvent polémique, souvent acérée et ironique, toujours juste, jamais blessante inutilement. Une vraie leçon de journalisme et d’écriture déjà dont on se dit que beaucoup, aujourd’hui, pourraient s’inspirer… Sylvie Arnoux commente, introduit, contextualise, raconte de façon à permettre au lecteur de replacer ces extraits dans leur époque. C’est à la fois très pédagogique, et très agréable à lire, jamais pesant, toujours captivant. On mesure alors toute la modernité de cette femme, dans ses multiples combats toujours d’actualité. On mesure aussi sa façon d’évoluer, de changer d’opinion, quant à l’affaire Dreyfus, quant au vote des femmes… C’est peut-être bien là la force d’un esprit libre de savoir évoluer, reconnaitre ses erreurs. Autre belle leçon pour aujourd’hui !

Les deux derniers chapitres se font écho : l’un qui recense quelques-unes des attaques dont Séverine a été victime, l’autre les hommages rendus après sa mort. Enfin une dernière page fait la liste de tous les engagements de Séverine, montrant leur concrétisation – ou pas – au cours des XX et XXIème siècles.

S’il n’est pas publié dans une collection a priori dédiée à la jeunesse, ce livre a toutes les qualités d’un ouvrage destiné à des ados. Par son écriture, jamais simplificatrice, mais toujours aisément compréhensible – en témoignent les notes de bas de page qui éclairent tel ou tel terme. Par son sujet, celui de l’engagement, d’une vie de femme, inventrice du terme reportesse, première femme journaliste à pratiquer l’enquête sur le terrain, l’investigation pour mieux rendre compte du réel, dût-il déplaire aux puissants.  Enfin un beau portrait de femme qu’il brosse, une femme engagée, sensible, empathique, prête à venir en aide  matériellement à toutes celles et tous ceux qui souffrent.