Moon

Moon
Agnès de Lestrade / Stéphane Kiehl
Sarbacane 2022

Sac de nœuds !

Par Michel Driol

Le héros, Moon, est présenté comme un petit sac de nœuds, avec des parents qui l’aiment tel qu’il est, tout emberlificoté. Mais les autres enfants ne l’acceptent pas, ne comprennent pas qu’il aime leur caresser les joues. Lorsque Moon prend le chemin de la forêt, un oiseau prend ses nœuds pour des vers, un chat pour une pelote de laine, mais lorsqu’il parvient, grâce à ses nœuds, à sauver de la noyade une petite fille, le voilà reconnu et aimé par tous, tel qu’il est.

Un corps efflanqué, long, entouré de traits et de boucles jaunes, tel est Moon sur l’illustration, comme un enfant maladroit, incapable de maitriser ses gestes, sans cesse en mouvement. Moon est différent, incompris des autres qui ne l’acceptent pas, et il se sent exclu et inutile. C’est par la métaphore du sac de nœuds, de l’enfant emberlificoté dans ses problèmes que l’album évoque cette question de la différence, pour montrer finalement qu’elle n’est pas une faiblesse, mais peut devenir une force. La force de l’album est de partir dans l’imaginaire sans chercher à évoquer de façon précise un trouble précis du comportement. Cela lui donne une portée bien plus grande, car ce sont toutes les différences qui peuvent ainsi être imaginées par le lecteur. Imaginaire aussi dans la représentation de ce sac de nœuds sous la forme de traces jaunes qui envahissent l’espace, jusqu’à ce que, dans la dernière page, le jaune soit la couleur du fond de page, et que le rouge aux joues, symbole habituel de l’amour ou de l’affection, devienne aussi du jaune. Façon de montrer que c’est la différence qui enrichit si on la laisse s’exprimer. Imaginaire enfin par ce personnage complètement lunaire – d’où son nom – sautillant, bondissant, acrobate aérien auquel on s’attache, personnage en quête de sa propre identité dans la forêt. S’il n’est ni vers, ni pelote de laine, qui est-il ? Comment se libérer de ses problèmes, qui le nouent au propre comme au figuré, qui l’emprisonnent ?

Un bel album pour évoquer, par l’émotion, l’exclusion et l’inclusion, un album tout en finesse et suggestion construit autour d’un personnage touchant.

Qu’est-ce qu’il y a derrière la montagne ?

Qu’est-ce qu’il y a derrière la montagne ?
Ludivic Souliman – Zad
Utopique 2022

Vaincre ses peurs

Marilou a peur, du noir, ou qu’un dragon dévore ses parents… Derrière la forêt familière, il y a une montagne. Mais qu’est-ce qu’il y a derrière la montagne ? se demande la fillette. Lorsqu’elle pose la question aux adultes qui l’entourent, elle s’entend répondre qu’il ne faut jamais poser cette question. Pourtant, elle prend son courage à deux mains et va voir. Derrière la montagne, il y a un monstre, mais, lorsqu’on lui souffle dessus, il devient un minuscule vers de terre, qui lui affirme qu’il est sa peur.

Reprenant les codes et les structures du conte, cet album évoque avec poésie les peurs, non seulement les peurs enfantines, mais aussi celles des adultes, celles des choses dont on ne doit parler, peut-être les tabous qu’il faut taire, d’autant plus inquiétants qu’ils n’ont aucune justification. Tout est fait pour que le lecteur enfant s’identifie à cette petite fille dont il partage sans doute les rituels du soir, histoire, musique, paroles, veilleuse. Ses jeux et activités sont aussi ceux des enfants, du moins ceux qui vivent à la campagne : les cabanes dans les arbres, la cueillette des champignons avec le grand-père. Dès lors, l’enfant-lecteur ne peut que continuer son processus d’identification à la fillette dans sa quête d’un autre monde, un monde dont les adultes interdisent l’accès, symbolisé ici par cette montage qui ferme l’horizon. Qu’est-ce que grandir ? Sortir de la maison des parents pour aller voir le monde. Le monde que Marilou découvre seule est d’abord le monde de la nuit, celui des animaux nocturnes, celui du premier matin, nimbé d’une étrange poésie, un monde à contempler. Puis c’est l’ascension de la montagne, symbolique elle aussi des efforts à faire pour découvrir le monde, sans céder au découragement, au vent qui siffle « fuis ». Et c’est enfin, comme dans les contes, la confrontation avec le monstre qui symbolise le mal et les terreurs. Un adjuvant de taille pour aider Marilou, à la fois pour l’envoyer à l’aventure, mais aussi pour lui donner, à distance, les conseils essentiels : le grand-père, qui incarne la voix d’une sagesse à la fois populaire (dans la vie, il faut parfois aller voir) et pleine de bienveillance et d’imaginaire (souffle sur ta peur, elle partira en fumée). Le recours final au merveilleux, avec la métamorphose du dragon en vermisseau, est une belle image de la façon dont peuvent se dissiper les terreurs. Zad propose des illustrations qui jouent à la fois sur des pages pleines de couleur et des dessins au trait, qui mettent l’accent sur tel ou tel détail du texte. Il en ressort une atmosphère de tendresse, qui magnifie la nature, mais donne aussi à voir le monstre très mythologique qui terrifie Marylou. A noter aussi que l’album est accompagné d’un CD qui permet de l’entendre lu par l’auteur, mais aussi d’entendre la chanson qui le clôt.

Un récit d’apprentissage qui passe par la fiction, par l’imaginaire du conte, pour montrer que vaincre ses peurs fait grandir, à condition de sortir de sa zone de confort.

La Petite Boîte

La Petite Boîte
Yuichi Kasano
L’école des loisirs (« Loulou et Cie »), 2021

Une place pour chacun

Par Anne-Marie Mercier

On connait bien le conte de « La Moufle » dans lequel plusieurs animaux se réfugient dans un gant de laine pour se protéger du froid, gant qui finit par céder. Ici il s’agit d’une caisse en bois bien solide. Un renard y entre par jeu, puis un élan, puis trois canards. Jusqu’ici tout va bien.
Arrive un ours qui demande à les rejoindre et qui malgré leur refus arrive à y mettre les pieds, sans que la caisse cède, au grand plaisir de tous.
Histoire simple, à la chute surprenante par son inexistence, et où tout le monde est content, finalement. Les images ont un grand dynamisme dans leur enchainement, et une grande sobriété, aucun décor ne se superposant à la simplicité de l’action, elle-même réduite. Tout cela est léger, simple  et joli.

 

Aux filles du conte

Aux filles du conte
Thomas Scotto / Frédérique Bertrand
Editions du Pourquoi pas ? 2022

De la peur bleue à l’horizon rouge

Par Michel Driol

En 1975, dans sa chanson Une sorcière comme les autres, la regrettée Anne Sylvestre rendait hommage aux femmes en magnifiant et en banalisant la figure de la sorcière, et évoquait la place difficile des femmes dans le monde et le pouvoir du patriarcat. En 1981, Pierre Peju, dans La petite Fille dans la forêt des contes, proposait une poétique du conte. Il montrait comment, entre la maison paternelle et le château du prince charmant dont elle sera à jamais prisonnière, la fuite dans forêt constitue pour la petite fille l’espace qui l’entraine vers un ailleurs, l’état sauvage, la liberté, lui permettant, dans la parenthèse enchantée du conte, d’échapper aux rôles traditionnels. Le bel ouvrage de Thomas Scotto, qui cite Anne Sylvestre en exergue, se situe quelque part dans cette double filiation, en proposant  une sorte de manifeste porté par une voix de fille, archétype de toutes ces petites filles des contes, une voix qui fait écho avec la condition féminine encore aujourd’hui.

Elle évoque avec subtilité les mauvais traitements dont sont victimes les petites filles du conte sans jamais nommer les contes sources : un indice permet de reconnaitre Cendrillon, Raiponce, ou la Petite Fille aux allumettes, parmi d’autres qu’on ne citera pas ici. Des petits pois sous les matelas aux serrures… ce sont tous les supplices de papier qui sont ainsi évoqués. Elle évoque aussi la figure et le rôle des hommes dans les contes, qui décident à sa place, pour son bien, et ne lui laissent jamais le droit de mener la soirée à sa guise. Elle ne cache pas ses envies de s’ouvrir au monde, d’être autre chose, c’est-à-dire d’être elle-même, libre de ne pas toujours dire oui. Elle constate alors qu’entre ce pouvoir patriarcal, qui pourrait la contraindre à épouser son père, et son intégrité ne lui reste qu’une solution, la fuite. Et le texte se termine sur des futurs pleins d’espoir faits de liberté, d’invention, façon de tourner la page et de dessiner les contours d’un autre avenir possible, d’échapper tant à la maison paternelle qu’au château royal. C’est une ode à la liberté, un appel à vaincre ses peurs pour exister pleinement.

Ce manifeste féministe passe par l’imaginaire pour toucher et faire réfléchir sur des personnages et des situations durablement inscrits dans la mémoire collective de toutes celles et ceux qui ont entendu ces contes, et les invite donc à les questionner, en se demandant quelles valeurs ils représentent et si les principes qui les font agir ont vraiment changé. Cette relecture intelligente des contes ne passe pas par la théorisation, mais par la poésie afin de s’adresser au plus grand nombre, aux enfants en particulier, qui s’identifieront à l’héroïne des contes qui s’exprime tout au long de l’ouvrage, qui donne à entendre son point de vue, et non celui du conteur – Perrault, Grimm, ou Andersen. Les illustrations de Frédérique Bertrand montrent d’abord une petite fille bleue, petite dans la page, dans un monde fait d’escaliers sans fin, de volutes infinies – écheveaux de laine ou cheveux ?-. Puis, après la couture du livre, apparait le rouge et, avec lui, les sourires et la joie. A la page bleue du début correspond une page rouge. A chacun d’interpréter, bien sûr, ce symbolisme des couleurs, porté tant par le texte que les illustrations. Chacun choisira de la lecture qu’il veut faire des riches valeurs représentées par le bleu et le rouge. On se gardera ici d’en dire plus que les auteurs…

Un texte poétique, qui prend appui sur le puissant imaginaire du conte traditionnel, pour parler des aspirations très contemporaines à la liberté de toutes et tous, et à l’égalité entre hommes et femmes.

Le Printemps d’Aubaka

Le Printemps d’Aubaka
Didier Jean et Zad / Pierre-Yves Cezard / Caroline Taconet
Utopique 2022

Comme un Discours de la servitude volontaire.

Par Michel Driol

Lorsqu’il prend le pouvoir à Aubaka, le nouveau roi, Alexander XI, annonce qu’il va lever un impôt pour constituer une puissante armée. Devant le refus du peuple, il renonce. Mais, lorsque le Grand Ordonnateur annonce qu’un soldat est mort en patrouille, chacun obéit à l’ordre royal de mettre des barreaux aux fenêtres. Puis lorsqu’il annonce que les espions ont vu les ennemis aux portes de la ville, tout le monde prête mainforte pour construire des remparts. C’est alors que le jeune Milann revient d’un long voyage, et déclare qu’il n’y a pas d’ennemis dans les parages. Et Milann de sortir à sa guise de la ville, pour cueillir des plantes. Des caricatures du roi se mettent à apparaitre sur les murs, reprenant un bon mot de Milann. Caricatures aussitôt interdites, pour la sécurité de tous, par le monarque. Et lorsque Milann révèle la vérité sur la mort du soldat hors des murs, les soldats refusent d’obéir à l’ordre de le saisir, et tout le peuple sort de la ville. Comme on s’en doute, le roi quitte le château, par une porte dérobée, et s’installe la démocratie…

Cette histoire, inspirée d’une fable qui dit que, si on veut ébouillanter une grenouille, il faut la tremper dans de l’eau de plus en plus chaude pour qu’elle s’y habite, a des échos tristement contemporains. Jusqu’où sommes-nous prêts à sacrifier un peu de nos libertés pour un peu de sécurité ? Jusqu’à quel point sommes-nous prêts à croire les fake-news fabriquées par le pouvoir en place ? Que devient alors notre esprit critique et notre raison ? Qui sera celui qui dit que le roi ment, et que nos peurs n’ont d’autres raisons que sa volonté de nous museler ? Ce dont parle aussi l’ouvrage, c’est de la place du rire dans nos sociétés. D’un côté, on a le nouveau roi, que personne n’a jamais vu sourire, de l’autre on a l’esprit libre et fantaisiste de Milann et le pouvoir des caricatures. Le rire a bien le pouvoir de subvertir l’ordre établi, de libérer, et c’est pourquoi le pouvoir l’interdit. On le voit, cette fable pose de nombreuses questions, et ce royaume imaginaire, par bien des aspects, fait écho à notre monde contemporain. Avec finesse, car tout est ici suggéré plutôt que dit, montré à travers les actes et les paroles des personnages, ainsi que par les illustrations, le plus souvent en pleine page, qui nous plongent dans une époque volontairement indéfinie. S’il y a bien des lignes électriques, les machines pour construire les remparts sont celles des ouvriers du moyen-âge… Les costumes évoquent tantôt le moyen-âge, tantôt le XIXème siècle. A la fin ce sont des vêtements contemporains et des cartables sur le dos des enfants qui disent le présent. Tout cela contribue à montrer que ce texte est intemporel, et qu’il souligne le pouvoir de résistance qui traverse les époques, la force du peuple lorsqu’il est uni pour abattre les dictatures, mais aussi la façon dont certains pouvoirs instrumentalisent la xénophobie pour le maintenir en soumission. Les techniques employées pour l’illustration, crayonnés de Pierre-Yves Cezard, mis en couleur numériquement par Caroline Taconet,  évoquent la ligne claire de la bande dessinée. L’univers représenté n’est pas sans faire penser au dessin animé Le Roi et l’oiseau.

Un album qui répond parfaitement à son double objectif. D’une part, comme toute fiction, raconter une histoire captivante, aux personnages bien posés, d’autre part faire réfléchir, par l’entremise de cette fiction, à notre propre société, le tout à hauteur d’enfant… même s’il n’y a pas d’enfant héros dans cette histoire, juste un jeune homme libre !

Le Loup dans la nuit noire

Le Loup dans la nuit noire
Sandrine Beau – Illustrations de Loïc Méhée
D’eux – 2022

Jeux d’ombres

Par Michel Driol

C’est la nuit. Dans un lit se trouve un loup, qui petit à petit ouvre un œil, puis se lève, le tout avec une grande lenteur qui fait penser à la célèbre comptine Promenons-nous dans les bois. Puis il pousse une porte, et, après une page complètement noire, on découvre la vérité : le loup n’est une fillette qui sort des toilettes, après avoir dit « Maman, j’ai fini »…

Le texte, court, facile à comprendre, est réduit à des schèmes d’action qui commentent avec sobriété l’image. Il est saturé de l’adjectif noir, afin de créer une atmosphère liée aux peurs nocturnes. Tout est fait pour que le lecteur anticipe, sans savoir quoi. Que va faire ce loup qui couche dans un lit, vit dans un appartement ? Et la surprise finale est grande de découvrir que l’on s’est fait avoir par l’album, qu’il n’y a pas de loup, mais une fillette dont on peut penser qu’elle se prend pour un loup. Quant aux illustrations, elles ont surtout recours au noir, comme des ombres chinoises qui se détachent sur des fonds colorés passant d’un bleu reposant à un rouge inquiétant, puis à un jaune qui donne à anticiper la lumière finale.  L’album fait appel, avec intelligence,  à l’imaginaire et à la subtilité du lecteur. La surprise finale, qui fait passer de l’univers du loup, de la nuit, de la peur, à un univers familier et à une action quotidienne, conduit à s’interroger, à faire un effort de compréhension qui parfois désarçonne les jeunes lecteurs. La fillette est-elle le loup ? Est-ce le loup qui s’est transformé ? Les enfants peuvent ainsi émettre de nombreuses hypothèses avant de comprendre – ce qui ne va pas de soi – le jeu des ombres portées de la fillette et de sa poupée qui dessinent ainsi la silhouette du loup.

Un album qui expose les peurs primales du loup et de la nuit pour mieux s’en jouer, pour le plus grand plaisir du lecteur.

Le Cauchemar du Thylacine

Le Cauchemar du Thylacine
Davide Calì, Claudia Palmarucci
Traduit (italien) par Béatrice Didiot
La Partie, 2021

Sur l’île des animaux disparus

Par Anne-Marie Mercier

Si ce qui frappe au premier abord dans cet album ce sont les superbes images de Claudia Palmarucci, l’extrême lisibilité et la mise en page, soignée et variée, l’histoire elle-même mérite aussi qu’on s’y arrête encore plus.
Le docteur Wallaby exerce dans la « forêt sans nom », « entre le marais des désirs et la cascade du temps perdu ». C’est un kangourou ; il soigne les animaux tourmentés par de mauvais rêves. Arrive un Thylacine (appelé aussi loup marsupial, loup de Tasmanie ou encore tigre de Tasmanie), dont le rêve n’appartient à aucune des catégories connues par le docteur, pourtant spécialiste de la question. Après quelques tâtonnements, le Wallaby découvre que ce rêve appartient à ceux des fantômes des animaux disparus et emmène le Thylacine (dont la disparition a été constatée en 1936) sur l’île des ombres où il retrouvera les âmes de ses pareils.
Ce récit qui pourrait être funèbre est au contraire plein de vie : la description et la classification des rêves est très inventive, détaillée. Elle est mise en image de façon souvent cocasse, toujours belle, et les clins d’œil ne manquent pas, depuis les personnages étranges inspirés de Jérôme Bosch (Le jugement dernier, fin XVe-début XVIe s.) aux paysages symbolistes comme celui d’Arnold Böcklin (l’île des morts, 1880).
Réflexion sur les rêves et superbe tentative pour saisir l’insaisissable, c’est aussi un plaidoyer pour la protection des espèces en danger : plusieurs pages, à la fin de l’album, les montrent dans toute leur diversité, de l’éléphant à l’insecte, du gecko de Chine  à l’ours brun des Apennins en Italie, en passant par le zèbre de Grévy, au Kenya.

La Partie est une jeune maison d’édition, créée en 2021, qui propose des « livres illustrés pour tous les âges ». La profession de foi inscrite sur leur site est prometteuse :
« La Partie propose à ses lecteur·rice·s de l’étonnement, du réconfort et parfois même du trouble. Convaincues par les vertus du merveilleux et de la rigueur, nous souhaitons donner à lire des textes et des images qui questionnent et offrent à rêver, pour contribuer à la construction de lecteur·rice·s émancipé·e·s. » (https://www.lapartie.fr/la-maison)
Promesse pleinement réalisée par cet album ; on voit également sur leur site https://www.lapartie.fr/ que de nombreux albums, inventifs sans être superficiels, engagés sans être donneurs de leçons, sont déjà publiés.
Bienvenue à La Partie !

 

 

Dans la forêt

Dans la forêt
Philippe Jalbert
Gautier Langereau 2021

Pour vivre heureux, vivons cachés…

Par Michel Driol

Deux écureuils se lancent à la recherche de leur petit. On les suit dans une forêt peuplée de nombreuses familles d’animaux pleinement visibles, mais aussi de nombreux autres, bien cachés dans les herbes et les feuillages, à découvrir.

L’album vaut avant tout par la qualité de ses illustrations : des croquis en noir et blanc, rehaussés d’une touche de marron oranger pour mettre en évidence un des animaux, et qui regorgent de détails. C’est une représentation à la fois réaliste et poétique de la forêt, de sa lumière particulière dans laquelle les rayons du soleil se jouent à passer au travers des arbres, une forêt qui évoque les profondes forêts magiques de contes dans lesquelles les hommes sont absents. Les images sont particulièrement complexes, les animaux bien cachés, parmi lesquels, à chaque page, se trouve un intrus à découvrir aussi.

Un cherche et trouve astucieux, aux illustrations pleines de charme.

La Guerre ce n’est  pas pour moi !

La Guerre ce n’est  pas pour moi !
Eric Battut
Rue du monde 2021

La paix est un oiseau si fragile

Par Michel Driol

A douze ans, un jeune africain, Baki n’a connu qu’un pays de ravagé par une guerre civile. Le jour de son anniversaire, il est enrôlé de force par des soldats. Après un entrainement, il participe à un combat qui se solde par une défaite, sans tirer un seul coup de feu. Il parvient à s’enfuir, rejoint une colonne de réfugiés, est hébergé dans un camp de l’ONU où il apprend à lire et à compter. A 25 ans, devenu maitre d’école dans son école, il tremble toujours pour ses élèves lorsqu’il entend des bruits de moteur.

Baki-le-roi-du ballon, Baki-l’enfant-soldat, Baki-l’enfant-qui-court-plus-vite-qu’une-balle, Baki-le-maitre-d’école, à travers ces quatre dénominations se lit la question de l’identité personnelle et sociale de Baki le narrateur. Celui-ci est une victime qui s’interroge sans cesse et qui assiste, impuissant, aux évènements : l’entrainement, la longue marche, l’arme plus lourde que lui, le combat, l’attaque de l’aviation, avant de pouvoir s’enfuir, décidant que la guerre, ce n’est pas pour lui. Le récit relate des faits, avec une certaine froideur et objectivité. Jamais Baki n’évoque sa peur, ses propres sentiments, comme s’il lui était interdit d’en avoir, laissant du coup le lecteur libre d’éprouver ses propres émotions devant cet enfant-soldat. Devenu adulte, c’est là qu’il évoque, avec altruisme, ses propres sentiments de crainte pour ses propres élèves. Les illustrations sont extrêmement expressives, reprenant la plupart des codes utilisés par les enfants pour évoquer la guerre, les conflits, les explosions et les bombes. Le tout dans des couleurs elles-mêmes explosives, l’orange et le rouge, façon de dire la tension, bien loin des pages de garde bleues et du vêtement, immanquablement bleu, de Baki, véritable héros symbole de paix, qui a préféré le savoir aux armes.

Un album positif, à la fin heureuse, qui est un vrai plaidoyer pour la paix. Un livre malheureusement actuel et indispensable.

Joséphine

Joséphine
Patricia Hruby Powell Illustrations de Christian Robinson
Rue du monde 2021

Des taudis de Saint Louis au Panthéon

Par Michel Driol

A l’occasion de l’entrée de Joséphine Baker au Panthéon, Rue du Monde réédite Joséphine, déjà publié en 2015, en l’enrichissant d’un dossier documentaire réuni par Alain Serres. L’album se veut une biographie de Joséphine, structurée chronologiquement, mettant l’accent sur son parcours singulier et en l’expliquant autant par son talent, ses qualités, son dynamisme que par sa sensibilité aux injustices et aux discriminations qu’elle a vécues aux Etats Unis. Ce qui frappe avant tout, c’est l’audace et la liberté de l’artiste, mais aussi de la femme engagée, pleine d’énergie et de détermination pour vivre pleinement sa vie, ses rêves et sa passion pour la danse.

Tant par le texte que par les illustrations, l’album rend bien compte de la ségrégation raciale aux Etats Unis : violences, espaces réservés, racisme et de la façon dont l’accueil en France montre une autre société possible. Si l’album, destiné aux enfants, accorde une grande importance aux années de jeunesse, puis à la Tribu arc-en-ciel, il ne passe pas sous silence les combats de la femme : combats pour être reconnue comme artiste contre les détracteurs, combats pour l’émancipation des femmes et des noirs, combats engagés au sein de la Résistance. Le portrait de Joséphine ainsi fait est à la fois fidèle et exemplaire : non pas une success story, puisque le récit est fait de succès et d’échecs, mais une histoire où se révèle la force d’une femme pour briser les tabous, rester fidèle à ses passions et à ses idéaux (voir, par exemple, son engagement pour la France lors de la guerre de 39-45). Les illustrations sont pleines de vie, et, par leur technique, nous plongent, de façon appropriée, dans les années 60.

Un album réussi, dont la réédition s’imposait, pour dire aux jeunes générations la force du courage et des convictions humanistes pour contribuer à changer quelque peu le monde et le regard que l’on peut avoir sur les autres et la société.