La Perle

La Perle
Anne-Margot Ramstein & Matthias Arégui
La Partie 2021

Tribulations…

Par Michel Driol

Un enfant pêche une perle au fond de l’océan, et en fait une bague de fortune qu’il offre à son amoureuse. Mais une pie vole la perle puis c’est un chat qui la trouve dans son nid au sommet du mat d’un voilier. La perle va se retrouver vendue à un bijoutier, élément central du diadème d’une reine, volée, naviguant dans les égouts,  au milieu d’un barrage de castors…avant de retourner dans un flacon de sirop d’érable chez le pécheur initial qui reconstitue la bague de fortune.

Cette perle, objet inanimé, connait bien des aventures et un destin fabuleux dans ce récit en randonnée composé uniquement d’images. Pas besoin de texte pour raconter cette odyssée qui, comme celle d’Ulysse, se termine par un retour au pays d’où elle est partie. Les illustrations se veulent particulièrement réalistes, plaçant, le plus souvent, la perle au centre de la page. Elle font voyager le lecteur comme la perle : pays des mers du sud, cabine de voilier, intérieur d’une bijouterie… Scènes de jour, scènes de nuit alternent au gré des péripéties. Palais royal, cabane, maison, décharge, usine : les décors dessinent aussi une géographie mondialisée,  un regard sur notre civilisation. Si le rythme de du récit est enlevé, la fin de l’histoire,  les cheveux blancs, les rides du personnage initial montrent que le temps a passé, celui d’une vie.

Ce récit montre que, sans un seul mot, on peut aborder de nombreuses questions philosophiques. Celle du destin d’abord et du libre arbitre. La perle, objet inanimé, est le jouet des circonstances, passe de main en mains, jusqu’à revenir à son point de départ. Heureux qui, comme Ulysse…  Le hasard décide de son destin, dans une boucle qui, à l’instar de la roue de la fortune, la conduit vers les sommets avant de la faire retomber dans les ordures. Question du temps aussi, et de la fidélité à l’enfance, aux sentiments amoureux éprouvés alors. Les images parallèles du début et de la fin montrent cette permanence des relations au-delà du changement des corps.

Les illustrations, pleines de délicatesse sont bien à l’image des sentiments et de la vie qui y est représentée. Pas de froideur dans cet album dont l’héroïne est pourtant un objet, car on croise des personnages (adultes, enfants) de toutes les classes sociales, des animaux (sauvages, domestiques…) : bref, un véritable microcosme de notre monde.

Mon Petit Père Noël

Mon Petit Père Noël
Gabrielle Vincent
Grasset jeunesse, 2024

Bon anniversaire Père Noël !

Par Anne-Marie Mercier

Gabrielle Vincent n’est plus, mais comme le Père Noël elle semble inoxydable. La nouvelle édition de l’une de ses œuvres offre aux enfants d’aujourd’hui un album qui n’a pas pris une ride. Publié par Grasset en novembre 1994, il y a donc tout juste trente ans, avec une couverture légèrement différente, il apparait aujourd’hui comme un beau livre de collection (ou de prix comme autrefois), comme Perce-Neige de Solotareff (voir chronique précédente) avec un dos toilé rouge estampé, comme la couverture, de lettres dorées.
Un 24 décembre, dans l’après midi, alors qu’il fait encore grand jour, un père Noël atterrit en parachute devant les yeux ébahis d’une petite fille, Magali. Le sol est couvert de neige, les arbres dénudés. A Magali qui demande s’il est bien le vrai Père Noël, il répond que non, puisqu’il n’a rien : « pas un jouet, pas un bonbon, pas un cadeau. Je n’ai rien ».
Magali court vers sa maison et revient avec sa poupée préférée, qu’elle lui offre. Le Père Noël repart, enlevé par son parachute vers les airs, la poupée dans ses bras, en promettant de revenir le même jour, à la même heure, au même endroit. Tout est dans le rituel et Magali a acquis un merveilleux cadeau, la promesse d’une rencontre tous les ans, à Noël avec celui qu’elle appelle « mon petit Père Noël ».
Les dessins sont merveilleux de délicatesse, les personnages sont très expressifs, la poupée également, et le décor hivernal est esquissé à la perfection. Enfin, cette histoire de Père Noël avec « rien » fait un contraste heureux avec cette période de trop de tout. Un lien, la promesse d’une attente comblée et c’est tout. Merveilleux, non ?
Mais en réalité, ce n’est pas tout : il reste un très joli livre à ouvrir tous les 24 décembre.

 

 

 

Un anniversaire sous la neige

Un anniversaire sous la neige
Chiaki Okada – Kirin Hayashi
Seuil Jeunesse 2024

Un merveilleux gâteau !

Par Michel Driol

Pour l’anniversaire de Michi, qui est né un jour de neige, sa maman lui a acheté un magnifique gâteau, sur lequel  des figurines d’ours et d’écureuil sont à la lisière d’une forêt en meringues. Tandis que sa maman est partie chercher sa grand-mère à la gare, l’ours et l’écureuil s’animent pour entrainer le jeune garçon sur le gâteau, au cœur d’une cabane où les animaux fêtent l’anniversaire de l’ours…

La fête d’anniversaire, le gâteau : voilà un rituel attendu par tant d’enfants qui ne désirent qu’être célébrés en ce jour qui, symboliquement, montre qu’ils ont grandi. Cet album célèbre ce rituel de passage avec poésie et douceur. Douceur des illustrations d’abord, toutes en demi teinte, dans un gris bleuté qui enveloppe tout tandis que des flocons blancs tombent et que des bougies éclairent d’une lumière chaude les visages. Des illustrations pleines de délicatesse qui accompagnent un texte plein de douceur. En reprenant le motif fantastique ou merveilleux des figurines, des jouets qui s’animent et entrainent un enfant dans un univers féérique, l’histoire nous conduit dans un monde où s’estompent les frontières entre le réel et l’imaginaire, sur un gâteau posé symboliquement sur le rebord de la fenêtre, entre le dedans et le dehors, entre la neige réelle et le sucre glace, un lieu de passage qui permet que tout se confonde.

C’est une histoire très japonaise, par les prénoms, par la représentation des visages, mais c’est aussi une histoire universelle qui aborde le grand thème de l’amour, de l’amitié et du partage. Amour que l’on ressent entre tous les membres de la famille, ces trois générations réunies autour du plus jeune. Amitié entre tous les animaux de la forêt réunis pour fêter l’anniversaire d’ours – renvoyant peut-être Michi à sa solitude, lui qui va fêter son anniversaire avec seulement sa maman et sa grand-mère – , partage des jeux et des rires entre humains et animaux dans un univers utopique et magique.

L’album célèbre ce pour particulier avec sensibilité et tendresse, mais aussi en invitant chacun à laisser son imagination lui proposer d’autres mondes possibles, d’autres univers, faits de fraternité, de joie et de plaisirs partagés. Un album pour dire à quel point ce jour est merveilleux !

La Maison des Affreux

La Maison des Affreux
Meritxell Martí- Xavier Salomó
Seuil Jeunesse 2024

Chacun cherche son toit

Par Michel Driol

Réunis à la Taverne L’Egout de vivre, les Affreux (la sorcière, le pirate, la momie, le diable, le vampire…) se plaignent de leurs logements, de leurs voisins… Fort heureusement, Bibi de Larnaque, de l’agence Immo Laid, se fait forte de trouver la maison idéale pour chacun d’eux. Et, de double page en double page, nous découvrons ces maisons de rêve, extérieur d’abord, puis, en soulevant le flap, l’intérieur. Hélas, pas un banquier ne les suit dans leur projet immobilier. Mais la sorcière a la solution : l’enfant ne pourrait-il pas les héberger ? On s’en doute, il accepte avec ravissement, à la condition que ses parents n’en sachent rien !

Faisant suite au Festin  et au Cadeau des Affreux, ce troisième opus en reprend les mêmes personnages, les mêmes principes (des flaps à soulever) et la même chute dans laquelle l’enfant intervient. Sauf que cette fois-ci, ce sont les Affreux qui ont besoin de lui, et non pas lui qui leur joue des tours ou se singularise. Après tout, en trois albums, ils ont appris à se connaitre et à sympathiser ! Cet opus fait preuve de la même force comique que les précédents, et on se plait à observer les multiples aménagements intérieurs destinés à faciliter la vie des occupants, de l’observatoire chez la sorcière – pour vérifier si le ciel est dégagé avant de prendre son balai – aux poufs en cactus pour les visiteurs de la momie.  Le texte, avec malice, commente ce que l’on voit, à la façon d’un agent immobilier vantant les atouts des maisons. Les jeux de mots y sont autant de clins d’yeux à notre monde. C’est plein d’imagination, de fantaisie, et renvoie à une intertextualité discrète : le fantôme de l’Opéra, Hansel et Gretel . Le final est grandiose, qui montre les monstres bien cachés, mais quelque peu bruyants, dans la maison de l’enfant, tout joyeux d’abriter ses amis dont il n’a, visiblement, pas peur !

Un album inventif dont toutes les pages recèlent bien des trésors d’imagination pour jouer à se faire peur !

Le Sourire de Suzy

Le Sourire de Suzy
Anne Crahay
CotCotCot Éditions, 2024

Sourires sur commande

Par Anne-Marie Mercier

Que se passe-t-il quand on a perdu le sourire ? où est-il parti ?
C’est ce qui est arrivé à Suzy. Alors ses parents l’ont cherché, se sont disputés… Pour faire cesser cela, Suzy s’est fabriqué des sourires de circonstance, et ça a marché, jusqu’au prochain orage.
La fable est claire. La morale aussi : l’orage fait s’envoler tous les remparts de l’enfant, la fait pleurer et parler, et après ça va mieux : elle a pu dire ce qu’elle avait sur le cœur et eux ont pu lui dire qu’ils l’aimaient, triste ou gaie.
Tout cela serait assez convenu s’il n’y avait les illustrations, saisissantes. La technique des papiers collés, les teintes pâles, les hachures mettent en valeur les rares traces de couleurs vives. La pauvre Suszy semble faite de bric et de broc et son monde est bien fragile, appelant la bourrasque. Par contraste, les montages de photos de bouches de sourires, de dents et d’yeux apparaissent comme bien réels et menaçants. C’est beau, émouvant, mystérieux, fort et léger comme un sourire.

Au travail !

Au travail !
Christian Voltz
Rouergue 2024

Quand Chat Gépété revisite la Genèse…

Par Michel Driol

En panne d’inspiration, l’auteur fait appel  à Chap Gépété, l’Intelligence artificielle qui vit dans son ordinateur, laquelle lui apparait aussitôt, éclair à la main, figure toute puissance d’un démiurge…. aux oreilles de chat. Et tout commence comme un récit bien connu (des adultes, tout au moins !). Il y eut un soir et il y eut un matin.  Arrivent alors, épars, des objets de récupération  que Chat Gépété a un peu de mal à assembler pour former un personnage féminin… lequel souhaite avoir un compagnon auquel manque d’abord un élément essentiel !  Adam et Nicole. Survient alors ce que l’on prend d’abord pour un serpent, mais quand le plan s’élargit on voit qu’il s’agit de la queue d’un drôle d’animal, qui les tente avec de succulentes pommes…. alors que dans l’arbre on voit une carotte, des navets, et un champignon, tandis qu’un poisson haut perché fait cui-cui… Quand l’auteur conteste la valeur du travail de Chat Gépété, celui-ci conclut en disant que c’est dimanche, et qu’il se repose !

Voilà un album plein d’humour, dans lequel on retrouve l’originalité du travail de Christian Voltz. pour déconstruire la toute-puissance prêtée à l’Intelligence artificielle. Pourrait-elle un jour remplacer les scénaristes et les auteurs d’album ? Pas encore, suggère un Christian Voltz au mieux de sa forme qui monte l’incapacité de le l’I.A. de proposer un récit original – ici, elle recycle le plus récit du monde – et le recycle mal : Eve devient Nicole… la pomme une carotte, et la création des personnages s’avère laborieuse ! Le récit proposé par Chat Gépété est imparfait, la création s’avère être un long cafouillage avant que tout ne trouve place. A l’humour de ce récit en chantier plus qu’enchanté s’ajoute le traitement très malin du vrai auteur, dans sa façon d’utiliser le lexique (chat GPT devient le chat Gépété), dans sa façon de construire et déconstruire, avec des éléments d’objets recyclés, une parodie de création du monde, dans la gestion graphique des voix des personnages : gros caractères pixellisés pour chat Gépété, petits caractères pixellisés pour les personnages en cours de fabrication, et police « normale » pour l’auteur et les personnages achevés. La taille des caractères dit déjà les rapports de force qu’on imagine ! Humour aussi dans la façon qu’a l’auteur de se représenter, suant et soufflant en quête de l’inspiration devant son ordinateur ! On apprécie aussi les libertés que prend l’auteur par rapport à la Bible : C’est Eve la première créée. L’auteur a le souci du détail : le sexe des personnages est bien là, même si, pendant un temps, il fait défaut à Adam, sexe suggéré plus qu’exhibé !

Il faut aussi confronter les pages de garde de l’album. D’abord, une photos de pièces, boulons, pinces, d’où s’échappent quelques éléments, suggérant une dynamique de la gauche vers la droite, du chaos vers la sélection… Mais, à la fin, juste l’opposition entre la voix artificielle, je me repose, c’est dimanche, et la figure excédée de l’auteur, articulant juste un Ah ben merci…  ayant, mine de rien, le dernier mot…

Faire de l’intelligence artificielle un pâle imitateur assez maladroit des récits crées par l’homme remet à sa juste place cet outil auquel l’auteur prête, par ailleurs, quelques défauts bien humains : la vanité, la paresse, la maladresse, l’abattement. Bref, il y a encore du travail pour les vrais auteurs !

Le Gout du cresson

Le Gout du cresson
Andrea Wang & Jason Chin
HongFei 2024

Du pouvoir de la mémoire

Par Michel Driol

Les parents de la narratrice, sino-américaine, arrêtent soudain la voiture pour que toute la famille aille cueillir du cresson au bord de la route. Si son frère s’en amuse, elle est dégoutée, et refuse de manger le plat de cresson que sa mère a préparé le soir. Celle-ci montre alors une photo de son enfance, en Chine, durant la grande famine. La fillette découvre alors tout un pan douloureux de son histoire familiale.

Ouvrage pour une grande part autobiographique, cet album aborde avec douceur et sensibilité des thèmes complexes liés à l’immigration et à la pauvreté. C’est d’abord la honte ressentie par la fillette, honte d’avoir à se rabaisser à ramasser des plantes pour manger au lieu d’aller les acheter au magasin. Honte de sa famille, pauvre à ce que l’on devine, et vivant comme un traumatisme cet épisode de ramassage du cresson, au milieu des escargots, dans l’eau glacée. Le texte souligne ces sentiments sans aucune complaisance, montrant la souffrance de la fillette face à cette épreuve.  C’est ensuite la honte d’avoir eu honte, lorsqu’elle comprend à quel point, durant la grande famine (Chine, années 59 à 61), le cresson a sauvé la vie de sa mère, mais pas de son oncle. Que savent les enfants d’immigrés des souffrances vécues par leurs parents ? Que savent-ils de la vie d’avant qu’ont connue leurs parents ? L’ouvrage plaide pour que les souvenirs soient révélés, que les secrets de famille n’en soient plus. Façon de réconcilier tout le monde autour d’une histoire douloureuse, mais commune, qui fera apprécier le gout du cresson et faire de  cette journée un nouveau souvenir à raconter. L’album parle donc de l’exclusion, du sentiment de se sentir différent, mais aussi de la perte des repères, du pays natal, et de la culpabilité diffuse qu’éprouvent finalement tous les membres de la famille.

Cette histoire fine et émouvante est racontée avec une grande simplicité de moyens et une volonté de réalisme dans le texte et les illustrations, qui s’inscrivent magnifiquement dans le format large à l’italienne, avec un montage très cinématographique alternant les plans d’ensemble et les gros plans. On est en Ohio, à bord d’une vieille Pontiac rouge, dans des couleurs fanées, passées, estompées comme le souvenir. La nostalgie de la Chine est traitée par quelques images en sépia, dans des teintes encore plus sombres et délavées, comme la photographie de la famille. Tout ce dispositif permet de pénétrer au plus proche de l’intimité d’une fillette et de sa famille. C’est à la fois universel et ancré dans des faits historiques et des souvenirs de l’autrice.

Un album lumineux qui dit les ressentis d’une fillette immigrée, se sentant différente, et qui parle de la nécessité de transmettre une histoire familiale, fût-elle tragique, pour se sentir mieux, mieux vivre ensemble et se comprendre.

Le Jour du papillon blanc

Le Jour du papillon blanc
Françoise Johnen – Elodie Flavenot
La cabane bleue 2024

Quand il faut tout quitter…

Par Michel Driol

Par un jour de pluie, Esther demande à Virgile de regarder les photos de sa petite enfance. Alors que Virgile voudrait bien trier les objets cassés, les vêtements trop petits, Esther veut tout garder. Lorsque le rivière sort de son lit, ils doivent quitter leur maison avec peu de bagages. Et les voilà descendant en barque la rivière, échangeant leurs souvenirs, jusqu’au terme de leur voyage.

Avec beaucoup de poésie, voilà un album qui aborde des sujets graves, comme les dérèglements climatiques et l’émigration liée aux bouleversements écologiques autour de deux personnages. Quelles sont leurs relations familiales ? L’album ne le dit pas, laissant chaque lecteur projeter sur eux une relation fraternelle, filiale ou autre… Ce qui compte ce sont leurs différences (d’âge, de maturité, de comportement …). Autant l’une est attachée à tout conserver, autant l’autre souhaite que les objets circulent, puissent être réemployés. Autant l’une est insouciante, autant l’autre est plus mûr, plus conscient du danger que la pluie leur fait courir. L’une est protégée, l’autre est protecteur, voilà l’essentiel, dit la construction du récit et des personnages. La seconde partie de l’album est consacrée au périple des deux personnages sur leur barque, dans des univers que le texte signale comme étant de plus en plus gigantesques : rivière – fleuve – mer – océan. Au milieu de cet univers, ils ne sont rien, perdus.  Mais ces émigrés qui ont tout perdu n’ont pas perdu leurs souvenirs, que le texte et l’image matérialisent d’une façon très poétique. Souvenirs qu’on peut jeter par-dessus bord, qu’on peut inventer, qu’on peut ranger dans la boite à cookies…  Souvenirs représentés sur l’image comme des petites enluminures dorées capables d’envahir l’espace, façon d’en montrer, graphiquement, la valeur, comme lien avec le passé. Ainsi l’album sort d’un certain réalisme brutal et violent, celui de l’arrachement à un espace familier, pour entrer dans un imaginaire réconfortant, imaginaire lié à la parole qui ranime le passé, voire le réinvente. Les illustrations inscrivent l’histoire dans deux types d’espaces : à la fois l’espace d’un intérieur de chambre dans lequel tout enfant occidental se reconnaitra et un extérieur fait de maisons sur pilotis plus polynésien.  Quant à la dernière illustration, elle intègre avec bonheur des éléments de provenance diverse ; des lamas, des cerisiers en fleur, une cabane bien perchée sur un arbre, et une rivière bien sage. Image d’un paradis terrestre retrouvé, d’une nouvelle vie pour Esther, symbolisée par ce papillon blanc qui était là le jour de sa naissance.

Edité par la Cabane bleue, un éditeur qui s’efforce, par ses pratiques, de protéger la Terre, Le Jour du papillon blanc est un conte écologique qui nous conduit à réfléchir sur ce qui a vraiment de la valeur pour nous, tout en nous sensibilisant aux problèmes des réfugiés climatiques, de la montée des eaux – problème que l’actualité récente en Espagne ou en France a mis en lumière.

Sauve qui peut !

Sauve qui peut !
Texte et illustrations Annabelle Buxton – Animations Olivier Charbonnel
La Martinière Jeunesse 2024

La mort aux trousses !

Par Michel Driol

Tout commence par le grand lapin racontant à des lapereaux la fois où il est allé chercher du persil tubéreux. Pour cela, il a dû traverser la sinistre Forêt des Murmures, affronter une immense plante carnivore, zigzaguer entre les morts vivants du Marécage des Revenants, éviter d’être le plat principal d’un banquet , et rentrer chez lui bredouille ! C’est alors, à ce point du récit, qu’on frappe à la porte… dernier pop-up à ouvrir !

Voilà un album qui, à travers la formule rituelle sur chaque page, Etes-vous sûrs de vouloir entendre la suite ? propose aux enfants de jouer avec leurs peurs, en toute sécurité. Ce sont tous les archétypes des histoires d’horreur qui sont convoquées, animalisées à hauteur de lapin. Des chauves-souris vampires et des arbres mangeurs (de lapins !), des zombies, des animaux à double visage réunis pour un repas  inquiétant. Les décors revisitent aussi les lieux effrayants de l’imaginaire enfantin : la sombre forêt, le marécage gluant, la grotte. Des animaux menaçants – crapauds, crocodiles, araignées sont là, à chaque page.  Les couleurs, noir, bleu nuit, caca d’oie contribuent à créer cette ambiance de terreur. Les animations font jaillir une immense plante carnivore,  font surgir des lapins zombie ou la bouche menaçante d’un arbre. Tout cela pour le plus grand plaisir de l’enfant, bien en sécurité car tout cela arrive à un lapin en quête d’une plante – le persil tubéreux – dont il n’a jamais vraisemblablement  entendu parler ! Le récit, à la première personne – se contente de sobrement raconter les mésaventures du héros, sans effet de style particulier, laissant toute l’attention disponible pour se plonger dans les illustrations et l’odyssée de ce jeune lapin, tombant de Charybde en Scylla dans un univers de cauchemar.

Un album d’épouvante pour rire, qui plonge le lecteur dans un univers animé, effrayant, plein de fantaisie,  à travers un récit de quête où se mêlent tous les dangers, avec la distance suffisante pour qu’on joue à se faire peur !

Un automne avec M. Henri

Un automne avec M. Henri
Fanny Ducassé
Seuil Jeunesse 2024

L’autre saison des amours

Par Michel Driol

Monsieur Henri est un blaireau qui adore l’automne. Mais lorsqu’il reçoit la lettre anonyme d’une inconnue lui déclarant sa flamme, lui, le solitaire, s’en trouve bien intrigué. Il ne change rien à ses habitudes : vêtements choisis, promenades en forêt, recettes gourmandes… Il reçoit la visite de son amie Mouflette, l’exact contraire de lui : intrépide, toujours nue… Une nouvelle lettre l’informe qu’il saura, lors de la fête de l’automne, qui est son amoureuse. Il la reconnaitra à une odeur particulière…Mais n’en disons pas plus !

Qu’il est doux et réconfortant l’automne de M. Henri ! D’abord par ce personnage de blaireau, animal peu représenté dans les albums jeunesse comme personnage positif : un grand sentimental, qui aime se promener longtemps en forêt, se vêtir avec soin et élégance, et se cuisiner de bons petits plats avec des ingrédients de saison (dont l’autrice donne les recettes, faciles à réaliser !).  Le texte suit le point de vue du personnage, fait pénétrer dans ses pensées, ses sentiments, ses émotions, avec parfois une petite pointe d’humour et de poésie, lui donnant réellement corps. Ensuite par les illustrations qui sont des véritables tableaux aux innombrables détails qui montrent de magnifiques forêts aux teintes ocre, ou un intérieur confortable auprès d’un poêle où brule un bon feu. Enfin par l’histoire d’amour improbable, avec ses lettres mystérieuses et sensibles, ses jeux de séduction passant par la cuisine, et les questions que se pose M. Henri : est-il vraiment l’individu idéal décrit par les lettres ?

Un album qui sait évoquer les petits bonheurs simples et réconfortants de l’automne, la flamboyance des couleurs de la forêt, et le tendre espoir d’un futur à deux. Un album épicurien et tendre qui sait allier les plaisirs des yeux, du cœur, et des papilles.