Mémégaphone

Mémégaphone
Gaëlle Mazars
Thierry Magnier –Petite poche – 2022

Quand Mamie vous emmène manifester

Par Michel Driol

Ferdinand voudrait plutôt qu’on l’oublie, et, quand sa grand-mère qui ne passe pas inaperçue vient le chercher à l’école dans une vieille voiture orange, c’est la honte. Pourtant, ce jour-là, la grand-mère l’emmène à sa première manif pour le climat… Il découvre sa grand-mère sous un autre angle, et, de plus, a une belle idée pour ne plus se faire maltraiter à la récré !

Traité avec humour, avec une écriture alerte, ce petit livre pose et oppose une grand-mère haute en couleurs, qui défend depuis sa tendre enfance les droits et les libertés, et son petit-fils, personnage attachant, à la limite victime de harcèlement scolaire, petit, timide et porteur de lunettes… Le narrateur est l’enfant, qui décrit sa première manif et s’étonne qu’à la télévision, on en parle si peu.

Un roman court, destiné à de jeunes lecteurs débutants, qui n’hésite pas à aborder des thèmes sociétaux et la liberté de manifester.

Sous-sol

Sous-sol
Martine Pouchain
Sarbacane, coll. Exprim 202,

L’horreur d’un confinement en famille

 Maryse Vuillermet

Une famille composée de la mère, du père et de deux filles se retrouvent confinée au sous-sol de sa maison à la suite d’une catastrophe planétaire. Leslie, la narratrice, est la cadette, elle observe et raconte.
Leur père, pieux et très autoritaire, est le seul à sortir pour cultiver les légumes dans une serre mais il sort masqué et armé car les animaux redevenus sauvages sont dangereux.  Il leur décrit le monde d’Avant et leur rappelle constamment que, quand ils sortiront, ils seront les Elus, les rescapés, ceux qui ont réussi à survivre.
Leur vie est bien organisée car le père avait tout prévu même avant la catastrophe mais elle est horriblement ennuyeuse. Et  la tension entre les différents membres de la famille devient palpable, surtout entre la mère et le père et entre l’ainée, Amy et le père. Et un jour, la tension devient violence.
Cette histoire est très angoissante car elle est réaliste, elle sait remuer nos angoisses de catastrophe nucléaire, elle rappelle notre expérience de confinement et elle flirte avec le survivalisme actuel.
Un récit passionnant et très angoissant, des indices qui font monter savamment l’horreur et le doute, et dont on ne sort pas tout à fait indemne.

Le Palais de Paul

Le Palais de Paul
Benjamin Muller – Mathieu Sapin
Castor Romans 2022

Fils de …

Par Michel Driol

Paul a 7 ans. Il est en CE1. Mais son papa n’exerce pas n’importe qu’elle fonction : il est président de la République française ! Paul se raconte. D’abord la soirée de l’élection, où tantes et cousins étaient là. Ensuite l’emménagement dans l’immense palais de L’Elysée. Puis sa relation privilégiée avec le chef cuisinier, son coup de cœur pour Maribel, la fille de la présidente espagnole, les gardes du corps qui le conduisent à l’école…

Comme tous les enfants de son âge, Paul aimerait bien jouer, il fait quelques bêtises, se perd dans un palais trop grand, s’étonne de ce qu’on appelle sa maman la première dame… On lui dit qu’il doit être raisonnable, mais il a surtout envie de s’amuser et de vivre sa vie au milieu du protocole qui régit le palais. Avec humour, en quelques scènes animées, ce petit roman évoque les lieux, la salle des fêtes, le bureau présidentiel – un vrai musée – les personnes, comme les gardes républicains, les événements comme les visites d’autres chefs d’état, et la vie de famille, qui continue malgré tout ! C’est, pour le jeune lecteur, l’occasion de se familiariser avec ce siège républicain du pouvoir exécutif, vu à hauteur d’un enfant qui ne souhaite rien d’autre qu’être semblable aux autres, dans l’école qu’il fréquente ! Le texte est enlevé, enjoué, vivant et vulgarise certaines notions sans aucun didactisme. Les illustrations de Mathieu Sapin, colorées et expressives, donnent un visage aux personnages sans chercher à représenter de façon réaliste les lieux.

En cette période d’élections présidentielles, un petit roman enjoué pour  évoquer certains aspects de la fonction du Président de la République avec les enfants.

 

 

Pas chez nous !

Pas chez nous !
Yaël Hassan
Le Muscadier – Collection Rester vivant – 2022

Bienvenue à B* ?

Par Michel Driol

La préfecture décide d’ouvrir  à B*, bourgade du Var, un foyer pour accueillir une quinzaine de migrants, au grand dam de son maire, d’extrême droite. Plutôt que de résumer le roman, afin de laisser à chaque lectrice et lecteur le plaisir de suivre l’intrigue, on va en donner la liste des principaux personnages. D’abord l’héroïne, Amélie, fille du maire, qui rêve de liberté, et est tombée amoureuse d’Anton, un néofasciste violent. Sa principale amie, Clara, bien différente d’elle, fille du directeur du journal, élève sérieuse et ouverte, qui rêve de devenir journaliste. Issam, un jeune migrant dont toute la famille a péri en Syrie. Et, du côté des adultes, le père et la mère qu’Amélie, que tout oppose (l’un d’extrême droite, hostile aux migrants, l’autre de gauche, favorable), Crystel qui a monté une association pour le vivre ensemble, et la grand-mère d’Amélie, ancienne institutrice fortement opposée aux idées de son fils.

Ecrit en suivant au plus près le point de vue d’Amélie, le roman ne se refuse pas à une certaine polyphonie, en prenant en compte différents regards sur l’accueil des migrants et demandeurs d’asile, mettant en particulier en évidence, au-delà du refus idéologique de l’extrême droite, cette peur de l’inconnu qui disparait lorsque l’inconnu devient connu. Le roman s’inscrit dans un espace géographique bien délimité, le Var, pour une intrigue pleine – hélas- de réalisme, dans une petite communauté où tout le monde se connait. Dans ce quasi huis-clos en plein air, il montre surtout que les certitudes peuvent vaciller, et que tout le monde peut évoluer dans le bon sens, et prendre conscience, à son rythme, des dangers que représente l’extrême droite, dangers que le roman expose sans fard : tags sur les murs, certes, mais surtout haine des juifs et des étrangers, violence sans limite et incontrôlable. Les deux adolescentes, Amélie et Clara, sortent grandies et transformées des événements qu’elles traversent. A un certain moment, il faut savoir dire non, ce que font, petit à petit, tous les personnages que Yaël Hassan traite avec empathie – à l’exception des néonazis. Avec une mention spéciale pour le personnage du père d’Amélie, véritable caricature du politicien récupérant tout à son avantage, sans grande conviction au fond. Malgré son côté sombre, c’est un roman optimiste, dont l’auteur indique que le déroulement et le dénouement lui ont été inspirés par la réalité.

Un roman qui résonne avec l’actualité récente, comme de nombreux autres ouvrages de littérature jeunesse qui n’hésitent pas à s’engager au nom des valeurs d’hospitalité et d’ouverture aux autres, comme ces auteurs à laquelle la bibliothécaire jeunesse que rencontre Amélie rend hommage, comme un clin d’œil adressée par Yaël Hassan à celles et à ceux qui, comme elle, croient que la littérature pour la jeunesse peut ouvrir les yeux sur le monde contemporain et faire changer les représentations et préjugés.

Les rois mages

Les rois mages
Kochka
Thierry Magnier –Petite poche – 2022

Quand il faut raconter sa naissance

Par Michel Driol

Raconter le début de sa vie. Tel est le devoir que Melchior doit rendre le lendemain. Comment raconter cette histoire personnelle et intime quand on est enfant trouvé dans une boite où les mères abandonnent leurs bébés dans le mur d’un hôpital allemand ? Heureusement passait par là Gaspar, qui se décide de l’adopter. Est-ce une histoire triste ou une histoire merveilleuse ?

Avec beaucoup de pudeur et de tendresse, Kochka raconte cette histoire inhabituelle, celle d’une famille qui réunit un père adoptif, brisé par l’accident qu’il a causé au cours duquel une jeune fille est morte, et un enfant, qui redonne sens à sa vie. C’est donc une ode à la vie, qui se termine par les remerciements de Melchior à sa mère biologique et à son père adoptif, une façon de ne pas désespérer dans un monde pourtant bien sombre.

Un roman court, destiné à de jeunes lecteurs débutants, qui aborde la question de la vie et de la mort, qui pose la question de ce qu’est une famille et du rôle des enfants comme moteurs de vie.

Soutif

Soutif
Susie Morgenstern – Illustrations de Catel Muller
Gallimard Jeunesse 2021

Puberté, amitié, liberté

Par Michel Driol

Lorsque la poitrine de Pauline, qui a 13 ans, se met à grossir, elle se voit contrainte d’aller s’acheter un soutien-gorge. Toute seule et bien embarrassée. Toute à sa gêne et à  confusion d’avoir à choisir des vêtements si intimes, elle les met dans son sac. C’est son premier vol. Le vigile l’accuse. Finalement, elle s’en tire avec l’obligation d’aider Pénélope, la nièce de ce dernier, pendant quelques semaines. Pénélope est une punkette bien différente de Pauline, mais, entre les deux, une surprenante rencontre a lieu, faite de découverte de l’autre. Et c’est le début d’une merveilleuse amitié !

On retrouve dans ce court roman tout ce qui fait le charme et l’originalité de l’écriture de Susie Morgenstern : une façon de parler des problèmes et des préoccupations des ados, la vie familiale, l’école, la puberté, la découverte de l’amour, sans complexe, mais avec un ton plein enjoué d’humour et de fantaisie.  Pauline, la narratrice, est embarrassée au moment de passer à l’âge adulte, livrée quelque peu à elle-même dans une famille aisée où les deux parents sont avocats. Elle livre ses petits secrets et ses préoccupations dans une langue pleine de vivacité. Elle va se retrouver confrontée à l’altérité, face à Pénélope et à sa mère, et saura leur redonner le gout de vivre (et là on retrouve l’incorrigible optimisme de l’autrice, qui fait qu’on l’apprécie !). C’est par là que le roman échappe à la dimension purement individuelle et psychologique, pour mettre l’accent sur les différences sociales qui font que chacun risque d’être enfermé dans une catégorie, mais qu’il n’est pas de déterminisme si l’on rencontre les bons soutiens. L’important est d’accepter l’autre dans ses différences, et, de fait, de se transformer autant qu’il se transforme. Pas de moralisme donc, mais une envie de vivre et de gouter à la vie dans ce qu’elle a de meilleur. Le roman est illustré par Carel Muller avec des petites scènes de genre en noir et blanc dans lesquelles les personnages sourient le plus souvent, façon de montrer que le bonheur est à portée de main.

Un roman plein de dynamisme, une héroïne du quotidien, et une belle et improbable histoire d’amitié. Avec, en prime, une histoire du sous-vêtement féminin, depuis l’antiquité !

Souviens-toi de Septembre

Souviens-toi de Septembre
Marie-Aude et Lorris Murail
L’école des loisirs (Médium +), 2021

« oui , vraiment, demain est incertain »

Par Anne-Marie Mercier

Le duo Marie-Aude et Lorris, de la fratrie Murail, avait déjà publié un volume de cette série consacrée au couple de complices que sont la très jeune Angie (12 ans) et Augustin Maupetit, la trentaine, capitaine à la brigade des stupéfiants du Havre. Ce tandem déséquilibré peut rappeler celui de leur série Golem où le rôle de l’adulte immature était tenu cette fois par un professeur. Un animal le complète : le chien Capitaine, qui ne parle qu’anglais.
Dans ce volume, ils sont tous les trois embarqués dans une enquête qui les conduit jusqu’à des événements de 1944. On y croise un châtelain et sa famille, un centenaire, des orphelins mystérieux, des secrétaires bizarres, une artiste un peu dingue, des amoureux hésitants, un prêtre motard, une tante qui manie le pendule, un fantôme, une infirmière épuisée par les soins à donner en période d’épidémie de Covid… Et tout cela entre mer et campagne, quartiers défavorisées et yachts.
Il y a un peu de l’Agatha Christie dans la manière de mêler histoire ancienne et moderne, vengeances anciennes et identités masquées, et surtout dans le dévoilement final, lors d’une scène qui rassemble tous les protagonistes (ou presque : certains sont morts en cours de route) pour le dévoilement de la vérité. C’est complexe à souhait, c’est drôle, parfois tragique. En somme un beau moment de lecture.
On devine que les deux auteurs, natifs du Havre, se sont bien amusés en l’écrivant. Mais cet amusement était sans doute teinté lui aussi de tragique : Lorris Murail est mort en aout 2021 et l’on devine que la dernière phrase du roman est une façon d’évoquer cette disparition ou son éventualité (l’ouvrage a été imprimé en septembre), avec une admirable pudeur :

« Y aura-t-il un troisième épisode ? Elle l’ignore, nous l’ignorons, car oui, vraiment, demain est incertain »

 

Imbécile heureux

Imbécile heureux
Jean-François Sénéchal
Romans Sarbacane 2021

La journée qui s’en vient est flambant neuve

Par Michel Driol

Au matin de ses 18 ans, Chris découvre que sa mère est partie. Chris est handicapé mental, a suivi toute sa scolarité dans des « classes spéciales ». Dès lors Chris s’adresse à sa mère, mêlant souvenirs aigre-doux, et sa façon de continuer à vivre au quotidien sans elle, grâce au soutien de quelques adultes amis qui lui procurent petits jobs et amitié, auxquels Chris s’attache et qui finiront par constituer sa vraie famille.

Venu du Québec où il est paru en 2016, voici un magnifique portrait d’un de ces « idiots » de la littérature. Chris est d’abord attachant par sa candeur, sa naïveté, mais aussi sa finesse à comprendre les choses sans forcément avoir les mots pour les dire. Il dit sa relation complexe avec sa mère, dont le roman dessine le portrait en creux, mère célibataire encombrée de cet enfant hors norme qu’elle protège tout en le rejetant. Il parle auusi de ses relations complexes aussi avec les autres adultes, comme la propriétaire de l’immeuble, ou un homme à tout faire marginal… Il évoque enfin ses relations complexes avec les filles, comme Rébecca qui rêve de devenir actrice à Hollywood, ou Chloé qui souffre du même handicap que lui, mais confectionne des bonnets qu’elle vent au marché. Chris ne baisse pas les bras, et fait preuve d’un courage et d’une force qui l’empêchent de sombrer dans le désespoir. C’est aussi le portrait choral d’une communauté populaire dans la banlieue de Montréal, entre blocs d’immeubles et marché aux puces, trafics de voitures et bowling, une façon de montrer la solidarité en action et l’attention aux autres, l’intégration de ceux qui sont différents par le travail et la débrouillardise. C’est un roman d’initiation, de découverte de l’amour et de la sexualité, du monde des adultes, dans lequel le héros en quête de sa mère finit par se trouver lui-même, au sein d’une famille de cœur.

Le récit est touchant, voire bouleversant, tant par les mots de Chris, le narrateur, dans ses doutes, ses questionnements sans réponse, sa bonté naturelle et son absence de malice. Il est écrit dans un français savoureux du Québec, avec ses tournures, sa syntaxe particulière, son vocabulaire typique (un lexique figure en fin de volume). Du coup, le roman propose un certain exotisme aux lecteurs français : exotisme de la langue, des lieux, des coutumes, mais aussi du personnage principal fragile et fort, à la fois pudique et impudique dans sa façon de se dire. Signalons aussi que l’auteur indique une bande son de chanteurs québécois à ne pas manquer !

Un roman chronique optimiste, aux personnages atypiques, positifs et émouvants dans leurs rêves, leurs espoirs, qui parle de handicap et de déficience mentale sans misérabilisme, mais avec beaucoup d’empathie et qui donne furieusement envie de vivre dans cette petite utopie qu’est cette banlieue populaire de Montréal, autour de son boulevard.

 

 

Vous retiendrez mon nom

Vous retiendrez mon nom
Fanny Abadie
Syros 2022

Banlieue en feu

Par Michel Driol

Qui a bien tuer Zineb, une fille sans histoire, bonne élève, favorite du concours d’éloquence ? Serait-ce Sublime, un jeune migrant, ami du narrateur Karim ? Pourquoi Joyce et  Khedima les deux amies de Zineb mentent-elles au sujet de la dernière soirée qu’elles ont passé ensemble ? Les esprits s’échauffent, entre trafics de drogue et  haine de la police, des émeutes éclatent… Au terme de son enquête, Karim découvre une vérité loin de ce qu’il imaginait.

C’est un double portait qui se dessine dans ce roman policier haletant et enfiévré. Celui de Karim d’abord, kabyle aux yeux bleus, un peu perdu entre sa passion pour la boxe, les fréquentations qui l’ont entrainé dans les petits trafics de drogue, son père anarcho-syndicaliste mutique et largué, et sa mère partie on ne sait où quelques mois plus tôt. L’enquête qu’il mène lui fait découvrir un monde bien différent de celui auquel il s’attendait. Celui de Zineb, jeune fille plus complexe que l’image lisse que Karim avait d’elle, personnage complexe qui veut se libérer du joug familial, de ses frères ainés, du mariage arrangé qui l’attend. C’est aussi le portrait pluriel des habitants d’une cité de banlieue, des solidarités qui s’y nouent, portrait sans concession pourtant. Car chacun y joue un rôle, car on s’y observe et qu’il convient de jouer le jeu, d’avoir le comportement qu’on attend de soi. Les personnages – les ados en particulier – y sont complexes, ambigus, coincés entre les caïds chefs du trafic de drogue et quelques figures positives, comme l’entraineur de boxe. Le personnage de la commissaire Mesronces y est fondamental. Elle voit bien un potentiel en Karim, mais celui-ci se méfie de la policière, à la fois car c’est la doxa de la cité et pour des raisons familiales.  Pour Karim comme pour le lecteur, les repères sont flous : où est le bien ? Où est le mal ?  Le roman se clôt par une fin ouverte, car, si le meurtre est élucidé, la question de la justice à rendre, de l’avenir de Karim, de celui de sa famille, de sa mère en particulier  restent  en suspens. Comme une façon de laisser  les repères brouillés et l’histoire en suspens.

L’écriture laisse place à quelques magnifiques textes de rap, qui disent bien la condition féminine dans les banlieues, et l’espoir de pouvoir enfin être soi-même. Quant au récit lui-même, il est conduit dans une langue vivante, proche de l’oralité, empruntant quelques mots de la langue des cités, faisant de ce récit un véritable page-turner à lire d’une traite.

Au-delà du roman policier, c’est un roman d’initiation, mais aussi une façon de donner la parole à des sans-voix, invisibles, victimes comme assignées  à résidence dans des immeubles dont les ascenseurs sont bloqués…

Seconde chance

Seconde chance
L.Karol
Mijade 2021

Diagonale du vide, amitié, et solidarité

Par Michel Driol

Jeanne, la narratrice, est élève de 6ème au collège de Kœur-la-ville, quelque part dans la diagonale du vide. La seule usine a été délocalisée en Pologne. Depuis, beaucoup sont au chômage. Pour venir en aide à une de ses amis, dont les parents n’ont pas vu qu’elle avait grandi, et dont les habits et les chaussures sont trop petits, Jeanne et ses amis vont avoir l’idée d’un troc solidaire au collège, véritable modèle d’économie circulaire, qu’avec l’aide de leurs professeurs et de l’administration ils mettent en place, et dont même TF1 parle.

Seconde chance porte bien son titre. C’est à la fois la seconde chance des parents de Lou-Ann, victimes du chômage, qui deviendront boulangers, c’est le nom de l’espace d’échange solidaire, qui donne une seconde chance aux vêtements trop petits. C’est un roman plein d’optimisme dans l’amitié, la solidarité, l’inventivité des jeunes, la compréhension des adultes du collège, la façon dont des initiatives locales peuvent recréer du lien dans une ville lorsque celui que créait l’usine a disparu. Mais c’est aussi un roman qui n’édulcore rien de la réalité de cette diagonale du vide, du chômage, de la crise. La narratrice avoue elle-même employer des mots qu’à son âge, on ne devrait pas connaitre, allocation chômage ou RSA… On apprécie la galerie de portraits d’adultes pleins de dignité et d’humanité, depuis cette mère – nourrice à domicile – le cœur sur la main jusqu’à ces parents que le chômage a brisés. Les enseignants et le personnel du collège sont eux aussi bien traités par le récit, depuis ce prof de gym, un peu enrobé, surnommé Pastèque, ancien du Larzac, jusqu’à cette enseignante de français, qui a la délicatesse de ne pas corriger à l’encre rouge… Enfin, les quatre enfants de la bande, véritables héros collectifs, 3 filles et un garçon qui parsème les conversations de ces citations, toujours appropriées, issues de pièces de théâtre.

Un feel-good roman à la fois plein de réalisme dans la description des conséquences du chômage sur une petite ville et d’optimisme sur la façon dont la solidarité peut permettre de redonner à tous une seconde chance.