La (presque) grande évasion

La (presque) grande évasion
Marine Carteron
Rouergue 2021

Trois ados sur un bateau

Par Michel Driol

Lorsqu’au début du confinement d’avril 2021 Bonnie découvre le mot de sa mère scotché sur le frigo, Je pars, elle décide de la retrouver en descendant le canal, jusqu’à une maison où elle pense qu’elle est. S’embarquent avec elle son chien, Melting-Pot, et ses deux seuls amis, Milo l’hypocondriaque et Jason le costaud… Mais c’était sans compter sur leur inexpérience à survivre dans ce milieu si hostile qu’est le canal de Roanne à Digoin, et les dealers qu’ils dérangent au cours d’une rave party… Bref, tout va de mal en pis !

Voilà un roman jubilatoire… D’abord par les multiples péripéties rocambolesques racontées à un rythme effréné par une narratrice, Bonnie, seule fille au milieu de deux garçons. Cette équipe de pieds-nickelés, de bras cassés, coche toutes les cases des oublis, maladresses, et autres bévues plus ou moins graves, pour le plus grand plaisir des lecteurs ! C’est drôle, enlevé, écrit dans une langue assez savoureuse pour reprendre quelques tics du langage des ados d’aujourd’hui. L’intrigue est construite sur un retour en arrière, à partir du point le plus dramatique de l’histoire, comme une façon de générer le suspense. C’est en fait un procédé d’écriture que l’on retrouve dans le roman, la révélation progressive. Ainsi on découvre petit à petit la particularité physique qui fait de Bonnie une fille un peu différente, et les secrets de sa famille. De fait, ces trois ados d’aujourd’hui sont élèves de collège (ce qui est assez commun, on en conviendra, en littérature ado) et  fils et filles de gendarmes (ce qui est une caractéristique bien plus rare !). Ils sont attachants parce que tous, à un moment ou l’autre de leur existence, se sont sentis exclus et, de ce fait, ont sympathisé. Trois ados en quête de liberté, d’amour, de vie tout simplement à une époque de cours à distance, de confinement et de distanciation, de démerdenciel.  Chacun avec ses fêlures, (physiques, psychologiques) ou ses obsessions. Tous trois pleins de vie, réunis malgré leurs différences, et capables de faire face au danger avec la bonne conscience, l’inconscience et les valeurs des fils et fille de gendarme qu’ils sont ! Se mêlent ainsi l’insouciance de la jeunesse  et son audace, un gout immodéré pour les bonbons Haribo qui rattache à l’enfance et les premiers émois amoureux, qui augurent une autre tranche de vie. Cette histoire d’amitié, de solidarité, d’envie d’évasion n’exclut pas un sens de la famille comme un cadre sécurisant. Mais ce n’est pas l’essentiel du roman, qui vaut d’abord par sa puissance narrative, sa drôlerie dans l’expression et les situations, son inventivité. Et cela fait du bien !

Paru en feuilleton durant le confinement, voici un boat-trip hilarant (presque) déconfiné,  avec ses héros (presque) aventuriers, son dénouement (presque) dramatique,  son rythme (totalement) déjanté, et son humour (absolument) contagieux !

Sous-sol

Sous-sol
Martine Pouchain
Sarbacane, coll. Exprim 202,

L’horreur d’un confinement en famille

 Maryse Vuillermet

Une famille composée de la mère, du père et de deux filles se retrouvent confinée au sous-sol de sa maison à la suite d’une catastrophe planétaire. Leslie, la narratrice, est la cadette, elle observe et raconte.
Leur père, pieux et très autoritaire, est le seul à sortir pour cultiver les légumes dans une serre mais il sort masqué et armé car les animaux redevenus sauvages sont dangereux.  Il leur décrit le monde d’Avant et leur rappelle constamment que, quand ils sortiront, ils seront les Elus, les rescapés, ceux qui ont réussi à survivre.
Leur vie est bien organisée car le père avait tout prévu même avant la catastrophe mais elle est horriblement ennuyeuse. Et  la tension entre les différents membres de la famille devient palpable, surtout entre la mère et le père et entre l’ainée, Amy et le père. Et un jour, la tension devient violence.
Cette histoire est très angoissante car elle est réaliste, elle sait remuer nos angoisses de catastrophe nucléaire, elle rappelle notre expérience de confinement et elle flirte avec le survivalisme actuel.
Un récit passionnant et très angoissant, des indices qui font monter savamment l’horreur et le doute, et dont on ne sort pas tout à fait indemne.

La-Gueule-du-loup

La-Gueule-du-loup
Eric Pessan
Ecole des loisirs – Medium + – 2021

Souvenirs confinés

Par Michel Driol

Au début du premier confinement, pour éviter de rester au contact de leur père, infirmier, Jo, la narratrice, son frère et sa mère se rendent à La-gueule-du-loup, la maison isolée dans la forêt de ses grands-parents maternels, que Jo n’a pas connus. Cette maison est-elle hantée ? D’étranges bruits surviennent pendant la nuit, des phénomènes inexplicables se produisent, tandis qu’au dehors les dangers du Covid, et les attestations dérogatoires créent un nouveau monde inconnu, absurde et menaçant. Entre le sport, la connexion difficile avec le lycée, la rupture avec les amis, et l’écriture de sonnets, Jo découvre, par la lecture des notes que sa mère avait écrites en marge des Fleurs du mal, un bien lourd secret.

On est prévenu dès le début : citation de Bettelheim, réflexion liminaire de la narratrice sur l’omniprésence des loups dans les comptines et les contes, loups terrifiants à partir du moment où l’on en reconnait l’existence. Toute la force du roman est de retarder la révélation du secret, de se tenir sur la ligne étroite entre le fantastique, toujours sous-jacent, passant par la croyance aux fantômes dans cette maison bien inhospitalière, et la violence du réalisme pour tout expliquer. Petit à petit, dans les gestes de la mère, ses attitudes, ses silences, la narratrice et le lecteur perçoivent le drame de son enfance, drame enfoui profondément, que le séjour dans la maison va réveiller et révéler au grand jour. Car c’est bien d’un loup prédateur sexuel qu’il s’agit, et de la menace qu’il fait peser sur les enfants et du traumatisme permanent qu’il génère. Dans une discrète polyphonie, le roman fait alterner deux voix, celle de la narratrice, dominante, mais aussi une autre voix, imprimée dans un autre caractère, qui ne parle que de loup, de menace, voix dont on ne saura qu’à la fin à qui elle appartient. A cela s’ajoutent les sonnets de confinements, écrits par la narratrice, qui coulent dans une forme fixe son quotidien de plus en plus bouleversé.

La narratrice, âgée de seize ans, est attachante par sa voix singulière. Elle incarne assez bien les adolescentes de son âge, dans ses certitudes, ses fragilités, ses doutes, ses passions comme la course à pied. Elle dit son quotidien désorganisé par le Covid, dans cette maison hostile : Eric Pessan analyse assez finement les effets du confinement sur les jeunes, lorsque les repères (amies, relations…) ont disparu, et qu’on se retrouve, comme l’indique le titre de l’ouvrage, dans la gueule du loup, comme dans les contes, au milieu de la forêt, coupé de tous et de toutes. Mais, au-delà de ce quotidien, dans ce roman complexe, il est aussi question d’écriture et du rapport complexe entre la réalité et la fiction, tant dans les réflexions de la narratrice que dans l’écriture même puisque la maison hantée devient ainsi, peu à peu, métaphore du virus  et des blessures enfantines dont on a du mal à guérir.

Un roman qui réussit à tisser différents fils, les abus sexuels, le confinement, dans un roman qui emprunte au fantastique et au thriller leurs codes narratifs pour nous inviter à parler de notre présent, ainsi que le font la narratrice et ses parents à table, au lieu de regarder la télévision ou de se taire.

Angie !

Angie !
Marie Aude et Lorris Murail
Medium + – Ecole des loisirs 2021

Meurtres au Havre

Par Michel Driol

Il arrive que la littérature populaire – au sens noble du terme – s’écrive à quatre mains. Boileau-Narcejac, Erckmann Chatrian… Dans la famille Murail, on aime bien cette tradition, et, après L’Expérienceur (Marie-Aude – Lorris), la série Golem (Marie-Aude, Lorris et Elvire), voici un roman policier dans lequel on retrouve tous les ingrédients de la littérature populaire, de ces mauvais genres qu’on lit d’une traite. Une adolescente hypermnésique, prénommée Angie car son père, que bien sûr elle n’a pas connu, adorait cette chanson. Deux jumeaux, incarnation du bien et du mal, jusqu’à ce que… Une famille riche et puissante dans une villa aux portes de la ville. Le retour ce celui qu’on croyait mort. Des dockers syndicalistes. Du spiritisme. Une cité ouvrière. Un policier geek sur les bords, cloué en fauteuil roulant qui ne laisse pas indifférentes une infirmière au grand cœur et sa commissaire… Une baby-sitter enfermée dans un conteneur. Une ancienne Miss Normandie héritière des femmes fatales du roman noir. Et surtout Capitaine, une chienne policière dressée à renifler les drogues en tout genre, mais ne parlant qu’anglais… Bref, toute une galerie de personnages et une série de situations qui font de ce roman un petit bijou.

Ajoutons que celui-ci se déroule au Havre, ville d’origine des auteurs, et que le Havre, ses dockers, son port, son quartier des Neiges, l’escalier de Montmorency est à la fois un décor et un personnage, avec ses contradictions sociales, ses espoirs, son parler cauchois savoureux, mais aussi lieu d’une perte des valeurs. Quant à l’inscription dans le temps, voici un roman situé en plein printemps 2020, temps du confinement qui pèse sur Angie, obligée de suivre l’école à la maison, qui pèse sur sa mère, infirmière à domicile, qui ferme le commissariat, devenu cluster.

L’intrigue est particulièrement bien construite, qui mêle le passé (évoqué dans le premier chapitre, 2000) et le présent, qui mêle des histoires familiales intimes et le trafic international de drogue, qui mêle dimension policière et dimension sentimentale. Car nous sommes chez les Murail, ne l’oublions pas, avec cette dose d’humour qui affleure sans cesse, avec cet optimisme et cette joie de vivre communicatifs qui habitent des personnages parfois déjantés, borderline, mais toujours sympathiques et positifs !

Quant à la chute, on ne la révélera pas, on signalera simplement qu’une suite est annoncée ! Vite !!!!

55 jours chez mon chat

55 jours chez mon chat
Sébastien Mourrain
Editions de La Martinière, 2021

#confiné(e) avec mon chat

Par Christine Moulin

55 jours chez mon chat est une chronique sans paroles mais avec croquis, qui, malheureusement, est encore d’actualité, mais qui, heureusement, traite la situation avec un humour et une tendresse qui toucheront aussi bien les enfants que les adultes. Dès le titre, les amateurs de chats reconnaissent tout de suite qu’ils ont affaire à quelqu’un de sérieux qui sait de quoi il parle: il est évident que l’on habite chez son chat! Confinement ou pas confinement. C’est le cas de l’auteur qui a su regarder avec attention Moon, son hôte, et le présenter sous de multiples facettes: tantôt c’est un simple (?) chat qui regarde mélancoliquement le dehors dont il est privé, qui déterre les plantes vertes, qui balade sa souris dans l’appartement sans pour autant vraiment jouer avec elle, qui guette on ne sait qui derrière une porte, qui détruit un rouleau de papier toilette; tantôt c’est un compagnon qui partage et exprime les humeurs de ses humains, vautré sur un canapé, caché sous un lit, perché sur le lavabo ou sur le plan de travail; tantôt c’est un reflet (au sens propre, d’ailleurs, dans le dessin du jour 54), un double de ses « patrons », qui boit l’apéro devant une allocution présidentielle, déguste des cocktails, allongé sur une chaise longue, qui lit un livre, qui assiste à une session « Zoom » où se côtoient chiens et chats, qui constate qu’il a grossi, qui fait de la gymnastique, qui porte un masque; tantôt c’est une chambre d’écho de nos émotions (comme lorsqu’il se pend au lustre, à force d’ennui, sans doute, ou qu’il compte les jours…). A chaque fois, l’artiste trouve moyen d’évoquer avec justesse cette atmosphère si particulière du Premier confinement où se côtoyaient le plaisir d’activités intimistes comme la lecture ou le jeu, les efforts pour continuer à travailler un peu et le découragement, l’agacement. Il rend compte, sans un mot, de ce rapport au temps qui était si difficile et si spécifique, marqué par la répétition, l’insignifiance et l’attente (Moon, souvent, fixe des écrans noirs qui ne s’allument pas). La dernière image (tout en prônant ironiquement « le respect des gestes barrières ») célèbre la liberté retrouvée. Cet ouvrage est donc la démonstration éclatante du rôle de l’humour pour à la fois dire l’expérience commune, la mettre à distance et nous permettre d’en faire (presque!) un objet de future nostalgie.

Poing levé

Poing levé
Yaël Hassan
Le Muscadier 2021

Quelques jours en mai juin 2020

Par Michel Driol

Dans la famille Bellerose, d’origine antillaise, il y a le père kiné, la mère coiffeuse, deux jumelles en école d’infirmière, et Junior, le héros de l’histoire, bon élève de 4ème. Durant le confinement, il doit préparer un exposé sur une personnalité qui a changé le cours de l’histoire : il a choisi Tommie Smith, le coureur américain qui a levé le poing sur le podium aux jeux olympiques de Mexico en 1968. Tandis qu’il hésite entre Anissa et de Yasmine, deux filles de sa classe, c’est Anna, sa voisine, avec laquelle il va sympathiser, qui va l’aider à préparer son exposé, et dont il va finalement tomber amoureux.

Ecrit à la troisième personne, ce roman polyphonique rend compte d’une actualité brûlante, et de la période de la fin du confinement. S’y croisent en effet des extraits de l’autobiographie de Tommie Smith, la mort de George Floyd aux Etats Unis à travers des flashs du journal télévisé, des documentaires résumés, dont on a l’adresse pour aller les revoir, des articles sur les préjugés, mais aussi des échanges de SMS. S’y croisent aussi les paroles singulières des membres de la famille Bellerose, des amis de Junior, le regard d’Anissa et de Yasmine sur l’actualité française, l’affaire Adama Traore, les violences policières ou les contrôles au faciès. Le roman vaut donc par ces voix singulières, et par la galerie de personnages secondaires qui vont des grands parents de Junior restés aux Antilles à ses amis, Arthur, d’origine asiatique, Anna, d’origine polonaise, Yasmine et Anissa, d’origine maghrébine, voire à une ancienne déportée qui porte encore un numéro tatoué sur le bras.  Tout cela laisserait croire à une France black-blanc-beur, mais le roman s’avère moins optimiste qu’il n’y parait. Ce sont des clans, par origine, qui se forment au collège. C’est Anissa, jeune fille rieuse, qui est en fait sous la coupe de son grand frère, islamiste intégriste, et que l’on voit porter le voile. C’est Yasmine qui constate qu’on ne se mélange pas en fait, et que chacun reste dans son clan, son groupe, sa communauté pour sortir ensemble. Pour autant, le roman n’est pas complètement désenchanté. D’abord parce que l’histoire de Tommie Smith, reçu par le président Obama, montre que les choses peuvent changer, et qu’on n’est pas condamné au communautarisme. Ensuite parce que Junior veut échapper à ces déterminismes socio-culturels et veut combattre les préjugés, parce qu’avec ses sœurs et Anna il participe à un rassemblement pour protester contre les violences policières. Le roman est un appel à ne pas faire d’amalgame, à faire la part des choses, à s’interroger sur les préjugés, les manipulations d’opinion d’où qu’elles viennent, à dialoguer, même si les points de vue sont différents.

Un roman sur le monde contemporain, dans lequel on retrouve la force narratrice de Yaël Hassan, l’importance qu’ont pour elle l’histoire et le souvenir, et l’espoir en un monde plus fraternel.