Mado m’a dit

Mado m’a dit
Christophe Léon
La joie de lire, 2014,

Une rencontre heureuse entre deux malheureux

Par Maryse Vuillermet

mado m'a dit image Boby se tient à l’écart des garçons de son école, il est « petit, teigneux, le poil roux, les genoux cagneux, les cheveux hirsutes des dents plantées de travers », mais les filles l’adorent, alors qu’il ne fait que les mépriser. Enfant abandonné, il s’est inventé une famille d’extraterrestres et les rejoint la nuit au milieu des étoiles. Mais il ne peut éviter d’intervenir un jour à l’arrêt de bus quand trois caïds aussi méchants que cruels agressent une très grosse vieille dame, lui vident son cabas sur le trottoir, l’insultent et lui prennent son porte-monnaie. Il cogne fort et éloigne les trois méchants de quartier. Puis, il raccompagne la vielle dame trop choquée pour rentrer seule chez elle. Là, elle lui offre un chocolat et lui montre son élevage de mouches destinées à nourrir sa collection de plantes carnivores. Cette Mado est aussi folle que lui!  Il lui promet de revenir mais ne le fait pas car il se méfie de ses bizarreries. Mais un jour, les trois voyous le tabassent si fort qu’il n’ose pas rentrer dans sa famille d’accueil et se réfugie chez Mado. Elle est si heureuse ! C’est la première fois de sa vie qu’elle a une visite ! Elle lui propose de dormir dans sa caverne aux trésors, là où elle range les peluches depuis son enfance et son adolescence de fille obèse, donc mise à l’écart et solitaire.
Cette nuit-là, dans la maison de Mado, des événements étranges, cruels et beaux vont se dérouler. Seuls ceux qui comprennent la force des rêves pourront suivre leur déroulement. Christophe Léon excelle à décrire l’enfance, l’horreur, l’étrange. J’avais déjà beaucoup aimé cet univers détonant et fort, dans Silence, on irradie, et je le retrouve aussi violent et pourtant poétique dans ce tout petit livre.

La Bobine d’Alfred

La Bobine d’Alfred
Malika Ferdjoukh

L ‘école des loisirs, 2013

Hitchcock au travail

Par Anne-Marie Mercier

bobine-alfredSuspens, actrices sur les nerfs, amours secrètes, journalistes indiscrets, poursuites… tous les ingrédients d’un film d’Hitchcock sont réunis ici dans une intrigue qui, si elle ne se noue que tardivement, garde le lecteur en haleine jusqu’au bout.

Mais on n’est pas au cinéma, on est au royaume des mots ; la légende de Hollywood est sans cesse présente à travers toutes sortes d’allusions qu’on peut chercher à percer. Le roman est aussi une belle initiation au travail de création d’un film selon la manière du maître, et une initiation à la vie pour le héros de 16 ans, fils d’un cuisinier français qui a été embauché sur le tournage d’un film qui ne sortira jamais sur les écrans pour des raisons qui apparaissent successivement.

Fascination pour le cinéma et pour les actrices, infraction d’un interdit pour satisfaire une passion, culpabilité que l’on traîne longtemps avant de découvrir que le trompeur a été trompé, le récit noue de nombreux thèmes autour de la technique et de l’amour du cinéma.

Mes chaussures couleur caca

Mes chaussures couleur caca
Réchana Oum
Oskar, 2012

Avoir la haine

 Par Christine Moulin

Mes_chaussures_couleur_cacaCe mince ouvrage est un hurlement de haine. A l’égard d’un père tyran, odieux, brutal, un monstre froid, sans doute peu épargné par la vie, mais qui ne mérite pour autant aucune indulgence. Et un cri d’amour envers une mère soumise mais aimante. La haine et l’amour d’une collégienne de treize ans, qui, bien qu’elle soit « un de ces personnages  qui ne portent qu’un prénom », est désignée par le seul pronom lancinant de Elle, sans cesse mis en valeur par l’italique. Tout en relatant une crise, le moment précis où elle a l’occasion de se libérer, ce roman évoque de façon obsessionnelle la pesanteur, le joug terrible qui pèse sur elle, à travers des variations de narration, un retour en arrière, qui n’allègent pas l’impression d’étouffement: l’auteur répète, redit la même chose, cette exécration qui l’étouffe, en une litanie effrayante de phrases courtes et serrées. On ressort un peu sonné de cette lecture. Secoué, mais avec le sentiment d’avoir lu un livre qui n’aurait pas pu ne pas être écrit.

Je voudr@is que tu…

Je voudr@is que tu…
Frank Andriat
Grasset, 2011

Le Tour du Net par une enfant

Par Christine Moulin

42369Certes, il faut mettre les jeunes en garde contre les dangers de la Toile: c’est ce que fait ce livre rapide à lire où l’on voit une adolescente, Salomé, se laisser séduire virtuellement par un certain Michaël. Coralie, une de ses amies sur le « chat d’or », dépasse les limites et en subit les tragiques conséquences. Mais refaire, à propos des nouvelles technologies, les erreurs d’antan, est forcément contreproductif. Prendre le prétexte d’une fiction pour délivrer une leçon de morale, caricaturale, qui plus est, ce n’était déjà pas très folichon du temps de Madame Bruno. C’est assez vain, voire irritant, aujourd’hui. D’autant plus irritant que l’on peut soupçonner le texte d’une certaine démagogie. Est-il nécessaire, pour plaire aux lecteurs, d’écrire : « Cette prof est un véritable doigt d’honneur au bonheur? », de propager le poncif de la prof de français qui dégoûte de la littérature et qui empêche d’écrire (1)? Pourtant, ce roman aurait pu être une incitation à l’écriture, grâce à la vocation de son héroïne, qui veut devenir écrivain, et grâce à ses diverses formes de narration, le journal intime de Salomé, les conversations « in real life » entre ados, quelques textos et le chat – écrit « correctement », précise Salomé: oui, mais justement, ce chat paraît très artificiel et ne se distingue guère du journal. L’écriture est uniformément ordinaire (transcrire telle quelle la langue des jeunes, ou du moins, celle qu’on leur attribue, ce n’est pas en rendre compte). Une occasion manquée.

(1) Frank Andriat est pourtant prof de français lui-même et il a écrit plusieurs livres sur son métier, dont Les profs au feu, l’école au milieu.

Comme des images

Comme des images
Clémentine Beauvais
Sarbacane (X’), 2014

 

La vie à pile ou « face »

 Par Anne-Marie Mercier

Comme-des-imagesOn sait la place que prennent les réseaux sociaux, Facebook, les mails, les échanges de vidéos et de photos dans la vie des adolescents. On sait aussi les ravages qu’ils peuvent faire. Ce roman a le mérite d’aborder ces thèmes mais aussi de les lier à une question plus complexe qui les sous-tend, celle de d’image de soi : celle qu’on construit, celle que les autres nous renvoient, celle qui se déchire et s’abîme de façon parfois mortelle.

Il est inutile de raconter l’histoire : la composition du roman, qui mélange les temps et les tempos est extrêmement efficace et le rend absolument captivant. Le contexte est celui du lycée Henri IV à Paris, d’une histoire d’amour qui tourne mal, d’une histoire d’amitié un peu tordue, de jumelles, d’icônes de la classe. Elle est racontée par un personnage apparemment secondaire, qui pourrait être un «confident» de personnages tragiques au théâtre et qui pourtant prend toute son importance dans la leçon finale : certains adolescents sont «comme des images», c’est-à-dire qu’ils ne sont rien d’autre qu’une image construite. On peut douter de cette conclusion mais elle contient une  part de vérité, vérité utile.

Garçons sans noms

Garçons sans noms
Kashmira Sheth
Ecole des loisirs, 2014,
Traduit de l’anglais par Marion Danton

  L’horreur de l’esclavage des enfants

                                                                                                       Par Maryse Vuillermet

garçons sans noms image Le triste anniversaire de l’incendie et de l’effondrement de l’usine textile de Dacca eu Bengladesh surnommée l’usine de la misère est là pour nous rappeler l’actualité atroce du travail/ esclavage des jeunes femmes ou des enfants dans les pays  en voie de développement.

Dans ce roman, un jeune garçon débrouillard et intelligent, Gopal,  est le narrateur de l’histoire de  sa famille à la fois singulière et représentative de milliers de famille en Inde. Ses parents cultivateurs ont fait faillite à la suite d’d’une récolte trop abondante d’oignons qui a fait chuter les cours. Criblés de dettes, ils sont à la merci de l’usurier et ne peuvent plus que fuir en ville, à Bombay,  en laissant tout derrière eux. Durant le voyage, la famille se sépare du père et le voilà qui disparaît, ne revient plus. La mère, Gopal et ses frères trouvent enfin la masure de l’oncle dans un bidonville où s’entassent déjà des centaines des familles. Gopal pressé d’aider les siens suit un jeune homme qui lui promet du travail. Mais,  dès l’arrivée dans l‘atelier de confection de cadres, il se retrouve enfermé, avec six autres enfants ou jeunes de son âge. Un chef d’atelier a instauré tout un système de terreur, d’humiliation  de privations pour faire travailler ces enfants en leur faisant perdre tout espoir de fuite ou d’une vie meilleure ; il va même jusqu’à les menacer de travailler dans les usines de feux d’artifice très dangereuses, ou de s’en prendre à leur famille. Gopal raconte alors son quotidien atroce, sa fatigue, les humiliations ou sévices corporels imposées par le chef ou ses camarades, le temps, le manque des siens.

 Mais  grâce à son intelligence, à sa farouche volonté de retrouver les siens pour les aider, au souvenir lumineux de sa mère, et à son talent de conteur, il va peu à peu réussir à gagner la confiance des autres enfants.En effet, il faut absolument qu’ils cessent de s’entre-déchirer et forment une équipe soudée pour espérer un jour s’enfuir ensemble.

Le roman est très riche, tous les personnages existent, chaque enfant a une personnalité, une histoire, qu’on découvre peu à peu. Ils n’ont plus de noms car on le leur a interdit, ils sont recroquevillés sur eux-mêmes, évitent de penser et de se souvenir de leur vie d’avant pour ne pas trop souffrir. Le lecteur est pris au piège lui aussi, il s’attache à ses enfants et veut savoir comment ils vont s’en sortir. Gopal va,  grâce à ses histoires, leur redonner une parole puis une identité et enfin, un espoir. C’est ainsi un hymne au pouvoir puissamment réparateur de la fiction.

Et les étoiles dansaient dans le ciel

Et les lumières dansaient dans le ciel    
Eric Pessan
Ecole Des Loisirs, Medium  2014

  Que ne faut-il pas faire pour être écouté et compris ?

Par Maryse Vuillermet

et les lumières dansaient dans le ciel image Un bon petit roman assez subtil qui traite de sujets courants avec originalité. Les thèmes sont la séparation des parents et la guerre familiale. Eliot, pour oublier cette sale guerre, se réfugie dans les étoiles, l’observation du ciel, passion qu’il partageait auparavant avec son père mais qu’il poursuit désormais, seul la nuit, dans la campagne. Il quitte la maison et part en train, en vélo,  vers l’inconnu et vers la paix de l’astronomie.Un jour, il découvre des lumières vertes et oranges. A qui faire part de sa découverte ? Qui va le croire ? Pas son père obnubilé par sa nouvelle relation et sa nouvelle vie, pas sa mère noyée dans sa déprime. Alors, il part à Toulouse rencontrer les spécialistes du Gepan, groupe spécialisé dans les phénomènes inexpliqués. Son voyage sera long et difficile, en train, sans argent, seul, mais que ne faut-il pas faire pour être écouté et compris ?  Et parfois, on trouve à la fin ce qu’on ne cherchait pas.

Mes Débuts dans l’art

Mes Débuts dans l’art
Chris Donner
L’école des loisirs (médium), 2013`

Anciens contre Modernes

Par Anne-Marie Mercier

Mise en page 1Après avoir donné une leçon d’écriture (Emilio ou la petite leçon de littérature, collection Neuf, 1994), Chris Donner propose à des adolescents plus âgés un itinéraire d’artiste… pour finir par une autre leçon de littérature, le tout à travers un récit de formation.

Comme souvent dans ses romans, le héros a le malheur d’être né dans une famille aimante et attentive qui ne veut que son bien. Son père, notamment, souhaite que son enfant cultive le don que lui a donné la nature : un superbe talent de dessinateur. Entré contre son gré dans une école d’art, David vit de façon personnelle l’affrontement entre les deux professeurs qui représentent deux courants de l’art : le professeur d’art classique voit en lui un nouveau Michel-Ange et le professeur d’art contemporain le considère comme un attardé irrécupérable. À travers leur conflit, le jeune lecteur pourra découvrir les questions qui traversent l’art contemporain, son rapport à l’argent, à l’originalité, à la performance, à l’intervention etc.

Chris Donner prend ici le parti des Anciens contre les Modernes ; les perspectives de l’art d’aujourd’hui sont vues de façon très caricaturale et comique. Le lecteur pourra rire aussi du portrait de la ville de Reno qui tente de se construire une âme en créant une école d’art au milieu des casinos. Tout cela est raconté avec beaucoup d’humour, mais une pointe de désenchantement : où va l’art ? Qu’est-ce qui fonde une politique culturelle ? La réponse de Chris Donner, pour ce qui est des arts plastiques est plus que pessimiste mais sans doute ne faut-il pas la prendre trop au sérieux et rire simplement du ton faussement détaché avec lequel le narrateur nous décrit les situations navrantes dans lesquelles il se retrouve à cause de son don.

La vie est belle

La Vie est belle
Christophe Léon
La joie de lire, Encrage   2013

  Souffrance au travail

Par Maryse Vuillermet

la vie ets  belle image J’avais été frappée par  la force et l’horreur d’un des romans précédents de Christophe Léon Silence, on irradie, publié chez Thierry Magnier en 2009 qui se situait dans des territoires dévastés par une explosion nucléaire. Celui-ci se déroule dans une famille dévastée  par  une explosion sociale. L’histoire commence par le récit fait par plusieurs passants de la défenestration  d’un homme sur  son lieu travail.

Puis, le récit se poursuit à la première personne du singulier. Lewis,  le narrateur,  quinze ans, fils de la victime du suicide, nous explique sa stratégie très réfléchie,  presque diabolique pour rencontrer et devenir l’ami de Julia,  une fille de son lycée. Or, il ne l’aime pas, et elle n’est pas jolie. Peu à peu, grâce à des retours en arrière, on comprend que son unique projet est la vengeance. En effet, son père a été harcelé par son chef,  humilié et conduit à la dépression et au suicide ; son sentiment d’échec, ses souffrances l’ont détruit,  lui et sa famille et le responsable, son patron, est le père de Julia.

Mais la mère de Lewis, elle,  a décidé de tourner la page, elle rencontre un homme simple et joyeux et veut refaire sa vie. Evidemment, Lewis le déteste mais accepte de l’accompagner au stand  de tir où il apprend à manier une arme. Les travaux d’approche fonctionnent,  il devient ami avec Julia qui, contre toute attente, se révèle être une fille intéressante.

Le grand jour arrive, il est invité  par les parents de Julia qui est même devenue jolie avec un peu de maquillage. Son frère Oscar a compris qui est Lewis, mais c’est un rebelle dans sa famille, il déteste son père et veut assister au règlement de compte.Tout semble se passer bien, le père de Julia, l’odieux patron qui a harcelé son employé, s’intéresse à Lewis, se montre prévenant. Que  va faire Lewis ? Va-t-il accomplir sa vengeance ?

Atmosphère étouffante et cruelle.  Suspens jusqu’à la fin.

Et récit d’une actualité poignante. L’entreprise s’appelle Violet Telecom, elle pourrait être n’importe laquelle des grandes sociétés de service qui maltraitent leurs employés et dont les suicides font régulièrement la une de la presse.Tous les protagonistes de l’histoire sont les victimes collatérales de ce nouveau fléau social mené au nom de la rentabilité,  appelé  harcèlement  au travail.

Les trois sœurs et le dictateur

Les trois sœurs et le dictateur
Elise de Fontenaille
Rouergue, 2014

Le courage des  femmes

Par  Maryse Vuillermet

 

 fontenaille_dictateurUne histoire simple et émouvante, rapide et sanglante et surtout vraie. Elise de Fontenaille sait faire revivre les événements passés. C’est une adolescente  californienne qui revient dans le pays natal de son père, Saint-Domingue, invitée par son beau cousin,  Antonio.  Et là,  elle apprend par sa grand-tante, dans sa maison entourée de fleurs, dans un récit  qui prend presque  deux jours,  l’histoire de sa grand-mère et de ses deux sœurs, histoire célèbre dans le pays mais que son père, traumatisé,  ne lui avait jamais racontée.

Ces trois sœurs belles, aimantes et courageuses  ont lutté contre le dictateur, Rafael  Trujillo, qui voulait violer l’aînée, la plus belle, comme il l’avait fait avec d’innombrables jeunes filles de son  pays et elles ont été battues à mort en 1960 toutes les trois par ses sbires.  Ce monstre,  amateur de jeunes vierges terrorisait sa population et il fallait un courage hors du commun pour s’opposer à lui.

 C’est le  jour de leur assassinat, le 25 novembre,  qui a été choisi pour célébrer la journée internationale de lutte contre les violences faites aux femmes.