Éditions Pourpenser

Éditions Pourpenser

Philosopher avec les enfants

Par Anne-Marie Mercier

Les éditions Pourpenser proposent depuis 2002 des ouvrages et des jeux inscrits dans une démarche écologique pour philosopher avec les enfants (de zéro à trois ans, de quatre à six ans, etc.) et les font réfléchir à partir d’histoires tantôt proches de leur quotidien, tantôt ancrées dans l’imaginaire, parfois les deux. Ils ont entre autres publié plusieurs livres sur les émotions, certains destinés aux tout jeunes enfants (tristesse, peur, etc.), d’autres, comme la trilogie Émotions enquête et mode d’emploi, BD accessible à partir de sept ans, feront réfléchir et sourire également les adultes : ils découvriront par exemple le phénomène du « triangle des Bermudes multi-temporel » qui empoisonne souvent leur vie inutilement, les mérites de la respiration ample, la PNL pour débutants…
Deux ouvrages sont représentatifs de ces deux versants, l’un théorique, l’autre fictionnel, Dis, raconte, comment ça marche ? Découvrir et penser le monde avec Edgar Morin et les histoires de Charlie et Belinda

Dis, raconte, comment ça marche ? Découvrir et penser le monde avec Edgar Morin
Martine Lani-Bayle et Adélaïde Ronxin
Pourpenser éditions, 2019

Martine Lani-Bayle a présenté la pensée d’Edgar Morin dans un album pour enfants, également en 2019, avec des illustrations de Barroux, aux éditions de l’Initiale. Intitulé Apprendre la vie, il montrait différentes expériences vécues par un enfant et les accompagnait de phrases tirées d’un livre du philosophe. Ici, elle propose pour des lecteurs un peu plus agés un axe plus théorique,  mais toujours clair et aisément compréhensible : la pensée du complexe, la dialectique, la place du réel face au concret et au virtuel… Toutes ces notions sont dépliées, et fournissent des outils pour penser et aussi pour vivre. Les illustrations éclairent le propos et ajoutent une touche d’humour avec une souris qui joue le rôle décalé de la coccinelle de Gotlib.

Charlie et Belinda : Un anniversaire tout pourri, Saule
Joëlle Stauffacher
Pourpenser éditions, 2021

Charlie et Belinda sont les héros d’une série d’albums montrant différentes crises émotionnelles et proposant de les comprendre et de les résoudre. Belinda est une mini fille avec des éléments de mouton (oreilles, laine) ; tantôt elle se trouve moche, pense que ses amis ne l’aiment pas, tantôt elle se révolte contre le temps et la mort… Ses amis, Charlie (un chat), Will (un cochon), Mimi (une souris), etc., l’aident et surtout l’écoutent ; ils la font aller plus loin dans ses pensées et l’amènent pas à pas vers une consolation. Dans Un anniversaire tout pourri elle croit que ses amis ont oublié son anniversaire : colère, chagrin, jalousie, rabaissement… précèdent la découverte du quiproquo.
L’histoire suivante dans cet album double, Le saule, est une très belle leçon sur la mort : le saule qu’elle aimait est abattu par l’orage. Belinda refuse sa mort. Elle a recours à la pensée magique, au désespoir, puis grâce au sage Charlie elle écrit, parle, se recueille : «dans la tristesse c’est réconfortant d’être ensemble». «Parfois la joie vient se nicher dans un moment triste»… Les dessins charmants et les jeux d’échelle et de couleurs donnet de la grâce à ces sages propos.

Monsieur Nourse et la vie (mode d’emploi)

Monsieur Nourse et la vie (mode d’emploi)
Christian Demilly, Alice de Nussy
Grasset jeunesse, 2022

Philosophie-Nounours

Par Anne-Marie Mercier

Monsieur Nourse a une tête et un corps de nounours et un costume d’employé de bureau (quand il n’est pas en pyjama). Très statique, il ne change pas de posture ni de position d’une case à l’autre. Seule sa bouche s’étend parfois en un sourire ou se courbe en signe de déception. Il dialogue avec une abeille, elle aussi toujours à la même place, suspendue à côté de lui. Dans des bandes de trois pages ils échangent sur les grandes questions, le temps, l’amour, les autres, la vie…
« Je n’aime pas trop le début des vacances.
_ C’est chouette, pourtant !
_ Oui, mais c’est déjà le début de la fin des vacances. »
Ou bien:
« Les gens qui ne sont pas comme moi me trouvent différent. Pourtant, ce sont eux qui ne sont pas comme moi ».
On remarque dans son titre des clins d’œil, en hommage (un peu gratuit) à La Vie mode d’emploi de Pérec et à Nours, un album de Christian Bruel et Nicole Claveloux questionnant l’univers et la représentation du monde des tout-petits (paru aux éditions Être en 2000, puis republié chez Thierry Magnier en 2014) ; quant à l’association Nourse / bourse et la vie, on retrouve une question évoquant un choix difficile comme : « comment rattraper le temps passé à rechercher le temps perdu ? »
Ces ours sont de bien grands questionneurs !

L’Amour, c’est quoi ?

L’Amour, c’est quoi ?
Mac Barnett, Carson Ellis (ill.)
Traduit (anglais/USA) par Aimée Lombard
Hélium, 2022

L’autre grande question

Par Anne-Marie Mercier

Dans La Grande Question de Wolf Erlbruch, publié par les éditions Être (prix Sorcières 2005) puis repris en 2012 chez Thierry Magnier, la question n’était pas explicitée, mais on voyait de nombreux personnages répondre à un enfant, chacun avec son point de vue. Ici, c’est à une autre question existentielle qu’on répond de différentes façons, question explicitée dans le titre et répétée par le questionneur que l’on suivra dans ses pérégrinations.
Chaque rencontre est présentée de la même façon : une première double page montre l’échange, la question, le sourire de l’interlocuteur (un pêcheur, un comédien, un chat, une charpentière, d’autres, puis finalement un poète), sa réponse en un mot (« L’amour c’est comme un poisson », « l’amour c’est comme la nuit », « l’amour c’est comme une maison »…), réponse reprise sur le mode interrogatif par le jeune homme, la double page suivante développant cette réponse sous un mode philosophico poétique, existentiel, mystérieux… provoquant l’incompréhension du jeune homme.
Chacun voit la question avec son expérience et utilise des métaphores issues de son univers, donne une image changeante de l’amour : partagé ou non, stable ou non, rare ou facile… Le texte de Mac Barnet (médaille Caldecottt en 2015) est tantôt drôle, tantôt poétique, et questionne tout en répondant… c’est une randonnée à tous les sens du terme.
Les belles aquarelles de la canadienne Carson Ellis (médaille Caldecott pour Koi que bzzz ?, 2016 publié en France chez Helium également), tantôt à fond perdu, tantôt détachées sur fond blanc donnent à cette méditation une allure de conte. On ne dira pas la fin, très belle également, montrant que la philosophie est autant une affaire d’expérience que de mots : elle est un chemin – comme l’amour?

Tout se transforme

Tout se transforme
Tony Durand
Møtus, 2022

Images imaginaires

Par Anne-Marie Mercier

« Rien ne se perd, rien ne se perd, tout se transforme ».
Cette phrase de Lavoisier est illustrée de bien des façons. Elle invite le lecteur à se souvenir que les objets en bois ont été des arbres, que l’eau a voyagé avant de venir jusqu’à nous, etc.
Mais très vite on décolle du réel : le tuyau d’arrosage se souvient qu’il a été serpent, le glaçon qu’il a été iceberg… Puis des questions viennent : d’où vient la musique ? comment arrêter le temps ?
Les images faites de papiers découpés aux couleurs et textures variées sont drôles, poétiques, vont loin…

 

Hulul

Hulul
Arnold Lobel
Traduit (anglais, USA) par Geneviève Brisac
L’école des loisirs (Mouche), 2020

On révise les classiques (4)

Par Anne-Marie Mercier

Traduit et publié en 1976, un an après sa première édition en langue anglaise (Owl at home), ce petit recueil d’histoires de Lobel, fait partie, avec Oncle Éléphant du même auteur, des grands classiques pour la jeunesse : les quelques nouvelles qui présentent le hibou Hulul sont toutes de petits bijoux d’absurde léger, de tendresse, de nostalgie (« Le thé aux larmes »).
Les images montrent un Hulul tout en rondeurs, constamment en pyjama et robe de chambre à rayures (normal, c’est un hibou), tantôt alangui dans son fauteuil, près du feu, tantôt se ruant en haut et en bas des escaliers de sa petite maison. L’atmosphère nocturne (normal, c’est un hibou) constante est à son plus haut dans la dernière nouvelle, dans laquelle Hulul met enfin un costume et un chapeau melon pour se promener dans une campagne qui ressemble à un jardin japonais, pour trouver enfin une amie… on vous laisse découvrir qui.

 

Après les vagues

Après les vagues
Sandrine Kao
Grasset jeunesse, 2022

Vagues de philo

Par Anne-Marie Mercier

S’agit-il de la réflexion que l’on pourrait mener après des événements, comme, par exemple, des « vagues » qui nous ont bousculés lors de l’épidém?

La mer, Explorer, Se perdre, La rencontre, Se découvrir, S’acclimater, Se manquer, Se retrouver, Rêver… mais aussi Belle étoile, Typhon, Éclaircie… sont autant de doubles pages, de chapitres et d’expériences vécues par les deux petits personnages de cet album en forme de ce qui ressemblerait à mini roman graphique : ce serait plutôt des nouvelles en cinq lignes graphiques.
Mais on n’y retrouve pas le dynamisme et la charge narrative de la nouvelle ; chaque épisode fait appel à la réflexion.
Elle tourne principalement sur l’amour, le manque, autrui, la patience…. Ces petites leçons de sagesse (très sages) semblent appeler une discussion, des applications. Voilà un joli support pour philosopher avec les petits, et pourquoi pas avec soi-même.
Les illustrations aquarellées très simples et souvent pâles ajoutent beaucoup de douceur, tout comme l’aspect mignon des personnages, lapins minimaux déjà présent dans un album précédent, Émerveillements, conçu sur le même modèle, le même format allongé au titre frappé en creux, les mêmes tons pastels  : voilà le début d’une collection de petits bonheurs.

Les Choses à se dire

Les Choses à se dire
Pei-Chun Shih, Amélie Carprentier
Hongfei, 2022

Ce que vivent les roses…

Par Anne-Marie Mercier

Dans un jardin, chacun vaque à ses occupations : une abeille butine de fleur en fleur, un escargot passe de feuille en feuille, jusqu’au soir où il rencontre une fleur, si belle qu’il veut la maintenir éveillée pour pouvoir lui parler.

La fleur elle, regrette le départ de l’abeille, à qui elle avait encore tant à dire. Elle se réjouit de l’arrivée de l’escargot, mais il est tard et elle a tant à dire… Elle perd ses pétales un à un, tandis que l’escargot la rassure : « il est temps encore »… et il promet de recueillir ses mots pour les transmettre à l’abeille.
Ce joli récit nostalgique qui évoque le départ de ceux à qui on n’a pas assez parlé, que l’on n’a pas assez écouté, évoque l’écoute et la transmission. La dédicace à une grand-mère y prend tout son sens. Les abeilles et les escargots montrent deux façons de se mouvoir dans la vie et d’aborder les autres, quant à la fleur elle est la sédentaire qui attend… et contemple les belles abeilles tourbillonnantes.
Mais les images restent gaies, colorées, en gros plan sur les personnages et ceux-ci ont une bonne figure toute ronde et souriante, évacuant toute tristesse.

Méditer avec les Zamizen. Apprendre les émotions en s’amusant, vol. 1

Méditer avec les Zamizen. Apprendre les émotions en s’amusant, vol. 1
Marc Singer, Stéphane Mallard, Agathe Singer (ill.), Iris Singer et Robbie Marshall (chant), etc.
Voltaire et les Zamizen, Maison Eliza, 2021

Méditer en chantant

Par Anne-Marie Mercier

Voltaire, ne rêvez pas, c’est un chat, mais un chat quasi-philosophe… Il serait plutôt du côté du Zen, comme le titre l’indique et comme le programme le montre : « ne pas se laisser déborder par les émotions, quand on est stressé, en colère, quand on a peur, quand on n’est pas d’accord avec quelqu’un, ce qui arrive à tout le monde ».
Calmer le jeu, faire une pause, travailler sur sa respiration. Rompre avec le mécontentement, être attentif à son humeur comme à la météo, s’initier à la méditation, apprendre à accueillir la nouveauté, l’autre…
Tout cela est présentés en textes et en mini BD qui mettent en scène le chat et mettent en chansons les histoires pour illustrer le thème. Elles sont présentées dans le livre, sous la forme de textes poétiques en pages de gauche et de portées musicales en page de droite : voilà de quoi aider les parents et éducateurs à accompagner aussi en musique.
Et pour ceux qui ne sauraient pas en jouer il y a le CD, ou le Qr code : tout est prévu ; on y trouve la chanson joliment accompagnée au xylophone, à la guitare, au saxo, etc.  et les paroles qui guident la méditation.

Voltaire et les Zamizen, c’est une équipe, un projet, un programme pour l’école ou la famille, une boutique (qui vend le livre et un jeu de cartes sur les émotions), un site. Leur but : « transmettre aux enfants les clés pour inventer un monde plus paisible et heureux. Un monde plus ouvert et bienveillant ».

 

Pourquoi les lapins ne fêtent pas leur anniversaire ?

Pourquoi les lapins ne fêtent pas leur anniversaire ?
Antonin Louchard
Seuil jeunesse, 2021

Métaphysique des terriers

Par Anne-Marie Mercier

Revoilà Zou, le petit lapin qui avait permis à Antonin Louchard de répondre à la question Pourquoi les lapins ne portent pas de culotte ? (Seuil, 2016); il est présenté ici pour répondre à une autre question plus cruciale, et même existentielle
Un beau jour d’automne, notre héros quitte sa famille et le village de Cucuron, dans les environs de Lourmarin, pour découvrir le monde et vivre des aventures. Sauvé de la noyade par des castors, mis en quarantaine par une tribu de lapins traumatisés par la mémoire d’une épidémie, soumis à un interrogatoire devant le grand Bagadou et l’ordre des Carottes bleues qui dirigent cette secte, il parvient à s’échapper et à repartir vers le vaste monde pour remplir de belles découvertes et d’aventures les quelques mois qui lui restent : un lapin sauvage ne vit guère plus qu’un ou deux ans, nous dit l’auteur, d’où le titre.
Ainsi, Antonin Louchard met à portée des jeunes lecteurs le dilemme d’Achille : vaut-il mieux vivre longtemps, obscur, une vie un peu plate ou bien mourir jeune après une vie bien remplie ? Zou, comme Achille ont choisi la vie brève.
On trouve aussi dans cet album des échos de Watership Down de Richard Adams (Monsieur Toussaint, 2020) qui met en scène des lapins dans une histoire qui tient de l’épopée, plus proche d’ailleurs  de l’Énéide que de l’Iliade : on y voit également une secte de lapins coupés du monde qui choisissent la servitude pour obtenir une illusion de sécurité et s’engourdissent eux aussi dans une religion hypnotique.
Mais Antonin Louchard est aussi un artiste illustrateur et ses dessins inimitables sont des merveilles d’humour et de vivacité et la tristesse induite par la réponse à la question qu’il pose s’évanouit devant la beauté du monde et de l’aventure.

Diogenes, homo et canis – Diogène, l’homme-chien

Diogenes, homo et canis – Diogène, l’homme-chien
Yan Marchand, Vincent Sorel (ill.)
traduction (vers le latin) de Delphine Meunier
Les petits Platons, 2021

Philosophie pour la jeunesse

Par Anne-Marie Mercier

J’avoue que je n’ai lu que la deuxième moitié de cet ouvrage bilingue, la première partie étant en latin et mes souvenirs de cette langue étant trop fragmentaires. Mais j’ai regardé tout le livre : les nombreuses illustrations comiques et colorées de Vincent Sorel sont un régal et s’étendent largement dans le premier texte, tandis qu’elles figurent en marge du deuxième, différentes et également savoureuses.
Le texte met le personnage de Diogène à portée des jeunes lecteurs en leur proposant un héros qui leur ressemble, un tout jeune homme débarquant à Athènes pour y découvrir la philosophie. Il s’ennuie à l’école de Platon, mais est séduit par un personnage étrange qui l‘entraine à sa suite et lui fait découvrir une autre manière de penser et surtout de vivre.
Initiation, indépendance, prise de risque, que d’aventures philosophiques ! Quant à ce qui se passe quand le père du jeune homme apprend ce qu’il fait de ses études et de son argent, nous vous laissons le découvrir.
Ce livre a connu une première édition, en 2011.