Baba Yaga

Baba Yaga
Géraldine Elschner (texte) – Aurélie Blanz (illustration)
Editions de l’Elan vert – 2015

La petite maison (aux pattes de poule) dans la prairie

Par Michel Driol

Babayaga-COV-GC.inddTous les enfants russes connaissent Baba Yaga, la sorcière. Peut-être les enfants français la connaissent-ils un peu moins, avec ses attributs, le cannibalisme, la maison sur pattes de poules, le mortier,  Cette version raconte l’histoire d’une petite fille, dont le père s’est remarié avec la sœur de Baba Yaga. Cette marâtre envoie la petite chercher du fil et des aiguilles chez sa sœur. Heureusement, la petite va demander conseil à la sœur de son père, qui lui donne le moyen de s’échapper en cas de difficultés, qui ne manquent pas de se produire dès que l’héroïne se retrouve prisonnière de Baba Yaga dans l’isba aux pattes de poules. Elle soudoie ainsi par des cadeaux la servante, le chat, les chiens, le bouleau et le portail, et parvient à s’échapper, montrant que gentillesse et reconnaissance valent mieux que mauvais traitement.

Voilà donc un conte traditionnel « revisité » par Géraldine Elschner  dans une prose poétique pleine de fraicheur et de rythme. La disposition évoque des vers libres. La langue est travaillée et les échos s’y multiplient : Bonjour ma tantinette – Bonjour ma mignonnette. L’écho le plus fréquent est la répétition du Y a qu’à, dans les conseils donnés par la tante, ceux donnés par le chat, et repris avec malice par le narrateur à la fin, donnant conseil pour faire le gâteau aux raisins sans rhum : y a qu’à essayer. Dès lors, tout semble léger et facile, même venir à bout d’une sorcière – ogresse !

Les illustrations ne jouent pas sur les clichés russes faciles : isbas et neige, mais évoquent plutôt la magie de l’orient dans l’architecture et les arcatures. Pays magique  aux fleurs géantes, aux arbres fleuris, pays qui devient de plus en plus étrange et inquiétant lorsqu’on se rapproche de la maison de Baba Yaga, ceinte d’échelles et de passages suspendus, de sombres oiseaux à tête humaine… avant de nous plonger dans le monde surnaturel de la poursuite, où la sorcière traverse une rivière, puis une forêt aux lianes inextricables.  Couleurs chaudes et froides alternent, les couleurs froides étant associées au monde de Baba Yaga.

Une belle interprétation qui renouvèle le genre du conte russe classique tant par l’écriture que par l’illustration.

Sann

Sann
Chen Jiang Hong
L’école des loisirs, 2014

A renverser les montagnes

Par Anne-Marie Mercier

SannLe format, presque carré, le fond noir de la couverture sur laquelle se détache le costume bleu du petit Sann et les têtes blanches de trois dragons font déjà de cet album un livre à part. A l’intérieur, si l’histoire est un joli conte dans lequel la ténacité d’un enfant arrive littéralement à déplacer des montagnes, les images sont saisissantes de beauté, de profondeur. Encres, gouaches et aquarelles ont un magnifique rendu, la tonalité d’ensemble, noire, fait ressortir les rares couleurs, un tissu rouge qui réapparait comme un leitmotiv, le safran de la robe du sage que l’on retrouve dans le ciel de la dernière page. Superbe !

L’Olympe assiégé (La conspiration des Dieux, t. 3)

L’Olympe assiégé (La conspiration des Dieux, t. 3)
Richard Normandon
Gallimard (Folio junior), 2012

Apollon est mort, vive Phaeton ! (ou : « place aux jeunes »)

Par Anne-Marie Mercier

La conspiration des Dieux t3Apollon est mort, ou plutôt Phébus, bon. Héra est une horrible mégère et elle ramène des Enfers les Titans (dont Cronos) pour qu’ils règnent sur l’Olympe. La jeunesse, incarnée par Phaeton, le nouveau héros de l’histoire, ne se laissera pas faire…

Un récit bien mené, des intrigues diaboliques, des personnages entiers, oui, c’est assez réussi : mais pourquoi réécrire à ce point l’histoire pour de jeunes lecteurs qui ont déjà du mal à retenir le récit premier ? Seule consolation : il y a un arbre généalogique et cela peut les aider à mémoriser qui est fils ou mari de qui. Sinon, autant faire une énième histoire de dragons, on peut tout inventer librement.

Animanège

Animanège
arno, Renaud Perrin
Rouergue, 2014

Métamorphoses graphiques

Par Anne-Marie Mercier

AnimanègeDans l’espace blanc de la page, des animaux jaunes et bleus passent : tigres, pigeons, dromadaires, vaches, tortues, escargots… ils laissent au passage leurs accessoires, bleus : rayures, taches, cornes, carapaces, ailes, bosses… et repartent avec ce qui reste de leurs leur corps, jaune. Les formes bleues déposées forment un paysage.

Ils reviennent et s’affublent de ce qu’ils trouvent le tigre prend les pics du porc-épic et devient lion, les tortues deviennent pangolins, les cerfs antilopes… tous repartent avec leurs nouveaux ornements, seuls deux pigeons sont les dindons de la farce.

Album jeu, puzzle, espace de métamorphoses à reproduire à l’infini grâce à un (simple?) jeu de tampons.

Les Filouttinen Tome 2 : Coup de Bluff

Les Filouttinen Tome 2 : Coup de Bluff
Siri Kolu
Didier Jeunesse 2014

Coup bas entre bandits

Par Michel Driol

filou2Voici le deuxième tome de la série des Filouttinen, qui se passe un an après le premier. Liisa a été envoyée en colo musicale. Bien évidemment, elle se fait enlever par sa famille de bandits préférés, quelques jours avant la fête annuels des bandits, au cours de laquelle sera élu le maitre bandit. Liisa va y participer, dans l’épreuve de bluff.  De fait, ce volume se concentre sur les épreuves dont les règles changent sans cesse, et les coups bas, vols, agressions auxquelles se livrent les bandits entre eux. Comme on s’en doute, les Filouttinen et Liisa l’emporteront et Kaarlo-le-Rude sera nommé maitre bandit, tout en devenant nouveau papa !

On retrouve tous les personnages du premier tome, ainsi que  l’humour dans la description et la conception des épreuves déjantées, les acronymes farfelues (PiRA :Pirouette au regard assassin, ACAR : Appel au combat à l’adresse d’un adversaire redoutable), dans la vie des bandits, leur mode de communication qui les constitue comme une microsociété à la fois au sein et en marge de la société finlandaise. Liisa est moins spectatrice découvrant ce monde qu’actrice y participant de façon active. Elle prend conscience que la fête des bandits est  un redoutable guet-apens pour la prise du pouvoir, et que l’épreuve de bluff risque de révéler des secrets dangereux. Manquent, sans doute, par rapport au premier tome les listes de Liisa (on n’en retrouve que quelques-unes) et la diversité des chapitres du premier volume.

Reste une série, qui prend son rythme de croisière, et  que l’on continue à déguster avec plaisir.

8 minutes et 19 secondes

8 minutes et 19 secondes
Rascal, Hubert Grooteclaes
L’école des loisirs (Pastel), 2014

Album pour un adieu

Par Anne-Marie Mercier

8 minutes et 19 secondes8 minutes et 19 secondes, c’est le temps mis par la lumière du soleil pour parvenir jusqu’à nous. Le « Je » qui parle dans cet album évoque une séparation, la souffrance due à l’absence. Qui est mort, ou parti ? on ne le saura pas (« Maman dit que c’est pour toujours »). Mais on entend une voix qui parle de souvenirs, de proximité, de regards tendres plus rapides que la lumière, et plus durables aussi. Les jours passent, avec le triste et le gai. Passé l’hiver, le printemps revient.

Les photographies d’ Hubert Grooteclaes, tantôt en noir et blanc, tantôt en surexpositions à peines colorées, commentent autant qu’elles accompagnent le beau texte de Rascal, pudique et émouvant. L’album au format à l’italienne très allongé laisse durer le plaisir du regard en page de droite, et met le texte à nu sur beaucoup de blanc en vis-à-vis.

Les Métamorphoses d’Ovide

Les Métamorphoses d’Ovide
D’après Ovide, Françoise Rachmuhl, Nathalie Ragondet
Flammarion (Père Castor), 2015

Métamorphoses métamorphosées

Par Anne-Marie Mercier

meta rachmulhOn ne compte plus les adaptations des Métamorphoses d’Ovide dans les périodes où elles sont au programme des écoliers, ce qui est à nouveau le cas depuis quelques années, après une longue éclipse. Dans celle-ci, le texte de Françoise Rachmuhl (qui a publié aussi en collection de poche des récits tirés des Métamoprhoses) est relativement fidèle au texte, qui a été modernisé et simplifié (on pourra toujours contester la traduction non ambiguë du texte sur la fin de l’histoire de Daphné, mais c’est un choix qui est fait par de nombreux traducteurs). L’originalité est surtout dans le choix des épisodes, certains étant peu connus. Pan et Syrinx, la corne d’abondance d’Acheloüs, les oreilles de Midas, sont moins fréquemment transcrits que les histoires de Daphné, Pygmalion, Philémon et Baucis, les Piérides, Phaéton ; quant à celle d’Orphée, elle se limite souvent à la deuxième mort d’Eurydice et n’inclut pas, alors que c’est le cas ici, l’épisode des Bacchantes.

Les illustrations sont charmantes, elles évitent l’académisme et la mièvrerie, sauf lorsqu’il est question d’Apollon. Les filles et déesses sont au contraire parfaites, fraiches, avec du caractère et le cadre naturel stylisé parfaitement.

A la poursuite du grand chien noir

A la poursuite du grand chien noir
Roddy Doyle
Traduit (anglais/Irlande) par Marie Hermet
Flammarion jeunesse, 2015

« Brillant ! », Un remède à la dépression/récession

Par Anne-Marie Mercier

grand chien noir« Brilliant« , tel était le titre original et tel est le qualificatif qu’on aimerait donner à ce livre qui a eu un grand succès en Irlande : ce mot, dans ce pays est un terme qu’on emploie à tout propos et qu’on pourrait traduire par « super », « génial » ou par une autre formule encore plus actuelle. C’est le mot magique, celui qui dit l’enthousiasme et l’élan, et qui fait rebondir quand on est à terre. L’enthousiasme ici est le propre de l’enfance, représentée par les deux héros, frère et sœur, Simon et Gloria, et par les autres enfants qu’ils rencontrent. Simon est l’aîné, mais il a peur du noir; Gloria, non.

Il est étonnant de voir que l’économie peut être au centre d’un roman pour enfants. L’histoire se passe pendant la crise dite des « subprimes« , ou de la « bulle immobilière » qui a frappé le monde financier et par contrecoup tous les secteurs entre 2007 et 2011. Cette crise a touché de plein fouet l’Irlande, qui est passée d’une période de croissance extraordinaire (à tous les sens du terme) à une très forte récession : faillites de banques et d’entreprises, chantiers de construction arrêtés, expulsion de propriétaires ne pouvant plus rembourser leurs emprunts…

La crise est vue à hauteur d’enfant : Simon et Gloria qui avaient chacun leur chambre apprennent qu’ils vont devoir partager une même chambre car leur oncle Ben, qui est dans une passe difficile, va venir vivre chez eux. Pas de problème : ils l’adorent ; leur père, frère de Ben, est ravi, leur mère pas mécontente (sa propre mère est toujours fourrée chez eux même si elle a un appartement indépendant). Il y a un beau portrait de famille, détendue, solidaire, aimante, mais pas mièvre, parfois à cran dans ces situations. Tout va à peu près, avec de beaux moments d’humour, jusqu’à ce que le « grand chien noir » pose ses pattes sur les épaules de Ben, rendant l’atmosphère irrespirable.

Dans l’ancien folklore, le chien noir est associé à la mort (voir Cerbère, ou Le Chien des Baskerville de Sherlock Holmes). Il est devenu aussi la métaphore de la tristesse et de la dépression (depuis – d’après Wikipedia – Samuel Johnson, le fameux « Dr Johnson). Comme cela est dit dans le prologue dialogué, personne n’y peut rien, ou presque : « seuls les enfants de la ville pouvaient faire quelque chose » ; c’est la conclusion de deux chiens du voisinage qui ont vu avant tout le monde l’arrivée du monstre.

Après avoir surpris une conversation d’adultes parlant de ce chien noir, les deux enfants partent dans la nuit et le voient, en « vrai » ; la métaphore des adulte prend corps dans les yeux des enfants. Ils le suivent dans une course éperdue à travers la ville, en partant de l’ouest. Ils suivant la rivière Liffey jusqu’à la mer, passant par Phoenix Park et le zoo, et rencontrent d’autres enfants qui ont comme eux un proche tyrannisé par un « chien noir ». Frissons, moments de désespoir (ce chien est très proche des détraqueurs de J.K. Rowlings) et enthousiasme alternent avec des temps de poésie. La nuit et ses bruits, la ville vide, les animaux qui les regardent passer et les encouragent, les amitiés qui se nouent, la « chute » – si l’on peut dire – surprenante avec Ernie et sa cape de vampire et son papa… tout cela est une belle démonstration du fait que oui, dans certaines situations, seule la jeunesse peut nous sauver, tant qu’elle sait s’exclamer à tout propos : « brilliant » !

depressionPour prolonger la liaison chien noir/dépression, voir la vidéo très pédagogique de Matthew Johnstone, en lien  avec l’OMS sur plusieurs blogs, tirée de son livre illustré.

Roddy Doyle est un auteur de romans, célèbre en Irlande, notamment pour Paddy Clarke ha ha ah! Il est connu en France surtout pour sa trilogie (The Commitments, The Snapper, The Van), qui a inspiré des adaptations cinématographiques.

Histoire singulière du portrait en pied du Gouverneur de Mandchourie

Histoire singulière du portrait en pied du Gouverneur de Mandchourie
Marais, Dedieu
Hong fei, 2014

Leçon de peinture

Par Anne-Marie Mercier

Histoire singulière du portrait en pied du Gouverneur de MandchourieDans cet album, se déploie un conte qui prend son temps et laisse le lecteur en deviner la morale : refus d’une représentation mensongère du réel, refus du réalisme, mais choix d’une mise en scène qui s’adapte au réel… Une leçon de peinture mais aussi peut-être d’existence ?

On retrouve l’esthétique chinoise que Thierry Dedieu a développée dans ses albums précédents publiés aux éditions Hongfei, fonds blancs, couleurs rares mais éclatantes, dessin à l’encre subtil et percutant.

Le Retour de Cherokee Brown

Le Retour de Cherokee Brown
Siobhan Curham
Flammarion (tribal), 2013

« Alors comme ça vous voulez écrire un roman ? »

Par Anne-Marie Mercier

Le Retour de Cherokee BrownA presque 15 ans, quand on s’appelle Claire Weeks, qu’on est incomprise par sa famille, qu’on n’a jamais connu son père biologique, qu’on boite, qu’on est devenue le souffre douleur de sa classe depuis le départ de la seule amie qu’on a jamais eue, qu’espérer de la vie ?

Une solution : le changement de nom : on découvre qu’on s’appelle Cherokee Brown, que le père qui a lâchement abandonné femme et enfant ne demandait qu’à se racheter et qu’en plus c’est un musicien de rock talentueux mais désargenté et que son meilleur ami a 18 ans et les yeux verts. La littérature de jeunesse n’en finit pas de réinventer de nouveaux contes de fées et de flatter le vieux rêve de l’enfant trouvé : mes parents ne sont pas mes vrais parents, les vrais sont bien mieux, etc. Ajoutons : tout le monde est méchant avec moi (on a du mal à croire au harcèlement dont elle est victime au lycée, au vu et au su de tous les élèves et de professeurs muets).

Pourquoi ce roman ne m’est-il pas tombé des mains ? Eh bien parce qu’il m’a fait rire, mais je ne sais pas si des adolescents le liront au second degré. Le charme de ce roman est dans sa maladresse même : il est écrit à la première personne au jour le jour par Claire, avant de devenir Cherokee, lorsqu’elle décide d’écrire après avoir trouvé un livre d’occasion intitulé « Alors comme ça vous voulez écrire un roman ? » d’Agatha Dashwood. On devine derrière cette écrivaine un peu ringarde les noms d’Agatha Christie et de Jane Eyre (Marianne Dashwood est l’une des héroïnes de Raison et sentiments, son premier roman). Les « extraits » de son œuvre placés en tête de chaque chapitre sont d’une naïveté comique, par exemple, avant un chapitre qui se passe à Montmartre – Claire vit à Londres et son merveilleux père l’emmène à Paris : « Le lieu de l’histoire est essentiel pour créer l’atmosphère. Pourquoi situer une scène d’amour dans une décharge publique de Grimsby quand vous pouvez l’avoir dans le paysage romanesque des Cotswolds ? ». Montmartre, c’est tellement romantique !

Certes, chère Agatha. En attendant, Claire a réalisé son envie d’écrire et est ainsi devenue Cherokee, démontrant qu’écrire peut servir à se reconstruire. On espère que les lecteurs comprendront bien qu’en dehors de ce message, tout le reste, y compris Claire et surtout Cherokee, est « pure » fiction.