Tonnerre de mammouth

Tonnerre de mammouth
Véronique Delamarre- Pascale Perrier – Illustrations de Bastien Quignon
Sarbacane 2023

Des mammouths et des hommes

Par Michel Driol

Moutt et Kanda sont deux jeunes mammouths, un garçon et une fille, au cours d’une période glaciaire qui n’en finit pas. Inséparables, ils font de nombreuses bêtises ensemble. Ils ont caché quelques baies dans une grotte, et, poussés par la faim, veulent aller les récupérer. Mais la grotte est occupée par de drôles de mammifères qui se déplacent sur deux pieds, sans poils, sans ailes. Branlebas de combat chez les mammouths, car la vieille Moumoutte révèle qu’il s’agit d’hommes et qu’ils mangent de la chair. N’obéissant qu’à leurs désirs, les deux jeunes mammouths entendent pourtant récupérer leurs friandises, mais se retrouvent prisonniers des humains, qui sont bien décidés à manger Kanda…

Précisons tout d’abord que le narrateur n’est autre que Moutt et que son récit ne manque pas de saveur. D’abord dans la relation qu’il entretient avec Kanda, la fille du chef, bien plus entreprenante et audacieuse que lui, qui se verrait bien poète (ne s’exprime-t-il pas parfois en vers, parfois en slam ?) ou artiste (n’est-ce pas lui qui a dessiné des animaux sur les parois de la grotte, faisant croire aux hommes que ce sont des messages des esprits ?). Le récit de leurs aventures est assez désopilant, tant dans les mésaventures qui leur arrivent que la façon de les raconter. Plaies, bosses, chutes sur le coccyx… on a un large panorama de petits et grands bobos qui affectent le corps de héros sans affecter leur moral ou le sens de l’humour du narrateur ! Mais le récit vaut peut-être autant par son côté roman d’aventures cocasses que par ce qu’il dit de nos propres rapports avec l’histoire et les animaux. La préhistoire vue par Moutt, ce sont un peu nos Lettres persanes…  D’abord, ces mammouths ont toutes les caractéristiques des hommes : des noms, un langage, des activités, ils vivent en groupe, ont un chef (qui subit une vraie carnavalisation réjouissante dans ce récit !), se transmettent des savoirs, élèvent leurs enfants en leur interdisant de manger trop de sucreries, par exemple… Ensuite parce qu’ils ont un regard qu’ils croient justifié sur les humains : petits, chétifs, nus, ils ne pourront pas survivre. Cruels, attachant des animaux, les tuant pour en faire des vêtements, ils sont à l’opposé des pacifiques mammouths herbivores.  Pour Kanda, les choses sont sûres : dans de nombreuses générations, quand les hommes auront disparu et que des mammouths viendront visiter leur grotte, ils salueront en Moutt un grand artiste… L’histoire de l’humanité est là pour lui donner tort… Mais ne sommes-nous pas, nous, hommes du XXIème siècle, dans la même position que Kanda ? Nous nous croyons invincibles, maitres du monde, espèce éternelle sur terre. C’est sans doute là un des messages de ce roman, d’attirer notre attention sur ce que nous faisons subir aux animaux, et de nous dire que, comme les mammouths qui se croyaient invincibles, nous ne le sommes peut-être pas… Mais retrouvons un peu d’humour et de légèreté avec les illustrations, pleines de vie, de Bastien Quignon, qui donne vie à ces personnages attachants (et attachés), respectant à la fois leurs caractéristiques de mammouths, mais les humanisant par le regard (et une fleur dans la toison !).

Un roman enlevé, drôle, dynamique, plus proche de Silex and the city que de la Guerre du feu, mais dont le fond est peut-être bien plus sérieux qu’il n’en a l’air…

Moi aussi j’ai faim !

Moi aussi j’ai faim !
Coralie Saudo
Amaterra 2023

Dis moi qui te mange…

Par Michel Driol

C’est d’abord le plancton mangé par la crevette, à son tour mangée par le petit poisson, à son tour mangé par le gros poisson, mangé par le phoque, mangé par l’ourse blanche…

Cette histoire de chaine alimentaire est traitée sur le monde de la répétition et de la surprise. Dans une première double page, on a la formule récurrente « Oh là là, qu’est ce que j’ai faim moi », et la découpe d’une bouche ouverte, sur la page de droite, laissant apercevoir la couleur de l’animal suivant. Sur la double page suivante l’animal prédateur, qui se régale « Miam, du bon plancton, ou une belle crevette, dit… ». Et ainsi de suite, avec une logique qui fait passer du plus petit au plus gros dans cette histoire en randonnée qui respecte les chaines proie/prédateur… A chaque fois que l’on tourne une page, c’est une nouvelle surprise pour le lecteur, avec une dimension ludique dans les propos tenus, et la représentation stylisée des animaux (l’œil tourné vers l’arrière de la proie qui se méfie, l’œil tourné vers l’avant du prédateur qui va se régaler…). Le texte, simple et amusant, sait aller à l’essentiel, tout en dédramatisant, grâce au comique de répétition, cette chaine infernale dans laquelle chacun finit dans l’estomac de l’autre. Toute structure répétitive implique une chute qui clôt la série. Ici, c’est l’ourson, figure enfantine, qui s’adresse à l’ourse blanche, dans un « maman, moi aussi j’ai faim », illustré par un face à face touchant et plein d’amour d’une mère et de son petit… renvoyant le jeune lecteur à ses propres besoins et à la relation qu’il entretient avec sa propre mère capable de les satisfaire.

Un album qui joue sur la simplicité et la surprise pour évoquer joyeusement le besoin fondamental de tout être vivant, manger !

Les Animaux en couleur

Les Animaux en couleur
Magali Attiogbé
Amaterra 2022

Découpes, formes et couleurs

Par Michel Driol

Voici un bestiaire destiné aux plus petits, dans lequel on croise une tortue verte, un renard orange, un escargot jaune et bien d’autres animaux pour finir par une chenille… multicolore.

Le dispositif est identique et se répète sur deux pages. Première double page, page de gauche un motif avec une couleur dominante, page de droite une indication de lieu, quelques plantes stylisées, et une découpe. Seconde double page, page de gauche, la découpe devient un élément d’un animal nommé et associé à une couleur, et page de droite, d’autres éléments végétaux ou naturels.

Ce jeu de devinettes, de cache-cache, ne recherche pas à tout prix la vérité des couleurs (si le flamand est bien rose, l’éléphant est bleu), mais il place bien les animaux dans leur cadre habituel. On est surpris à chaque page par les formes très épurés et les motifs souvent géométriques qui donnent naissance, non sans ingéniosité, à des animaux familiers aisément reconnaissables.

Un album, comme un imagier destiné à la fois à apprendre les couleurs, les animaux et les formes…

Nous, les enfants de l’archipel

Nous, les enfants de l’archipel
Astrid Lindgren, illustrations de Kitty Crowther
Traduit (suédois) par Alain Gnaedig
L’école des loisirs (Hors collection), 2022

Éternels étés dans l’île

par Anne-Marie Mercier

La première partie du roman, longue comme un jour d’été, commence en juin et s’achève à la fin des vacances avec le triste retour de la famille Melkerson à Stockholm. Leur séjour de vacances sur l’île de Saltkråkan (ou île du cormoran) aura été une belle parenthèse. Mais l’histoire continue : après un chapitre intitulé « le problème avec l’été, c’est qu’il passe vite » on est heureux de ne pas les quitter et de les voir revenir sur l’île à Noël, au printemps, encore à l’été… et pourquoi pas toujours ?
Chacun en profite à sa façon : le père, Melker, écrivain, est veuf et très soucieux du bonheur de ses enfants qu’il connait bien et comprend bien. Il tente de se faire bricoleur et cuisinier (avec un succès relatif et des scènes comiques à foison) et se lie avec tous les habitants du village ou presque. La fille ainée, Malin, tient lieu de mère aux enfants, tout en menant sa vie de belle jeune fille de 17 ans très courtisée. Johan et Niklas, adolescents pleins de vie, toujours prêts pour la baignade, sont très différents, l’un plein d’imagination comme son père et comme lui voué à une vie tourmentée, et l’autre « le plus heureux et le plus stable des Melkerson », solide et calme. Enfin, le petit Pelle est le personnage le plus attachant de la famille, ultra-sensible, posant sans cesse de curieuses questions : « Pourquoi avait-on envie de pleureur en entendant le bruit des fils du téléphone, ou quand celui du vent dans les arbres donnait l’impression qu’ils étaient tristes ? ». Très attentif aux animaux et n’en possédant pas, il adopte le nid de guêpe sous le toit en attendant mieux. Il forme un trio extraordinaire avec deux fillettes de l’île, Stina et surtout Tjorven (la batailleuse), enfant de 7 ans accompagnée d’un énorme chien appelé Bosco ; elle « semble avoir été créée en même temps que l’île » tant elle l’incarne, douce, et brute.
Les dialogues entre les enfants sont très drôles et l’on y retrouve de nombreuses situations classiques, toutes traitées avec sensibilité et drôlerie : la concurrence entre les deux petites filles (Pelle y est imperméable), l’adoption d’animaux et les problèmes de communication avec eux, les enterrements d’animaux pour lesquels Tjorven chante toujours le même cantique sinistre… Les enfants, petits et grands, affrontent difficultés, dangers, joies et chagrins, ils cultivent les secrets.
Ils ne sont pas inoxydables comme l’héroïne la plus célèbre de l’auteure, Fifi Brindacier, mais oublient vite les obstacles : « On vit dangereusement quand on a sept ans. Dans le pays de l’enfance, dans ce pays secret et sauvage, on peut frôler les pires périls et considérer que ce n’est rien de spécial ». Les illustrations de Kitty Crowther sont parfaites pour ce trio.
Douceurs de l’été, joies de l’hiver et du printemps, tous ces petits bonheurs sont égrenés au fil d’un beau récit, qui est aussi long (presque 400 pages) et captivant, dans lequel les rebondissements ne manquent pas : qui sera l’amoureux de la belle Malin ? le renard mangera-t-il le lapin de Pelle ? Que deviendra le phoque apprivoisé (enfin, pas tant que ça) de Tjorven ? Son Chien Bosco supportera-t-il qu’on lui préfère un phoque ? Sera-t-il abattu pour avoir attaqué l’agneau de Stina ? Enfin, la maison du menuiser qui les a abrités sera-t-elle vendue et détruite ?

L’été doit-il avoir une fin ? – et l’enfance ? Quelle que soit la réponse, Astrid Lindgren les fait revivre merveilleusement.

24 décembre

24 décembre
Arthur Drouin – Geneviève Desprès
D’eux 2022

Noël animalier au Pôle Nord…

Montmartre le renne veut à tout prix fêter Noël comme chez les humains, selon ce que son cousin Nez-Rouge lui a raconté. Alors, avec l’aide d’un lièvre, d’un ours, d’un pingouin, d’une morse, d’un renard, il prépare tout pour que le gros monsieur barbu vienne leur apporter des cadeaux : une cheminée de neige, un poisson en guise de gâteau, des chaussures en guise de chaussettes et un arbre. C’est au retour de sa tournée que leur voisin, le père Noël, trouve quelques cadeaux bien rouges à leur faire, sans oublier de leur laisser une lettre d’invitation pour le Noël suivant !

C’est un album familial, puisque Geneviève Desprès a demandé à son fils d’imaginer l’histoire à partir de quelques animaux qu’elle avait dessinés dont le renard. C’est un album familial aussi, c’est-à-dire à lire en famille, de préférence le 24 décembre. Bien au chaud, on appréciera alors l’humour, la drôlerie et la finesse de ce récit en randonnée dans lequel des animaux bien typés vont imiter et s’approprier les rites de Noël. En effet, chaque animal a ses traits de caractère : la vivacité à fleur de peau de Fanny, la petite lièvre, la science de Montmartre, qui s’est déjà entouré les bois de gui, la timidité d’Esmé le pingouin…, traits de caractère qui sont à la fois portés par le texte et par les illustrations qui confèrent à ces animaux attendrissants des regards tout à fait expressifs et humains. Au cœur des plaines glacées du grand Nord, on admire ces amis et leur ingéniosité, leur façon de tout faire pour que le rite ait lieu, avec les moyens du bord et une dose incroyable de bonne volonté… et il en faut pour faire accepter au renard grognon de prêter un arbre ! C’est un album qui décline à sa façon la magie de Noël, avec ce qu’il faut de coopération pour préparer une fête, et ce qu’elle apporte de lien entre tous dans la célébration improbable de cette veillée où on se raconte des histoires drôles jusqu’au point de tomber de sommeil. C’est enfin un album à la chute à la fois attendue et plaisante. Bien sûr que dans cet univers le père Noël ne pouvait qu’être leur voisin, et l’album n’hésite pas à nous faire découvrir sa maison contemplée par les six animaux stupéfaits, et bizarrement accoutrés de leurs cadeaux, qui d’un cache nez, qui de chaussettes… Avant de refermer l’album, on comparera les images des animaux sur les pages de garde, avant et après Noël… et on se souhaitera de passer un Noël aussi Noël et aussi plein de surprises qu’eux !

Une histoire qui célèbre l’entraide, l’amitié et fait la part belle au rêve et à la magie de Noël, avec cette dose d’optimisme, d’humour et de vie venue du Québec qui fait du bien !

L’Arche que Noé a bâtie

L’Arche que Noé a bâtie
Henri Galeron
Les Grandes Personnes, 2022

Et tous ses animaux

Par Anne-Marie Mercier

L’Arche que Noé a bâtie est un petit bijou qui devrait figurer dans toutes les bibliothèques des lieux où il y a des enfants. D’abord parce que c’est un album du merveilleux Henri Galeron, qui fait de si belles images. Ensuite, parce que c’est un livre total, tout en étant très court : un livre objet à rabats, montrant la même image de l’arche dans toutes ses pages, mais chaque fois en ajoutant un nouvel animal, et s’achevant sur une foule d’animaux faisant une grande fête pour oublier leur dispute. C’est aussi une histoire, des chamailleries qui commencent avec le rat qui veut grignoter le riz que Noé va embarquer, chahuté par la chouette, qui elle-même est chassée par le chat ; le pélican pique le chat, etc. Jeu d’assonance, texte à empilement, proche de la comptine et du poème, différents animaux qui vont entrer dans l’arche y apparaissent, plus ou moins par ordre de taille.
Et tout se termine en chansons, avec Noé à la batterie, avant le grand départ, dans une image saturée de détails.

Voir l’animation sur le site de l’éditeur.

 

 

 

 

C’est ce soir

C’est ce soir
Clémence G
A pas de loups 2022

Objectif lune

Par Michel Driol

Une poule pleine d’entrain part à la rencontre de ses amis, 1 oie, 2 ours, 3 cochons… jusqu’à 12 lapins, sans oublier une centaine de fourmis et leur donne rendez-vous ce soir. Mais pour quoi faire ? Pourquoi, dans leurs galeries, les fourmis transportent-elles des tubes plus longs qu’elles ? Et quel est le rôle de cet oiseau fantaisiste qui fait l’acrobate d’une page à l’autre sur les fils électriques ? Tout ce petit monde se retrouve donc le soir, pour un compte à rebours suivi d’une magnifique pyramide d’animaux en direction de la lune, les tubes des fourmis servant à construire l’échelle.

C’est d’abord un album à compter les animaux jusqu’à 12, mais aussi jusqu’à 100 pour les fourmis. C’est ensuite un album en randonnée et à énigme, invitant le lecteur à se questionner sur ce qui va se passer ce soir, secret partagé par tous, sauf le lecteur ! C’est enfin un album  sur l’entraide qui permet grâce à l’union de réaliser ses rêves et de tenter de toucher la pleine lune. L’album est porté par un graphisme plein de couleur, de vie et de fantaisie. Les doubles pages en format paysage regorgent de détails à découvrir, comme ce minuscule escargot récurrent. Il faut enfin déplier un volet pour découvrir dans son ensemble la majestueuse pyramide. Le style plutôt naïf de la représentation des animaux, les paroles sagement enfermées dans des bulles donnent à lire une sorte de bande dessinée au dénouement inattendu, poétiquement absurde.

Autour d’un personnage exalté, un album qui suit le rythme d’une journée, joue sur les variations des modes d’invitation, sur l’attitude des différents animaux, pour célébrer les plaisirs de l’entraide et rendre hommage à la nature.

Tous les chiens savent nager (ou presque)

Tous les chiens savent nager (ou presque)
Gauthier David
Thierry Magnier –Petite poche – 2022

Quand Papi jette la chienne à l’eau

Par Michel Driol

Mika dore passer ses vacances chez Papi Bouli, où il peut jouer avec Morille, la petite chienne. Jusqu’au jour où le grand père, pour prouver que tous les chiens savent nager, jette la petite chienne à l’eau. Celle-ci regagne bien la rive, mais ensuite boite et gémit. Et le grand père ne veut rien savoir, si bien que Mika se sauve avec Morille pour trouver un moyen de la guérir.

Voilà un roman qui tranche avec les représentations des relations grands-parents / petits-enfants en littérature pour la jeunesse. Le geste imbécile du grand-père, sa volonté de ne pas le reconnaitre, de ne pas s’excuser, conduisent son petit-fils à le voir autrement, comme un monstre d’abord, puis comme un homme qui a vécu et a, sans doute, son histoire à raconter. C’est là l’intérêt de ce petit roman de poser des questions d’ordre psychologique. Les adultes aussi peuvent se conduire comme des enfants. Il est bien difficile de reconnaitre ses torts. Mais, bien sûr, l’amour finit par tout arranger !

Un roman court, destiné à de jeunes lecteurs débutants, qui permet d’aborder la question du comportement de tous et de chacun, et la notion de responsabilité

Si loin de Noël

Si loin de Noël
Baum-Dedieu
Seuil Jeunesse 2021

Tristes tropiques !

Par Michel Driol

Sur une ile du Pacifique vivent quatre amis, Crabe, Pélican, Nasique et Tortue. Comme tous les ans, ils s’activent fin décembre dans l’attente du Père Noël qui semble ne pas connaitre leur ile. Cette année-là, Nasique voit s’échouer un coffre sur une plage, rempli de choses diverses : casque, bottes, lunettes, qu’il emballe soigneusement pour signifier à ses amis que le Père Noël est passé. C’est alors que tombent du ciel quatre flocons…

Les deux auteurs signent ici un joli conte de Noël loin de l’imagerie traditionnelle des lutins et du grand Nord. Il dit l’attente d’un moment exceptionnel, capable de rompre la monotonie des jours, avec ses préparatifs. Il dit l’amitié entre quatre animaux, bien différents mais, en même temps, aux caractères indistincts, petite communauté ilienne agissant ensemble. Il dit l’amitié, le don, la volonté de faire plaisir aux autres, voire l’altruisme. Il dit la enfin la magie de Noël, avec ce coffre mystérieux, et surtout les quatre flocons, quatre comme les quatre personnages. Le texte sait se faire discret, quasi minimaliste, mais aussi adopter le point de vue des personnages. Il laisse la place à de grandes illustrations en double page, à des images très colorées, aux couleurs des tropiques, bleu turquoise, avec des animaux très peu anthropomorphisés, parfois par une pose, ou un accessoire, représentés avec réalisme.

Un bel ouvrage pour toucher à l’essence de Noël : la générosité, la magie, la surprise, les cadeaux, le plaisir. Comme dans Un Noël pour le Loup, Dedieu continue de tourner autour de ce thème afin de le détourner, de le revisiter avec bonheur.

Le printemps des oiseaux rares

Le Printemps des oiseaux rares,
Dominique Demers
Gallimard, scripto, 2021

Des oiseaux pour références

Maryse Vuillermet

Un roman à deux voix, les voix des deux héros, deux adolescents : lui, Jean-Baptiste, dit JB, surdoué, passionné, d’oiseaux et de tous les animaux, solitaire, gentil, gaffeur, vivant à Montréal dans une famille nombreuse de catholiques pratiquants, elle, Mélodie, vit seule avec sa mère et se remet très difficilement de son premier amour qui s’est terminé par un viol.

JB rédige un mémoire sur les oiseaux pour intégrer un cursus universitaire d’exception et obtenir une bourse. Dans les extraits de son travail, on apprend avec émerveillement combien les animaux sont communicants, intelligents, fidèles et amoureux; Ils aiment passionnément et fidèlement, « 90% des oiseaux sont monogames, les chardonnerets échangent des baisers passionnés, les albatros sont unis pour la vie. ».  Ils sont aussi capables de jouir d’un acte gratuit comme certains vautours qui s’élèvent à 10 000 mètres d’altitude par gout de l’ivresse.  Ses connaissances, il va les partager avec Mélodie et avec nous. Mais aussi ses découvertes, une nichée de renardeaux, un rassemblement de sitelles, trois mésanges, un écureuil, il passe le plus clair de son temps sur le Mont Royal à Montréal à observer. Mélodie y fait beaucoup de sport, et c’est donc là qu’ils se heurtent et se rencontrent.
Tous deux ont un quotidien difficile, JB est en opposition avec la religion de son père qu’il juge intransigeant et peu aimant, Mélodie ne comprend pas ce que sa mère lui cache de sa relation avec son père, et d’un petit frère mort bébé dont elle trouve des photos cachées.  Tous deux sont à fleur de peau, écorchés et, de rebondissement en rebondissement, on s’attache à ces héros.
Beaucoup de thèmes sont abordés, l’existence de Dieu, le monde animal, la différence, la mort, le viol, ça parait beaucoup, mais tous sont abordés avec délicatesse et par la voix de ces deux jeunes intelligents et en recherche. Et les références constantes au monde des oiseaux les aident dans leur réflexion et leur combat et guident notre lecture, JB est un albatros, « ses ailes de géants l’empêchent de marcher, » ; JB surnomme tendrement Mélodie « Sauterelle » ; les autres personnages, les parents, les adultes en général, ne sont pas stéréotypés, tous ont leur part d’ombre, leurs doutes et leurs échecs.
Le titre original est « l’Albatros et la mésange », je le préfère, pour ce roman très original, profond et émouvant.