Le Trésor au bout de la branche

Le Trésor au bout de la branche
Didier Lévy, Marie Mignot
Sarbacane, 2024

Monsieur le chaperon et madame la louve

Par Anne-Marie Mercier

Deux enfants s’en vont vont jouer au Chaperon rouge dans la forêt. Pas de panique, ce n’est pas encore une réécriture du conte mais une simple variation, qui joue systématiquement sur les questions de masculin et de féminin autour de ce conte.
Première entorse, là où chez Perrault l’univers était totalement féminin, ici, la mère est absente et le père est aux fourneaux. Deuxième entorse : la fille (qui est l’ainée) déclare qu’il n’y a pas de raison pour que son frère fasse le loup et pas elle. Un tirage au sort verra la sœur enfiler le costume de loup (allusion à Max et les maximonstres de Sendak ?) tandis que le frère aura le costume de la fillette en rouge. Ainsi les fameux archétypes sont totalement inversés. Par la suite, le « naturel » ou le stéréotype revenant au galop, le garçon se rebiffera et décidera que ce costume est celui du « grand chasseur rouge » armé d’une branche qui fera office de fusil. Il n’y aura cependant pas de chasse : le loup que la fille incarne est selon elle celui « qui protège la forêt et la nature tout entière », donc pas question de s’y attaquer ; le garçon, lassé de faire peur aux oiseaux, utilisera sa branche en suivant le conseil de sa sœur, à la façon d’un sourcier. Enfin, cette branche les conduira à la Grande Louve  qui d’après la sœur devait les départager. On ne sait pas bien d’où sort cette louve et comment la sœur connait son existence; son apparition détruit sans motif ni gain la petite logique du récit.
Les images, schématiques sur fond blanc sont expressives et évoquent parfois le conte d’origine à travers la représentation de la forêt et du chemin. La fin du récit ramène à la chaumière, celle du départ, nulle mère-grand à l’horizon (à moins que ce ne soit la Grande Louve, mais il manque la galette et personne n’est mangé, à part le pique-nique).

 

Rouge

Rouge
Pascale Nolot
Gulf Stream (électrogène), 2021

Petit Chaperon rouge gore

Par Anne-Marie Mercier

Quelle belle idée que de refaire le Petit Chaperon rouge en le situant dans le genre de la fantaisie et à destination des ados ! Et il est rouge et bien rouge : la fille qui est l’héroïne du roman porte ce nom : Rouge, c’est elle. On lui a donné ce nom à cause de la tache de naissance qui lui mange la moitié du visage.
Il y a des loups, du sang, des viols, c’est même assez glauque et l’auteure fait tout ce qu’elle peut pour mettre son lecteur mal à l’aise en lui mettant sous les yeux des chairs, des blessures, des choses qui inspirent le dégout. La grand-mère à qui chaque jeune fille du village doit apporter un panier de provisions est aussi une belle trouvaille. Être mystérieux, fée ou sorcière, monstre immortel ? Que fait-elle de toutes ces jeunes filles qu’on lui envoie et qui ne reviennent jamais ?
Ce roman regorge de belles idées. Mais il est un peu encombré par ce désir d’ajouter dégoût sur dégoût.
Le problème principal tient à l’écriture : celle-ci est si ampoulée, tiraillée par différentes directions, tantôt surécrite tantôt familière, les dialogues sont si faux que l’on a du mal à y croire et encore plus à tenir la distance et ce livre qui se voulait captivant m’est tombé des mains malgré mes efforts. Dommage.

Rose blanche et La Petite Fille en rouge

Rose blanche
Christophe Gallaz, Roberto Innocenti (ill.)
Gallimard jeunesse, 2019

La Petite Fille en rouge
Aaron Frisch, Roberto Innocenti (ill.)
Gallimard jeunesse, 2013

Retours de classiques, sombres chemins

Par Anne-Marie Mercier

Le trait de Roberto Innocenti est ici aussi beau que ses histoires sont sombres. Dans La Petite Fille en rouge, version du « Petit Chaperon rouge », il présente une histoire tragique à la fin de laquelle une mère attend une fillette qui ne reviendra pas, perdue dans la grande forêt éclatante de lumière qu’est la ville, et capturée par un homme inquiétant. Dans Rose blanche, l’artiste délaisse l’univers du conte pour celui de l’histoire et le prédateur est ici non plus un individu désocialisé mais une société tout entière, celle de l’Allemagne nazie.
Rose vit dans une ville où elle voit passer des convois de véhicules qui emmènent des gens invisibles vers une destination inconnue. Un jour, après avoir vu un petit garçon qui tentait de s’enfuir de l’un de ces camions, elle suit la route et découvre un camp de concentration. Chaque jour, elle revient pour apporter du pain aux enfants.
On éprouve une certaine gêne devant l’invraisemblance de cet aspect de l’histoire qui risque de masquer la vérité du reste et celle du contexte historique.
Le charme, certes paradoxal, de l’album, est dans ses images aux tons bruns où l’on retrouve le souci du détail de l’artiste et l’expressivité des visages : elles donnent une vision triste d’une petite ville allemande de cette époque, pour s’échapper ensuite dans un univers qui évoque la forêt des contes, avec l’horreur et la mort au bout du chemin. La petite fille en rouge suit elle aussi un chemin compliqué et long, mais coloré de toutes les séductions de la ville moderne, jusqu’à sa fin que l’on devine tragique, comme  celle de Rose.

Rose blanche a été publié une première fois en 1985, chez le même éditeur. Il est indiqué que Christophe Gallaz est auteur du texte, « sur une idée de Roberto Innocenti ». Il existe une autre version de la même histoire avec le même titre, et comme auteur du texte le célèbre Ian McEwan, (Penguin, 2004).

 

 

Histoire du loup qui dévorait des histoires

Histoire du loup qui dévorait des histoires
Anne Jonas, Brunella Baldi
Éditions de l’édune, 2015

 

L’origine de la violence et Le Chaperon rouge

« Dévorer » un livre, la formule est prise au pied de la lettre par Anne Jonas et Brunella Baldi : un loup, comme beaucoup de loups modernes, n’aime pas manger les bêtes et les gens, c’est donc un loup-gentil, ce qui est devenu assez banal. Première originalité, il se nourrit des histoires qu’il entend en guettant sous les fenêtres. Deuxième originalité : les auteurs poussent la logique jusqu’au bout : qu’arrive-t-il lorsque ce loup entend l’histoire du Chaperon rouge ? Le processus identificatoire jouera-t-il ? L’indignation devant l’injustice qui lui est faite le poussera-t-elle à changer d’attitude ?

On trouve de,multiples clins d’œil, aussi bien dans le texte que dans les images, à de nombreux contes. Mais on peut voir aussi dans cet album un conte étiologique qui imagine l’origine de toutes les histoires de loup, un « commencement » aux fictions qui font peur, à travers l’histoire de celui qui était  » peut-être le premier loup ».

Fable philosophique, vertigineuse comme la question de savoir qui est premier, de l’œuf ou de la poule. La violence existe-t-elle pour le petit d’homme avant qu’on la lui raconte ? Les images, très expressives, offrent une vision biaisée par les émotions, entre réalisme et schématisme, accentuant les effets de peur et le mystère.

Emilie au marché

 Emilie au marché
Domitille de Pressensé

Casterman, 2012

D’une génération à une autre, le regard d’Emilie

Par Dominique Perrin

Voici l’attachante Emilie au chaperon rouge en route avec son frère vers le marché aux fruits et aux légumes, aux fromages, aux fleurs et aux poissons. Bien que la très grande classe de trait et d’écriture des albums des années 70 n’ait pu sortir intacte des opérations d’actualisation esthétique présumées nécessaires à leur poursuite, les enfants du 21e siècle peuvent continuer à se délecter des aventures d’une petite fille aux allures certes désuètes, mais au tempérament toujours bien trempé. Si le présent album semble d’abord sacrifier – non sans charme d’ailleurs – à un principe d’utilité documentaire sur le « petit monde du marché », on retrouve finalement le sel poétique des décisions d’Emilie au cœur d’une narration associant classicisme et art de l’ellipse.

Rouge

Rouge
Anne Brière-Haquet, Elise Charpentier
Motus, 2010

par Frédérique Mattès

Un petit livre rouge, clin d’œil à une histoire fort connue. Il est question ici d’une mamie qui tricote, tricote quantité de vêtements rouges pour sa petite fille … Les petits textes en vers réjouiront les plus jeunes, l’illustration épurée, bicolore (rouge et noire) s’inscrit dans des cadrages audacieux .Une version fantaisiste du Petit chaperon rouge qui participe du retour aux textes patrimoniaux. A la dernière page, l’illustration offre une ouverture iconique. En effet, alors que la mamie affirme : «  Avec ça, crois-moi, il ne pourra rien t’arriver» (commentaire de la mamie offrant un  chaperon rouge à sa petite fille), l’illustration montre, en arrière-plan, un loup se pourléchant les babines….