Alors, c’est quoi, la vie?

Alors, c’est quoi la vie?
Laurence Salaün, Gilles Rapaport (ill.)
Seuil Jeunesse, 2021

Et Dieu dans tout ça? 

Par Christine Moulin

La doublette d’auteurs que constituent Laurence Salaün et Gilles Rapaport avait déjà sévi avec des ouvrages désopilants (la série « Il y a des règles ») et posé des questions fondamentales (C’est quoi être un grand? C’est quoi être un bon élève?). Ils s’attaquent ici, comme l’indique le titre de l’album, au problème de fond: « C’est quoi la vie? ». Les réponses sont proposées sous forme d’une liste d’infinitifs, portée par la voix d’un enfant, infinitifs qui balayent la variété des aspects du problème, accompagnés d’une petite phrase annexe: cette petite phrase, que le lecteur attend de page en page, rompt l’éventuelle monotonie et introduit encore davantage de distance et d’humour.
On démarre, de façon assez attendue, avec la naissance. Suit l’enfance avec ses plaisirs (on retrouve presque Brami ou Delerm: « La vie, c’est manger de la neige fraîche en hiver »), ses contraintes (aller à l’école, par exemple), ses contrariétés, ses évolutions (« La vie c’est aimer quelqu’un d’autre que sa maman, son doudou, le chocolat et les frites. C’est aimer pour de vrai, quoi! »). De temps en temps, l’auteur glisse une leçon de vie, discrète: « La vie, c’est se faire peur, se dépasser, se tromper et recommencer! » ou, plus surprenante, une règle d’orthographe sur les « verbes bi-pronominaux »! On peut également noter une allusion à ce qui a envahi récemment nos existences: « La vie c’est trouver 2 euros par terre et ne pas pouvoir les ramasser à cause du coronavirus. » Quelquefois, c’est une note de poésie qui s’invite: « La vie c’est beau. Belle, si c’est une fille. » Progressivement, par petites touches, on aborde l’adolescence (« La vie c’est s’embrasser avec la langue! ») mais on s’arrêtera au seuil de la vie adulte. Dans cette litanie, s’immisce un fil rouge: le désir d’avoir un chat, qui initie aux joies du comique de répétition et prépare la chute…
Les illustrations de Rapaport, très expressives, on s’en doute, font souvent écho au texte mais surprennent parfois et introduisent une dissonance, voire une contradiction, qui provoquent rire et jubilation, quand elles ne suggèrent pas des interprétations tendancieuses, pour mieux détromper le lecteur, honteux de s’être laissé prendre… (« La vie c’est recommencer ce qui fait plaisir. Mais uniquement sous la couette… »: et il y a une suite!)
Bref, c’est truculent, joyeux et roboratif!

Promesses

Promesses
Christine Roussey
Editions de La Martinière, 2021

Je te donne…

Par Christine Moulin

Le format ressemble à celui des innombrables livres pour bébés qu’on peut acheter en librairie ou… n’importe où. Mais la délicatesse peut se cacher derrière un cartonnage épais. Ne serait-ce que grâce à de poétiques fenêtres qui permettent  de s’initier aux joies de la surprise et de la métamorphose. Tel papillon est en fait un cerf-volant: il suffit de changer de point de vue en tournant la page! Cependant, l’ouvrage de Christine Roussey ne serait pas la petite merveille qu’il est sans le texte, qui dit le miracle d’être parent. Accueillir un enfant, c’est enfin être comblé, découvrir le vrai sens de la vie: « Je te donne la vie, tu deviens mon soleil et mon phare dans la nuit. » Mais c’est aussi partager, léguer les plaisirs les plus concrets, les plus délicieusement terre à terre: « Je te donne […] tes bottes pour sauter dans les flaques. » C’est faire du quotidien un tremplin pour les rêves: « Je te donne ton bain et nous traversons les océans » (comme il est doux, ce « nous » et comme il est agréable de rendre au verbe « donner » tout son poids dans cette expression pourtant si commune: « donner le bain ». Presque un baptême…). C’est faire confiance à l’avenir et à son enfant: « Je te donne du temps, tu gravis les montagnes. » C’est offrir au lecteur la magnifique phrase finale: « Je te donne ta place, tu prends racine. »  Le livre Promesses les tient toutes, et surtout celles de la quatrième de couverture: « c’est tout l’amour qui déborde  et qu’un « je t’aime » ne suffit pas à dire. »

Cet ouvrage est le troisième tome d’une série qui comporte aussi : Promesses, tome 2Promesses, tome 1 et Promesses, tome 4.

Le jour où je serai grande

Le jour où je serai grande
Timothée de Fombelle, Marie Liesse (photos)
Gallimard Jeunesse, 2020

Célébration

Par Christine Moulin

L’album Le jour où je serai grande est un magnifique poème qui adopte la forme ancestrale et mythique de la liste, pour célébrer les trésors que nous offre la vie mais que les enfants seuls savent regarder, à hauteur d’enfant. Comme la petite créature d’Andersen, Poucette parcourt le monde, mais elle part moins loin et limite ses découvertes, qui n’en sont pas moins merveilleuses, à ce qu’on peut voir dans une maison ou un jardin, grâce aux splendides photographies de Marie Liesse, la bien-nommée: c’est en cela qu’elle ressemble également un peu à Alice (une page évoque d’ailleurs « le goût des larmes salées »). Mais rien n’est vraiment effrayant ici (si ce n’est la rencontre avec une araignée qui, en fait, est là surtout pour « le plaisir d’avoir un peu peur… mais pas trop »). Au fil de la lecture, nous pouvons nous amuser à chercher Poucette qui tantôt se cache, tantôt nous fait face et semble nous inviter dans son univers. Ce qui est émouvant, enfin, c’est que le texte est une sorte de « Je me souviens » prospectif: Poucette, en effet, note tout ce dont elle veut se souvenir, quand elle aura grandi, à la différence des adultes indifférents. Loin de ce qui est censé nous remonter lourdement le moral, ce livre fait joie et s’achève sur un souffle, un « rien » qui dit tout.

On peut feuilleter le livre sur le site de l’éditeur.
Un entretien avec Marie Liesse

Un temps pour tout

Un temps pour tout
Lucile Lux
Soc et Foc, 2014

Avec le temps…

Par Christine Moulin

 Dans ce petit album au format de presque carnet, le texte égrène une liste (Il y a des secondes, des minutes, des jours etc. où…) qui s’éclaire grâce aux illustrations, faites de dessins et de collages: par exemple, les minutes où l’on se sent « abominablement seule », ce sont celles où l’on voit, à l’arrêt d’un bus, des mères et leurs enfants, visiblement heureuses et épanouies. Chaque page permet au lecteur (mais il est vrai plutôt à la lectrice, adulte, il est vrai aussi) de se reconnaître et de se sentir moins incompris avec ses émotions, ses sentiments, ses déceptions, ses joies et ses tristesses. Cet ouvrage est donc précieux, au-delà de son apparence ténue et discrète. Cela dit, on peut penser qu’il parle plus aux trentenaires qu’aux enfants ou même aux adolescents (sans toutefois être hors de leur portée), à l’instar d’un album dont on peut le rapprocher, J’attends, de Davide Cali.

Livres

Livres
Murray McCain, John Alcorn (ill.)
Autrement Jeunesse, 2013

It’s a book !

par Christine Moulin

 9782746733480FSNombreux les livres qui vantent le livre, à l’heure où l’on craint ou feint de craindre les progrès de la lecture numérique. Leur ancêtre à tous semble bien être l’ouvrage Livres, publié par les éditions Autrement, dans cette judicieuse collection qui veut faire « découvrir […] des classiques injustement oubliés ou jamais publiés en France, qui se distinguent par leur force littéraire et leurs qualités graphiques ». En effet, il date de 1962 et annonce les jeux postmodernes dont nous sommes friands, ceux, par exemple, de Lane Smith, d’Emily Gravett ou d’Hervé Tullet. Même s’il figure dans la collection « Vintage », il n’est en rien démodé (que peut être la « mode », d’ailleurs, dans le domaine qui nous occupe?). Le graphisme, faussement vieillot, arbore des couleurs qui se rehaussent mutuellement pour aboutir à une atmosphère gaie et dynamique, à base de rouge, de rose et d’ocre. Mais surtout, cet ouvrage ravira les amoureux des listes: elles sont nombreuses et farfelues à souhait. C’est ainsi que l’on a, forcément, envie de compléter celle des sujets de livre (où se côtoient Picsou, le vent dans les saules et « ce bon vieux roi Arthur »), celle des mots épineux (où l’on trouve Grigrimenufretin mais aussi travailler…), celles des mots heureux, des mots rigolos, des mots pour réfléchir (où figurent, le linguiste étant prié de ne pas chipoter à propos de la notion de mot, tu ne devrais pas, tout un chacun mais aussi en douceur). Parfois, l’humour absurde est juste délicieux (voir la page… sur les pages). La joyeuse mise en abyme finale est à l’unisson et fait de cet album un livre réjouissant.

ABC bestiaires

ABC bestiaire
Janik Coat
Autrement Jeunesse, 2012

D’Antonin à Zadig

Par Christine Moulin

45239L’abécédaire est un genre ancien… Nous voilà loin, ici, des merveilles victoriennes, aux illustrations chargées. Tout est épure, à commencer par les pages de garde, qui montrent des dessins en noir et blanc, aux douces formes arrondies. La courbe, tel semble le parti pris de cet album, en effet, ainsi que les aplats de couleur, qui ne pourront que réjouir les yeux enfantins. Mais les parents et les plus grands pourront aussi apprécier la discrète originalité qui donne son prix à ce moderne imagier. La structure, accumulative, permet d’aboutir à une image foisonnante, une fois le « z » atteint. Mais surtout, ce qui est à la fois ludique et instructif (le mot est lâché…!), c’est que les mots écrits à chaque page n’indiquent pas le nom du nouvel animal représenté, mais lui associent un prénom. C’est ainsi que la baleine, semble-t-il, s’appelle Barbara. On s’imagine les jeux linguistiques qui peuvent alors naître spontanément: Didier le dindon, Florimond le flamand, Gaby la grenouille…  Pour vérifier si « l’on a juste », si l’on a bien identifié le nouvel animal, il faut se reporter à une liste, à la fin de l’ouvrage ou sur la quatrième de couverture, liste qui, en elle-même, est déjà jubilatoire, comme l’ensemble du livre, dont on peut présager qu’il sera longtemps et souvent feuilleté.

Voir aussi l’enthousiasme de nos amis de Ricochet.

Un dragon dans la tête

Un dragon dans la tête
Pittau et Gervais

Gallimard Jeunesse, Giboulées, 2011

Le dragon chauve

par Christine Moulin

pittau,gervais,gallimard,ginoulées,poésie,liste,christine moulinPas plus de dragon dans cet album que de cantatrice, chauve ou non, dans la pièce d’Ionesco. Quoique : le dernier poème explique en quelque sortte le titre, sous le signe de l’absence, il est vrai, mais une absence qui donne sa chance à l’imaginaire : « Dans la forme/ Des nuages/ Je n’ai pas vu/ Des dragons fumants […]/ Tout ça/ Je l’ai vu dans ma tête/ Juste en fermant les yeux ».

En revanche, la poésie, elle, est là, et bien là. Fondée sur le goût des listes, très nombreuses, sur la célébration de l’infime (« La fourmi », La grenouille » « Un jour de soleil »), de l’intime aussi (« Caché bien caché »). Avec quelquefois des envolées plus larges (« Ici et là-bas », poème en miroir qui dit l’universalité des interrogations humaines ; « Trait pour trait » qui rappelle la difficulté et la joie d’être soi) mais aussi des incursions vers l’humour (« Un jour, un jour », ode à la procrastination), vers la poésie graphique (« Paysage en ville ») ou tout simplement vers l’évocation voilée, proche du silence, des chagrins enfantins (« Les petits chats »).

Les images,, mêlant formes modernes et simples à des collages nostalgiques, accompagnent les poèmes sans les illustrer lourdement, retenant un moment, une impression, proposant, au fond, une lecture, sans l’imposer.

Voilà un beau livre, grâce auquel « on peut caresser le ventre des nuages ».