Petits poèmes pour toi et moi
Milja Praagman – Traduction d’Emmanuelle Tardif
Gallimard Jeunesse 2024
Ce que lie la poésie
Par Michel Driol
Une vingtaine de textes, superbement traduits du néerlandais par Emmanuelle Tardif, composent ce recueil de petits poèmes, petits par la taille et non par les thèmes abordés.
Une fois n’est pas coutume, on regardera d’abord les illustrations, animalières uniquement. Une famille de léopards, allongés, un petit manchot couché sur le ventre d’un parent, deux coccinelles qui se donnent la main, l’une à tête rouge, l’autre à tête noire, des ours blancs qui se bagarrent ou un éléphant tentant d’entrer dans un ascenseur. Des animaux qui, pour la plupart, vont par deux, figures des parents et des enfants, mais aussi figure d’égalité, de parité. Des animaux qui relèvent de la mer ou de la terre, des insectes ou des mammifères, parfois dangereux, parfois inoffensifs, disant la tendresse, l’affection, le bonheur , la perplexité parfois, ou la tristesse. Ces illustrations dessinent ainsi tout un paysage mental, un univers sensible qui vient préparer la lecture des textes avec lesquelles elles résonnent.
Des poèmes qui, pour l’essentiel, font une large part au « je », un « je » moins lyrique qu’acteur pris dans des situations du quotidien. Un « je » enfantin, inséré dans une famille, avec ses parents, ses grands-parents, mais aussi ses amis, un « je » qui grandit, qui s’ouvre au monde, qui s’interroge sur ce qui l’entoure. Il est question d’amour, de mort, de chagrin, d’espoir, des émotions qui font le quotidien d’un enfant aimé. Il est question de ce qui le lie aux autres, sous différentes formes, amour, amitié, fraternité, identité, confiance, de ce dont il a hérité de ses ancêtres, de ses parents. Il y est aussi question d’ouverture à l’autre, inconnu, venu d’au-delà des mers, qu’on refoule, alors qu’on aimerait jouer avec lui, ou de ces habitants de la ville qu’on ne salue pas comme on saluait dans son village. Il y est enfin question de la vieillesse et de la mort, de la perte, du chagrin qui peut faire avancer ou reculer. Ce sont ainsi différentes figures du rapport à l’autre et à soi-même qui sont questionnées dans une langue d’une grande simplicité apparente, mais qui sait varier les figures et les genres. Recette de cuisine pleine d’humour pour la bagarre, consultation médicale pour l’accueil du migrant, récit pour le voisin acariâtre, berceuse pour finir… Selon les poèmes, la traduction joue avec quelques rimes, parfois des assonances, elle respecte probablement les métaphores, les comparaisons, les reprises dans une langue qui sonne juste sans aucune mièvrerie.
Des petits instants de vie, des sensations, des émotions, des questions parcourent ces Petits poèmes pour toi et moi et nous invitent à voir ce qui nous relie aux autres sans pour autant nous aliéner et perdre notre identité. Un recueil plein de tendresse, de douceur, d’humour et de poésie.


C’est l’histoire d’une fille de pasteur, sage élève modèle, qui est amoureuse depuis l’enfance d’un apprenti artiste, accessoirement loup-garou à ses heures perdues (on le découvre dès la page 43 alors qu’il y en a plus de 400 !). Bon. On peut dire que ça partait mal ! Mais, contrairement à mes attentes peu enthousiastes, j’ai été prise par cette histoire.
A l’instar du héros du film de Christopher Nolan, l’héroïne, Lili, a des problèmes de mémoire et pour y remédier, rédige des notes tous les soirs sur sa journée : en effet, elle ne se souvient pas du passé. Toutes les nuits, à 4h33, son « disque dur » s’efface et elle recommence sa vie à zéro. Enfin, pas tout à fait car elle se souvient de l’avenir, ce qui peut expliquer qu’elle arrive à suivre des études à peu près normales, en première. Sur cette base, le roman explore quelques pistes intéressantes : le rôle de l’écriture, la part de mauvaise foi ou de traumatisme qui préside à l’effacement de certains souvenirs, le caractère inéluctable (ou non) du destin. De plus, sur le plan narratif, la situation permet des effets de suspens efficaces. Au prix de quelques incohérences: comment Lili se souvient-elle de vagues connaissances alors qu’elle redécouvre l’amour de sa vie tous les matins (j’ai eu beau être attentive : je n’ai pas repéré d’explications) ? A part cela, le roman n’est pas très original : le contexte reste celui d’un lycée américain et décrit les tourments de l’adolescence. Mêmes élèves, mêmes cours, mêmes histoires d’amour, même méfiance face au « passage à l’acte », noyée dans un érotisme diffus, que dans les histoires de bit lit, où l’anormalité de l’héroïne ressortit plus au genre fantastique. Mêmes relations difficiles avec les parents, mêmes angoisses existentielles : que vais-je mettre aujourd’hui (significativement, tous les mémos de Lili commencent par : « tenue »).Cela dit, le récit est bien mené : on a envie de débrouiller les fils compliqués de la mémoire de Lili mais la fin semble à la fois trop dense (à côté du début un peu lente et bâclée, confuse. Certains, sur le Net, y voient la promesse d’un deuxième tome…