La Souris verte de peur

La Souris verte de peur
Agnès Debacker Claire De Gastold
Gallimard Jeunesse, avril 2024

Une souris verte mais pas que…

Par Edith Pompidou-Séjournée

C’est l’histoire d’une souris mais pas n’importe laquelle, il s’agit de celle de la comptine. Oui, la souris verte celle que tout le monde connaît. C’est même le premier texte du livre… À moins que… Non ! En fait c’est une souris blanche qui va nous raconter l’histoire et, même si on peut la distinguer à chaque page, chaque illustration est perçue à travers son regard. D’ailleurs les « messieurs » arrivent et ils sont très grands par rapport à elle. Heureusement qu’elle est blanche et pas verte cette souris car elle n’a pas du tout envie de subir le sort de celle de la comptine et de finir en « escargot », dans un « chapeau » ou pire encore dans une « culotte » ! Mais voilà d’y penser, elle devient verte… de peur !… ce qui ne la rassure pas du tout. Elle essaie plusieurs moyens pour se calmer et retrouver sa couleur d’origine mais rien n’y fait et les messieurs sont là, tout près, « impressionnants », ils se penchent pour cueillir… une fleur ! Cette fois, la souris est vexée : comment ont-ils pu ne pas faire attention à elle ? Alors elle devient rouge de colère, puis rose de joie à leur retour, enfin bleue de tristesse quand ils s’en vont sans elle… Un album très imagé donc sur les émotions et les transformations corporelles qu’elles peuvent engendrer. Les illustrations sont drôles, colorées, la petite souris est attachante et ses expressions très anthropomorphisées. Cela propose une façon ludique de travailler autour des émotions pour mieux les comprendre et les appréhender ou encore pour jouer avec les mots. Les premiers vers de la comptine traditionnelle sont d’ailleurs repris et réinventés en fin d’album pour chacune des couleurs de souris proposées… Au lecteur peut-être d’en imaginer la suite ?…

Nuit blanche

Nuit blanche
Alice Brière-Haquet – Raphaële Enjary
(Les Grandes Personnes) 2021

Une histoire de chat et de souris

Par Michel Driol

C’est la nuit. Le chat se glisse hors de la chambre de son ami pour pourchasser la souris. Comme il neige, elle peut se cacher. Le chat rentre. La souris – la petite souris – prend la dent de l’ami du chat et dépose une pièce d’or tandis que le soleil se lève.

Sur ce synopsis minimaliste, voici un album somptueux grâce à son graphisme et à l’ingéniosité des couleurs. On le sait, la nuit, tous les chats sont gris, gris souris. L’album conjugue les couleurs essentielles, le noir de la nuit, le gris du chat, le blanc de la neige et de la souris, avec quelques taches de jaune : étoile, yeux du chat, pièce d’or et soleil.  Pour  l’essentiel, on baigne dans une atmosphère monochrome pleine de poésie que renforce le texte, simple commentaire de l’image, invitant à la contempler en silence. L’album est un appel à l’imaginaire : une découpe de quatre carrés, et voici une fenêtre blanche puis, une fois la page tournée, noire. Deux étoiles, et voici les yeux du chat dès que l’on a tourné la page… Une découpe de souris, visible sur le fond noir de la nuit, invisible sur le fond blanc de la neige… Dans ce décor nocturne et urbain, plein de charme, les deux personnages jouent un jeu éternel, celui du chat et de la souris, jusqu’au retour attendu de la lumière du soleil qui introduit à une nouvelle atmosphère, jaune et lumineuse.

Un album plein de trouvailles poétiques pour évoquer les mystères de la nuit quand les enfants dorment, la magie de la neige qui remplace le noir par le blanc.

Déjà

Déjà
Delphine Grenier
Didier Jeunesse, 2016

On n’y voit pas que du bleu

Par Christine Moulin

La couverture est « déjà » magique. D’un magnifique bleu, celui de tout l’ouvrage, elle présente les personnages de ce récit de randonnée cumulatif, emportés en un bond particulièrement dynamique vers ce qui ne peut être que poésie: deux ennemis héréditaires, visiblement réconciliés, une mignonne souris et un chat tout doux (Félix-Minou à qui est dédié ce livre?). Souris réveille Chat pour un voyage nocturne qui permet de découvrir sur chaque page de droite un animal endormi, fragile et émouvant, serein, plongé dans des rêves qu’interrompent nos deux héros, suscitant le refrain ensommeillé : « déjà? » C’est l’occasion, à  chaque fois, de découvrir un lieu précis (sous les feuilles du platane, au fond du jardin, etc.) et une splendide couleur qui tranche sur le bleu velouté de la nuit. Mais quand apparaît le lapin, tout change: le fond de la page s’éclaircit et le lapin s’écrie, occasionnant une rime: « enfin! » Il a d’ailleurs l’œil « déjà » ouvert. Une double page, selon les lois du genre, récapitule les animaux rencontrés et les emmène, en une ascension mystérieuse, vers la splendeur que révèlent deux rabats, celle de l’aube. La jolie chute incite alors le très jeune lecteur à rejoindre son lit pour y poursuivre la promenade… Un splendide album, en forme de célébration.

Mignon et Chérie

Mignon et Chérie
Nadja
Ecole des Loisirs, 2017

« Trop » mignon ! 

Par Christine Moulin

C’est Nadja l’auteure de cette histoire, si bien qu’habitué à certains de ses ouvrages un peu « rosses », on a peur, tout au long de la lecture: qui va être le berné,  le déçu? Chérie va-t-elle être mangée? Au risque de « divulgâcher » la fin, personne! On a là un vrai « feel good » album, adorable, mignon comme tout, qui met de bonne humeur, sans bêtifier: les deux animaux sont très attendrissants et militent doucement pour l’amitié, le partage et l’entraide, même entre « ennemis héréditaires ». Leurs attitudes sont drôles (il faut voir Chérie s’enfuir après son larcin!) et leurs expressions permettent bien de partager leurs émotions (comme on voudrait pouvoir consoler Mignon quand il est triste!).

Sacrée Souris

Sacrée Souris
Raphaële Moussafir
Illustré par Caroline Ayrault
Sarbacane (pépix), 2014

Origines de La petite Souris et autres révélations importantes

Par Anne-Marie Mercier

sacréesourisTitre proche, mais rien à voir avec l’ouvrage présenté dans la chronique précédente, Sacrées souris de Lowry.

On découvre ici l’un des premiers titres de la collection Pépix, romans pour les 8-12 ans, « cocktail d’aventures, d’humour et d’irrévérence » dit le site de l’éditeur (Sarbacane), ambitieux par son volume, plus de 200 pages, très aérées, en gros caractères et remplies de dessins en harmonie avec le ton de l’histoire. Et on retrouve avec plaisir Raphaële Moussafir, auteur du décapant Du vent dans mes mollets.

Sacrée Souris est un peu moins décoiffant (mais vise un âge plus tendre aussi) et propose une histoire qui donne l’origine du rite de la dent perdue mise sous l’oreiller et remplacée au matin par une pièce mise par « la » petite souris. Léonore, l’héroïne et narratrice de l’histoire a un « retard de croissance » et incarne donc parfaitement le personnage de la « petite » souris de la légende enfantine. Elle a aussi un âge mental délibérément et caricaturalement enfantin, refusant de grandir, sauf quand cela devient vital.

Aventures garanties, comme l’irrévérence, bien que la morale reste sauve : si les chapitres de leçons qu’elle propose aux « petits édentés » sont au début « comment rendre tes parents chèvre », elle poursuit sur une leçon expliquant pourquoi il faut finir son assiette, ranger sa chambre, se laver les dents. Mais le « comment » reste impertinent et fera beaucoup rire, on le suppose, les enfants – peut-être un peu moins les parents, démasqué dans bien des impostures ( hors celle de la petite souris, rassurons nous !).

Sacrées souris !

Sacrées souris !
Lois Lowry
Traduit (anglais) par Nadia Butaud
L’école des loisirs (neuf), 2014

Souris de bénitier

Par Anne-Marie Mercier

sacréessourisA travers le point de vue d’Hildegarde, chef de la communauté des 200 souris qui peuplent à l’insu des humains – du moins au début du récit – l’église de saint Bartholomew, on assiste à la crise qui résulte de la découverte de leur existence. Les prémisses montrent qu’Hildegarde a du mal à contrôler ses troupes, à réguler les naissances, la circulation dans les lieux et les heures sans dangers, les grignotages qui risqueraient d’être trop vite découverts, et enfin à maintenir son autorité face à sa rivale battue aux dernières élections.

L’indiscipline des ses ouailles provoque une campagne de dératisation. Elle conduit toute une manœuvre ingénieuse d’évacuation (suivie d’un retour, rapide), de sauvetage, de réhabilitation. Tout en se divertissant de ces aventures, le jeune lecteur peut apprendre beaucoup sur l’architecture d’une église et son vocabulaire (narthex, nef, transept, crypte), ses recoins (sacristie, combles et circuits électriques…), sur les rituels,  les habitudes du prêtre, de l’organiste, des enfants de chœur et des divers paroissiens (surtout paroissiennes). Enfin, les amis ou ennemis de Hildegarde sont typés et drôles (comme Ignatious qui a vécu dans la bibliothèque de l’université où il a ingéré de nombreux ouvrages antiques et savants et est de ce fait capable d’expliquer hors de propos des étymologies et notions absconses),et la fin, qui montre que ces souris ont un certain sens du sacré, est savoureuse.

Tout cet univers est sans doute loin de la culture de nombreux jeunes lecteurs, certes, mais un peu d’ouverture à l’inconnu ne peut nuire à ceux qui sont capables de s’adapter à des univers « nouveaux ». Si ce livre n’est pas aussi inventif et stimulant que d’autres romans de L. Lowry, il est original par son cadre, captivant par les affres de son héroïnes et séduisant par son humour.