Scarlett & Browne, livre 1: Récits de leurs incroyables exploits et crimes

Scarlett & Browne, livre 1: Récits de leurs incroyables exploits et crimes
Jonathan Stroud
Traduit (anglais) par Laetitia Devaux
Gallimard jeunesse, 2021

Bonnie and Clyde dans les sept royaumes

Par Anne-Marie Mercier

Je ne sais pas si c’est le fait d’avoir d’abord travaillé chez Walker Books, un éditeur anglais de livres pour enfants, qui a donné à Jonathan Stroud toutes les ficelles du métier (c’est un peu ce qu’il dit d’ailleurs) et les recettes pour aligner les best-sellers, mais le fait est qu’il les accumule : après avoir écrit une trilogie de fantasy pour la jeunesse (Trilogie de Bartiméus), il a publié un vrai feuilleton avec Lockwood & Co (histoires de chasseurs de fantômes) aux titres évocateurs; le premier est attirant : « The screaming straircase » – l’escalier hurleur, il a dû bien s’amuser…). Cette série  va être reprise chez Netflix par Joe Cornish (Attack the Block, The Kid Who Would Be King, Adventures of Tintin: The Secret of the Unicorn).
Jusqu’ici publié en France chez Albin Michel (dans la collection Wiz, dédiée à l’étrange, qui republie en ce moment des œuvres de Stephen King), le voici passé chez Gallimard jeunesse, dans la collection grand format de romans pour ados, qui a accueilli bien des ouvrages devenus des classiques (curieusement, on voit que pour ses publications en Angleterre, il a publié d’abord chez Doubleday, puis chez Corgi avant que cette nouvelle série sorte chez Walker). La liste de ses récompenses est impressionnante (voir son site, qui fait bien sa publicité).
Mais les recettes ne font pas tout et il s’agit aussi d’être un écrivain, et Jonathan Stroud l’est effectivement. Je n’avais lu aucun des ses ouvrages jusqu’ici et j’ai été immédiatement convaincue par son talent pour créer un univers complet avec sa géographie, sa flore et sa faune (brrrr…), faire émerger ses personnages, lancer l’action, laisser de nombreux éléments dans l’ombre et parsemer son récit de petits éléments comme l’allure de la lune ce soir-là, la lumière sur un objet,… qui rendent vrais les récits les plus incroyables. J’ai aussi aimé le cadre étrange mi familier mi nouveau dans lequel son histoire se déroule.
L’Angleterre a été dévastée par une catastrophe, on ne sait pas exactement laquelle. L’île est divisée en sept royaumes (tiens, tiens…) et est en partie envahie par l’eau. La région de Londres est un lagon, Chelsea, Bayswater et Wandsworth sont des îles libres – Depuis (?) La Belle Sauvage de Philip Pullman (qu’on trouve aussi chez Gallimard jeunesse), une Angleterre aquatique semble s’imposer. Les autres villes sont organisées en citées plus ou moins policées, présentant différents niveaux de civilisation (donc plusieurs époques). Elles sont tantôt livrées à la barbarie, tantôt dirigées par un tyran, tantôt administrées par un conseil municipal, toutes peu accueillantes pour les étrangers ou les êtres différents, et elles ont bien raison, tant ce duo de héros sème la pagaille partout où il passe. .
Étrangère, Scarlett McKain l’est. Elle est aussi aventurière, rousse, écossaise, pilleuse de banques, meurtrière quand il faut (et même un peu plus), pourchassée. Différent, Albert Browne l’est malgré son nom conventionnel (et très anglais) : d’abord par sa fragilité et son air perdu au milieu des monstres qui peuplent les forêts, puis d’une tout autre façon. L’entraide est immédiate, montrant que Scarlett a tout de même un coeur malgré sa sauvagerie. l’attachement entre ces deux-là se fait très progressivement, attendrissement et agacement se mêlant chez la première, reconnaissance et perplexité chez le second.
Je n’en dirai pas plus, tant les événements s’enchainent de façon surprenante : c’est à savourer sans culpabilité.

Pour faire un oiseau

Pour faire un oiseau
Mag McKinlay, Matt Oatley
Traduit (anglais, Australie) par Rose-Marie Vasallo
Kaléidoscope, 2022

Rêve d’ailes

Par Anne-Marie Mercier

Avec ce titre qui évoque le poème de Prévert, on retrouve le mélange entre réel et imaginaire, détails concrets et envol de la pensée.
Ici, c’est à une seule enfant qu’on s’adresse : on lui propose de reconstruire un oiseau à partir de ses parties : les petits os, les plumes, un bec, des griffes en crochet… le résultat est un peu pitoyable mais…
Ouvrir la fenêtre, respirer, souffler, rêver d’espace et la magie opère.

C’est très beau. On a envie d’y croire (mais on n’y croit pas vraiment tant les os, les plumes, l’absence de chair et de cœur et de chant disent la mort de ce qui fut l’oiseau). C’est un bel hommage à un oiseau disparu, et à un oiseau rêvé. Les images sont magnifiques et nous emportent dans les nuages et puis dans le bleu d’une plage immense et déserte.
C’est un beau voyage, et un éloge de l’imaginaire paradoxal, un peu étrange mais saisissant.

Laïka est revenue

Laïka est revenue
Jean-François Chabas
Rouergue (épik), 2022

La défaite de l’humanité

Par Anne-Marie Mercier

C’est une surprise de voir Jean-François Chabas au Rouergue, lui qui publiait surtout à L’école des loisirs, notamment en collection « médium », c’en est une autre de le voir dans le genre de l’anticipation, puisqu’il avait jusqu’ici exploré presque tous les genres, du récit animalier (Les Lionnes) au fantastique (Les Sorcières de Skelleftestad, Les Chroniques de ZI,…), du roman épistolaire porteur de questions sociales (Aurélien Malte) au roman porteur de questions historiques (La Terre de l’impiété, La Piste cruelle), à la nouvelle ou au roman d’aventures en terre américaine (Les Secrets de Faith Green): il semblait avoir délaissé ce genre depuis La Guerre des plaines bleues (publié en 2002 chez Casterman) – si je ne me trompe pas.
Enfin, la caractéristique de JF Chabas est que dans tous les genres il est excellent, et cela est vrai encore une fois : Laika est revenue est un grand roman, riche en péripéties, prenant et rythmé, avec des personnages attachants, de la drôlerie, de la tendresse, et un regard aigu sur les tares de nos sociétés.
Ça commence, comme Twilight, par une intrigue amoureuse : Anita parviendra-t-elle à obtenir la confiance et peut-être l’amour du beau Neolin, de la tribu des Lëni-Lënape (alias « Loups », alias « Delawares ») élève comme elle au lycée de Beltsville (Maryland). Son amie Mae Sunburn lui sera-t-elle d’une aide quelconque ou entravera-t-elle ses projets ? À quoi conduira la rivalité qui les oppose à d’autres filles du lycée ? Mais cela se corse dès les premières pages : Quel lourd secret lui cachent ses parents, dont elle a découvert qu’ils travaillaient dans un centre ultra secret (autrement dit ils sont des espions au service d’une agence américaine de renseignement)?
Les premiers chapitres du roman sont drôles, passionnants, nouant toutes ces petites intrigues qui n’engagent pas le sort de l’humanité. C’est alors que, soudain, dans le ciel apparaissent les « Tic-tac », des vaisseaux spatiaux d’extraterrestres. Que veulent-ils ? Qu’arrivera-t-il, une fois qu’on aura compris que rien ne peut les atteindre ? Comment échapper aux monstres préhistoriques qui déferlent tout à coup et se multiplient ? Comment échapper aux fantômes du passé?
Et que vient faire ici Laïka, la chienne envoyée dans l’espace par les soviétiques en 1957 ?
La réponse est terrifiante, et le college novel bien rythmé devient un récit de SF étonnant avant de devenir un thriller glaçant…

Et Soudain

Et Soudain
Rebecca Bach-Lauristen, Anna Margrethe Kjaegaard (ill.)
Traduit (danois) par Jean-Baptiste Coursaud,
Format, 2022

La métamorphose du vieux petit garçon

Par Anne-Marie Mercier

« Et soudain il est là.
Comme ça.
Comme tombé du ciel.
Mais au début il n’est pas là. »

Contrairement à ce que peut faire penser le titre, dans la première moitié de l’album, on voit se dérouler une vie exempte de surprise, celle de celui qu’on nomme « le garçon ». Ce n’est pas un enfant, mais un homme à l’allure juvénile, qui vit seul dans sa petite maison. On le voit cultiver un jardin bien sage, repasser, et prendre soin de bien aligner ses crayons sur son bureau. Il a pour seul compagnon un cactus (qu’il appelle Cactus) à qui il parle, avec qui il feint de jouer.
Un jour… tout est dérangé : ses pantoufles ne sont pas au pied de son lit, un crayon est cassé en deux, Cactus est tombé… que s’est-il passé ?
Un ours gigantesque s’est installé chez lui. Il ressemble beaucoup à celui qui figurait sur un petit tableau accroché au mur de sa chambre.
Ce beau récit étrange dans lequel rêve et réalité s’interpénètrent est construit sur des  images en noir et blanc crayonnées ; les seules touches de couleur se trouvent sur des lignes construisant le décor et sur les pommettes du garçon : bleues tout au long de l’histoire, elles deviennent rouges à la dernière page (je ne vous dirai pas pourquoi, d’ailleurs rien n’est dit).

Au bel ordre a succédé le chaos… et le bonheur.

Une Toute Petite Goutte de pluie

Une Toute Petite Goutte de pluie
Galia Tapiero, Marion Brand
Kilowatt, 2022

Canicule : retour à l’essentiel

Par Anne-Marie Mercier

Une toute petite goutte qui devient grande et essentielle est l’héroïne anonyme d’un petit livre tout simple qui soulève une question elle aussi essentielle (encore plus cruciale en temps de sécheresse) : d’où vient la pluie ?
Il s’ajoute à de nombreux ouvrages sur la question (notamment le fameux Perlette, goutte d’eau de Marie Colmont illustré par Gerda Muller (réédité chez le Père Castor en 2018) sans être redondant : la simplicité de ce livre qui s’affirme sans simplifier le propos le sert. Ici, pas de fictionnalisation (comme dans Perlette) qui pourrait gêner le propos scientifique. Mais une belle ouverture sur l’espace entier, montrant que tout le globe est impliqué dans le processus : glaces, océans, lacs, cours d’eau, tous, représentés chacun dans une double page sobre au dessin réduit encore à l’essentiel. Les pages sont  colorées de bleus et de jaune (pour l’eau et le soleil), tandis que les zones laissées en blanc laissent voir la pureté géométrique du trait : arrondi des collines, verticalité des rayons du soleil, etc.
Évaporation, condensation, formation de nuages, pluie et bienfaits de la pluie pour les cultures, les animaux… Tout est dit en mots simples pour ramener finalement au vécu des enfant : on les voit en dernière page, chaussés de bottes, jouer dans les flaques (on en rêve!)

Voir sur le site de Marion Brand, qui a également illustré Un tout petit grain de sable, chez le même éditeur.

éditions Kilowatt

Après les vagues

Après les vagues
Sandrine Kao
Grasset jeunesse, 2022

Vagues de philo

Par Anne-Marie Mercier

S’agit-il de la réflexion que l’on pourrait mener après des événements, comme, par exemple, des « vagues » qui nous ont bousculés lors de l’épidém?

La mer, Explorer, Se perdre, La rencontre, Se découvrir, S’acclimater, Se manquer, Se retrouver, Rêver… mais aussi Belle étoile, Typhon, Éclaircie… sont autant de doubles pages, de chapitres et d’expériences vécues par les deux petits personnages de cet album en forme de ce qui ressemblerait à mini roman graphique : ce serait plutôt des nouvelles en cinq lignes graphiques.
Mais on n’y retrouve pas le dynamisme et la charge narrative de la nouvelle ; chaque épisode fait appel à la réflexion.
Elle tourne principalement sur l’amour, le manque, autrui, la patience…. Ces petites leçons de sagesse (très sages) semblent appeler une discussion, des applications. Voilà un joli support pour philosopher avec les petits, et pourquoi pas avec soi-même.
Les illustrations aquarellées très simples et souvent pâles ajoutent beaucoup de douceur, tout comme l’aspect mignon des personnages, lapins minimaux déjà présent dans un album précédent, Émerveillements, conçu sur le même modèle, le même format allongé au titre frappé en creux, les mêmes tons pastels  : voilà le début d’une collection de petits bonheurs.

Slip

Slip
Axel Cousseau, Janik Coat
Les fourmis rouges, 2021

A l’eau !

Par Anne-Marie Mercier

Voilà un album original et drôle comme on en voit peu. Le format inhabituel, un grand format proche du carré, et le titre comique l’annonçaient. L’absurde se décline sur une illustration au contraire très posée, un décor stable, celui d’une plage stylisée : sable, mer, arbre exotique ; ce décor explosera ou se renversera parfois, donnant un instant de tournis.
Le tournis viendra aussi de l’accumulation et de l’envahissement d’objets hétéroclites accumulés sur la plage / la page.
Résumons, Slip est le nom d’un kangourou qui a envie d’aller se baigner ; avant de se mettre à l’eau, il cherche quelque chose dans sa poche… et ne le trouve pas mais tout autre chose. Non, ce n’est pas son petit (nommé Slip junior) qui apparaitra entre deux lancers de séries d’objets comme de la crème solaire, des lunettes, une serviette, puis des raquettes, une planche de surf… « Le problème c’est que Slip ne range jamais ses affaires. Dans sa poche on trouve de tout. Des fleurs, une casserole, un balai, une échelle, des bananes… ».
La « chute » est encore plus cocasse, on ne la dira pas : Allez ! tous à l’eau avec Slip, qui donne envie de déballer ses affaires sur la plage.

La Mer dans son jardin

La Mer dans son jardin
Isabelle Carré, Kasya Denisevich
Grasset jeunesse, 2022

La mer, la mer… la mère

Par Anne-Marie Mercier

Après la montagne (voir La Grande Escapade, il y a deux jours), voici la mer. Mais le documentaire n’est pas ici la forme principale (ce n’est pas tout à fait le cas non plus dans le précédent) : on glane juste ici et là des éléments : la Bretagne, où la famille de Marie emménage apparait par petites touches, avec une maison de pierre au toit d’ardoise, et ses grades marées, l’océan et sa profondeur habitée d’algues et de toutes sortes de poissons – c’est justement ce qui fait peur.
Marie, qui voit la mer pour la première fois, est déçue, inquiète. Sa mère est enceinte et elle profite pleinement de la baignade, contrairement à la fillette, qui reste prostrée sur le sable en attendant son retour. On devine une inquiétude autour de la mère et de la mer mais rien n’est bien net. L’apprivoisement se fait le jour où un matin Marie découvre que la mer a envahi le jardin de la maison. La mer s’y installe durablement : on ne peut plus sortir. Le temps passe, l’eau demeure, et se profile l’idée de faire la rentrée en allant à l’école en bateau.
Au chapitre suivant, intitulé « Le Réveil », Marie retrouve le jardin avec son herbe intacte et son arbre en fleurs et comprend que c’était un rêve. Mais ce rêve lui a permis d’apprivoiser l’élément et de commencer à s’en approcher un peu plus, pas beaucoup mais c’est un début.
Dans les aquarelles, pochoirs, éponges de Kasya Denisevich, les couleurs rares montrent l’âpreté du lieu ; les gris font un beau contraste avec le bleu clair de la mer et le vert du printemps retrouvé. Une apparition qui évoque le bel album de Nadja, L’Enfant des sables (L’école des loisirs, 1995) ajoute une pointe de fantastique à ce déménagement mental.

C’est le premier texte pour la jeunesse de l’actrice Isabelle Carré (ne pas confondre avec Isabelle Carrier, auteure du merveilleux La Petite casserole d’Anatole, sur le handicap (Bilboquet, 2009)).

La Grande Escapade

La Grande Escapade
Clémentine Sourdais
Seuil jeunesse, 2021

Là-haut sur la montagne…

Par Anne-Marie Mercier

« Livre randonnée », ce livre à découpes mérite bien son nom : nous suivons l’itinéraire d’une jeune fille, Brume, partie au matin en laissant un mot sur a table « pour dire qu’elle reviendra » : on traverse la forêt, les champs de fleurs, l’alpage, on découvre les sommets, à la fois proches et lointains, et puis on redescend, le cœur plus léger qu’à la montée : Brume s’est disputée la veille avec sa mère, et toutes deux ont fait la même chose, chacune de leur côté.

Une journée seule, à côtoyer les animaux, les plantes, à manger des myrtilles et rêver, et tout s’arrange. Pour le lecteur aussi cette promenade pleine de fraicheur est un parfait dépaysement. Les rabats, nombreux, lui font découvrir la faune et la flore, ouvrent les perspectives, déploient les nuances en pages composées en camaïeux. C’est une belle promenade, pleine de surprises.
C’est aussi une petite encyclopédie sur la montagne : on trouve en fin d’album quatre doubles pages qui reprennent en les nommant les animaux et plantes rencontrés dans l’album. Certains sont accompagnés d’un court texte explicatif.

 

Magma

Magma
Marine Rivoal
Rouergue, 2022

Big Boum

Par Anne-Marie Mercier

Le premier héros de notre monde, celui qui a tout déclenché, doté de super pouvoirs extraordinaires a enfin son album et son récit : voila Magma. Au début, tout est noir (magnifiques noirs de Chine de Marine Rivoal), puis Magma s’éveille, il façonne la terre tandis que la vie éclot, les mammouths se promènent, les océans se peuplent…
Il « remue ciel et terre », parcourt le monde, explose lorsque les hommes ne le laissent pas assez respirer, se rendort…

Les noirs et l’orange se côtoient sans se mélanger, formant des arabesques, des flèches, des blocs… et font de cette histoire un beau conte épique sur les origines du monde, sa fin possible et ses recommencements.