L’amour et les tortues

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Un amour de tortue
Roald Dahl, Quentin Blake (illustrations)

Traduit de l’anglais par Henri Robillot
Paris, Gallimard jeunesse (Folio cadet « Premiers romans »),  2014 (1990), 70p.

Par Bérengère Avril-Chapuis

UnknownPublié en 1990 pour la première fois, ce très court roman de Roald Dahl ne figure pas parmi les plus connus de ses livres. Il est pourtant délicieux. On retrouve en effet toute la subtilité du grand écrivain, toute sa délicatesse dans le récit de cette histoire d’amour – car c’en est une. Monsieur Hoppy, un vieux monsieur solitaire et timide, jeune retraité, épris de fleurs (qu’il cultive sur son balcon, au sommet de la tour où il vit) est secrètement amoureux de sa voisine du dessous, madame Silver. Veuve, tout aussi esseulée que lui, celle-ci semble n’avoir d’yeux que pour sa petite tortue, Alfred. Mais voici qu’un jour de printemps, madame Silver confie à son voisin qu’elle voudrait qu’Alfred grossisse un peu.

Une idée aussi folle qu’amusante germe alors dans l’esprit de M.Hoppy…

Courte histoire d’amour, donc, où la malice, la fantaisie et l’humour occupent le premier plan, réservant un traitement très spécial au petit animal évoqué dans le titre. Les illustrations de Quentin Blake, savoureuses et très colorées, soutiennent la lecture et donnent tout son sel au texte.
En guise de prologue, une note de l’auteur nous livre quelques indications biographiques intéressantes pour entrer dans le récit.

Une excellente lecture pour les plus jeunes comme pour les plus grands.

SOS dans le cosmos

SOS dans le cosmos
Guillaume Guéraud, Alex W. Inker
Sarbacane (Série B), 2015

L’album fait son cinéma, en série B

Par Anne-Marie Mercier

Guillaume Guéraucouv-sos-dans-le-cosmos-620x868d, amateur de cinéma (voir le bel hommage qu’il lui a rendu, Sans la télé), est aussi amateur de Série B. Depuis 2013 il signe dans la collection « série B », avec chaque fois un illustrateur différent, des volumes qui déclinent avec gourmandise les clichés de films « de genre ». Après les cow boys, pirates etc, voici les films de science fiction  passés à la moulinette. On retrouve des allusions à de multiples films à travers les rencontres effectuées par les héros, d’Alien à Interstellar, mais surtout beaucoup d’humour et une délectation pour toutes les fantaisies du genre.

Les illustrations rythment de manière cinématographique, c’est-à-dire à la fois visuelle et sonore (oui, sonore !) cette histoire loufoque, en y ajoutant la poésie et la verve qui sont la marque du style de Guéraud :
« Le météore 8 fut projeté à une vitesse vertigineuse dans un essaim d’étoiles filantes. Hors du système solaire. Bien au-delà des frontières imaginables. Parmi des astres au nom désastreux. Les membres de son équipage haletèrent en traversant la constellation des haltères. Ils s’agitèrent en longeant la galaxie du Sagittaire. Ils s’endormirent en frôlant Sandorimir. Et ils se réveillèrent en arrivant devant la nébuleuse des Rivières. Ils eurent à peine le temps de bailler. »

Tout comme le lecteur, pris par ce texte très court mais très efficace graphiquement et sémantiquement.

 

 

Perdu !

Perdu !
Alice Brière-Haquet, Olivier Philiponneau

Éditions MeMo, 2013

Contine

par François Quet

9782352891246FSPerdu ! est un hommage aux contes (en tous cas, à un conte en particulier) qui prend la forme d’une comptine un peu farce. Sept jours pour perdre un petit bonhomme dans les bois ! Ce n’est pas trop grave : il retrouve à chaque fois son chemin, mais ce n’est pas si simple, car quand il sème des fraises des bois, il constate qu’il y en a déjà des tas, et si ce sont des bonbons au miel qu’il laisse sur son chemin, ils ont fondu au soleil au moment de rebrousser chemin. Bref, passons tout de suite à la moralité de cette reprise loufoque d’une situation dramatique : « Que personne ne me dérange ! Je vais relire deux ou trois contes, ça peut servir à l’occasion ! ».

La structure de la comptine est bien présente et à chaque jour, par rimes plus ou moins savantes, correspondent des semailles plus ou moins fantaisistes mais toujours inefficaces… jusqu’aux cailloux blancs du samedi ! Beaucoup d’humour donc dans ce petit texte parodique, qui sans citer le Petit Poucet y fait constamment référence. Les gravures sur bois d’Olivier Philiponneau privilégient chaque jour une couleur (les fraises des bois, les petits pois, les gouttes d’eau, les pièces d’or, les bonbons au miel, …) avant de se retrouver sur l’arc-en-ciel du dimanche.

Sans se moquer (c’est un risque de la parodie : celui de faire le malin aux dépens de ce qu’on parodie), les auteurs font un clin d’œil malin à une vieille histoire (connue ou encore à découvrir pour les plus jeunes lecteurs) à travers une petite musique très personnelle et une imagerie séduisante.

L’Ogre au pull vert moutarde

L’Ogre au pull vert moutarde
Marion Brunet
Sarbacane (Pépix), 2014

Conte du « foyer »

Par Anne-Marie Mercier

Dans l’instituLOgre au pull vert moutardetion où se trouve le dortoir des jeunes héros, on ne rit pas tous les jours, alors quand il s’agit de faire une farce à un nouveau, comme ce veilleur de nuit tout juste arrivé, il faut en profiter. Oui, mais imaginez que celui-ci soit « pire » que ceux qu’il doit garder, « lie de la société », « graines de délinquance », mal-aimés ?

C’est ainsi que le narrateur, Abdou, présente ses camarades, mêlant ce qu’il sait d’eux avec les propos méprisants du directeur de l’institution. Les héros de l’histoire sont des enfants retirés à leurs parents pour diverses raisons, tous malheureux et perdus, même ceux qui font semblant du contraire, durs entre eux. Mais ce tableau ne s’arrête pas à la tristesse et à la dénonciation. Abdou livre dans quelques chapitres des conseils de survie pour affronter les éducateurs, psychologues, etc. et arriver à mettre un peu de joie dans son existence. Enfin l’histoire de l’ogre, dont le lecteur demande pendant un temps où elle va le mener, est délirante à souhait, comme une explosion d’énergie positive.

Un joli « Pépix« : humour aventures, irrévérence », le contrat est rempli !

On a toujours besoin d’un rhinocéros chez soi

On a toujours besoin d’un rhinocéros chez soi
Shel Silverstein

Grasset Jeunesse, 2015

Indispensable !

par François Quet

On a toujours besoin d'un rhinocéros chez soiVoici un petit guide indispensable pour qui voudrait adopter un rhinocéros. Les dessins de Shel Silverstein montrent efficacement que cet animal de compagnie vous servira aussi bien de camarade de jeu, que de lampe de chevet, de charrue ou de gratte-dos. Ceux qui, parmi mes lecteurs, douteraient de l’utilité d’un pareil animal dans leur trois pièces-cuisine se laisseront aisément convaincre par le plaidoyer de l’auteur. Celui-ci s’amuse à habiller son animal de compagnie avec les vêtements les plus respectables, enfile des bagels autour de sa corne ou le fait flotter à l’envers dans l’eau du bain.

On comprend mieux, après avoir lu cet album, ce que c’est que l’imagination burlesque et plus largement, la créativité. Le crayon de Shel Silverstein n’a rien à faire de la réalité. Il s’inspire de la forme (colossale) de l’animal, et de sa corne, puis le déplace, le travestit, rend possible par le dessin ce que le monde réel ne saurait concevoir. Ce faisant, il invente un monde parallèle au nôtre, beaucoup plus drôle et qui est une véritable invitation à la fantaisie. Un livre pour les enfants ? sans doute… Un livre pour tous ceux qui ne se satisfont pas du monde tel qu’il a l’air d’être.

 

Les Petites Reines

Les Petites Reines
Clémentine Beauvais
Sarbacane, 2015

Des héroïnes réjouissantes!

Par Caroline Scandale

Les petites reines est un roman drôle, profond et féministe.

Couv_Les-petites-reinesMireille, l’héroïne, est élève dans un lycée, à Bourg-en-Bresse. Malo, qui était son meilleur ami à l’école primaire, l’a depuis reléguée dans le camps des vilaines pas fréquentables et l’a même élue boudin de bronze sur les réseaux sociaux. Son père, l’actuel mari de la présidente de la République Française, ne sait pas qu’elle existe. Sa mère, n’est pas vraiment maternelle. Elle pourrait voir la vie en noir mais non, elle est consciente des points faibles de son existence et veut aller de l’avant. Pour conjurer l’odieuse élection qui les a propulsées boudins de l’année, Mireille, Astrid et Hakima décident de rallier la capitale, à vélo, en vendant des boudins végétariens. Pour cela, elles seront accompagnées par le Soleil, grand frère d’Hakima, handicapé depuis la guerre en Afghanistan, beau comme un dieu (enfin comme un soleil d’où son nom…) mais surtout d’une profonde sagesse et d’une grande ouverture d’esprit. Ce périple en direction de l’Élysée sera l’occasion, pour les quatre protagonistes, de se réaliser et aussi de se muscler, ce qui n’est pas négligeable!

L’héroïne, Mireille, est l’incarnation de la lycéenne équilibrée et intelligente. Consciente que l’essentiel est ailleurs, elle ne se laisse pas abattre par cette élection ridicule. Elle entraîne avec elle, les boudins d’argent et d’or, Astrid et Hakima. Leur périple à vélo n’est pas une fin en soi, leur but, à chacune mais aussi au Soleil, est de faire éclater leur vérité au fameux barbecue de l’Élysée. Et ce qu’ils ont sur le cœur, est autrement plus important, que des stupides critères de beauté et de popularité.

Ce voyage initiatique est une suite d’aventures plus croustillantes, drôles et féministes, les unes que les autres; L’épisode du bal de l’ENSAM à Cluny vaut son pesant d’or; La blogueuse féministe qui cherche à obtenir des témoignages de leurs parts qui iraient dans le sens de la lutte des femmes, mais qui n’y arrive pas; BFMTV qui couvre leur périple tant le phénomène enfle et entretient le buzz médiatique… Tout est plausible et vraiment juste!

Les petites reines est un roman qui fait du bien et qui donne envie de s’identifier à ces héroïnes non stéréotypées. Mais au delà de ça, il s’agit surtout d’un grand roman. Respect Clémentine Beauvais!

Et pour voir ce qu’en dit la presse, très intéressée, et les autres blogs, voir sur le site de l’auteure

La pizza

La Pizza 
Raphaël Fejtö
Playbac (Les p’tites inventions), 2015.

Viva Italia ?

Par Bérengère Avril-Chapuis

La Pizza deLes p’tites inventions, 2015 Raphaël Fejtö titille pupilles et papilles des jeunes lecteurs tout en nourrissant leur curiosité. D’où vient la pizza ? Qui l’a inventée ? Pourquoi la célèbre Margherita porte-t-elle ce nom ? Que savons-nous vraiment de ce plat familier tant prisé des petits (et des grands) ? Autant de questions auxquelles ce petit livre facétieux et malicieux se fera un plaisir de répondre avec humour et efficacité, nous faisant découvrir son histoire – mais aussi celle, conjointe, de la tomate. Sous des allures de petit livre sans prétention, c’est en réalité une petite histoire pleine d’intelligence servie par des illustrations vives, savoureuses, vraiment très drôles, un texte clair. Un bon moment de lecture partagée qui nous donne d’ores et déjà très envie de découvrir les prochains volumes (sur le stylo, les frites, les lunettes…) de cette toute nouvelle collection centrée sur des objets familiers du quotidien.

 

Jonas Le requin mécanique

Jonas Le requin mécanique
Bertrand Santini – Illustration de Paul Mager
Grasset Jeunesse 2014

Freaks mécaniques au cœur tendre

Par Michel Driol

jonas-1couvVieux robot rouillé allant de panne en panne, Jonas, le requin mécanique, n’effraye plus personne à Monsterland, parc d’attraction où le public vient jouer à se faire peur. Promis à la casse, il est sauvé par Krokzilla, qui l’emmène à l’océan, en y laissant sa propre vie. Jonas devient alors l’ami improbable d’un manchot. Tous les deux, ils échappent aux hommes qui tentent de capturer le requin, et réalisent le rêve le plus cher de Jonas, retrouver sa maman, grâce à la Fée bleue.

Clin d’œil aux Dents de la mer, ce roman se situe aussi dans la lignée de Pinocchio, en alliant le merveilleux et l’humour. Robots, animaux et humains sont des caricatures : comme chez Roald Dahl, les plus monstrueux physiquement ne sont ni les plus bêtes, ni les plus méchants. La naïveté et l’ingénuité du requin, qui découvre le monde réel et sa vraie cruauté permettent un regard décalé et amusant sur le monde qui nous entoure. Et, au fond, c’est l’amour et l’amitié qui vont permettre à ce grand sentimental en métal de connaitre une vraie naissance. Les illustrations de Paul Mager, dans un beau noir et blanc, accentuent encore le côté caricatural des personnages.

Un conte moderne, distrayant et drôle, qui sait aussi faire place à la tendresse et à l’émotion.

 

Le Voyage dans le temps

Le Voyage dans le temps
Geronimo Stilton, Isabella Salmorago et Alessandra Rossi ?
Traduit (italien) par ?
Albin Michel Jeunesse, 2015

Par Anne-Marie Mercier

Le Voyage dans le tempsSoixante douze épisodes, cinq « voyages dans le temps », dix titres divers peuplés de sirènes et d’elfes… il était temps que nous nous intéressions à Geronimo Stilton, pseudo qui cache toute une équipe éditoriale (l’idée/ le texte? est de Elisabetta Dami). Ici, le voyage dans le temps permet de sauver un bébé tricératops, de rencontrer Hélène de Troie, Attila, Charlemagne et Christophe Colomb, tout cela se mélangeant hardiment avec une fantaisie débridée et beaucoup d’allusions à la mozarella.

La part éducative existe : le récit est entremêlé de pages didactiques sur la guerre de Troie, les Huns, etc. La fin de l’ouvrage propose des interviews imaginaires et donne des éléments (certes sommaires) pour que les lecteurs réalisent leur propre film; il y a des jeux, des autocollants à détacher… C’est comme une pizza (ou alors une ratatouille) : on mélange tout et ça fait quelque chose de tout à fait mangeable, assez savoureux par endroits, mais aussi avec des zones de croûte un peu arides et des points un peu trop épicés ou trop fades… Le recours systématique à la couleur et à une typographie différente, en gros caractères pour mettre des mots du récit en valeur, donne une allure particulière à la lecture. On peut penser que cela a un rôle incitatif pour les lecteurs qui ont du mal avec la lecture – et c’est bien évidemment à eux qu’il faut proposer ce genre d’ouvrage qui les occupera au moins sur la plage, et peut-être les fera rire ou rêver, les bercera de fantaisie, et leur donnera envie de gober toute la série. Mais peut-on passer de Geronimo Stilton à une lecture plus classique aisément, ce n’est pas sûr.

 

L’Odyssée d’Outis

L’Odyssée d’Outis
Jean Lecointre

Thierry Magnier, 2013

Mythique photomontage

Par Dominique Perrin

odyL’Odyssée d’Outis a reçu la “pépite” de l’album à Montreuil il y a de cela une éternité (en 2013) : la bonne nouvelle annoncée ici est que ce faramineux ouvrage n’a pas perdu de son éclat dans cet intervalle – pas plus que depuis l’antiquité dont il semble sorti en trombe, tout patiné et chevauchant une grande vague méditerranéenne. C’est un chef-d’oeuvre d’humour visuel – télescopant les plus beaux visages de marbre des dieux grecs, les maillots de bain et costumes masculins les plus stylés et le casque aveugle de bioman –, et textuel – associant les vertus du résumé le plus sommaire à un art consommé du dialogue (voir la première page d’exposition téléphonique où Outis parie avec son fils et sa femme qu’il arrivera avant eux à la gare de Lyon où il doit les accueillir à leur retour de vacances en Grèce). C’est bien “toute” la mythologie qui est là (ou presque), dans ses rebondissantes extensions (à de nombreux épisodes de L’Odyssée proprement dite se mêlent allègrement quelques autres tout aussi dignes de revivre), et dans sa merveilleuse fraicheur.