Petit Somme

Petit Somme
Anne Brouillard

Seuil Jeunesse, 2025

Une petite cabane dans la forêt

Par Lidia Filippini

Dans une clairière au fond de la forêt, une grand-mère installe la poussette d’un nourrisson devant sa maisonnette de bois. Bien emmitouflé dans sa couverture, le bébé ne tarde pas à s’endormir. La grand-mère en profite pour préparer une bonne compote de pommes. Les animaux sortent alors du bois. Renard, blaireau, hérisson, écureuil s’approchent à pas de loup. Ils observent l’enfant et la vieille dame attendant sagement de recevoir leur part de goûter.
Anne Brouillard convoque ici l’univers du conte. Tout y est : la forêt, la grand-mère, la cabane perdue dans les bois. Il se dégage de cet album un sentiment de douceur, une nostalgie liée à la mise en scène d’un monde suranné qui évoque l’enfance. Un monde où des grand-mères, vêtues de robes et de châles, ne craignaient pas de lasser les bébés dehors pour qu’ils profitent de l’air pur de la campagne pendant leur sieste. Mais, comme souvent dans l’univers de l’autrice, on y rencontre aussi une forme d’inquiétude, cet Unheimliche qui jalonne ses albums (et qu’on retrouve par exemple dans Trois chats, son premier opus, ou dans Mystère).
L’inquiétante étrangeté tient ici au cadrage. L’illustration occupe toute la page. Elle fonctionne comme un zoom sur la scène. Le ciel, hors champ, est rarement visible. Le lecteur n’a d’autre choix que de plonger dans cet univers de conte. Ses yeux sont attirés vers l’image et l’absence de décor périphérique lui interdit toute distraction. Il en résulte un léger sentiment d’oppression qui contredit le récit banal d’une scène de vie familière.
La présence des animaux contribue également à cette inquiétude. Ils apparaissent quand l’enfant se trouve seul dehors. Ils s’approchent alors discrètement et leur figure animale ne se laisse pas facilement décrypter. En effet, contrairement à ce qu’on pourrait attendre dans un album comme celui-ci, destiné aux tout-petits, les animaux ne sont pas anthropomorphisés. Leur regard reste donc assez indéchiffrable. Sont-ils là pour dévorer le bébé ? Est-ce la raison pour laquelle ils semblent se cacher ? Et la vieille dame, finalement, est-elle une gentille grand-mère ou une vilaine sorcière qui laisse l’enfant devenir la proie des bêtes sauvages ? C’est à ce moment du livre, qu’Anne Brouillard donne une voix aux animaux. Ils se mettent à parler et on comprend qu’ils s’intéressent surtout à ce que cuisine la grand-mère : « Elle prépare quelque chose d’intéressant. », « Y en aura-t-il pour nous ? » Loin de chercher à lui faire du mal, Blaireau et les autres s’occupent de bébé. Debout sur leurs pattes avant, ils revêtent des attitudes humaines : se penchent vers le berceau, aident l’enfant – qui en retour les gratifie d’un sourire – à patienter jusqu’au retour de la grand-mère.
Un autre aspect intéressant de cet album est sa circularité, un trait fréquent dans l’œuvre d’Anne Brouillard. Le récit s’ouvre sur la cabane, en plein jour, avec ce texte : « Il fait bon dehors ». Il se clôt sur la même cabane vue sous un angle légèrement différent, de nuit cette fois, avec les mots : « Il fait sombre dehors ». Sur cette dernière illustration, les animaux, rendus à la vie sauvage, s’éloignent en direction de la forêt. On ferme le livre avec l’impression d’avoir vécu une rencontre un peu magique entre le monde des hommes et celui des animaux, peut-être grâce à la présence du bébé – ou du lecteur lui-même.

 

 

Mots-clés :

Noël

Noël
Cecilia Cavallini
D’eux 2025

L’ours qui n’avait jamais vu la neige

Par Michel Driol

Cette année, comme il fait encore doux, Ours n’a pas encore hiberné. Tous ces amis attendent avec impatience Noël. Noël, cela ne dit rien à Ours, qui décide de mener l’enquête avant de découvrir un arbre décoré, la neige, et une fête entre amis.

Reprenant le principe du récit en randonnée, Ours rencontrant successivement chacun de ses amis qui lui donne son regard sur Noël, voici un album qui est d’abord une tendre ode à l’amitié et à la découverte des coutumes inconnues. Amitié bien sûr entre tous ces habitants de la forêt, ours au naturel, les autres souvent affublés d’un bonnet ou d’une écharpe, animaux de toutes espèces et de toutes tailles. On est dans un entre-deux, entre une nature représentée avec réalisme (l’ours qui hiberne, en boule, sous terre) et le merveilleux du conte dans lequel les animaux parlent et ont des coutumes très humaines. Le texte construit progressivement, à travers le questionnement d’Ours, une représentation du Noël : quelque chose qui met de bonne humeur, associé à la neige, à un arbre décoré, et, au final, surtout, à une fête entre amis. Un Noël laïc donc.  Les illustrations, aquarelle et crayons de couleur, sont pleines de douceur, de tendresse, mais aussi d’humour dans la façon de montrer l’excitation des animaux à l’approche de Noël… Toute ressemblance avec des enfants ne serait que pure coïncidence ! L’ensemble respire la joie de vivre et la bonne humeur, l’acceptation de l’autre, des changements dans ses habitudes.

Pour autant, c’est sur un arrière-plan de réchauffement climatique que s’inscrit l’album. Si Ours n’a pas encore hiberné, c’est qu’il ne fait pas encore froid. Voilà qui modifie les habitudes de certains animaux, devine-t-on. Et quant à la neige de Noël, si elle tombe, miraculeusement, à point nommé dans cet album, on sait bien qu’elle risque de n’être qu’un souvenir, conduisant à modifier les représentations et le vécu de chacun. Tout ceci n’est pas dit brutalement, mais reste comme une toile de fond posant un fond réaliste sur cette histoire pleine de fantaisie et de bons sentiments.

Qu’est ce que Noël pour chacun d’entre nous ? Voilà une des questions que cet album nous incite à nous poser, sur fond d’amitié, de sapin décoré, de cadeaux, d’hiver. Et si Noël c’était avant tout l’occasion de faire la fête ensemble ? Voilà une belle leçon pleine d’humanité portée par les animaux !

Esprits d’enfance

Esprits d’enfance
Stéphane Servant, Gaya Wisniewski (ill.)
Rouergue, 2025

Invitation à « retrouver ses esprits »

Par Anne-Marie Mercier

Ces esprits d’enfance, ce sont d’abord des souvenirs : deux enfants, un garçon et une fille (c’est le garçon le narrateur), une grand-mère et son chat, une maison avec une salle de bains à l’extérieur, un potager, un verger, un étang… Cette maison est loin de tout mais proche d’un lac et de petits bois où il y a parfois des champignons. C’est le décor idéal, posé avec une carte crayonnée dès les premières pages, pour faire surgir ces «esprits». Certains sont nés des expressions de la grand-mère ou des enfants : Soukapat (alias Foulbazar, etc.), croque-chaussette, le Cépamoi (ou cépamoiki), mais ils peuvent aussi désigner des découvertes liées aux diverses activités ordinaires et aux jeux inventés : Chante marmite, Dessin-le-ciel, chuchoteurs d’histoires, Boud’bois… Le placard grinçant, l’ombre des toilettes, l’arbre qui pleure… évoquent les peurs des coins sombres et des bruits bizarres qui font le caractère de toute vieille maison, et de la nature même. Chaque chapitre raconte comment l’esprit a été découvert, nommé, et a occupé un temps la vie de ces personnages.
Les illustrations en pleine page, au pastel gras, saturées de couleurs, sont très belles lorsqu’elles illustrent les décors. Les personnages et les monstres sont tracés à gros traits, de manière enfantine. D’autres pages sont en noir et blanc, crayonnées à grands traits au fusain ou au crayon de bois
Un chapitre final, « la vieille maison », montre les deux enfants devenus adultes entrant dans la maison. Elle est désormais inhabitée mais elle reste pleine des odeurs, des histoires du passé et de la présence de celle qu’ils appelaient Mémé. La dernière page, intitulée « retrouver ses esprits » invite à conserver la capacité des enfants à rêver et à inventer, et à se souvenir aussi, au-delà de la nostalgie, pour faire revivre les temps heureux.
Ce beau livre illustré semble s’adresser davantage aux adultes ou du moins à des enfants qui auraient déjà des souvenirs d’étés passés et seraient sensibles au deuil d’une enfance envolée et à la perte d’un ou d’une aïeule disparue.

 

 

L’Étoile de Mo

L’Étoile de Mo
Jeonju Chai
Traduit (coréen) par Elvire Beaule
hélium, 2025

Des Lumières

Par Anne-Marie Mercier

C’est d’abord un charmant petit livre, cartonné, à l’allure un peu ancienne, avec en couverture une image centrale qui reprend un peu tous les éléments de l’histoire, tout cela dans de jolies teintes pastels.
Mo est un chaton qui, un peu comme celui d’Ivan Pommaux, part seul dans la nuit. Il est en quête d’une lumière, du moins le croit-t-il. Il découvrira une nouvelle indépendance, mais aussi la force des amitiés, la richesse, des rencontres, le plaisir de l’exploration, le courage des épreuves surmontées.
Le sous-titre de l’histoire la désigne comme des « aventure forestières », et c’est bien dans ce contexte que tout se déroule : la nuit, l’automne, tout dort, sauf notre petit chaton. Réveillé, il voit par la fenêtre, une lumière « qui semble lui sourire. On dirait presque qu’elle l’appelle ». Après avoir laissé un mot à ses parents (lettres, bâton, formidable), et avoir pris son écharpe – tout cela est dans un contexte très anthropomorphique : les animaux de la forêt ont des maisons creusées dans les arbres, des bibelots et quelques vêtements ou accessoires (une touche de Beatrix Potter?) – il part à la recherche de cette « étoile souriante ».
Il rencontre le bienveillant grand-père hibou et fait des recherches dans sa bibliothèque. Celui-ci lui trouve Mo peu prévoyant. Il lui donne une carte de la Forêt Bleu-nuit et des provisions. A l’étape suivante, des mésanges, très organisées, comme le hibou, lui donnent des conseils et quelques provisions. Puis ce sera un écureuil en haut-de-forme qui lui donnera des rudiments de bonnes manières et des glands, un raton-laveur restaurateur, etc., jusqu’aux rennes du Père Noël, qui font la fête en attendant d’être trop pris par leur travail de la fin de l’année. Tous le mettent en garde contre l’ours qui vit au fond du bois, gigantesque et puant. Bien sûr, Mo rencontrera, l’ours et ce sera une belle surprise, on n’en dira pas plus.
C’est un petit conte parfait, une randonnée comportant beaucoup de variations, et une jolie réflexion sur les idées toutes faites, les mauvaises réputations, et la nécessité de l’entraide. Les illustrations sont une merveille de délicatesse et de drôlerie. Ce petit chat est très expressif et charmant. Le texte s’inscrit de manière très variée dans les pages : on trouve aussi bien des images en pleine page que des images séquentielles, des vignettes qui se promènent autour de  fragments de texte. Représentation du « réel » et vision du fantasme apparaissent souvent conjointement. Si le noir et blanc domine, mettant bien en valeur la fourrure du chat, il est rehaussé aussi de touches de couleurs pastels et l’ensemble est très joli et raffiné.
Magnifique !

 

 

Pierre Lapin

Pierre Lapin ou Le Monde de Pierre Lapin : l’histoire originale + la peluche
Beatrix Potter
Traduit (anglais) par ? (non mentionné)
Gallimard, jeunesse, 2025

Des origines en peluche

Par Anne-Marie Mercier

Noël approche : la publication de jolis coffrets est une opportunité, même si l’on tente de résister contre ce qu’on appelle les « produits dérivés », pour faire découvrir aux jeunes enfants des classiques de la littérature de jeunesse.
Ce premier volume de la série des aventures de Pierre lapin reprend le texte de 1902, mais, nous dit-on en 2e de couverture, « corrigé » en 2002. On ne sait en quoi ni comment, mais tout de même, que veut dire ici ‘histoire originale » ? à l’origine d’une série? On y trouve aussi les reproductions des illustrations « originales » par l’auteur, c’est le moins qu’on puisse faire : Beatrix Potter est une merveilleuse illustratrice ;  ses textes sont de beaux exemples d’esprit d’enfance.
On ne reviendra pas sur les démêlés de Pierre avec Monsieur McGregor dans lesquels il perd sa jolie veste bleue à boutons dorés. De multiples éditions et dessins animés les ont rendus assez célèbres. On se réjouit que cette fameuse veste bleue se retrouve sur la peluche qui accompagne le livre dans la boîte coffret ; le couvercle transparent permet de les découvrir ensemble.

 

Le Cadeau de Minuit

Le Cadeau de Minuit
Hong Soon-mi
L’élan vert 2025

Des couleurs et des ombres…

Par Michel Driol

Ils sont cinq lapinous, Aurore, Matin, Midi, Soir et Minuit, fils de Jour et Nuit, petits fils de grand-mère Temps. Cette dernière offre à chacun d’eaux un cadeau : bleu pâle pour Aurore, bleu  pour Matin, jaune pour Midi, rose, orange et rouge pour Soir, mais, dans le noir de la nuit, Minuit ne voit rien, et pleure. Pourtant grand-mère Temps veille sur lui, et invite ses frères et sœurs à lui offrir quelque chose. Nuage de brume, brise, confettis de soleil, couleurs du ciel. Et Minuit de tendre à chacun un petit bout de lui-même pour faire naitre les ombres…

Voici la réédition d’un album paru en 2020, un album plein de douceur et de poésie. Douceur et poésie des illustrations, pleines de la sérénité de la nature à différents moments de la journée, habitée par cette fratrie de lapins représentés de façon si touchante… Des petits lapins que l’on voit côtoyer d’autres animaux, poissons, oiseaux, papillons, écureuils… autant de vie et de couleurs qui s’opposent à la nuit noire de Minuit  juste peuplée d’une lune et d’étoiles qui sont plutôt ses larmes… Douceur des lapins, des nuages,  des formes diverses représentées de façon duveteuse, cotonneuse, comme de gigantesques doudous moelleux…

C’est dans cet univers que le texte dépoile une mythologie bien loin d’un Chonos dévorant ses propres enfants. Dans cette cosmogonie, on en laisse personne de côté, et les plus anciens veillent sur les plus jeunes, afin de s’assurer une parfaite égalité des dons reçus. Dans ce conte en randonnée, il est question de la beauté originale de chacun des instants de la journée, pleine de sensibilité, de vie, avec sa couleur propre. Et, dans ce jeu, si les lapins de jour apportent à Minuit de quoi rêver, lui leur offre les ombres, comme une façon de donner de l’épaisseur aux choses. De cet échange nait un univers plus complet, les rêves étant le lieu de toutes les couleurs, façon de dire le pouvoir de l’imagination, de la poésie et de la création.

Un album poétique et philosophique à destination des plus jeunes, les invitant à profiter pleinement de chaque moment de la journée, et à prendre soin les uns des autres, au delà des différences.

Polaire le petit renard de feu

Polaire le petit renard de feu
Mathilde Joly
Saltimbanque 2025

Un périple vers l’Arctique

Par Michel Driol

Polaire, un petit renard blanc, s’enfuit du zoo où il est enfermé, pour retrouver son milieu naturel. En chemin, il rencontre un renard roux, qui lui indique qu’il doit continuer sa route vers le nord, comme les oies sauvages qui passent. Après avoir échappé à un chasseur, il retrouve dans un pays tout enneigé une meute d’autres renards blancs, et admire les aurores boréales.

En format paysage, avec de grandes illustrations en double page, voilà un album qui donne à suivre un parcours vers les grands espaces, vers la liberté, vers les racines. Le récit fait silence sur les conditions de libération de Polaire, mais l’illustration montre des cages ouvertes d’où les animaux s’enfuient. Ce qui suit est d’abord le récit d’une découverte du monde, un monde inconnu pour Polaire, qui n’a connu que le zoo. Découverte de la ville, découverte de la forêt, découverte de la neige, découverte des dangers que représente l’homme qui chasse, découverte des autres, presque semblables comme le renard roux, ou bien différents comme les animaux du grand Nord. C’est aussi la découverte de soi, portée par le texte avec ses formes interrogatives, comme autant de signes indiquant l’attitude de curiosité inquiète de Polaire face à ce monde nouveau pour lui. Ce qui guide Polaire, et qui est signalé au début et à la fin du récit, c’est son instinct qui lui permet de retrouver les racines qu’il n’a pas connues. C’est enfin un récit d’émancipation, permettant au petit renard de sortir des cages, de sortir du monde des hommes, pour retrouver une nature sauvage et splendide, symbolisée par les aurores boréales finales. A noter que Polaire n’est pas seul dans cette aventure : est présent, sur toutes les pages, un petit animal que le texte a la malice de ne signaler que vers la fin, invitant ainsi le lecteur qui aurait été inattentif à revenir en arrière, et à reparcourir l’album à sa recherche… A la fin du texte, un petit texte documentaire indique la liaison effectuée par les légendes nordiques entre le renard blanc et les aurores boréales. Les illustrations, peinture et papiers découpés, créent un univers coloré, plein de douceur. A noter en particulier deux illustrations, très frappantes, l’envol des oies vers les nord, une composition presque abstraite dans sa façon de montrer cette migration sur un fond de ciel blanc, et le personnage du chasseur, double page qui oblige à retourner le livre en position verticale, montrant par les couleurs toute la noirceur de ce personnage inquiétant, tandis que, dans l’obscurité, brillent les yeux des animaux traqués, invisibilisés.

Un album poétique, hymne à la nature, à la vie sauvage, au respect des différences, dont le héros poursuit sa quête vers ses origines avec opiniâtreté et détermination, tout en restant bien fragile et inquiet quant à la façon dont les autres vont le recevoir.

Le Bus jaune

Le Bus jaune
Loren Long
HongFei 2025

Ainsi va la vie…

Par Michel Driol

Chacun connait les bus scolaires jaunes des Etats Unis ou du Canada. Loren Long en prend un comme héros de cet album, sans tomber dans les travers de l’humanisation outrée de la série Cars. D’abord il est affecté au transport d’écolier. Puis il transporte des personnes âgées. Abandonné dans les faubourgs de la ville, il devient le refuge des sans-abris. Remarqué à la campagne, ce sont les chèvres qui viennent s’y installer. Et quand, englouti par la montée des eaux due à un barrage, il se retrouve submergé, il est occupé par les poissons.

Loren Long réussit le tour de force de nous émouvoir du destin d’un bus jaune, qui n’est pas doté de parole, mais n’est pas dénué d’émotions, en témoigne le refrain qui clôt chacune des étapes de sa vie : Et ils le remplissaient de joie, sans que l’on sache si cette joie est la sienne ou celle de ses occupants. Le texte joue des répétitions, répétitions de phrases montrant la constance de ce bus consciencieux, infaillible, totalement dévoué à sa tâche. Répétition aussi des onomatopées mimant les bruits de passagers ou occupants divers. Dans sa construction, le texte dit le destin du bus, tantôt sujet, acteur, conduisant ou abritant ses passagers,  tantôt objet, objet des autres qui le conduisent et l’abandonnent. Quant aux illustrations, elles jouent sur le contraste entre le jaune du bus et un décor urbain, puis rural, représenté en grisaille au fusain. Jaune éclatant du bus dans le premier acte. Jaune un peu plus terne  pour le second acte, qui montre une transformation de la porte arrière pour accueillir les personnes en fauteuil roulant, mais aussi les peintures d’inspiration très hippies que ses passagers font sur ses parois. Le troisième acte le montre grisaillant, portières enlevées, capot levé. Et ainsi de suite se lit la lente dégradation du bus sur les illustrations. Parallèlement à cela, l’atmosphère est aussi induite par les saisons et le temps évoqués dans les décors. Eté et soleil pour les deux premiers actes,  puis froid, pluie et neige qui arrivent rendant ainsi sensibles l’inexorable passage du temps.

Le Bus jaune évoque ainsi, avec émotion et nostalgie, la vie qui passe, la lente dégradation des objets familiers, leur mise au rebut – notre propre mise au rebut lorsque nous devenons incapables de remplir nos fonctions. Pour autant, cet album conjugue avec talent cette nostalgie avec un réel optimisme. Le bonheur est là, il suffit de le saisir, de savoir le prendre comme il vient, voire de pouvoir être utile aux autres en toutes circonstances. C’est un peu l’art de la joie que délivre cette fable toute en simplicité et en douceur.

Un album particulièrement bien construit – l’auteur avoue, dans la postface, avoir construit une maquette du lieu – pour évoquer, à partir d’un objet familier, de manière allégorique,  la fuite du temps, la dégradation physique tout en chantant une ode à la vie. Simple, profond, étonnant  et magnifique !

Le Concours de fées

Le Concours de fées
Camille Garoche
Little Urban 2025

De la nature et des fées…

Par Michel Driol

Quelle fée fabrique la magie la plus extraordinaire ? Pour réponde à cette question, la grenouille invite l’escargot à examiner sept fées. On observe successivement les fées de la rosée, des flocons, des bourgeons, de l’écume, estivales, celles des feuilles rouges, et enfin celles de la nuit, A la fin, chacun vote, et les lecteurs sont aussi invités à adresser leur vote à l’éditeur.

Différents animaux sont mis à contribution pour véhiculer les voyageurs, chat, poissons…, et leur faire découvrir l’univers des fées. Chaque étape répète le même dispositif : un court texte de présentation page de gauche sur une illustration souvent en double page montrant le voyage, et une superbe double page qui fourmille de détails, de fleurs, d’animaux, de fées bien sûr, et de légendes, parfois. La magie des fées n’est autre que celle de la nature, de ces mystères qui font rêver les enfants : la rosée du matin, la neige, le printemps, l’automne, la nuit. Il faut prendre le temps d’examiner en détail chacune de ces doubles pages, véritable enchantement visuel. Dans une nature sereine, les fées s’agitent, dansent, nagent, tandis que les animaux et les plantes prolifèrent. On n’entrera peut-être pas dans cet imaginaire des fées, mais on reconnaitra à cet album le mérite de dire à quel point la nature est féérique au fil des saisons, et qu’il faut prendre le temps de découvrir chacun de ces écosystèmes.

Un album de très grand format, au charme un peu désuet (ce qui n’est pas un défaut, loin de là !), qui célèbre la nature dans sa grande diversité, et invite sans doute les enfants à prendre soin d’elle, à l’image de ces minuscules fées bienveillantes qu’il nous montre.

Le Chat qui ne voulait pas fêter Noël

Le Chat qui ne voulait pas fêter Noël
Lil Chase, Thomas Docherty
Traduit (anglais) par Rose-Marie Vassalo
Flammarion, Père Castor, 2025

Qui est le dindon?

Par Anne-Marie Mercier

Le titre était prometteur et la jolie présentation aurait fait de l’ouvrage un cadeau parfait pour les fêtes : couverture crème, rouge et verte, avec du doré, cartonnée avec faux coins rouges, jolie dos rouge avec le chat en mini vignette,  beau papier résistant, nombreuses illustrations…
Mais voilà, on ne trouve que des banalités (qui certes feront rire certains, mais qui pour ceux qui vivent avec un chat sont sans surprise) : le chat fait tomber le sapin, mange la dinde et déchire les cadeaux, et la famille toujours de bonne humeur malgré cela, lui pardonne tout.
Bon, il y a à la fin une recette de chocolat chaud, des blagues, un bricolage pour faire un ange de Noël en carton… toute sorte de tentatives pour améliorer l’ensemble, mais cela ne suffit pas à faire un bon livre, même à Noël.
Le titre anglais était mieux adapté et avait le mérite de proposer un joli jeu de mot : The Cat who ate Christmas (jouant sur le verbe hate (détester) et ate, le passé de eat, manger). Manger Noël, c’est bien ce qu’il fait.