Salle de C-l-asse

Salle de Classe
Florence Aubry

Mijade 2021

Démolition scolaire

Par Michel Driol

Première année d’enseignement pour Stella, jeune certifiée d’histoire-géographie, nommée dans un collège, où elle arrive pleine d’enthousiasme. Elle vient enfin de réussir le concours, vit avec son compagnon, lui-même thésard. Petit à petit, les relations se dégradent avec la classe de 3ème A, en particulier depuis l’arrivée de Noé. D’abord ce sont des toux à n’en plus finir, puis des oublis en série de matériel, des réactions collectives qui détériorent l’atmosphère de la classe, jusqu’au jour où la classe va trop loin… Par des chapitres alternés, on suit le point de vue de Stella, mais aussi celui de Manou, fille d’enseignants, subjuguée par Noé, qui va petit à petit rejoindre les persécuteurs,  pour lui plaire.

Voilà un roman qui analyse avec une grande finesse psychologique les relations entre un groupe d’élèves et une enseignante. Celle-ci, qui ne cherche qu’à faire le mieux possible son métier, se retrouve en difficulté en classe, se questionne beaucoup, comprend ce qui se passe, mais n’a pas les outils pour faire face à l’escalade des provocations et actes des élèves. Face à la violence des mots, des attitudes, quelle aide trouver parmi ses collègues, sans montrer ainsi ses difficultés dans la gestion de la classe ? Petit à petit, Stella se mure dans le silence, perdant ainsi son compagnon, sans être mieux comprise par ses parents.

Manou, quant à elle, note dans un carnet les coïncidences entre différents évènements. Elle vit presque comme un traumatisme son entrée en troisième, où elle est séparée de son amie d’enfance. Premier amour pour Noé, dont on ne sait rien, sauf qu’il a quitté son ancien collège. Elle va le suivre, abandonnant petit à petit tout sens critique et moral, tout au plaisir de ne trouver que des défauts à cette jeune enseignante qu’elle va contribuer à faire craquer.

Tout est bien vu et bien décrit dans ce roman, qui n’exagère pas la violence larvée dont certains groupes d’adolescents peuvent se rendre coupables, juste pour le plaisir de faire souffrir un adulte. On suit la chute de Stella comme une descente aux enfers, dans un roman dont la construction révèle au lecteur dès les premières pages l’issue, dans la coïncidence entre une catastrophe industrielle et la conscience d’être allé trop loin avec Stella. Pour Manou, c’est bien de fin du monde, à tout le moins fin d’un monde, qu’il s’agit : monde de l’innocence, de la tranquillité, des jeux, de l’enfance.

On ne révélera pas l’épilogue, 15 ans plus tard, qui apporte un peu d’optimisme à ce roman très sombre, dans lequel tous les personnages ont leurs parts d’ombre, et ne sont pas, individuellement coupables. Si culpabilité il y a, c’est bien celle de l’institution scolaire, de la violence qu’elle produit sans même en être consciente.

Un roman poignant sur le harcèlement et la souffrance subie par une jeune enseignante, dont témoigne superbement le jeu de mot du titre : Salle de casse.

Le Secret des O’Reilly

Le Secret des O’Reilly
Nathalie Somers
Didier jeunesse, 2018

Ballades et balades irlandaises

Par Anne-Marie Mercier

Le roman de Nathalie Somers propose une balade irlandaise, où les moutons et les vertes prairies, la musique et les danses agrémentent une nature rude et parfois dangereuse. On y rencontre certes quelques clichés touristiques, mais rien de tel pour mettre le lecteur sous le charme d’un pays à la fois proche et lointain.
L’héroïne est française et vit à Paris, mais elle a des origines irlandaises par son père et va chaque été dans sa famille, pas loin de Galway, dans un petit port nommé Listoonvarny (ou Lisdoonvarna), face aux célèbres îles d’Aran. Elle y retrouve ses cousines en pleine préparation d’un concours de musique qui oppose chaque année des fratries de jeunes gens. Le problème central est qu’elles affronteront les gagnants précédents, deux frères de la famille des Clancy (un nom bien de là-bas…), famille ennemie de la leur depuis trois générations.
La question de savoir qui va gagner le concours s’efface assez vite devant d’autres interrogations : pourquoi l’ainée des cousines agit-elle si mystérieusement. Qu’est-ce qui fait que la grand-mère regarde Kathleen bizarrement, qu’est-ce que la vieille Molly cherche à lui faire savoir… et enfin quelle est la raison de la haine qui oppose ces deux familles ?
Si l’écriture est un peu plate, l’histoire fonctionne malgré tout : beaucoup d’interrogations, une intrigue bien ficelée avec toutes ces pistes entremêlées, des événements dramatiques, du suspens, un zest d’amour, c’est un joli cocktail, et tout fini par des chansons.

De l’importance de savoir rebondir

De l’importance de savoir rebondir
Laura Zimmermann
Gallimard Jeunesse 2021

Cachez ce sein…

Par Michel Driol

Tout irait bien pour Greer, lycéenne de 17 ans, si sa poitrine n’avait pas pris une dimension embarrassante. Pour elle. En effet, difficile de trouver des sous-vêtements à sa taille, de s’habiller, de faire du sport. Difficile aussi de supporter le regard des garçons, et leurs propos, sans aménité. C’est alors qu’elle fait la connaissance du petit nouveau du lycée, Jackson, un garçon dont les parents changent d’adresse une à deux fois par an. C’est alors aussi qu’elle est engagée dans l’équipe de volley.

Voilà une chronique lycéenne située dans une ville des Etats Unis, avec ses rituels, comme les matchs et le culte du sport, la représentation théâtrale, ou le gala de début d’année. On suit Greer, la narratrice, dont la mère a comme métier d’intégrer les nouveaux arrivants, de leur faciliter la vie, une mère qui ne voit pas à quel point le corps de sa fille lui pose problème. On suit aussi la famille de Jackson, et ses difficultés à n’être que celui qui passe et qu’on oubliera. Pour lui, comment avoir une relation durable avec Greer ? Mais, pour Greer, comment accepter ce corps en mutation, devenu pour elle difforme, si loin à la fois de celui de la petite fille qu’elle était, et de celui de ses copines du même âge, véritables canons de beauté pour elle. Sans tabou, avec un certain humour lié à la narratrice, le roman parle, à travers de nombreux détails, de nombreuses situations tant au lycée que dans la ville, de ces transformations du corps féminin, de la difficulté à accepter sa féminité lorsqu’elle ne répond pas aux canons de beauté couramment mis en valeur par la publicité, et de la façon dont cela a une influence sur son propre comportement et ses relations avec les autres. Ce roman évoque aussi le harcèlement, parfois conscient, parfois inconscient, dont Greer est victime, dont elle se tire par l’humour et la force de ses réparties, mais qui laissent des traces. On apprécie aussi la galerie des portraits secondaires, depuis la copine en révolte contre tout le monde, jusqu’à la petite fille kleptomane…

Un roman-chronique qui dit la fragilité de l’adolescence, et la difficulté de s’intégrer dans le monde, soit parce qu’on a du mal à accepter son corps, soit parce qu’on est toujours en partance pour ailleurs..

Plus drôle que toi

Plus drôle que toi
Rebecca Elliott
Gallimard jeunesse 2021

Stand-up obsession

Par Michel Driol

Haylah est un en surpoids… d’où son surnom de Truie, qu’elle accepte, voire revendique. Elle adore faire rire, et rêve de faire du stand-up. Elle vit avec sa mère, infirmière de nuit, et son petit frère. Lorsqu’elle découvre, dans son établissement scolaire, que Leo, un jeune homme séduisant, doit participer à une compétition de stand-up à Londres, elle se débrouille pour lui faire passer des idées. Haylah tombe amoureux de Leo, les deux ados se voient pour lui écrire son nouveau spectacle. Mais Leo est-il amoureux d’elle ou profite-t-il d’elle ? Et Haylah osera-t-elle monter sur scène à son tour ?

Ce roman aborde bien les problématiques actuelles de la jeunesse : la question de l’attente sociale, à laquelle en particulier les filles doivent se soumettre : peut-on être trop grosse ? Trop intelligente ? Et si on est trop belle, n’est-on qu’une bimbo ? Cette question du regard des autres qui empêche d’être soi-même traverse et déchire le trio d’amies constitué de l’héroïne et de ses deux plus proches copines. C’est aussi la question du harcèlement scolaire, qui s’en prend aux plus vulnérables, à celles et ceux qui ne sont pas dans la norme (physique, sociale). C’est la question des rapports filles-garçons, de la confiance qu’on peut s’accorder ou de l’exploitation et de la manipulation dont les unes peuvent être victimes. Mais aussi l’arrière-plan d’une famille monoparentale, de la volonté de protéger sa mère, au risque de culpabiliser parce qu’on lui  a fait perdre un nouvel amour, et un nouveau départ. On le voit, ce roman parle de notre monde, d’un univers bien socialement situé dans des familles d’une petite classe moyenne (infirmière, patron de pub) sans complaisance, mais avec bienveillance et humour. Cela vient d’abord du récit, conduit à la première personne par l’héroïne, qui jette sur elle-même  et les autres un regard lucide, cherchant à travers le phénomène du stand-up un ton particulier pour rendre compte de la vie, des relations, un ton à la fois comique et distancié. Cela vient ensuite des situations qui s’enchainent avec rythme et montrent l’héroïne peu à peu faire sa mue, et de Truie devenir Haylah, murissant pour d’assumer sa véritable personnalité sur une scène de stand-up, prenant ainsi sa revanche contre toutes celles et ceux qui l’ont humiliée.

Un roman qui parle avec finesse de la difficulté d’être adolescente aujourd’hui, lorsqu’on ne ressemble pas aux autres. Un hymne à la différence, quelque part ! Une suite est annoncée, que l’on lira avec plaisir.

Le processus

Le processus
Catherine Verlaguet
Editions du Rouergue, 2021

Deux pilules dans ma main

Par Christine Moulin

Des livres qui ont un thème « sociétal » comme il est de bon ton de dire maintenant, on peut tout craindre. Un roman qui traite de l’avortement d’une adolescente de 15 ans peut donc susciter a priori la méfiance. Mais il faut le dire, le titre est déjà un bon point: pourquoi Le processus? Le format est un autre atout: court, le récit démarre sec et reste efficace, centré sur l’essentiel. Centré sur l’essentiel qui n’est pas forcément ce qu’on croit: bien sûr, le choix que doit faire l’héroïne, Claire, est au cœur de l’histoire. Mais pas seulement: tout ce qui est attaché à cette décision et la rend complexe, effrayante, tout ce qui en fait une forme d’initiation, a sa place dans ces quelques pages, sans pour autant donner l’impression de fourre-tout ou de superficialité: la découverte de la force du désir,  la spécificité des amours adolescentes, les difficultés de communication dans un couple quand le corps de l’une est en jeu, sans que l’autre puisse réellement la comprendre, la déception devant la lâcheté de celui qu’on croyait aimer, la nécessité de se défendre contre les adultes qui se veulent trop protecteurs et qui ne sont pas toujours à la hauteur, l’obligation de grandir plus vite qu’on ne voudrait. L’efficacité est encore renforcée par le parti pris d’insérer les dialogues comme des répliques de théâtre, qui claquent, évitant les incises lentes et convenues. Enfin, bien sûr, c’est la personnalité de Claire qui fait de la lecture de ce bref roman un moment dont on se souvient: intelligente, sensible, elle se cherche, souffre, résiste, trouve sa voie et affirme sa liberté. Sans mièvrerie, sans que rien ne paraisse caricatural, elle propose une vision attachante et encourageante des jeunes filles d’aujourd’hui.

Demandez-leur la lune

Demandez-leur la lune
Isabelle Pandazopoulos
Scripto Gallimard 2020

Des mots et des rêves

Par Michel Driol

Ils sont quatre à se retrouver en seconde en lycée professionnel, trois décrocheurs et un immigré turc, deux filles et deux garçons, en cours de soutien avec une professeure de français poursuivie par des rumeurs, mais qui va les entrainer à prendre la parole, à s’exprimer, avec, en ligne de mire, leur participation à un concours d’éloquence.

C’est un livre rare, comme on aimerait en lire plus souvent, sur les relations complexes entre adolescents, sur les relations avec les enseignants, sur le rôle de l’école dans les milieux sociaux les plus défavorisés. C’est un livre sur les exclus, ceux des zones blanches, où rien ne passe, trop timides, trop marginaux, qui n’ont pas eu accès aux mots pour se dire, et qui vivent dans le silence, dépeints ici avec une rare empathie. C’est un livre sur la violence scolaire, non pas celle, physique, dont entend parler tous les jours, mais celle, plus sournoise, de l’orientation, des menaces de l’administration, du conformisme auquel il faudrait se résoudre. C’est un livre sur les relations familiales, dans différents milieux : il y a ceux que la disparition du fils a brisés, celle qui vit dans un mobil-home avec une mère bipolaire, cette famille de petits entrepreneurs dans laquelle le père violent rêve de voir son fils lui succéder, ou la famille absente du jeune immigré turc. C’est un livre sur toutes ces fêlures, ces blessures, ces maux qui attendent les mots pour les dire, et la confiance en soi  pour les prononcer. C’est un livre comme un hommage à tous ces enseignants qui pensent que le détour par la culture, le jeu dramatique, le non scolaire peut redonner espoir à de nombreux jeunes, espoir d’abord en eux-mêmes. C’est un livre pour apprendre à ne pas abandonner, et à tenir à réaliser ses rêves. C’est enfin un livre à la fois réaliste, et, dans une large mesure, optimiste. C’est un livre dont ne saurait que trop recommander la lecture à tous les enseignants en formation…

L’écriture, pleine de rage et d’urgence,  est belle et soignée. C’est d’abord un relai de narration, par lequel est présenté le point de vue de chacun des personnages, à la troisième personne le plus souvent (par souci de réalisme), mais aussi, parfois, en leur laissant la parole (écrit intime, enregistrement). Comme le théâtre joue un rôle important, parfois le texte se fait dialogues théâtralisés, avec didascalies, façon d’être au plus près des mots et des corps, des audaces et des pudeurs.

Un livre qui laissera une trace dans l’esprit et l’imaginaire de ses lecteurs, parce qu’il explore tout l’univers des mots, que ce soient ceux qui endoctrinent, ceux qui engagent, ceux dont a peur, ceux qu’on apprend à maitriser pas à pas, et un livre sur les deux silences, celui qui emprisonne et emmure, mais aussi celui qui porte en germe la parole qui va venir.

La grande Boussole

La grande Boussole
Isabelle Renaud illustré par Laura Fanelli
Neuf – Ecole des Loisirs – 2021

Trouver la voie…

Par Michel Driol

Tout va mal pour Léo. Son père est au chômage, sa mère semble perdue, ses parents divorcent, et son meilleur ami a l’air de devenir fou… Pour remettre de l’ordre dans tout cela, et trouver la bonne voie, Léo a un objet magique : la boussole qui a servi à son aïeul républicain espagnol à traverser les Pyrénées.

Le roman brosse, avec humour, le portrait en actes d’un enfant qui perd ses repères familiaux et amicaux dans une famille qui se disloque. Il insiste sur sa façon de tenter de permettre à ses parents de se réunir autour de la musique, de leur propre passé. Tout est vu à sa hauteur : sa méconnaissance du rock, sa façon de mal comprendre et interpréter les mots  qu’il ne connait pas introduisent de la légèreté dans ce roman qui ne bascule vers le merveilleux de la boussole que dans sa tête.  Si le chômage, le burnout, le divorce sont bien présents, rien de lourd dans ce roman : les adultes sont présents, bienveillants, avec leurs rituels et leurs manies. Léo fait partie de ces personnages attachants des romans pour l’enfance, dans lequel nombre de lecteurs se reconnaitront par les jeux et la vision du monde. Quant à la boussole, elle est un bel objet transitionnel, symbole de toute une histoire familiale. Pleines de vie et très colorées, les illustrations mettent l’accent sur des personnages dans tous leurs états.

Un feel-good movie aux personnages sympathiques.

Pitié, Juliette ! / Allez, Churros !

Pitié, Juliette ! / Allez, Churros !
Tristan Koëgel/ Raphaël Frier
Rouergue (boomerang), 2021

Point de vue animal, point de vue enfantin

Par Anne-Marie Mercier

Churros est un cochon d’Inde ; c’est son point de vue que l’on entend dans une moitié de ce livre (celui-ci fonctionne comme tous ceux de la collection boomerang, mettant chaque texte en vis-à-vis avec un autre). Il se sent vieux et fatigué ; sa « maîtresse » l’exaspère et les amies de celle-ci tout autant, sinon plus. Les situations dans lesquelles Juliette le met (tentative de reproduction, concours de beauté…) sont autant d’épreuves, cauchemardesques pour lui et très drôles pour le lecteur; Churros s’en sort de manière inattendue. Ce tout petit récit est plein de rebondissements et à en plus le mérite de finir bien.
Le point de vue de Juliette est bien différent : loin d’être, comme le croit Churros, en adoration devant son hamster bougon, elle se sert de lui, aussi bien pour tenter de combler sa frustration de ne pas avoir pu convaincre ses parents de l’inscrire à des cours d’équitation que pour entrer en relation de compétition avec d’autres filles. Et si tout finit bien, ce n’est pas de tout pour le motif que croit deviner Churros.
C’est drôle, surprenant, bien raconté (la « voix » du vieux hamster est très réussie, de même que celle de la pauvre Juliette) ; c’est aussi truffé d’exemples de malentendus entre gens qui ne se veulent que du bien, que ce soit entre les parents, entre eux et leur enfant, entre enfants et animaux…
Quant à ceux qui ne sont pas si gentils (copine pimbêche, jeune femelle cochon d’Inde prétentieuse… et même parfois Churros lui-même quand on l’énerve), ils sont joliment ridicules.
Cela fait beaucoup de belles petites choses pour un petit livre, et d’autres, pas si petites, à méditer : le traitement des animaux de compagnie, les relations de compétition entre amis, et la difficulté pour les parents de satisfaire les désirs de leurs enfants.

Les amoureux de Houri-Kouri

Les amoureux de Houri-Kouri
Nathalie et Yves-Marie Clément
Editions du Pourquoi pas ? 2021

Le cercle rouge

Par Michel Driol

Il y a Nourh, qui vivait il y a 300000 ans. Elle assiste à une éruption volcanique qui détruit son clan, puis rencontre Dhib, d’une autre race humaine, avec laquelle elle fonde une famille. Il y a Aya, une jeune Ivoirienne, archéologue, préhistorienne, qui doit aller au Mali sur un chantier de fouilles nouvellement découvert, que doit explorer son professeur parisien. Il y a Oscar, un vieil homme du Burkina, qui doit rembourser la tontine qui lui a permis d’acheter des chèvres que le climat a tuées. Il y a enfin Kim, une orpheline malienne, enrôlée par un groupe islamiste armé. Et tout au long de la lecture, le lecteur se demande quand et comment ces protagonistes vont se retrouver. « Quand des hommes, même s’ils s’ignorent, doivent se retrouver un jour, tout peut arriver à chacun d’entre eux, et Ils peuvent suivre des chemins divergents, au jour dit, inexorablement, Ils seront réunis dans le cercle rouge. » (Citation qui précède le Cercle rouge de Melville). Ce dispositif narratif ingénieux est tout à fait en lien avec le propos des deux auteurs.

En effet, écrit à quatre mains par Nathalie et Yves-Marie Clément, ce roman est entièrement tendu vers ce qui nous réunit, ou devrait nous réunir, quand tant de choses nous séparent.  Ce sont d’abord des personnages singuliers, bien typés et caractérisés, qui représentent, chacun à leur façon, un aspect et une génération de l’Afrique contemporaine. Aya, jeune femme instruite, « noire et fière de sa couleur », Oscar, incarnation d’une sagesse, de coutumes et de tournures orales traditionnelles, Kim enfin, enfant soldat victime de la vie, obligée de survivre dans un monde devenu hostile. Trois voix singulières qui prennent la parole, tour à tour, pour raconter leur propre histoire. C’est cette polyphonie qui permet de mieux saisir ce qui fait l’originalité de chacun des personnages, qui incarnent à la fois un destin individuel mais aussi une vision du monde particulière. A ces trois voix s’ajoute le récit – à la 3ème personne – de Nourh et Dhib, récit qui tient compte des plus récentes découvertes en matière de paléoanthropologie. C’est un récit qui accorde une grande importance à l’Afrique, on le voit (l’un des personnages ne dit-il pas avec un certain humour, que l’homme de Cro-Magnon devait être noir…), à la fois l’Afrique comme berceau de l’humanité, mais aussi l’Afrique contemporaine, avec ses problématiques spécifiques, mais aussi avec l’espoir de l’éducation et de la fraternité qui éclairent la fin de l’ouvrage. Ce n’est pas un hasard non plus si 3 des personnages principaux sont des femmes, façon de dire leur rôle à la fois dans les sociétés préhistoriques, plus matriarcales qu’on ne le pense habituellement, mais aussi dans le monde contemporain. Ainsi le personnage du journaliste, Célestin, ne se voit pas doté d’une voix particulière.

Un roman qui s’inscrit à la fois dans la lignée des grands romans sur la préhistoire (La Guerre du feu), un roman qui se permet un clin d’œil à Quasimodo et à Esméralda, mais surtout un roman pour apprendre à faire société, bien sûr, un roman pour aller vers l’Autre, quelles que soient les cultures, les idéologies, un roman passionnant qui invite et incite au métissage.

 

Là-bas

Là-bas
Gérard Moncomble – Zad
Utopique 2021

Un voyage immobile

Par Michel Driol

Dans une brocante, Max vend à un drôle de bonhomme un masque africain qu’a rapporté du pays son oncle. Il revoit ce masque dans la vitrine d’un coiffeur pour homme, avec lequel il va sympathiser. Ce dernier, homme solitaire, ne parle que d’Afrique, alors que, visiblement, il n’y a sans doute jamais mis les pieds. De là nait une relation improbable entre un vieil homme et un petit Africain, qui n’a jamais mis les pieds en Afrique non plus…

C’est d’abord le récit d’une amitié entre deux personnages attachants d’âges et de cultures différentes. L’un est un coiffeur traditionnel pour hommes, qui a sa vie derrière lui, et semble trainer sa solitude – à l’image de son salon désert. L’autre est fils d’Africains, relié au pays son oncle qui voyage, pris entre deux cultures, entre ici et là-bas. Mais, au-delà de cette amitié et de la façon dont la famille africaine va, en quelque sorte, faire une place et adopter le coiffeur, le récit met le récit en abyme.  En effet, il  met en scène deux personnages qui se racontent des histoires, autour d’une passion commune pour là-bas, une Afrique fantasmée. Si celle-ci est le lieu d’origine des parents pour l’enfant, lieu qu’il n’a jamais vu faute d’avoir les moyens d’y aller, que représente ce continent pour le vieil homme qui semble s’y inventer les souvenirs d’une autre vie ? Le récit laisse le lecteur échafauder ses propres hypothèses. L’Afrique devient alors, dans leurs discours, un lieu magique, fabuleux, peuplé d’animaux étranges : leur Afrique, érigée au rang de mythe, à laquelle eux deux semblent croire, comme un lecteur « croit » une fiction.

Zad illustre ce récit en donnant vie à ces deux étranges personnages, souvent saisis dans des décors qui leur donnent toute leur humanité, dans une palette colorée et sensible.

Une histoire à la fois émouvante et pleine d’humour, sur une relation à la fois intercontinentale et intergénérationnelle, pour évoquer les liens qui nous unissent.